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Compte
rendu du dîner-débat du 16 octobre 2012
présidé par
Jacques Nikonoff et
Laurent Pinsolle
CONSÉQUENCES
D’UNE SORTIE DE L’EURO
par Christine ALFARGE
« L’idée
d’une Europe-puissance ne peut être imposée par une substitution de l’Europe aux
nations. »
L’incertitude
règne, la société a perdu ses repères et ne semble plus maîtriser son destin
avec le fatalisme ambiant d’un nouveau monde qui vient. Si l’on en croit le
scénario catastrophe de certains, l’explosion de la zone euro paraît inévitable.
Selon Jacques Nikonoff : «
Que l’on est peur ne change rien, soit on attend, soit on accélère. Les choix
offerts aux responsables de la zone euro sont une sortie de manière unilatérale,
pays par pays car nous ne pouvons pas le faire de manière désordonnée ou par une
succession de sortie à froid par des pays qui le décident. »
Depuis trois
ans, les difficultés de la zone euro sont apparues. Négocier un pacte budgétaire
ne suffira pas. Un pacte de croissance non plus. Les raisons évoquées de
l’explosion à venir résident dans le fait que la zone monétaire européenne n’est
pas une zone optimale, ce qui veut dire durable. Selon Jacques Nikonoff :« Il ne peut pas
y avoir d’Europe politique, d’Europe puissance. L’Europe n’a pas de matières
premières, l’écart économique est trop important entre les pays. Le facteur
travail ne pourra pas être mobile sans proximité économique. Le fait national ne
permet pas de se penser européen, nous en sommes très loin. Les Anglais
choisissent toujours l’Amérique. La deuxième raison est que les taux d’intérêts
sont trop élevés, le remboursement des intérêts représentant le deuxième poste
budgétaire. La troisième raison est le déséquilibre de la balance des paiements
dont l’Allemagne a provoqué le déficit structurel en menant une politique des
exportations. » Paradoxalement
au souhait qu’il formule sur la nécessité d’une sortie de l’euro afin de
restituer au peuple la souveraineté monétaire,
Jacques Nikonoff pense que « les conséquences seraient une
possible débâcle sous la pression de Bruxelles ». Il reste cependant
arc-bouté à l’idée d’indépendance monétaire nationale pour mener une politique
favorable au peuple à condition d’un soutien actif des citoyens, plus conscients
et plus informés, faire appliquer des mesures protectionnistes ainsi
qu’une nouvelle diplomatie tournée vers les pays émergents
(BRICS).
Partageant la
même réflexion, Laurent Pinsolle pense que la France peut être entendue, il
ajoute : « La
zone euro est une fondation pourrie, ouverte à tous les vents de la
mondialisation, qui n’est pas faite pour une seule monnaie ce qui implique de
gérer autrement notamment par la baisse rapide des taux d’intérêts. »Son
scénario de sortie de crise est basé sur un démontage concerté des pays de la
zone euro ou une sortie d’un seul pays par exemple lors d’une campagne
électorale.
Que
pourrait-il se passer ?
L’Europe ne
fonctionnerait pas avec une quinzaine de
monnaies flottant entre elles, la crise actuelle, provoquant une série de
dévaluations compétitives, disloquerait le système et infligerait des
secousses graves aux entreprises. Difficile d’imaginer un
gouvernement allemand favorable
à ce que ses banques soient contraintes d’accepter des monnaies espagnoles ou
grecques dévaluées de 50 % au lieu des euros. Pour les banques, être obligées de
recalculer les actifs en euros dans des monnaies nationales
provoquerait un resserrement du crédit. Cela entraînerait une hausse des taux
d’intérêts et une crise de liquidités provoquant un
ralentissement économique. Les établissements financiers accorderaient moins de
prêts aux ménages et aux entreprises pour lesquelles une baisse des
investissements serait immédiate, la plupart des entreprises ayant recours à
l’emprunt pour financer leurs projets. Le niveau des dettes publiques serait
également un profond sujet de discorde entre les états membres de la zone
euro.
La forme
politique de l’Europe est l’État-nation.
Dans ce
contexte, il est nécessaire d’approfondir la
construction européenne pour aboutir à une véritable union politique et que la
seule zone monétaire optimale n’est pas économique, c’est une zone politique.
Une union monétaire ne peut survivre qu’accompagnée d’une
union politique, selon la théorie de Robert Mundell. Aujourd’hui,
sortir de la zone monétaire européenne, c’est condamner la construction
européenne comme souhaitait l’achever le Général de Gaulle avec ses deux piliers
économique et politique, la France et l’Allemagne afin de se prémunir de toute
nouvelle hégémonie et garantir la paix à l’ensemble des nations européennes. Il
ne concevait pas l’avenir de l’Europe comme s’inscrivant dans un processus de
fabrication d’une nation européenne venant en substitution des
anciennes nations, mais il croyait en plus de coopération, plus de convergence,
d’actions communes entre elles. Au regard de l’histoire même la menace
stalinienne à l’origine de
la construction européenne, n’a pas entraîné une fusion des nations.
Aujourd’hui, ce n’est pas seulement un pacte de croissance que l’Allemagne et la
France doivent trouver, mais un pacte politique, qui seul peut maintenant permettre
de résoudre fondamentalement et
démocratiquement la crise. À juste titre cette crise n’est-elle pas une
opportunité pour les Européens d’élaborer une vraie politique commune face au
monde. Les crises successives,
alimentaire, énergétique, écologique, financière que nous connaissons engendrent
de nombreuses questions mais qui peut légitimement y répondre, Commission,
Conseil, Parlement européen, Banque centrale européenne, gouvernements
nationaux, en élaborant une réponse qui fasse consensus et puisse être mise
en oeuvre avec les effets attendus ? L’architecture
européenne connaît des limites qu’il faudra bien redéfinir, les institutions
actuelles sont trop impuissantes et trop contestées.
Quels sont les
espaces politiques dans lesquels il est vraiment possible de traiter des
questions qui préoccupent les citoyens : emploi, santé, retraite, pouvoir
d’achats, école… ? Quelles institutions peuvent permettre de
formuler des réponses politiques à ces préoccupations en termes de régulation
économique et financière, de sécurité sur tous ses aspects, de développement
des infrastructures et
de services publics ? La réponse à ces problèmes économiques et financiers est
donc avant tout de nature politique et institutionnelle.
C’est tout
l’enjeu actuel pour réussir une vraie puissance politique européenne dans le but
essentiel de trouver une nouvelle stratégie de la convergence des
économies.
C’est aussi
ce qui fait débat entre les partisans d’une sortie de l’euro qui aurait des
conséquences non maîtrisées où chaque pays serait en repli et jouerait le chacun
pour soi et les partisans d’une Europe supranationale ne prenant pas en compte
la diversité des pays européens. Face à la crise économique, c’est l’ensemble
des réponses nationales adéquates et coordonnées qui fait la réponse européenne.
L’objectif reste donc plus d’Europe, mais pas au sens de dépossession des
nations au profit d’un système inactif, au rôle indéterminé : c’est plus
d’Europe au sens de plus de coopération entre les nations, plus d’actions et de
politiques communes.
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