DANS LE MONDE, MAIS AUSSI EN FRANCE,
ALERTE
ROUGE
SUR LA FRANCOPHONIE
!
par : Georges Gastaud, philosophe, président du COURRIEL,
Régis Ravat,
syndicaliste, président de l’AFRAV,
Albert Salon, ancien ambassadeur,
président d’Avenir de la Langue Française,
Simone Bosveuil, agrégée d’espagnol,
Gaston Pellet, résistant linguistique,
Matthieu Varnier, ingénieur
satellite.
On peut certes, comme Mme la ministre
déléguée chargée de la Francophonie, se satisfaire du fait que le français est «
la seconde langue la plus enseignée » au monde et que le français, ce « beau
cadeau » est aujourd’hui parlé par deux cent vingt millions de personnes1. Il
n’en reste pas moins que la situation de notre langue et de la francophonie
internationale, partout bousculée et harcelée par l’avancée totalitaire du
tout-anglais, se dégrade rapidement.
Hors de France d’abord. En Belgique,
où – dans la quasi-indifférence de l’U.E. et de l’État fédéral belge – des élus
flamands extrémistes prétendent proscrire l’usage public du français. En Suisse,
où une partie des élites alémaniques agit sans relâche pour substituer l’anglais première langue au français dans les écoles
publiques. Au Québec, les élites anglo-formatées se
font agressivement l’écho d’une campagne permanente des milieux dirigeants du
Canada qui cherchent à liquider les lois assurant au français son statut de
langue officielle de la Belle Province. Même si nous devons être reconnaissants
à l’Afrique de rester aux avant-postes de la francophonie internatio-nale, il faut bien observer que l’édifice se
lézarde rapidement au sud de la Méditerranée. Après le Rwanda qui, en 2009, a
rompu avec la fran-cophonie pour rallier le camp
anglophone, le Burundi s’oriente vers le Commonwealth2. Lors de sa visite
officielle au Rwanda, le président gabonais, M. Ali Bongo Olimba a annoncé « étu-dier
l'expérience rwandaise dans l'introduction du bilinguisme » 3 : et le dirigeant
africain d’arguer malicieusement qu’après tout, nombre d’institu-tions françaises privilégient déjà
l’anglais…
La situation n’est pas moins grave
sur notre sol. Non seulement la loi Toubon, votée unanimement par le parlement
en 1994, est bafouée par nombre de firmes qui se dénomment en globish et qui font leur publicité dans cet idiome
approximatif, non seulement certains ténors de la chanson et du cinéma «
français » trahissent de plus en plus la langue de Brassens et de Rohmer pour,
pré-tendument, s’exporter en anglais, non seulement de
grands événements culturels subventionnés par l’argent public comme les
Francofolies si mal nommées font une place grandissante à l’anglais, non
seulement nombre d’émissions diffusées en prime time (sic) s’intitulent-elles en
anglais (Flop Ten de L. Ruquier ; Come on Sommertime, Down
Town sur Inter ; The Voice sur TF1 ; The Summer of Rebels sur Arte, etc.)
sans que cela mobilise outre mesure le C.S.A., mais on observe un début de
glissement, voire de basculement linguistique, au coeur même de l’enseignement public. À l’initiative de Luc
Chatel, l’école maternelle se prépare à plonger les
bambins – qui ne maîtrisent pas encore les structures de leur langue… maternelle
– dans un bain linguistique anglophone. Portée par le même ministre UMP et
conservée telle quelle par M. Peillon, la réforme des
lycées minore l’enseignement de notre langue et développe l’enseignement « en
langues étrangères » (l’anglais se taille évidemment la part du lion…) des «
disciplines non-linguis-tiques » : or, on ne sache pas
que la réciproque vaille en Angleterre, où les bacheliers n’ont plus
l’obligation d’apprendre une langue étrangère… Quant aux universités, leurs
présidents ne se contentent pas de réclamer une exemption de la loi Toubon : la
recherche, y compris parfois en sciences humaines, et plusieurs grandes écoles
emmenées par feu le président si controversé de Sciences Po, basculent
illégalement à l’anglais.
Ces manageurs dépourvus de dignité
nationale et de sens civique annulent ainsi le geste démocratique qui fut celui
de Descartes en 1637 : c’est pour être compris du grand public de son temps que
ce grand novateur écrivit en français (et non en latin) son Discours de la
méthode. Déjà, nombre de grandes entreprises franciliennes imposent à leurs
salariés de travailler en anglais : les choses en sont au point que des
syndicats de toutes obédiences, confrontés à l’angoisse des cadres et des autres
salariés4, sont amenés à revendiquer ce droit élémentaire : travailler en
français en France ! Le record de discrimination linguistique est atteint quand
de grandes entrepri-ses recrutent ouvertement des
anglophones de naissance5 pour occuper leurs postes de direction : ce qui
revient à instituer une préférence nationale à l’envers, non moins insupportable
que la préfé-rence nationale à l’emploi chère aux
partis xénophobes !
À l’arrière-plan de cet arrachage
géant de la langue de Molière, il n’y a pas seulement la « mode » (qui en
décide, d’ailleurs ?) ou la mondialisation néolibérale – laquelle découle
d’ailleurs de choix politiques. Nous affirmons que le basculement au
tout-anglais découle d’une politique linguistique et culturelle totalitaire dont
l’origine est à chercher du côté de l’oligarchie financière mondialisée et des
milieux dirigeants de l’Union européenne. Du côté du syndicat patronal européen
dont l’ancien président, M. E.-A. Seillière, a donné le signal du basculement
quand en 2006, s’exprimant devant le Conseil européen au nom de Business-Europe,
il annonça devant Jacques Chirac – qui eut alors la dignité de quitter la salle
– qu’il s’exprimerait « en anglais, la langue des affaires et de l’entre-prise ».
Comment une telle déclaration
déplairait-elle au MEDEF dont un récent manifeste intitulé Besoin d’aire appelle
à en finir avec l’État natio-nal français pour «
reconfigurer les territoires » et souhaite « une gouvernance européenne beau-coup plus intégrée pour aller vers des États-Unis
d'Europe »6 ? Quant à l’UE, elle piétine ses traités fondateurs, qui lui font
obligation de respecter « l’identité » des États-membres, en établissant
officieusement – et bientôt, officiellement si le « saut fédéraliste » en cours
va au bout de sa logique – la langue anglaise comme langue officielle de
l’Union. Quand donc les peuples ont-ils été a pelés à débattre de ces questions
et à les trancher de manière démocratique ? Qui a consenti en notre nom ces
incroyables transferts de souveraineté linguistique ? Au contraire, une
effarante chape de plomb médiatique pèse sur le basculement linguistique en
cours : pour une large partie de la droite, il faut certes ne rien dire qui
puisse ralentir le sacro-saint « saut fédéra-liste »
souhaité par le haut patronat. De même « l’internationalisme » mal compris d’une
certaine gauche favorise-t-il naïvement l’entreprise « glo-balitaire » sans précédent qui tente d’imposer au monde
une langue unique (et avec elle, une politique et une économie uniques !). Mais
en quoi la destruction de la diversité linguistique, chair et sang de la
diversité culturelle mondiale, importerait-elle moins à l’humanité future que la
nécessaire préservation de la biodiversité ?
À cette situation linguistique
dramatique, c’est peu dire que le Gouvernement n’apporte pas la riposte
nécessaire. Certes nous n’en sommes plus au flamboyant mépris des francophones
que cultivèrent « Sarko l’Américain », « Christine The
Guard » ou le « French Doctor » Kouchner qui, ministre des Affaires étrangères, a
osé déclarer que l’avenir de la francophonie passe… par l’anglais7. Certes, il y
a eu cet acte d’élémentaire dignité du chef de l’État demandant à M. Fabius de
s’exprimer systématiquement en français à l’étranger. Certes, le candidat
Hollande a pris position contre les cours universitaires dispensés en anglais.
Il a même rappelé à nos ambassadeurs que « la promotion de la langue, de la
création françaises, c’est l’affirmation d’une vision du monde qui fait place à
toutes les cultures ».
Mais depuis le 6 mai, les actes forts
sont rares. Sollicitée par plusieurs associations de défense de la langue
française, la ministre déléguée à la Francophonie botte en touche sur la
question du tout-anglais8 et n’a toujours pas répondu à la demande d’entrevue
que lui avaient adressée ces associations. Rien n’est fait non plus pour annuler
ou pour corriger la LRU, dite loi Pécresse, dont
certains dispositifs incitent directement les universités à privilégier
l’anglais. Pis, le candidat socialiste s’est engagé à faire ratifier la Charte
européenne des langues minoritaires et régionales dont l’objet réel est de
désétablir la « langue de la République » (article II de la Constitution), alors
qu’il y aurait mille autres manières de promouvoir nos langues régionales, ce
patrimoine commun de la Nation (et pourquoi pas en outre, les langues de
l’immigration là où c’est utile à l’intégration citoyenne ?) dans le cadre de la
République indivisible héritée de la Révolution. Que restera-t-il de notre
langue lorsqu’elle sera prise en étau entre le séparatisme régional à prétexte
linguis-tique et le tout-globish maastrichtien à l’échelle du sous-continent ? La
langue de l’Édit de Nantes, de la Déclaration de 1789 et des Jours heureux
promis par le CNR à la Libération, est-elle vouée à devenir en France, en
quelques décennies, l’équivalent de ce qu’est devenue la noble langue gaélique
en Irlande ?
Car si les langues mettent des
siècles à émerger pour porter l’histoire d’un peuple, elles mettent fort peu de
temps pour s’effacer, comme l’a montré Claude Hagège :
comme en d’autres domaines de la vie sociale chamboulés par le néolibéralisme
mondial, il faut donc se résoudre à résister franchement ou à collaborer hon-teusement. Parce que nous choisissons la pre-mière voie, celle de l’égale dignité entre les peuples,
nous appelons nos concitoyens – et notamment les plus modestes, qui sont les
plus menacés par le basculement en cours – à exiger des autorités qu’elles
fassent respecter la loi à l’école, à l’entreprise, dans la « com », dans la vie économique et à l’université. Nous
soutenons la proposition – enterrée par la précédente majorité politique –
portée par le député J.-J. Candelier – d’installer une
commission d’enquête parlemen-taire sur la situation
linguistique de la France. Car ceux qui veulent substituer le Wall Street
English9 à la langue de Victor Hugo voudraient bien que l’assassinat
linguistique pût s’imposer de manière « consensuelle », sans débat public. Ceux
qui veulent au contraire que vive le message séculaire de liberté, d’égalité, de
fraternité et de Lumières communes porté par notre langue, exigent qu’un large
débat s’engage en France sur la politique linguistique de notre
pays.
« Que les bouches s’ouvrent » , citoyens !
Ne nous laissons
pas couper
la langue en silence
!
1 C’est ce que répond un conseiller
de Mme Benguigui aux défenseurs de la langue
françaises qui demandaient audience à la ministre chargée de la
Francophonie.
2 Cf le
site
http://www.afrik.com/le-burundi-souhaite-rejoindre-le-commonwealth.
3 « Le Gabon souhaite regarder de
près l'expérience rwandaise dans l'introduction du bilinguisme » , a affirmé le porte-parole de la présidence A.-C. Bilie-By-Nze lors d'une conférence
de presse au retour d’A. Bongo des Nations Unies.
http://www.leparisien.fr/informations/francophonie-le-gabon-terre-francophone-veut-se-mettre-a-l-anglais-01-10-2012-2194985.
php); cf aussi
http://www.rfi.fr/afrique/20121002-gabon-veut-mettre-anglais-ali-bongo-ondimba-commonwealth-francophonie-rwanda-rdc.
4 Un colloque de la CFE-CGC s’est
tenu le 7 mars 2012 (http://www.franceinfo.fr/player/reecouter : Parler anglais
au travail, une source de stress et de fatigue ).
Également :
http://www.francophonie-avenir.com/video_CGT-Danone_contre_le_tout-anglais.htm;
http://youtu.be/FNKJ02Ssu0A.
5 Le nom de code est « English mother tongue »
. il faut que les lecteurs puissent reconnaître
cette formulation désormais courante dans les journaux pour cadres. Ce n’est pas
céder à l’anglomanie que d’user de l’expression anglaise, c’est au contraire en
marquer la brutale insolence. Mais tenant compte de votre remarque, je mets le
français dans le corps du texte et l’anglais en note infrapaginale.
6 Cf Le
Monde Michel Noblecourt, 15 février
2012.
7 Deux ou trois choses que je sais de
nous – Laffont, 2006. « Il faut une francophonie ouverte à l'anglais. La
francophonie ne doit pas être opposée à l'anglophonie.
8 Réponse datée du 14 septembre 2012,
sous la signature de M. Patrick Lachaussée.
9 Bien entendu, aucune hostilité de
notre part contre la belle langue de Shakespeare. C’est
le tout-anglais que nous visons
clairement.