LA CLASS ACTION EN FRANCE :   

NOUVEL ENJEU DE SOCIÉTÉ ET DE DÉMOCRATIE

      

par Christophe AYELA,

avocat au barreau de Paris, spécialisé en contentieux pénal et commercial

 

JUSTICE - Pour bien situer le débat réouvert par la nouvelle majorité, il faut surtout comprendre que la class action n'est pas qu'un gadget judiciaire, c'est un véritable enjeu de société, un droit fondamental d'accès à la justice pour tous les citoyens, en bref, un progrès démocratique indiscutable trop longtemps retardé dans notre pays désormais dans l'obligation de se mettre à jour.

 

Beaucoup de bruit pour rien ?

 

Le  “serpent de mer” de la class action  où des actions de groupe resurgissent comme n'avait cessé de le faire la question de la présence de l'avocat en garde à vue jusqu'à ce que le législateur français, soumis aux contraintes européennes relayées par les plus hautes autorités judiciaires de la France, n'adopte la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 digérée , intégrée par tous les praticiens, officiers de police judiciaire , avocats et magistrats. On peut même être étonné qu'il ait fallu autant d'années pour en arriver à ce texte. Beaucoup de bruit pour rien pour reprendre le titre d'une comédie de Shakespeare ! 

 

La class action ou action de groupe connaîtra-t-elle un sort identique ? On peut le penser si l'on fait un effort de mémoire, comme l'ont fait les sénateurs Laurent Beteille et Richard Yung dans leur rapport d'information n°499 (2009-2010) déposé le 26 mai 2010 auprès de la Commission des lois du Sénat. L'idée dominante est simple et non contestable: la proposition d'introduire dans notre procédure l'action de groupe ou la class action n'est pas nouvelle en France.

 

Qu'écrivent ces honorables parlementaires ?

 

Que “L'interrogation sur l'opportunité d'introduire la notion d'action de groupe en droit français apparaît dès le début des années 1980 dans les débats politiques comme dans les réflexions des experts du droit de la consommation”.

 

Qu' en janvier 2005, à l'occasion de ses vœux aux forces vives de la Nation, M. Jacques Chirac, Président de la République, a relancé le débat de façon significative en demandant au Gouvernement de “proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre des pratiques abusives rencontrées sur certains marchés”.

 

Qu'en janvier 2008 , M. Jacques Attali avait remis un rapport au président Sarkozy préconisant, parmi  trois cent seize propositions, l'instauration des actions de groupe en matière de consommation et de concurrence, considérant qu'elles offraient une protection accrue des consommateurs en facilitant l'accès au droit par une réduction des coûts de procédure. Il échet de rappeler à cette occasion que le président Sarkozy envisageait  lui-même cette idée dès 2007.

 

Que lors des assises de la consommation, organisées le 26 octobre 2009, la question de l'introduction de l'action de groupe a été abordée favorablement par M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme, des Services et de la consommation, avec l'exigence d'un strict encadrement.

 

Dans une interview accordée le 22 juin 2012 au Journal Le Parisien, la garde des Sceaux a déclaré qu'elle souhaitait une justice plus proche des citoyens et a annoncé son intention de permettre les "actions de groupe", c'est-à-dire, selon ses propres termes, une procédure “qui autorise les actions en justice à plusieurs pour que la réparation de petits litiges soit effective”.

 

N'importons pas le pire des États-Unis en France !

 

Derrière le calme apparent de cette phrase se dissimulent des orages qui ne demandent qu'à éclater, mais des orages sans mémoire, comme nous venons de le démontrer ! La lecture de la réaction

d'un internaute dissimulé sous son pseudonyme semble résumer certaines craintes : “Pourquoi l'idée des class actions est une catastrophe. Vivant depuis dix-sept ans aux États-Unis, je suis convaincu que les principaux bénéficiaires en seront les avocats et les premières victimes les consommateurs... en effet, les sociétés augmenteront leurs prix pour prendre en compte le coût potentiel de ces procès. Pour chaque abus des grands méchants loups du CAC40, il y aura plusieurs plaintes fantaisistes et encore plus d'avocats qui se goinfreront. Le systeme US a beaucoup de qualités et de défauts... n'importons pas ce qu'il y a de pire en France...”.

 

Cette opinion relaie celle de Laurence Parisot , présidente du MEDEF , qui estimait déjà en 2006 que de telles procédures, “actions de groupe” ou class actions pouvaient avoir des conséquences dramatiques pour l'économie et mettre en péril la compétitivité des entreprises et l'emploi. Que penser de cette idée qui va développer des polémiques et valoir des anathèmes réciproques ? Selon nous, il faut partir de plusieurs constats tirés de la simple vie courante des citoyens.

 

Premier constat : on ne cesse d'entendre que pour de petits litiges financiers ou autres mettant en relation un individu seul et démuni face à un grand groupe ou à une société importante, c'est  le sentiment d'une bataille que traduit la fameuse expression du “pot de terre contre le pot de fer” faisant naître à la fois amertume et colère quand ce n'est pas de la désespérance.

 

Second constat : on se trouve parfois confronté à une médiatisation d'un cas isolé posant cependant souvent une question de principe rencontré par de très nombreux citoyens. Sont apparus ainsi sur les ondes des hommes ou des femmes revêtant la cape de Zorro et venant résoudre face à des milliers, voire parfois des millions d'auditeurs un cas isolé douloureux. Le commerçant ou la société, petite ou grande, se voit projeté en pleine lumière médiatique et son image s'en trouve immédiatement ternie sans que le principe du débat contradictoire soit véritablement respecté ; c'est le procès sur la place publique, mais sans règles de procédure. Qui ne se souvient pas des émissions d'Anne Gaillard sur France Inter où elle apparaissait comme une défenseure active, énergique, et parfois pas toujours impartiale, des droits des consommateurs, lui valant d'ailleurs un certain nombre de procès avant la suppression de son émission ? Aujourd'hui, rien que le nom de Julien Courbet suffit à effrayer nombre de commercants ou d'industriels qui craignent de voir leur nom être cité sur RTL à l'occasion d'un litige, souvent peu honorable pour eux, parce que les dossiers choisis le sont pour leur impact populaire : audimat oblige !

 

Ces deux constats entraînent une évidence : une idée qui se répète finit par mettre en lumière la mise en marche nécessaire de sa réalisation.

 

Que faut-il en déduire?

 

Que la transposition en droit français d'institutions ou de procédures anglo-saxonnes est une exigence qui naît de frustrations du citoyen français qui ressent notre démocratie comme inachevée parce qu'elle le désarme face à des intérêts puissants en raison même de sa solitude alors qu'il sent que son combat est juste. La pire des attitudes serait que le législateur français fasse sienne la phrase de Cocteau : “Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur” alors que nos juristes et législateurs sont en mesure d'apporter une pierre utile et adaptée à notre droit. Que faut-il craindre ? Une plus grande sensibilité des sociétés et des grands groupes à ce qui est enseigné dans les écoles de commerce les plus prestigieuses mais qui paraît du domaine de la pure utopie : l'éthique dans la pratique du droit des affaires ! Mais l'éthique reprenait toute sa valeur dans l'entreprise et pour l'entreprise, ne verrions-nous pas l'action de groupe mourir de sa belle mort après avoir atteint son but qui est de faire coïncider la justice avec morale ? La question peut être posée !

 

Et la réponse c'est qu'à force de ne rien faire...

 

À force de ne rien faire, nous voilà en retard, sous la pression des autres pays plus avancés et surtout incapables d'imposer notre propre standard. Entre tout et rien, entre les excès du système américain et le néant du nôtre, la France doit faire entendre sa voix, en réalité, la troisième voie... ¾

 

Ce billet a été rédigé avec le magistrat Jean-Claude Kross.
 
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11.09.2012

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