avocat
au barreau de Paris, spécialisé en contentieux pénal et commercial
JUSTICE
- Pour bien situer le débat réouvert par la
nouvelle
majorité,
il faut surtout comprendre que la class
action n'est pas qu'un gadget judiciaire, c'est un véritable enjeu de
société, un droit fondamental d'accès à la justice pour tous les citoyens, en
bref, un progrès démocratique indiscutable trop longtemps retardé dans notre
pays désormais dans l'obligation de se mettre à jour.
Beaucoup
de bruit pour rien ?
Le“serpent de mer” de la class
actionoù
des actions de groupe resurgissent comme n'avait cessé de le faire la question
de la présence de l'avocat en garde à vue jusqu'à ce que le législateur
français, soumis aux contraintes européennes relayées par les plus hautes
autorités judiciaires de la France, n'adopte la loi
n° 2011-392
du 14 avril 2011 digérée , intégrée par tous les praticiens, officiers de
police judiciaire , avocats et magistrats. On peut même être étonné qu'il ait
fallu autant d'années pour en arriver à ce texte. Beaucoup de bruit pour rien pour
reprendre le titre d'une comédie de Shakespeare !
La
class action ou action de groupe
connaîtra-t-elle un sort identique ? On peut le penser si l'on fait un
effort de mémoire, comme l'ont fait les sénateurs Laurent
Beteille
et Richard
Yung
dans leur rapport
d'information n°499
(2009-2010) déposé le 26 mai 2010 auprès de la Commission des lois du Sénat.
L'idée dominante est simple et non contestable: la proposition d'introduire dans
notre procédure l'action de groupe ou la class action n'est pas nouvelle
en France.
Qu'écrivent
ces honorables parlementaires ?
Que
“L'interrogation sur l'opportunité
d'introduire la notion d'action de groupe en droit français apparaît dès le
début des années 1980 dans les débats politiques comme dans les réflexions des
experts du droit de la consommation”.
Qu'
en janvier 2005, à l'occasion de ses
vœux aux forces vives de la Nation,
M. Jacques Chirac, Président de la République, a relancé le débat de façon
significative en demandant au Gouvernement de “proposer unemodification de la législation pour
permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des
actions collectives contre des pratiques abusives rencontrées sur certains
marchés”.
Qu'en
janvier 2008 , M. Jacques Attali avait remis un rapport au
président Sarkozy préconisant, parmi trois cent seize propositions,
l'instauration des actions de groupe en matière de consommation et de
concurrence, considérant qu'elles offraient une protection accrue des
consommateurs en facilitant l'accès au droit par une réduction des coûts de
procédure. Il échet de rappeler à cette occasion que
le président Sarkozy envisageait lui-même cette idée dès
2007.
Que lors
des assises de la consommation, organisées le 26 octobre 2009, la question de
l'introduction de l'action de groupe a été abordée favorablement par M.
Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du Commerce,
de l'Artisanat, des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme, des Services
et de la consommation, avec l'exigence d'un strict
encadrement.
Dans
une interview accordée le 22 juin 2012 au Journal Le Parisien, la
garde
des Sceaux a déclaré
qu'elle souhaitait une justice plus proche des citoyens et a annoncé son
intention de permettre les "actions de groupe", c'est-à-dire, selon ses propres
termes, une procédure “qui autorise les
actions en justice à plusieurs pour que la réparation de petits litiges
soit effective”.
N'importons
pas le pire des États-Unis en France !
Derrière
le calme apparent de cette phrase se dissimulent des orages qui ne demandent
qu'à éclater, mais des orages sans mémoire, comme nous venons de le
démontrer ! La lecture de la réaction
d'un
internaute dissimulé sous son pseudonyme semble résumer certaines
craintes : “Pourquoi l'idée des
class actions est une catastrophe.
Vivant depuis dix-sept ans aux États-Unis, je suis convaincu que les principaux
bénéficiaires en seront les avocats et les premières victimes les
consommateurs... en effet, les sociétés augmenteront leurs prix pour prendre en
compte le coût potentiel de ces procès. Pour chaque abus des grands méchants
loups du CAC40, il y aura plusieurs plaintes fantaisistes et encore plus
d'avocats qui se goinfreront. Le systeme US a beaucoup
de qualités et de défauts... n'importons pas ce qu'il y a de pire en France...”.
Cette
opinion relaie celle de Laurence
Parisot
, présidente du MEDEF
, qui estimait déjà en 2006 que de telles procédures, “actions de groupe”
ou class actions pouvaient avoir des
conséquences dramatiques pour l'économie et mettre en péril la compétitivité des
entreprises et l'emploi. Que penser de cette idée qui va développer des
polémiques et valoir des anathèmes réciproques ? Selon nous, il faut partir
de plusieurs constats tirés de la simple vie courante des
citoyens.
Premier
constat : on ne cesse d'entendre que pour de petits litiges financiers
ou autres mettant en relation un individu seul et démuni face à un grand groupe
ou à une société importante, c'est le sentiment d'une bataille que
traduit la fameuse expression du “pot de terre contre le pot de fer”
faisant naître à la fois amertume et colère quand ce n'est pas de la
désespérance.
Second
constat : on se trouve parfois confronté à une médiatisation d'un cas isolé
posant cependant souvent une question de principe rencontré par de très nombreux
citoyens. Sont apparus ainsi sur les ondes des hommes ou des
femmes revêtant la cape de Zorro et venant résoudre face à des
milliers, voire parfois des millions d'auditeurs un cas isolé douloureux. Le
commerçant ou la société, petite ou grande, se voit projeté en pleine
lumière médiatique et son image s'en trouve immédiatement ternie sans que le
principe du débat contradictoire soit véritablement respecté ; c'est le
procès sur la place publique, mais sans règles de procédure. Qui ne se souvient
pas des émissions d'Anne Gaillard sur France Inter où elle apparaissait comme
une défenseure active, énergique, et parfois pas toujours impartiale, des
droits des consommateurs, lui valant d'ailleurs un certain nombre de procès
avant la suppression de son émission ? Aujourd'hui, rien que le nom de Julien
Courbet suffit à effrayer nombre de commercants ou
d'industriels qui craignent de voir leur nom être cité sur RTL à l'occasion d'un litige, souvent
peu honorable pour eux, parce que les dossiers choisis le sont pour leur impact
populaire : audimat oblige !
Ces
deux constats entraînent une évidence : une idée qui se répète finit par
mettre en lumière la mise en marche nécessaire de sa
réalisation.
Que
faut-il en déduire?
Que
la transposition en droit français d'institutions ou de procédures
anglo-saxonnes est une exigence qui naît de frustrations du citoyen
français qui ressent notre démocratie comme inachevée parce qu'elle le
désarme face à des intérêts puissants en raison même de sa solitude alors qu'il
sent que son combat est juste. La pire des attitudes serait que le
législateur français fasse sienne la phrase de Cocteau : “Puisque ces mystères nous dépassent,
feignons d'en être l'organisateur” alors que nos juristes et législateurs
sont en mesure d'apporter une pierre utile et adaptée à notre droit. Que faut-il
craindre ? Une plus grande sensibilité des sociétés et des grands groupes à
ce qui est enseigné dans les écoles de commerce les plus prestigieuses mais qui
paraît du domaine de la pure utopie : l'éthique dans la pratique du droit
des affaires ! Mais l'éthique reprenait toute sa valeur dans
l'entreprise et pour l'entreprise, ne verrions-nous pas l'action de groupe
mourir de sa belle mort après avoir atteint son but qui est de faire
coïncider la justice avec morale ? La question peut être posée !
Et
la réponse c'est qu'à force de ne rien faire...
À
force de ne rien faire, nous voilà en retard, sous la pression des autres pays
plus avancés et surtout incapables d'imposer notre propre standard. Entre tout
et rien, entre les excès du système américain et le néant du nôtre, la France
doit faire entendre sa voix, en réalité, la troisième voie... ¾
Ce
billet a été rédigé avec le magistrat Jean-Claude Kross.