LA
FORCE FRANÇAISE
DE
DISSUASION NUCLÉAIRE
par Christine
ALFARGE
« La
justification essentielle des États, c’est la
défense. »
Charles
de Gaulle.
La
force française de dissuasion est un des aspects
stratégiques de la politique militaire du Général de Gaulle,
devenue un instrument politique déterminant pour soutenir la
politique extérieure en défendant les intérêts de la France. La pensée du
Général de Gaulle concernant la politique militaire résultait d’une doctrine
cohérente qui s’était déjà concrétisée dans les années 1949-1955. Son discours
de Pont-Saint-Esprit le 9 novembre 1951 dessine sa conception politique et
militaire qui sera sa feuille de route dès son arrivée au pouvoir. Son but
suprême était de redonner à la France un statut de puissance ayant un rôle
incontournable notamment redevenir la première puissance militaire en Europe. Il
condamnait le projet de « Communauté européenne de Défense » qui prévoyait
l’institution d’une armée européenne sous une autorité supranationale. En avril
1954, le Général de Gaulle énoncera les fondements de la politique extérieure et
militaire qu’il mettra en œuvre après 1958-1959 en tant que président de la
Ve République. Ces fondements
seront : « dégager la France de sa soumission aux Alliés, pour
lui rendre avec une défense nationale, sa liberté d’action, c’est-à-dire son
indépendance, et en faire à nouveau une puissance au moyen d’un
armement nucléaire approprié à ses ressources ».
La
France dans L’Otan en 1956-1958
Avant
le retour au pouvoir du Général, la France manifeste déjà des réticences
vis-à-vis de l’Otan, elle se voit reléguée au second plan de l’organisation. La
solidarité de l’Alliance atlantique se fissure au moment de la crise de Suez
entre la France et ses Alliés qui par ailleurs ne voient pas d’un très bon œil
sa nouvelle doctrine stratégique géopolitique, euro-africaine mettant l’accent
sur l’unité de la défense occidentale en Europe et en Afrique, de l’Atlantique
jusqu’à la Méditerranée orientale. Ces profonds désaccords conduiront même le
gouvernement français de l’époque à menacer de revoir la position de la France
au sein de l’Alliance bien avant l’avènement de la VeRépublique. Cette politique marquera les
prémices de celle que mènera le Général de Gaulle à partir de l’été 1958 à
l’égard de l’Alliance atlantique, et pour doter la France d’un armement
nucléaire.
La
période de 1958 à la fin de 1962 sera influencée par la guerre en Algérie puis
par la paix et l’indépendance de ce pays, tant que dura le conflit algérien, le
Général de Gaulle ne put mener une grande politique à l’extérieur. À partir de
1963 jusqu’à la fin de 1965, la France se désengage progressivement de ses
obligations de partenaire de l’Otan en soutenant notamment une querelle autour
du projet des forces multilatérales intégrées et de la stratégie nucléaire de
l’Otan.
Lors
d’une rencontre entre Charles de Gaulle et Macmillan à Rambouillet quelques
jours avant le Conseil des ministres du 19 décembre 1962, ce dernier dit au
Général que la Grande-Bretagne est décidée à conserver sa force nucléaire
nationale. Il est déçu par l’attitude des États-Unis. Il n’est absolument pas
opposé à ce que nous fassions notre propre force nucléaire, mais il
souhaiterait que nous coordonnions nos efforts et nos stratégies. Le
Général de Gaulle lui répondit : « Nous ne pouvons qu’être
d’accord pour coordonner, dès lors que nous sommes
indépendants. ».
Conseil
des ministres du 19 décembre 1962
Pendant
le conseil des ministres, Couve de Murville rend compte de la réunion du Conseil de l’Otan
à Paris en ces termes : « Les Américains veulent augmenter la
participation des Européens en forces conventionnelles. Pour ce qui est des
forces nucléaires, ils ont fait allusion à une force atomique
multilatérale. ». Après le Conseil, le Général décide de préparer
une conférence de presse pour le 14 janvier 1963 dans laquelle il souhaite
traiter entre autres la question sur les accords des Bahamas lorsqu’ils seront
connus à l’issue de la conférence de Nassau le 21 décembre 1962 et celle de la
position française vis-à-vis de la force multilatérale devenue pour lui un thème
essentiel. Sa prudence légendaire allait une fois de plus lui donner raison,
l’Angleterre avait finalement accepté la proposition américaine en signant
l’accord de Nassau avec le président Kennedy. Les Américains proposent à la
France un accord semblable de coopération nucléaire : c’est la « force
multilatérale ». Le Général de Gaulle décline l’offre américaine avec les
formes. Selon lui, c’est une question technique et
une question de principe : « Il n’y a pas de
rapport entre la situation de la Grande-Bretagne et la
nôtre … Notre défense est la condition même de notre
politique. Elle doit rester la nôtre. Il ne s’agit pas pour nous de nous doter
d’une force équivalente à celle des Américains et des Russes. Nous ne sommes pas
dans le domaine des armes conventionnelles, mais dans le domaine de la
dissuasion. La question n’est pas de se hisser au même niveau que celui d’en
face. La question est de représenter une capacité de représailles suffisante
pour le faire renoncer à l’agression. ».
La
force multilatérale avait pour but de limiter le nombre des puissances
militaires, et d’établir dans l’Otan un contrôle central américain sur les armes
atomiques. Le général Gallois pensait que : « le renforcement
de l’intégration militaire au sein de l’Otan, constituait une réponse à
l’armement nucléaire de la France », ce qui explique en partie la
décision du Général de Gaulle de se retirer du commandement militaire intégré de
l’Otan le 7 mars1966. La possession par la France d’un armement nucléaire
national lui permettait par ses propres moyens de devenir une puissance
atomique, et d’assumer elle-même ses responsabilités politiques et
stratégiques.
L’élaboration
de la stratégie française de dissuasion nucléaire
À
partir de 1954, la Revue de Défense nationale permettra aux
militaires favorables au domaine nucléaire de convaincre l’opinion publique et
d’expliquer de façon pédagogique les enjeux politiques et militaires de la
stratégie nucléaire. Dès 1956, les généraux Gallois et Ailleret seront les
premiers militaires proches des milieux politiques à élaborer la stratégie
nucléaire en elle-même et c’est le général Girardot qui va suggérer le choix
d’une stratégie française de représailles contre tout agresseur dont le principe
sera retenu par la future politique militaire de la VeRépublique. Le Général de Gaulle s’occupait
très peu des questions techniques de la dissuasion nucléaire, il aborda plus les
questions de politique extérieure globale et comment utiliser la force de
dissuasion dans un contexte d’ensemble. La dissuasion conçue par la stratégie
française devait donc empêcher tout agresseur à passer à l’action, par la menace
de représailles nucléaires visant ses populations et ses centres économiques
vitaux. Cette force de représailles n’avait pas pour but la puissance afin
d’attaquer la première mais elle était conçue comme une riposte graduée et une
protection efficace par rapport aux résultats recherchés, et non aux forces de
l’adversaire si puissant soit-il.
La
politique étrangère de la France était une des préoccupations majeures du
Général de Gaulle, il avait en permanence à l’esprit que la France devait avant
tout acquérir et conserver l’autonomie de ses décisions politiques conformément
à ses intérêts propres et décider en toute liberté de ses actions. En partant du
postulat que l’une des conditions nécessaires à cette autonomie des décisions
politiques résidait dans la capacité d’assumer avec ses propres moyens la
défense de son territoire contre les agressions militaires directes menaçant les
intérêts vitaux de la nation, le choix de la dissuasion nucléaire s’imposait
durablement.
La
politique française de défense nationale engagée dès le début de la
Ve République par le Président de la République Charles
de Gaulle achèvera
l’œuvre de la IVe République en créant la « force de
frappe ». Les réalisations françaises au niveau de la force nucléaire
seront nombreuses au fil des dirigeants qui se sont succédé. En vingt ans, la
France deviendra la troisième puissance nucléaire derrière les États-Unis et
l’URSS. De toute évidence, la France a su s’imposer parmi ses Alliés et peser
sur les décisions politiques internationales. Les progrès de l’armement
nucléaire français ont permis la construction d’une infrastructure gigantesque
pour l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. S’il y a un
domaine où il doit exister un consensus national, c’est bien celui de la
Défense, garante de la souveraineté nationale, du développement technologique et
scientifique, de notre protection sur l’ensemble du territoire français.
Aujourd’hui la dissuasion nucléaire et les moyens de la mettre en œuvre ne
doivent en aucun cas être remis en cause car il serait périlleux pour notre
avenir d’opposer des contraintes budgétaires à la souveraineté nationale. La
dissuasion nucléaire est permanente.¾
À
la mémoire du général Gallois disparu le 23août 2010.
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