AFRIQUE AUSTRALE
une bombe à retardement
par Luc BEYER de
RYKE
CE jour-là le ciel d’Harare était couleur
limaille. Plombé comme le carreau d’une mine. Il y a trente ans ou presque que
je n’étais plus venu au Zimbabwe. Plus longtemps encore que j’avais connu le
pays qui s’appelait Rhodésie avec Salisbury comme capitale.
La ville a changé. Sans jamais avoir été
belle, elle s’est enlaidie. Ici et là quelques immeubles ou édifices, telle le
cathédrale anglicane ou le lieu où réside Mugabe évoquent la période coloniale.
Sous le ciel gris je retrouve le Parlement situé en lisière d’un parc défiguré
par les immeubles qui ont proliféré et qui l’entourent.
Ma carte parlementaire m’ouvre les portes. Le
chef du protocole vient à ma rencontre pour me faire visiter the House (la Chambre) et le
Sénat.
Le Zimbabwe a conservé un système bicaméral.
La configuration des assemblées
demeure le décalque de Wesminster. Seul le
fauteuil du speaker a changé
d’allure. Il est désormais « à
l’africaine » et apporte une note un peu baroque à la salle au blanc cassé
où l’on n’a pas touché à « la cassette de la reine », celle enfermant
le discours qu’elle devait tenir au temps du Commonwealth.
The good old day’s...
À l’époque j’avais été reçu par Ian Smith dont la
Grande-Bretagne d’Harold Macmillan s’était séparée au nom du wind of change, du vent du
changement.
Lorsqu’au début de années quatre-vingt
j’avais retrouvé le Zimbabwe qui avait pris la place de la Rhodésie déjà
débaptisée ayant rejeté sa tunique coloniale, le pays ne s’était pas effondré.
Même si Robert Mugabé, l’élève de Jésuites, avait
conduit une répression impitoyable dont on avait assez peu parlé. Vingt mille
Ndébélé, rameau du peuple zoulou, avaient été exterminés. L’instrument utilisé
par Mugabé fut une branche de son armée instruite...
en Corée du Nord. L’opposition matée, Mugabé se garda
de menacer les fermiers blancs, armature de la prospérité économique.
Mugabé « saisi » par le
pouvoir
Ce ne sera que fin de années quatre-vingt-dix que,
saisi d’un démon de midi anticolonialiste et anti-impérialiste, il lança à la
conquête de fermes et de leurs occupants ses « vétérans ». Entendez
par là les copains et les coquins de son entourage. La plupart, sinon tous,
incompétents, plus avides de barbecues et de baignades dans les piscines que de
l’exploitation de terres. À partir de là
les structures économiques du pays furent atteintes, périclitèrent,
s’effondrèrent. Le Zimbabwe connut une inflation digne de la République de
Weimar. J’ai en ma possession de billets en cours à l’époque devenus pièces de
collection. Pour 50 billions de dollars vous pouviez acquérir un journal... Les
opposants se faisaient durement réprimés, incarcérer. Sinon
plus.
Jusqu’au jour
ou Morgan Tsvangirai accepta le marché proposé... ou
imposé. « Ou tu continues à te faire
tabasser ou tu deviens Premier ministre... » Il est devenu premier
ministre. Officiellement il a perdu les élections, officieusement il les a
gagnées. Mugabé demeure président. On s’est accordé
sur un partage du pouvoir dans un Gouvernement alliant toutes les composantes
politiques. En fait après avoir de facto perdu les élections Mugabé avait cédé au découragement. Il était prêt à partir.
Ses généraux lui ont dicté leur loi. « Tu n’as pas le choix, tu
restes. »
Les
diamants de la corruption
L’enjeu est
énorme. La monnaie sans valeur a été remplacée par le dollar. Le Zimbabwe est
devenu le troisième producteur mondial de diamant. Dans les mines l’armée à les
pleins pouvoirs. Jusqu’à il y a trois ans elle n’hésitait pas à massacrer les
mineurs clandestins. Blood diamants
comme dans le film célèbre avec di Caprio. L’émoi
international, le Kimberley process sont venus mettre
un terme à la violence. Non à l’exploitation. Ce sont les Chinois qui se
taillent la part du lion. Au point qu’aujourd’hui ils ne traitent pas le diamant
sur place. Ils emplissent de containers de terre et les envoient en Chine où le
diamant est traité par une main-d’œuvre chinoise.
La corruption
atteint de sommets insoupçonnés. Le ministre de Finances lui-même s’est plaint
de voir sur les 400 millions de dollars attendus, 20 millions à peine lui
arriver ! L’argent du diamant s’englouti dans le tonneau des
Danaïdes.
Lorsque je me
trouvais au parlement il avait été rappelé pour une session extraordinaire de
deux jours. La Chambre avait fini de siéger. On me conduisit au Sénat qui se
trouvait en séance. L’anglais, le shona, le ndébélé y sont d’usage. Le thème du
débat était limpide, éclairant et navrant. Le gouvernement n’avait pu boucler le
budget faute de fonds. La séance extraordinaire avait pour but d’en solliciter.
Et vers qui se tourner ? La Chine. Pourquoi ? Parce que Mugabé veut
des armes. Pour quel usage ? La réponse est opaque.
Tout ce qu’on
sait c’est que Mugabé prend très mal l’intervention et
la médiation de l’Afrique du Sud dans les dissensions qui déchirent son pays.
L’Afrique du Sud, elle-même, connaît une situation sociale explosive. Le
massacre de la mine de Marikana (quarante-quatre
morts, de dizaines de blessés), le pouvoir du président Zuma contesté au sein de l’ANC, des township dont la population s’accroît davantage
que sous l’apartheid, tout concourt à faire de l’Afrique du Sud une bombe à
retardement. Mugabé, dictateur de quatre-vingt-sept
ans, tenu en main par l’armée, aspire à une déflagration sud-africaine dont il
entend tirer profit. Spéculations ? Peut-être, mais le faisceau de éléments
concordants qui y conduisent est évident.
En Afrique du
Sud et... au Zimbabwe. ¾