par Anaïs
GONZALEZ
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« PRENDS LA PLACE. »
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« On ne peut pas en même temps se serrer la ceinture et baisser son
pantalon. »
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« Changement global. »
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« On s’est fait voler au-dessus de nos moyens. »
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« R ÉVOLUTION. »
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« En Espagne, avec bac+5 on a trois débouchés : par mer, par avion, par
terre. »
Qu’est-ce que le 15M, le mouvement des
indignés ?
Avec le poète G.A. Bécquer
interrogeons-nous :
« Qu’est-ce que le 15M ?
me demandes-tu en clouant dans ma
pupille ta pupille bleue.
Qu’est-ce que le 15M ? Tu me le demandes
? Le 15M, c’est toi. »
Le 15M c’est lui, c’est moi, c’est
vous, c’est toi. Car il s’agit avant tout d’un mouvement citoyen, de prise de
conscience, de prise de pouvoir, autour duquel toutes les personnes de la
société sont appelées à s’exprimer et à réfléchir ensemble. Sur les bases du
travail commun, de la pensée collective comme unique force réelle de
l’évolution, ou de la révolution du modèle de cohabitation, de
société.
La démocratie n’est pas réelle ? Nous
nous en doutions. Le pouvoir est entre les mains de personnes qui ne sont pas
soumises à élection ? Nous avions remarqué. Le système est corrompu, les élus
aussi ? Nous le croyions. La justice n’est pas pareille pour tout le monde et on
ne béneficie pas tous du même traitement de l’État ? Oui, oui, on en
parlait.
Mais maintenant, peu à peu, nous
apprenons.
Et nous apprenons de plus en plus,
parfois un peu trop.
Historique
Le 15 mai 2011, une manifestation a
lieu à Madrid et dans cinquante autres villes d’Espagne. Une de plus. Le pays
traverse une période difficile et les mesures prises inquiètent la population.
Cependant, ce jour-là, ce ne sont pas
les syndicats et les partis qui ont convoqué. Ce sont les étudiants de Jeunesse sans futur, différentes
associations de quartiers et la plateforme Démocratie réelle maintenant (elle
dénonce le bipartisme et la force des nationalismes qui, avec l’aide de la loi
électorale dite d’Ohnt, configurent un Parlement non représentatif de la carte
politique réelle du pays) qui l’ont organisée après y avoir pensé durant de
longs mois. Mais, ô surprise ce sont des très jeunes, des retraités, des
professionnels, des ouvriers, qui y sont allés en masse.
Sans aide ni relais médiatique, avec
pour seuls exemples le Printemps arabe, les manifestations grecques et
Islandaises mais avec la puissance d’internet. Ils réunissent, à Madrid en
particulier, des dizaines de milliers de personnes.
Les manifestations se suivent... et se
ressemblent ! Fatigués de voir les élus ne tenir aucun compte de leurs
revendications ils décident de rester sur place. Leur principal slogan « NO, NO,
No nos representan », ils ne nous représentent pas, s’adresse aux
politiciens
Ils campent Puerta del Sol, au cœur de
Madrid, au km 0.
Ils sont délogés de façon violente
vingt-quatre heures après, dans la nuit du 16 au 17 mai.
Mais voilà, le 17, à 20 heures, un
nouveau rassemblent est organisé. De 250 ils sont passés à 3.500. Ils décident
de ne plus bouger jusqu’au 22 mai, date des élections
municipales.
Le campement s’organise. Sont établies
des zones de réflexion politique et imaginées des infrastructures : cantine,
garderie, etc. Le nombre de participants s’accroît et les visiteurs de jour se
comptent par milliers. Tout ce qui s’y passe est relaté par le réseau et relayé
par les blogs, twitter et autre streaming.
On parle d’un monde différent, nouveau,
respectueux de l’environnement, égalitaire, ou l’humain reprend une importance
capitale. Des responsabilités sont exigées de chacun…
Premières revendications :
1.
Référendum populaire à l’islandaise.
2.
Modification de la loi électorale.
3.
Interdiction de se présenter aux élections pour les politiciens
corrompus.
4.
Disparition du Sénat.
5.
Fin des salaires à vie pour les politiciens.
6.
Revendication de médias libres et indépendants.
Le malaise est vraiment dirigé contre
la classe politique et les médias inféodés à celle-ci Les politiciens sont
accusés de manipulation, de dirigisme, de trahison quant aux promesses
électorales et enfin de détournement de l’intérêt général au profit de l’intérêt
particulier. La population a vraiment le sentiment d’être totalement abandonnée
à son sort.
Toutes ces revendications sont émises
dans le cadre d’une structure d’assemblée et avec pour leit-motiv, la
non-violence.
Moyens :
Afin de recueillir plus de
revendications et plus de propositions de solution, les contestataires décident
de se constituer en assemblées de quartier. Autonomes, souveraines mais ayant
tout à apprendre quant à leur fonctionnement, ces premières assemblées, au début
chaotiques, deviennent rapidement, grâce à une impressionnante organisation ou
chacun apporte connaissances et savoir-faire, structurées et
efficaces.
Des groupes de travail et des
commissions sont mises en marche, des personnalités reconnues du monde
économique (Éric Toussaint), des philosophes (Sampedro, Stéphane Hessel)
apportent expertises et analyses, tout ce travail permet d’appréhender la
réalité de l’odieuse dette.
Tous les dimanches, au Rétiro, on parle
d’économie et on reçoit la visite de plusieurs prix Nobel. On relit la
Constitution et on dénonce les articles qui ne sont pas respectés. On manifeste
contre la réforme expresse de la Constitution qui inclut la priorité absolue
(règle d’or) du paiement de la dette (alors qu’on nous a souvent dit que la
Constitution était intouchable, notamment quand on se questionne sur la
pertinence de la monarchie).
On redécouvre la privatisation de la
santé faite en silence dans les quartiers ; la brutalité des expulsions des
propriétaires de maison, après que les banques aient fait des valorisations
exagérées qu’elles révisent à la baisse lors des expulsions, en laissant les
personnes à la rue avec d’énormes restes de dettes (...et dans le même temps
elles demandent de l’argent à l’État pour payer les
leurs).
On parle, on échange on réfléchit et on
trouve des solutions valables.
On démonte les mensonges du
système.
La population, formée, sait ce qu’elle
veut. Sa première revendication est d’être entendue. Elle souhaite que les
gouvernants fassent leur travail et dirigent le pays en fonction de la volonté
populaire. Une volonté sereine, réfléchie, imaginative et proche de la
réalité.
Le 12 mai 2012 la priorité a été donnée
aux cinq points suivants :
1.
Nous ne devons pas, nous ne payons pas (audit de la dette).
2.
Défense du public (enseignement, eau, santé).
3.
Salaires justes (fin des travailleurs pauvres).
4.
Logements dignes.
5.
Redistribution de la richesse.
L’importance n’est pas dans la
concrétisation de ces points de revendication, elle est dans notre capacité à
exprimer clairement ce que nous souhaitons afin de conquérir un véritable statut
de citoyen, impliqué dans la gouvernance de son pays.
Apprentissage :
Cette première année de vie de notre
mouvement a permis l’émergence d’une nouvelle façon de penser, a établi de
nouveaux rapports entre voisins et nous a donné la possibilité de travailler en
utilisant l’espace public, l’espace social.
Face au débat criard, agressif, empli
de mauvaise foi et de stratégies en faveur des partis politiques établis, le 15M
propose que l’idée individuelle ne soit jamais, aussi bonne soit-elle, meilleure
que l’idée collective.
Le débat se présente dans la
perspective de la construction de cette idée meilleure. Le respect d’autrui, de
celui qui est différent, est donc nécessaire pour porter une nouvelle vision.
L’idée en construction est l’élément principal de ce qu’on appelle le langage
inclusif, qui a aussi une part de revendication non sexiste et de
laïcité.
Le « désaccord argumenté et constructif
» est revendiqué pour qu’un « non » puisse pas à lui seul détruire une idée
travaillée, il doit être accompagné d’une explication ou d’une
alternative.
Le consensus est choisi pour la prise
de décisions. Moins effectif et agile que le vote, il aide à la prise de
conscience de l’importance de chacun dans la construction et l’évolution de
l’idée.
Le contact permanent avec les autres
pays d’Europe ont permis de reprendre l’idée d’occuper les places (occuppy wall
street), de s’informer sur les batailles gagnées (Islande) ou sur les
difficultés de ceux qui sont en
lutte (Grèce). Le tout nous faisant prendre conscience d’une chose pourtant
claire depuis le début mais qui se matérialise au fil de jours : le besoin d’une
Globalisation de l’Humain au-dessus des marchés. Le 15M se rend compte que les problèmes
de la société espagnole sont les mêmes que dans beaucoup de pays. Le succès du
changement de modèle réside dans l’union.
Exemple : un audit pour déterminer
quelle partie de la dette nationale est illégitime concerne tous les
pays.
Les privilèges des marchés et de la
finance, de l’économie spéculative
sur l’économie productive des entreprises, de l’industrie, concerne
d’autres pays que l’Espagne.
La transformation du concept
d’ENTREPRISE en tant qu’entité proposant un bien ou un service utile à la
société, en AFFAIRE qui ne vise que le bénéfice maximum est le fléau du nouvel
ordre.
Et l’apprentissage continue, et les
mensonges se découvrent.
Quelques actions en marche actuellement
:
En mouvement et évolution constants,
les actions initiées par le 15M ont une importante dimension
:
Bloc social et du logement (ce dernier
a une importance fondamentales dans le mouvement et en Espagne en général
puisqu’une grande partie de la crise actuelle vient de la bulle immobilière qui
s’est formée pour recueillir les investissements internationaux)
:
•
ILP : initiative législative populaire. Rédaction d’une loi qui détermine
que les dettes hypothécaires se résolvent en rendant la maison quand les motifs
du non-paiement sont au-delà de la volonté du propriétaire. Et ceci de façon
rétroactive. Les personnes n’ayant pas d’alternative de logement pourront rester
en tant que locataires à un coût social. Les banques soutenues par l’État
devront mettre une partie de leurs actifs immobiliers à disposition de ce
dernier pour créer un parc de loyers sociaux.
•
TOP deshaucios : stop expulsions, la diffusion de toutes les ordres
d’expulsions pour que les voisins et sympathisants fassent opposition aux
huissiers et empêchent les délogements.
•
Dénonciation auprès de l’ONU et de toutes les institutions concernées de
la violation constante des droits de l’homme dans le pays.
•
Référendum sur l’eau à Madrid, contre la vente de l’entreprise de gestion
de l’eau (qui rapporte d’immenses bénéfices à l’État) aux intérêts privés.
(Cette vente ayant été momentanément paralysée, non par respect de la volonté
populaire mais par manque d’acheteurs.)
•
Accès pour tous à l’école publique dont le budget a été sérieusement
réduit alors que dans le même temps les aides aux centres privés (avec déduction
fiscale pour ceux qui y inscrivent leurs enfants) sont maintenues.
Bloc politique :
•
Groupe de travail national de révision de la loi électorale.
•
Assemblée constituante pour la rédaction d’une nouvelle constitution.
Bloc économique :
•
Audit de la dette. Groupe de travail national qui essaie de déterminer
quelle est la « vraie » dette espagnole en distinguant ce qui ressort de la
dette privée et de la datte publique.
•
Revendication d’une banque
nationale publique.
Bloc de communication :
•
Prends le journal, création d’un journal du 15M.
•
Prends la radio, similaire.
•
Prends la télé, en construction.
•
Blogs, diffusion continuelle de toutes les actions, de toutes les
assemblées, levée de procès- verbaux pour chaque assemblée ou forum…
Quelques sites web
:
http://tomalaplaza.net/
http://madrid.tomalosbarrios.net/
http://afectadosporlahipoteca.wordpress.com/
Et nous n’avons pas parlé des marches
indignées et de la coordination entre les assemblées… Alors à suivre….
*NDLR – Il nous a semblé opportun de
publier cet article qui permettra à bon nombre d’entre nous d’avoir une idée un
peu plus précise d’un mouvement qui pourrait bien faire tache d’huile.
Intéressant à plus d’un titre, car ne se reconnaissant dans aucune structure
politique existante, le 15M, au-delà de la caricature qui en est faite ici ou
là, mérite notre attention.