Compte-rendu
du dîner-débat du 4 avril 2012
En
présence de Madame Marie-France GARAUD,
La
France, l’Allemagne et l’U.E. : bilan et
perspectives
Par
Christine ALFARGE
« En
souvenir de notre Poitou commun, c’est avec fierté et émotion que je souhaite
vous rendre hommage. Fidèle à la tradition gaulliste pour laquelle votre
connaissance exceptionnelle vous permet d’entretenir inlassablement sa mémoire à
travers l’Histoire de la république française, vous incarnez la transmission de
ses valeurs avec courage, conviction et une très grande lucidité. Selon vous, le
pouvoir isole qu’il soit économique, politique ou autre. Il est une telle
responsabilité, qu’on ne le quitte que mort ou battu, cela entraîne forcément
une exigence et une distance sinon c’est le début de la décadence et la perte de
la mémoire. Aujourd’hui, votre regard et votre réflexion se tournent plus
particulièrement sur l’équilibre stratégique de la construction européenne
symbolisée par la France et l’Allemagne avant et après sa réunification. »
Le processus vers la réunification de
l’Allemagne.
En 1954, le Général de GAULLE avait
déclaré lors d’une conférence de presse : « La réunification des deux fractions
en une seule Allemagne, qui serait entièrement libre, nous paraît être le destin
normal du peuple allemand, pourvu
que celui-ci ne remette pas en cause ses anciennes frontières et qu’il
tende à s’intégrer un jour dans une organisation contractuelle de toute
l’Europe, pour la coopération, la liberté et la paix. » Quelques années plus
tard, la ratification du Traité de l’Elysée du 22 janvier 1963 prévoyant une
consultation permanente entre la France et l’Allemagne sur toutes les questions
les intéressant, deux rencontres par an entre le Président français et le
Chancelier allemand, de même qu’une coopération étroite dans les domaines
politique, économique, social et même militaire, déclencha une hostilité
politique venant de plusieurs pays occidentaux qui condamnèrent cette initiative
séparée des deux Etats, au sein même de l’opposition social-démocrate allemande,
qui à son instigation fit adopter un préambule au Traité par opposition à la
politique francophile d’Adenauer. La situation empira encore en septembre 1963
avec la démission d’Adenauer dont le successeur Erhard ne partageait pas du tout
la francophilie de son prédécesseur et pris ses distances publiquement de
l’Union franco-allemande. De son côté, le ministre des Affaires étrangères
Schröder, poursuivit une politique anti-française en se tournant uniquement vers
Londres et Washington. En conflit
ouvert avec les puissances anglo-saxonnes et délaissé par la RFA, le Général de
GAULLE revint à son idée de « l’Europe de l’Atlantique jusqu’à l’Oural » pour
avoir non seulement un contrepoids à la prédominance anglo-saxonne mais aussi un
moyen de combattre toute construction supranationale en Europe. Ce n’était pas
le chemin le plus facile pour le Général de GAULLE et cela posait le problème de
la position de la France dans la CEE. Cependant, il appuya la Commission dans la
question des produits agricoles, premier article des exportations françaises et
demanda une application très stricte du Traité sur ce point. Mais lorsque la
Commission tenta de porter atteinte à la souveraineté des Etats membres en
proposant le passage de l’unanimité au vote majoritaire au Conseil des
Ministres, le Général de GAULLE s’y opposa. Le 30 juin 1965, Maurice Couve de
MURVILLE sortit même du Conseil et la France pratiqua la politique de la «
chaise vide » jusqu’au début de 1966, quand un compromis fut trouvé. Le Marché
commun resta une nécessité pour l’économie française qui connue grâce à lui une
grande expansion. En revanche, le Général craignait toujours que l’Allemagne
divisée en deux devienne l’enjeu entre l’Est et l’Ouest et en tire profit au
détriment des autres pays européens. A cette perspective dangereuse, il
préférait sa réunification
nécessaire à l’avenir pour l’équilibre et la paix en Europe. Il faudra
attendre le 3 octobre 1990, onze mois après la chute du mur de Berlin en 1989
pour que se réalise la réunification allemande.
La dissymétrie entre la France et
l’Allemagne.
L’Allemagne n’a pas de constitution,
le peuple est souverain dans les länder. La cour de Karlsruhe qui régie tout
notamment sur les traités, est garante de la souveraineté allemande. Selon
Marie-France GARAUD : « C’est
l’Allemagne qui a demandé la création de la monnaie unique pour des raisons de
politique intérieure. Le Chancelier Helmut KHOL, au moment de la réunification,
a d’ailleurs écrit une lettre à François MITTERRAND, qui était alors président
du Conseil européen, pour lui demander de le voir avant le sommet de Dublin
parce qu’il avait besoin de l’union politique et monétaire le plus rapidement
possible pour des raisons de politique intérieure, l’intérêt allemand étant
parfaitement légitime.
Si on considère l’histoire ancienne et
récente de l’Allemagne par rapport à celle de la France, on voit bien que nous
sommes dans une situation dissymétrique. La France est un Etat constitué depuis
dix siècles, l’Allemagne n’a pas eu d’Etat entre Otton Ier et Bismarck
(850-1862). Les Reich successifs n’ayant pas très bien réussi par la guerre, on
peut considérer que les Allemands souhaitent constituer un Etat dans la paix, ou
plus exactement sans la guerre. Et pour constituer un Etat dans la paix, il leur
est nécessaire de réaliser une structure plurielle. Car l’Allemagne est
plurielle : entre la Prusse, la Bavière, les pays rhénans, il y a des
différences beaucoup plus lourdes qu’entre les provinces françaises, il faut
donc qu’il y ait entre elles un élément structurant. On peut imaginer que cette
structure plurielle est celle de l’Europe fédérale, et que l’élément structurant
est la monnaie unique ». La stabilité de la monnaie a toujours été perçue, dans
la culture politique de l’Allemagne fédérale, comme la condition indispensable
de la stabilité politique. Cependant, l’Allemagne qui a toujours souhaité
l’union politique, disait qu’il n’était pas question qu’elle augmente sa
participation financière à l’Union européenne. On remarque une ambiguïté
constante de la position allemande face à l’Europe politique, idéologiquement
plus fédéraliste que la position française laquelle a toujours appelé de ses
vœux un gouvernement économique en dehors de toute perspective d’institutions
supranationales.
Aujourd’hui, la crise économique et
financière est sans précédent, elle a notamment conduit à l’affaiblissement de
l’Europe. Selon Marie-France GARAUD : « L’Allemagne ne veut pas mettre la main à
la poche » pourtant elle n’a pas d’autre choix que de rester dans la zone euro
dont elle a été le plus grand bénéficiaire de cette monnaie. Actuellement, si le
deutschemark était utilisé, il serait surévalué et pénaliserait les exportations
des entreprises locales. Les banques allemandes qui détiennent 216 milliards
d’obligations publiques de la zone euro répartis entre autres sur l’Espagne 35%,
la Grèce 19%, l’Italie 77% et la France 21% seraient exposées à un risque de
faillite en cas de cessation de paiement de tous ces pays. La zone euro est un
marché vital pour l’Allemagne, le commerce vers ces pays représente 16% de sa
richesse.
La coalition de centre droit de la
chancelière chrétienne-démocrate Angela MERKEL a les yeux tournés vers la France
avec laquelle elle a su travailler en étroite concertation pour la stabilité de
l’euro. Pour Angela MERKEL et ses
troupes, il n’y a pas de renégociation possible du pacte européen de discipline
budgétaire et l’arrivée des socialistes au pouvoir en France risquerait de
produire les mêmes effets négatifs qu’avec les sociaux-démocrates allemands en
faveur d’une augmentation des
dépenses publiques, de plus de fonctionnaires et plus de dettes. Pourtant, il
faudra trouver une solution politique définitive. Le rôle de la banque centrale
européenne est à nouveau au centre du jeu. La France veut obtenir expressément
l’aide de la banque centrale européenne auprès de l’Allemagne, cette dernière
craignant d’encourager le laxisme budgétaire en cas d’intervention importante de
l’autorité monétaire. Selon de nombreux économistes, « elle est la seule
institution capable de mettre un terme à la crise, à condition qu’elle s’engage
à devenir un prêteur en dernier ressort des Etats ».
L’héritage de paix que partagent le
peuple allemand et le peuple français est le symbole d’une rencontre, d’une
entente et d’une communion entre deux hommes Konrad ADENAUER et le Général de
GAULLE dont il dira du Chancelier allemand : « Voyez-vous, ADENAUER est le seul
que je puisse considérer comme mon égal ». Le 22 janvier 2013 marquera les
cinquante années depuis la signature du Traité de l’Elysée, l’évènement
historique de la réconciliation entre la France et l’Allemagne dont toutes les
générations qui vont suivre se souviendront encore longtemps au fil de
l’histoire…