Compte-rendu du dîner-débat du 15 février 2012

En présence de Monsieur André BELLON,

SOMMES-NOUS TOUJOURS EN DEMOCRATIE ?

 

Par Christine ALFARGE

 

« La démocratie n’a de sens que dans l’exercice de l’intérêt général »

 

Dans toutes les périodes de l’Histoire, la remise en cause des valeurs fut toujours combattue au nom des libertés individuelles ou collectives. Aujourd’hui, la réflexion est différente, recréer l’homme que notre temps cherche à détruire est la vraie question. La notion du droit, celle de l’association, de la résistance collective se sont effacées dans la population. Qu’est devenu ce temps où les français parlaient aux français à la radio de Londres en organisant autour du Général de GAULLE les prémices d’une résistance sans faille, tous unis pour lutter contre l’ennemi, chacun ayant le devoir de servir son pays et la lourde responsabilité en son âme et conscience de ce qui pouvait advenir aux autres. Les démocraties sont confrontées aujourd’hui, pour la deuxième fois de leur histoire à une crise de croissance. La première eu lieu après la Première Guerre mondiale. Le suffrage universel voyait se mettre en place des régimes parlementaires inefficaces tandis que la société était déchirée par l’antagonisme entre classes sociales. La conséquence de cette crise fut l’arrivée des totalitarismes dans les années 1930. Mais après 1945, les démocraties libérales étaient parvenues à surmonter la crise  par un cycle de réformes profondes tant sur les plans politique, administratif que social. Aujourd’hui, la deuxième crise résulte surtout de l’approfondissement du libéralisme, qui s’exprime par un individualisme de masse et le triomphe des droits de l’homme. La démocratie a mis en avant l’exercice des droits individuels plutôt que la maîtrise collective. Désormais la souveraineté de l’individu a remplacé la souveraineté du peuple.

L’économie matrice de toute la société.

L’économie occupe tout le débat politique sans espace de pensée. Selon André BELLON, « Dans l’esprit des gens, il n’y a plus d’ailleurs. L’idée de la soumission est bien ancrée et mortifère pour le pays ». Ce qu’on prend pour une crise uniquement morale, est une crise de la morale qui nous rappelle l’existence du devoir et des interdits, crise généralisée à tous les comportements des agents sociaux et économiques. Elle résulte fondamentalement dans les esprits, ceux des décideurs comme des citoyens, de la dominance du narcissisme sur le sens de l’altérité, d’une tyrannie de la norme.

Cette crise de la démocratie correspond à une accélération du processus d’effondrement généralisé de la croyance. Après la croyance en Dieu, c’est la croyance en l’argent qui a servi de valeur refuge, mais le système n’est-il pas en train d’atteindre sa limite. Les épargnants n’ont plus confiance dans le système bancaire, les banques elles-mêmes ne se font plus confiance. Naturellement le manque que chacun ressent individuellement, emporté par un inconscient collectif où tout peut devenir facile dans un monde où la spéculation entretient la paresse, se traduit aujourd’hui par un sentiment de crainte et de peur. Les gens qui attendaient une profusion de richesses, sont maintenant confrontés à eux-mêmes et au fonctionnement d’une société plus juste et plus équitable. La bulle financière dont les épargnants, entre autres, attendaient de façon illimitée, irrationnelle, qu’elle distribue une richesse qui n’avait pas été produite, réfléchissent aujourd’hui sur un avenir devenu de plus en plus incertain et la  réalité qui s’impose est celle qu’on ne peut créer de la richesse sans la produire. Certains économistes plaident pour une « démocratie économique » visant à renforcer les prérogatives du politique sur l’économique afin de réorienter les choix économiques de manière à ce qu’ils satisfassent les besoins sociaux. Une première réflexion porte notamment sur la reconnaissance de la nature partenariale de l’entreprise qui ne doit pas être gérée dans l’intérêt exclusif de ses actionnaires, mais dans l’intérêt collectif des parties prenantes, à commencer par les salariés. Dès lors, ces derniers ont leur mot à dire et doivent être représentés au sein du conseil d’administration. La deuxième réflexion est de modifier les modalités de gestion de l’épargne retraite et de l’épargne salariale et créer un fonds public d’épargne. Il s’agit dans les deux cas de peser sur les pratiques financières en « socialisant » une partie du capital boursier.

L’autre aspect est l’organisation sociale.

La raison doit être remise au goût du jour, la société ne peut retrouver un sens que dans un cadre collectif. Seul l’Etat peut fixer ce cadre instaurant des lois et des règles de fonctionnement, notamment dans le monde financier. Le rôle de l’Etat consiste également à fixer des orientations, des priorités et de s’y tenir. L’intérêt général doit guider les politiques. Selon André BELLON « A l’époque de François MITTERRAND, il fallait être dans le consensus, mais ce n’est plus le débat, la démocratie est faite pour résoudre les conflits, il faut accepter les divergences et résoudre les problèmes. L’idée du pouvoir est au cœur du système, on est passé à une période où le politique prime sur le social ». On nie le conflit quand on a perdu l’altérité. Le sens du devoir doit renouer avec les valeurs humanistes de l’intérêt pour l’autre et non pas dans la capitalisation de ses propres intérêts.

Une démocratie de la défiance.

La démocratie ne se limite pas à sa dimension électorale, même si dans toutes les sociétés démocratiques contemporaines, on a pu constater une hausse très caractéristique du taux d’abstention du milieu des années 1970 à la fin des années 1990. Il ne faut pas interpréter ce retrait citoyen comme une désaffection des citoyens mais plus comme une mutation de la citoyenneté qui s’organise surtout autour d’un principe de défiance. Car si le citoyen se rend moins souvent aux urnes, il est davantage présent dans des actions de pétition, de manifestation, de solidarité qui traduisent son implication dans la société. Ce n’est donc pas en termes de désaffection qu’il faut juger cette situation mais plutôt en termes de redéploiement de l’activité citoyenne. La défiance peut être précisément démocratique en manifestant les exigences des citoyens vis-à-vis du pouvoir, mais garantit-elle pour autant la vitalité de la démocratie. Cet emballement de la défiance représente une caractéristique majeure du monde politique aujourd’hui et s’exprime à travers ce que l’on peut appeler le populisme, force de dénigrement, de dénonciation, de dévalorisation de la sphère politique. Les citoyens ne sont pas moins intéressés par les affaires de la cité mais cela se manifeste différemment.

Comment retrouver plus de confiance ?

Même si la démocratie participative répond localement à une forte demande sociale en regroupant les nouvelles formes d’implication des citoyens dans les décisions tels que les conseils de quartier, elle est insuffisante pour renouveler à elle seule la démocratie. Il faut donc mettre en œuvre un ensemble de réformes pour restaurer la confiance des citoyens dans le système politique, et aussi un effort à mener pour argumenter et donner plus de lisibilité à l’action politique.

Reconstruire le sens de l’action politique est une exigence démocratique afin de rendre visibles les arbitrages à faire, les conflits à gérer, les décisions à prendre. Dans le fonctionnement de la démocratie, la connaissance sociale joue  un rôle fondamental pour insuffler des éléments nouveaux de discussion et de réflexion. Il faut également organiser l’exercice de la responsabilité politique qui est faible en France, ce que les citoyens ressentent fortement. Le propre de la politique, c’est que le pouvoir se renforce quand il accepte de se remettre en cause. C’est seulement à partir de ces trois éléments que la confiance des citoyens dans leurs institutions pourra être restaurée.

 

 

 
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14.03.2012
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