LE
REGARD DES FRANÇAIS SUR L’ALLEMAGNE
par
Hélène Nouaille
directrice de la
rédaction de La lettre de Léosthène
(helene.nouaille@free.fr)
Quel est
l’élément principal qui explique que la France et l’Allemagne entretiennent des
relations privilégiées? Lorsque l’on interroge les Français sur le sujet – étude
réalisée début janvier par l’IFOP pour l’ambassade de la République fédérale
d’Allemagne à Paris (1) début janvier, les réponses de nos concitoyens valent
que l’on s’y arrête. Quel est l’élément principal, donc, qui explique ces
relations privilégiées ? (p. 18.) Une culture et des valeurs communes ? Euh,
non, 3 % de réponses positives.
Une proximité
géographique ? Pas mieux (!), 7 % de réponses positives. La défense d’intérêts
stratégiques et diplomatiques communs, alors ? Pas vraiment, 14 % de réponses
positives. Des objectifs économiques communs, argument martelé quotidiennement
par les politiques de tous bords ? Pas convaincus, les Français, 14 % de
réponses positives. Non, commente l’IFOP, « les relations privilégiées entre la
France et l’Allemagne font l’objet d’une vision bien plus ‘’utilitariste’’ ».
Pour un tiers d’entre les Français, l’explication principale tient au souhait
d’être ensemble le moteur principal de l’Union Européenne (p. 18). De plus, «
par rapport à 2003, on note une certaine progression du sentiment de rivalité
ainsi que le renforcement d’une conception utilitariste et fonctionnelle : le
terme de partenariat s’impose largement en tête au détriment de l’amitié, de la
confiance et de la solidarité qui reculent sensiblement par rapport à il y a 9
ans » (p. 19). Ajoutons que si l’on regarde le détail, ce désir de partenariat
est plus fort chez les plus de 65 ans et les retraités (64 %) que chez les moins
de 35 ans (38 %).
Ce sentiment
de rivalité est confirmé par un sondage réalisé, cette fois pour la chaîne de
télévision allemande ARD, par les instituts de sondage allemand Infratest Dimap et français TNS
Sofres, les 21 et 22 février (2). « Six Français sur dix estiment que
l’Allemagne ‘’cherche actuellement à devenir la puissance dominante en Europe’’.
A cette question, 26 % des sondés ont répondu avoir ‘’totalement’’ cette
impression, tandis que 35 % ont déclaré avoir ‘’plutôt’’ ce sentiment, soit 61 %
de réponses affirmatives ». Ce constat a interpellé Berlin.
«
De vieux
ressentiments et préjugés sont de retour. Chez certains voisins, des peurs d’une
Allemagne surpuissante se sont éveillées » reconnaissait le ministre des
Affaires étrangères Guido Westerwelle, qui présentait
le 29 février un document de douze pages en Conseil des ministres et lançait «
un plan de communication pour lutter contre la résurgence de ‘’vieux préjugés»
contre l’Allemagne dans une Europe en crise » (3). Si nous quittons les moyennes
pour nous pencher sur les détails des opinions, nous constatons que les CSP+
(catégories socio-professionnelles supérieures) et les
sympathisants UMP favorisent (à 69 %) l’idée d’un partenariat privilégié contre
48 % chez les CSP- (p. 26 du sondage IFOP). Un phénomène que l’anthropologue et
historien Emmanuel Todd analysait plus largement dans le cadre de la
mondialisation en cours dans une livraison très engagée dont nous ne garderons
ici que les éléments relevant de son domaine d’expertise : « il se passe aussi
quelque chose d’assez neuf dans les relations entre les classes dirigeantes
françaises et allemandes. L’un des traits communs à toutes les sociétés
développées est l’émergence d’un groupe de 1 % les plus riches fortement associé
au système bancaire et aux activités financières. Un rapport nouveau est en
train de s’établir entre les 1 % français et les 1 % allemands »
(4).
Tout en
expliquant par ailleurs que les différences culturelles entre les deux pays
(reconnues par les Français, voir p. 17 de l’annexe IFOP : « On est latins, ils
sont nordiques » (Groupe cadres, 35-50 ans, Paris) « Culturellement, beaucoup de
choses nous séparent » (Groupe CSP-, 35-50ans, Tours)) ne sont que légitimes et
naturelles. « La vérité de l’Allemagne et de la France est que tout y est
différent : démographie, statut des femmes, interactions familiales, structures
industrielles. Mais pourquoi avoir peur de cette diversité ? Ce qui est
inacceptable est de faire comme si ces différences n’existaient pas (...). Dans
les années d’après-guerre, ne pas parler de la différence allemande était de
bonne politique. Mais nous ne sommes plus dans l’aprèsguerre.
Personne ne va
faire la guerre à personne et des problèmes économiques nouveaux se posent en
Europe, qui résultent largement des différences de culture et de moeurs entre peuples européens ».
En quoi
consistent ces différences ? « Alors que la grandeur de la culture française est
la notion d’homme universel, sa grande faiblesse est de ne pas être capable
d’analyser des sociétés différentes, au nom, justement, de cet universalisme ».
En Allemagne ? « Le socle culturel allemand n’est pas fondé sur l’idée d’homme
universel. Pour les Allemands, il est naturel de penser les cultures comme
différentes, avec des aptitudes économiques différentes »(...). Ils s’appuient donc sur ce que leur histoire leur a
légué autour de ce que les « sociologues de la famille appellent famille-souche,
les systèmes familiaux paysans désignant l’aîné des garçons comme héritier
imposant sa cohabitation avec ses parents, et définissant les autres frères et
soeurs comme inférieurs (...). Or, cette famille-là,
qui certes n’existe plus dans les pays avancés, a néanmoins transmis ses valeurs
–autorité, inégalité, discipline –, bref la hiérarchie sous toutes ses formes
».
Par contraste,
en France, « la famille parisienne du bassin parisien était construite sur des
principes opposés. L’arrivée à l’âge du mariage supposait pour les enfants la
fondation d’une unité domestique autonome. Les héritages étaient divisés entre
tous les enfants, garçons et fille, de façon égalitaire. Les valeurs de ce
système étaient la liberté et l’égalité, devise implicite des familles avant
d’être celle de la République ».
Le sondage
IFOP confirme (p. 17 de l’annexe) : « Poussée à l’extrême, la rigueur allemande
pourtant respectée pour de nombreuses raisons, est qualifiée de rigidité et crée
la rupture avec le modèle latin plus souple, moins prévisible voire plus sinueux
». En effet, « si ce qui nous rapproche des Allemands est le fruit d’une volonté
commune et tenace, c’est aussi parce que nous sommes très différents et qu’il
n’y a pas, selon les Français interrogés, d’affinités profondes entre les deux
peuples.
Le manque
d’affinités exprimées l’est avant tout du point de vue des Français envers les
Allemands ». Lorsque l’on en vient à l’économie ? En toute logique, sur ses
fondamentaux culturels, l’Allemagne « construit une stratégie singulière,
indépendante de toute idée de solidarité européenne » constate Emmanuel
Todd.
Les Français,
eux, sont partagés, révèle le sondage réalisé pour la chaîne allemande ARD (2) :
41 % estiment que l’Allemagne se sert de la crise de l’euro pour renforcer son
économie au détriment des autres pays de l’Union européenne. Et 42 % pensent
aussi que l’Allemagne soutient donc les pays en crise de la zone euro pour
sauver l’UE, qui lui est utile. « Chaque pays a des intérêts différents qui sont
différents de ceux de l’Europe et chacun essaie de tirer, comme la France et
l’Allemagne qui ont des intérêts différents » juge par ailleurs un Groupe
Cadres, 35-50 ans, Paris (p. 29 de l’annexe IFOP). Le mieux donc, si l’on se
réfère à une dernière étude IFOP plus ancienne (décembre 2010), c’est quand même
de garder une distance raisonnable : seuls 14 % des Allemands et 17% des
Français souhaiteraient par exemple que leurs deux pays fassent siège commun au
Fonds monétaire international (FMI) ou lors des G8 et des
G20.
Le regard que
portent les Français sur l’Allemagne est donc, oui, « utilitariste ». Au-delà
des scories véhiculées par la presse et les dirigeants politiques dans le cadre
du « roman de l’Europe » et de leur méconnaissance du pays réel et de sa culture
(ils sont peu attirés par la langue et sous-estiment le patrimoine culturel de
l’Allemagne, un pays auquel ils ne pensent pas spontanément pour leurs
vacances), les Français, globalement respectueux de leurs voisins, et conscients
que le partenariat entre les deux pays est nécessaire, restent sur leur
quant-à-soi, parce que, explique l’IFOP (1) « ce qui fonctionne en Allemagne, ne
fonctionnerait par forcément en France, du fait de différences fondamentales de
nature et de comportement entre les deux peuples » - une remarque de bon sens,
au fond. « Ainsi, il semble que ce qui rapproche la France de l’Allemagne soit
le résultat d’une construction alors que ce qui rapproche la France des pays du
sud soit plutôt inné ou naturel ».
Le regard des
Français sur l’Allemagne ? Pour l’heure, mais les choses bougent, peu
d’affinités, encore moins de passion – et beaucoup de
raison.
(1) Sondage
IFOP à la demande de l’Ambassade de la République
Fédérale
d’Allemagne à Paris, 6-12 janvier 2012
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Annexe de
l’étude (détails qualitatifs) :
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(2) La
Tribune/Reuters, le 29 février 2012, Découvrez combien de
Français pensent que l’Allemagne veut «dominer»
l’Europe
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te s /e co n omi e / u n
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francais-pensent-que-l-allemagne-veut-dominer-l-europe.html
(3) Le
Figaro/AFP, le 29 février 2012, Berlin veut lutter contre
les
préjugés
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20120229FILWWW00484-berlin-veut-lutter-contre-les-prejuges.php
(4) Marianne2,
le 13 décembre 2011, Philippe Cohen, Todd : la France
n’est pas
l’Allemagne, ce n’est pas germanophobe de le dire
http://www.marianne2.fr/Todd-la-France-n-est-pas-l-Allemagne-ce-nest-
pas-germanophobe-de-le-dire_a213561.html