Par
Christine ALFARGE
« La
société change, notre devoir collectif est de contribuer à son évolution »
Aujourd’hui,
il faut recomposer les rapports entre citoyens, mais aussi les rapports de
pouvoir et les rapports économiques. En réalité, la crise de la mondialisation
que nous connaissons, est une fenêtre d’opportunité pour l’action politique qui
n’a de chances de parvenir à ses fins que dans des circonstances
exceptionnelles. Les périodes de crise et de reconstruction sont évidemment des
moments privilégiés pour mettre en place de nouvelles réformes. Souvenons-nous
au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France se trouve devant le défi crucial de sa reconstruction dont
l’acte fondateur sera la mise en place du modèle social voulu par le Général de
GAULLE avec la naissance entre autres de la sécurité sociale. Tout au long des
trente glorieuses jusqu’au début des années 80, la croissance économique et le
progrès social seront reliés. Aujourd’hui il existe une dualité entre le
maintien de la compétitivité et le niveau de redistribution. Le progrès social
et le développement économique n’iraient plus de pairs d’où l’accent mis sur la
nécessité d’investir sur le « capital humain » comme la forme la plus
solide de sécurité dans le monde turbulent et imprévisible de la globalisation.
L’approche
sociologique de la délinquance et de l’insécurité.
Il
y a deux aspects indissociables, la sécurité des personnes et la cohésion
sociale. Cela implique de mettre en œuvre à la fois tous les moyens nécessaires
pour lutter contre la délinquance et d’avoir la volonté politique de rebâtir la
cohésion sociale. Selon Philippe GUGLIELMI
qui ne raisonne pas en dogme car pour lui c’est un refus : « On doit
placer les choses philosophiquement, la sécurité est une vertu citoyenne, il
faut assurer les biens et les personnes sinon c’est la loi du plus
fort ». Son expérience d’élu
de banlieue l’a conduit à la création d’une police municipale nécessaire selon
lui et complémentaire pour que la vie s’améliore afin de donner une réponse aux
concitoyens face à une délinquance latente. Cependant il convient de souligner
que le monde de la cité n’est pas homogène. Trois catégories de population
peuvent y être distinguées. On y trouve les plus favorisés, jeunes couples,
retraités, cadres célibataires qui n’entretiennent pas de contact avec les gens
de la cité et se préparent à en partir. Ceux qui se sont installés et
s’intègrent dans la cité. Ils représentent les classes populaires pauvres. Enfin
il existe une population encore plus démunie composée de chômeurs, mères
célibataires, travailleurs précaires dont sont issue les jeunes en difficulté.
Qui
sont les vrais jeunes des cités ?
On
confond à tort les jeunes de la cité avec ces bandes qui arpentent les rues, les
halls d’immeubles, les parkings. La plupart des jeunes qui habitent les cités
sont « invisibles », ne traînant pas dans la rue et partageant leur
temps entre l’école, leur domicile (où ils regardent la télé ou jouent aux jeux
vidéo) et leur activité sportive. D’ailleurs la cohabitation leur est difficile
avec les groupes de jeunes constamment présents sur l’espace public. Seule une
minorité de jeunes contrôle le territoire du quartier. Ils ont entre 12 et 30
ans et cumulent les handicaps : échec scolaire, famille déstructurée,
chômage, racisme. Ils sont d’ailleurs souvent décrits comme « les seuls
véritables habitants de la cité, les propriétaires des espaces ouverts comme les
parkings, les pelouses, les caves et les cages d’escaliers ». Certains y
passent toute la journée, d’autres seulement quelques heures. Il apparaît donc
« essentiel de permettre aux adultes de retrouver en toute sérénité, une
certaine maîtrise de la vie collective de leur quartier en ayant notamment
recours à un système de vidéosurveillance qui peut être dissuasif ».
Si
la pauvreté n’explique pas à elle seule l’intégration au groupe des jeunes de
cité, elle constitue un point commun à presque tous ses membres présents
quotidiennement dans la rue. Pour ces jeunes, la cité représente une
contre-société où ils vont pouvoir se retrouver, être reconnus et même avoir des
revenus. Ils sont unis par un sentiment commun de rejet : échec scolaire,
professionnel, discrimination. Selon Bruno PINARD qui est avant tout un
homme de terrain concernant la prévention de la délinquance : « Au
regard des difficultés du quotidien à gérer notamment les violences, j’ai
découvert qu’il peut y avoir communication, pourquoi ils en sont arrivés là.
Certains se taisent, d’autres communiquent. C’est plus impressionnant d’entendre
les dealers dire qu’ils veulent du fric, leur rêve est de devenir riches
rapidement. La drogue est un véritable fléau qui touchent les très jeunes
entrainant des maladies graves ». Mais ce qui le choque encore plus,
c’est la représentation civile sur la délinquance pour drainer l’information,
mais quelques temps après rien ne change. Est-ce que l’on se donne vraiment les
moyens ? Toutes les études des plus grands sociologues tendent à montrer
que les ressources socio-économiques conditionnent le niveau de contrôle
parental, or celui-ci joue un rôle déterminant dans le rapport que l’enfant,
puis l’adolescent et le jeune homme, entretiennent avec la rue. La surpopulation
du domicile familial, signe du manque cruel d’argent, incite par exemple les
enfants à quitter le foyer familial, mais leur faible pouvoir d’achat rend les
sorties compliquées. Il reste la rue. L’enclavement favorise la proximité
physique avec le groupe des jeunes de cité qui dominent l’espace public de leur
quartier, ceux qui souhaitent s’en distinguer doivent être mobiles. Sinon, ils
préfèrent rester chez eux. Ceux qui traînent dans les rues de la cité deviennent
à la longue des jeunes de cité, ils finissent par tous les connaître, par parler
et s’habiller comme eux, la contre-société se bâtit sur une culture adolescente.
Ils se lient et se plient au groupe des jeunes du quartier. Dans le cas
contraire, ils en sont victimes. Ces liens qui unissent les jeunes d’un quartier
en une petite communauté organisée existent autour de trois sphères :
l’équipe composée de deux ou trois copains que l’on voit toujours ensemble, la
bande qui rassemble entre 15 et 20 individus qui ont souvent un leader et la
classe d’âge de 10-12ans jouant ensemble en attendant de faire partie de grands.
Paradoxalement,
les relations entre jeunes sont violentes, hiérarchisées et très
concurrentielles. Y règnent au sein de chaque quartier, l’agressivité et le code
de l’honneur, le culte de la virilité et l’appât du gain. La force physique est
également un élément important pour s’imposer comme un leader. Le
« business » joue un grand rôle dans la place de chacun. La capacité à
s’imposer dans les affaires détermine la valeur individuelle. Les leaders
sont souvent les dealers qui exercent un droit de soumission totale sur
tous les autres soit parce qu’ils les intimident, les protègent ou leur avancent
de l’argent.
La
cité idéale est-elle une utopie ?
La
réalité est qu’il existe plusieurs facettes dans le monde de la cité et c’est là
toute la difficulté pour parvenir au respect et à la protection des libertés
individuelles. De la désorganisation sociale, du chômage, de la précarité à
l’éclatement de la cellule familiale, il subsiste pourtant des réseaux
d’alliance, de solidarité, de culture où les trafics en tout genre viennent
dicter leurs lois avec violence et brutalité exclusivement pour le profit et la
domination. Lorsqu’on évoque la délinquance et l’insécurité, cela nous renvoie à
l’image de la société et ce qu’elle a engendré faute de ne pas avoir
suffisamment pris la mesure de ce qui se passait, ouvrant la porte à tous les
amalgames.
Nous
assistons à un changement de société où chacun d’entre nous est concerné. Il
appartient aux citoyens, hommes politiques, décideurs, de redéfinir le contrat
social et de ne pas tomber dans la fatalité d’une société qui se transformerait
malgré nous. Le rôle de l’Etat doit consister à fournir aux personnes et
notamment les plus démunis les moyens d’acquérir une meilleure formation en vue
de leur intégration au marché. Il faut rapporter chaque politique (santé,
éducation, logement, emploi) à chaque groupe social ou ethnique et à chaque
région. La cohésion sociale dépend de la volonté
politique à investir socialement dans le « capital humain » mais notre
pays doit pouvoir aussi compter sur la prise de conscience de chacun ayant le
souci de l’avenir de la société à laquelle il appartient avec les mêmes défis à
relever au sein d’une même collectivité.