OMC : LE SORT MENACÉ DE LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES

 

par Hélène Nouaille

directrice de la rédaction de "La lettre de Léosthène" (helene.nouaille@free.fr)

Reconnaissant que le cycle de Doha sur la libéralisation des échanges à l’Organisation mondiale du commerce est désormais bel et bien mort, les États-Unis soulignent néanmoins qu’il y a encore un avenir pour les accords commerciaux de l’OMC » pouvait-on lire sur le site d’Europolitique à l’issue de la dernière réunion ministérielle de l’OMC, le 17 décembre 2011. Justement, le 29 janvier à Davos, une vingtaine de ministres concernés se penchaient, dans le cadre d’une réunion informelle, sur le sort menacé de la libéralisation des échanges, chacun gardant en tête les déclarations du représentant américain, Ron Kirk, sur la nécessité de se tourner « vers un chapitre plus productif » et se donner « un peu de liberté pour expérimenter des innovations et permettre des entretiens honnêtes ». Sans surprise, ces innovations doivent d’abord servir les intérêts américains : et l’heure n’est plus, de ce côté, à la mondialisation heureuse. «Franchement, de plus en plus de citoyens pensent que nous avons échangé leurs jobs contre des t-shirts et des iPad » expliquait Ron Kirk (1). D’ailleurs, « où que vous soyez dans le monde », affirmer que « le libre-échange est bon pour la planète » ne se vend plus aux opinions publiques. « Vous avez à démontrer comment votre politique commerciale favorise la croissance et en ligne directe la création d’emplois ».

 

Et ce constat fait consensus, outre-Atlantique, entre démocrates et républicains. En revanche, il n’a pas atteint le commissaire européen, le libéral belge Karel De Gucht qui reste arc-bouté sur la ligne ultra libérale définie par la Commission (2) – celle, officielle sinon appliquée, de Washington avant la crise. Aux États-Unis, période électorale oblige, le président Obama multiplie les signes de durcissement, à la fois contre les pratiques abusives des concurrents déloyaux (contrefaçon, piratage, subventions déguisées...) et contre les barrières à l’exportation discriminantes pour les produits américains (pratiques anticoncurrentielles), soucieux entre autres choses de répondre aux attaques du candidat républicain Mitt Romney qui l’accuse de faiblesse avec la Chine. Ron Kirk a donc confirmé la création d’une escouade ad hoc, placée sous l’autorité de Michael Froman le sherpa économique de la Maison Blanche. « Certaines de nos agences de renseignement travailleront aussi en collaboration, a-t-il ajouté » (3) selon le Daily Star libanais. « Le déficit du commerce américain avec la Chine a atteint un record de 300 milliards de dollars en 2011.

 

 (Or) Obama s’est donné comme objectif de doubler les exportations américaines entre 2010 et 2015. » En fait, les Américains (et certains de leurs alliés) reprochent aux négociations (type Doha) menées au sein de l’OMC de convenir au monde d’il y a dix ans (au moins) et de ne plus prendre en compte le monde d’aujourd’hui – certains des pays dits émergents ayant ‘émergé’ et se trouvant aujourd’hui largement bénéficiaires aux dépens des intérêts américains. De surcroît, le monde en crise a besoin de croissance. Or la règle de l’unanimité par exemple empêche les accords rapides entre les pays les plus offensifs en matière d’accès aux marchés.

 

C’est ce que Ron Kirk confirmait en privilégiant les « coalitions de volontaires » et les accords bilatéraux: « les accords bilatéraux sont plus rapides à mettre en oeuvre et ils sont tout de même efficaces pour relancer la croissance ». Ce que le directeur de l’OMC, Pascal Lamy (qui ne se représentera pas pour un troisième mandat) reconnaît : « Je l’admets, les règles de l’OMC ne fonctionnent pas très bien ».

 

Mais, ajoute-t-il, « l’assistance tant technique que juridique que nous proposons lors d’accords multilatéraux est très intéressante pour les parties prenantes ». Confronté à la multiplication de fait des accords bilatéraux, Pascal Lamy explique : «D’accord, le bilatéralisme se développe, mais il ne concerne aujourd’hui que 15 % des échanges effectifs. Les entreprises n’aiment pas trop ces accords bilatéraux. Imaginez un accord entre l’Inde et les États-Unis sur les télécoms et un autre, sur le même sujet, entre les États-Unis et la Corée : chacun de ces accords va très loin dans les détails, et de manière différente, ce qui complique la vie des entreprises américaines, dans mon exemple ».

 

Complication dont les États-Unis s’accommodent visiblement en poussant vivement les feux pour le développement de leurs accords vers le Pacifique (Trans-Pacific Partnership) (5) et en multipliant les accords bilatéraux. Pascal Lamy, en présentant son rapport sur commerce mondial en juillet 2011 (6) ne cachait ni sa réserve, ni son inquiétude : « L’intérêt pour la négociation et la conclusion d’accords commerciaux préférentiels (ACPr) semble ne pas avoir faibli malgré la crise économique mondiale. D’après les chiffres récents donnés dans le rapport, il y a actuellement près de trois cents accords en vigueur (notifiés et non notifiés), et des dizaines d’autres sont en cours de négociation. À notre connaissance, un seul membre de l’OMC n’a pas conclu d’ACPr à ce jour. Nombreux sont ceux qui pensent que l’impasse actuelle des négociations commerciales multilatérales peut inciter à négocier d’autres accords dans l’avenir. ». Eh bien sa bataille pour le multilatéralisme est perdue. La position américaine est vigoureusement soutenue par plusieurs grands pays, le Canada en Amérique du Nord, la Grande Bretagne en Europe. « Le premier ministre britannique David Cameron a appelé (...) l’Europe à dépasser les négociations de Doha en faveur d’accords séparés avec les États-Unis, l’Afrique et d’autres parties volontaires » rapporte Reuters (7).

 

Position soutenue, nous apprend encore Reuters, par la France et l’Allemagne : « une lettre commune des ministres des Finances français et allemand préparée pour le sommet européen de lundi (30 janvier), et que Reuters a vue, appelle à des négociations pour une zone de libre-échange États-Unis Europe couvrant une large gamme de marchandises, services et facilités d’échanges ».

 

La chancelière allemande précisait encore : « en raison des difficultés à faire progresser le cycle de Doha, l’UE travaille à des accords bilatéraux avec la Corée du Sud, accord qui a été conclu, et avec le Japon ». En France, aucun des candidats à la présidentielle n’aborde le sujet, ni les conséquences d’un tel accord sur l’une des forces de l’économie française, son agriculture, face à l’agriculture très habilement protégée de son concurrent américain.

 

La presse est de même silencieuse, hors d’un court papier de La Dépêche : « Les dirigeants européens semblent ainsi faire leur la proposition du Premier ministre britannique David Cameron, qui avait plaidé, jeudi, devant le Forum économique mondial de Davos (Suisse), pour éviter des ’’barrières inutiles au commerce et aux services et à sabrer dans le nombre de professions réglementées en Europe’’»(8).

 

Ainsi donc, le sort en est jeté et les règles du commerce international – de la mondialisation – changées, quasi subrepticement, un mouvement qui aura une portée considérable sur la vie quotidienne dans les pays concernés. « Du côté des pays émergents, on fait grise mine » nous dit Le Temps (4). « Le revenu moyen en Inde est de trois mille dollars par an. En Europe et aux États-Unis, c’est plus de dix fois davantage, on n’est vraiment pas au même niveau, affirme Anand Sharma, ministre indien du Commerce. Il faut nous donner les armes pour que les accords commerciaux profitent à nous aussi ».

 

Son homologue indonésien, Gita Wirjawan, approuve. ”On est encore plus loin en Indonésie. Nous sommes tout en bas de la chaîne de création de valeur en fabriquant des chaussures et du textile. Il faut relancer les accords multilatéraux car ce sont eux qui offrent le plus d’égalité” ». La Chine ? Elle ne s’est pas exprimée sur ce point lors de la réunion ministérielle de l’OMC en marge du forum de Davos. Certains observateurs doutent aujourd’hui, alors que l’Organisation vient d’accueillir la Russie (en décembre dernier), de la pérennité à terme de l’OMC sous sa forme actuelle.

 

À Davos, l’ambiance était paraît-il morose, et le rapport du forum économique (9) s’inquiétait de la montée des inégalités. Il voit toujours les « failles dans la gourvernance mondiale= » (global governance gaps) qu’il relevait en 2010. Nul doute que le citoyen, s’il était informé, aurait aussi des sujets d’inquiétude. Voyez Ron Kirk. Quant à l’électeur...

 

(1) AFP, le 29 janvier 2012, « Trade is good » no longer sells :

 

US trade chief

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5gAmwk

QInaHnB8A5icgIIYHOYEjfg?docId=CNG.02dd3ab0f5ad02cfe3d3

ae0f5c325271.211

(2) Commission européenne, le 9 novembre 2010, Mémo

10, La communication « Commerce, croissance et affaires

mondiales »

http://trade.ec.europa.eu/doclib/html/146982.htm

EU Trade Commissioner Karel De Gucht

http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/degucht/

(3) The Daily Star/Reuter, le 29 janvier 2012, Trade cheats

beware : new U.S. team will come after you: Kirk

http://www.dailystar.com.lb/Business/International/2012/Jan-

29/161443-trade-cheats-beware-new-us-team-will-come-afteryou-

kirk.ashx#ixzz1lJl25UHP

(4) Le Temps, le 30 janvier 2012, Anouch Seydtaghia, Le

bilatéralisme en accusation

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/003a4d08-4ab6-11e1-a37f-

11c0704c0858/Le_bilatéralisme_en_accusation

(5) Sur le traité et son origine : Trans-Pacific Strategic

Economic Partnership (texte en français)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Trans-Pacific_Strategic_Economic_

Partnership

(6) OMC, le 20 juillet 2011, Pascal Lamy, Les accords

commerciaux posent un nouveau problème au système

commercial multilatéral

http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl202_f.htm

Rapport : L’OMC et les accords commerciaux préférentiels : de

la coexistence à la cohérence

http://www.wto.org/french/res_f/publications_f/wtr11_f.htm

(7) Reuters, le 26 janvier 2012, Cameron says drive to

complete global trade pact has failed

http://www.reuters.com/article/2012/01/26/davos-cameronidUSL4E8CQ4P320120126

(8) La Dépêche, le 30 janvier 2012, L’UE veut encourager le

libre-échange pour relancer la croissance

http://www.ladepeche.fr/article/2012/01/30/1273302-l-ueveut-

encourager-le-libre-echange-pour-relancer-la-croissance.

html

(9) Le Temps, le 12 janvier 2012, Le WEF défend ses

prévisions sur les risques

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/07e3e26c-3c92-

11e1-9d6f-e5fcd32b37d8/Le_WEF_d%C3%A9fend_ses_

pr%C3%A9visions_sur_les_risques

Le rapport :

http://reports.weforum.org/global-risks-2012/

 

 
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14.02.2012
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