directrice
de la rédaction de Léosthène(helene.nouaille@free.fr)
Les
Européens
sont à l’heure où l’on parle au
G20 ridicules,
ridicules au regard de la planète internationale » et sont « seuls face au monde
et obligés de tendre la main pour demander 100 milliards à la Chine alors que la
zone euro a un PIB qui fait 10.000 milliards, deux fois supérieur à celui de la
Chine ». Ils ont montré leur « incapacité à réfléchir à cette crise pour trouver
une solution en leur propre sein (...). Ou plus exactement la seule solution
qu’ils aient trouvée, c’est le retour à l’équilibre budgétaire, ici, maintenant,
partout, c’est hélas, ce qui c’était passé dans les années 30, et c’est ce qui
dans les années 30, a fabriqué la crise majeure qu’on a connue » (1). Daniel
Cohen, vice-président de l’école d’Économie de Paris, membre du Conseil
d’analyse du Premier ministre (CAE) et spécialiste des dettes souveraines
répond, le 4 novembre sur France
Culture, sans
ambiguïté. Par ailleurs conseiller auprès du Gouvernement grec pour la banque
Lazard,
il
rappelle que le Premier ministre grec, Georges Papandreou, a été élu en 2009 sur
un programme de relance de l’économie, relance qui était partout une priorité, à
un moment où l’écart de taux de financement avec l’Allemagne était de 1%, quand
les dettes souveraines étaient réputées sans risque. La Grèce était, en 2008, un
peu moins endettée que l’Italie (autour de 110 % du PIB) sans que quiconque
considère à l’époque que cet endettement était aberrant. Durement frappée par le
ralentissement mondial, quand l’économie grecque dépend beaucoup du tourisme et
du commerce maritime qui se sont effondrés, elle voit son déficit atteindre 15,5
% quand sa loi de finance prévoyait un déficit de moins de 4
%.
C’est
ici que se révèle le défaut de l’architecture européenne. Partout ailleurs, la
banque centrale ouvre un guichet et rachète de la dette, cassant les
anticipations de défaut, excepté dans la zone euro où ce rôle est interdit par
construction à la BCE.
On
a donc dû recourir aux autorités publiques des autres États européens qui ont
dès l’origine très mal évalué la situation, manqué de lucidité et de rapidité-
Daniel Cohen parle d’aveuglement. « À partir du moment où ils ont laissé – et
c’est là le crime pour moi - la Grèce plonger dans l’insolvabilité, il n’y avait
plus d’autre recours que de soutenir le pays, à coups de financements récurrents
». Mais le mal était fait, le doute sur les dettes souveraines installé avec les
rumeurs de chaos et les taux consentis aux États pour se refinancer se sont
envolés pour tous. Et c’est bien le poids des intérêts qui est insoutenable. «
Partant d’une situation où le coût de la dette était très bon marché, et donc ne
devrait pas peser sur les finances publiques, puisque ce qui compte dans les
finances publiques ce n’est pas le volume de la dette mais le poids des intérêts
(...). Or avec des taux d’intérêts qui n’ont jamais été aussi faibles du fait de
la crise, la dette ne devait pas normalement être un problème au moment de la
crise, elle aurait été un problème au moment de la reprise, où les taux
d’intérêts se seraient relevés, où le coût du refinancement aurait augmenté. À
ce moment-à il aurait fallu profiter de la reprise pour apurer la dette qu’on a
accumulé pendant la crise. C’est le scénario classique.
Ca ne s’est pas passé comme ça en Europe et en Europe seulement. Ça se passe
comme ça partout, en Angleterre, aux États-Unis, dans les pays émergents... »
(1).
Au
spectacle de leur incapacité à trouver une solution interdite par construction,
pourtant assis pour les vingt-sept membres de l’Union européenne sur une
richesse de 15.000 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB
équivalent à celui des États-Unis) et un excédent primaire (excédent budgétaire
hors la charge des intérêts, ce qui est le cas de l’Italie) même pour la zone
euro, les Européens ont ajouté celui d’un déficit politique grave. Le symbole,
remarque l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, en est «
l’effet de panique du système européen parce qu’un premier ministre, pris à la
gorge entre les exigences de l’Europe exprimées sur un ton de plus en plus
désagréable et à mon avis choquant et contreproductif, un peuple qui se rebelle
et des parlementaires
qui se défilent (...) décide de recourir à un référendum, ce qui est
parfaitement légal et légitime » (2).
Marque
du « fossé grandissant entre les décisions qui sont prises par le système
européen globalement, les peuples et le mécanisme démocratique « cette réaction,
cette façon de parler « au dirigeant légitime d’un peuple en grande difficulté
« , qui est également celle de « la Banque centrale, la
Commission et de tous les commentateurs » est profondément irrespectueuse de la
réalité européenne. Quand l’Europe attend la décision de l’Allemagne, dont la
souveraineté a été réaffirmée en juin 2009 par la cour constitutionnelle de
Karlsruhe, personne ne proteste des hésitations ou du temps perdu – déterminant
pourtant dans le cas de la Grèce. « Il y a encore des peuples souverains dans le
système européen » rappelle Hubert Védrine, et « la démocratie continue à
fonctionner dans chaque pays européen » lieu unique d’une légitimité qui manque
par nature au système « politico-technocratique »
européen.
On
se demande ce que les grands pays présents à Cannes, dont certains sont loin du
système démocratique que les Européens leur proposent en modèle, et avec quelle
insistance arrogante, ont pu penser de la manière dont leurs hôtes le mettaient
en pratique, incapables de trouver entre eux le chemin d’une harmonisation,
d’une coordination indispensables, « de l’exercice d’une souveraineté en commun
» - sauf à se réfugier, à fuir, dans le motvalise d’un
« fédéralisme » jamais défini. Comme ils n’ont pas été capables de préciser les
termes et le fonctionnement de la structure de secours des finances de la zone
euro, le Fonds européen de solidarité (FESF) auxquels les pays dit émergents,
riches en liquidités, étaient invités à contribuer. La réponse a d’ailleurs été
claire : aucun pays, a précisé la chancelière allemande à l’issue du Sommet, n’a
accepté l’invitation. Le bilan pour l’UE ? « Une humiliation et une grande
solitude » écrit Alain Faujas pour Le
Monde (3)
au lendemain du sommet. « Que l’Europe se débrouille d’abord seule ! ». Sans
planche à billets, donc, avec son problème de refinancement intact – elle est
entre les mains des marchés - aucune solution en place à court terme, une Banque
centrale incertaine de sa légitimité et de son mandat – l’avenir est à
l’austérité sans croissance. Et les nuages s’accumulent lorsque l’on constate la
répétition du scénario grec vis-àvis de l’Italie, le
nouveau bouc émissaire désigné étant Silvio Berlusconi quand la situation
politique intérieure italienne est très instable et que les intérêts de la dette
(refinancement à 6,25 % le 4 novembre) sont insupportables. Au G20
bien
sûr on aura discuté des pistes, lancé des idées, fait le constat de
l’interdépendance internationale : d’une manière ou d’une autre, l’économie
européenne sera soutenue à terme parce qu’elle «
toobig to fail » pour
le reste du monde. Mais l’UE s’est placée en position ridicule en venant
demander au monde extérieur de résoudre pour elle un problème politique interne,
son désordre de région riche, une position qui laissera des traces dans les
esprits des peuples qui la composent comme de ses
partenaires.
Nous
avons été témoins de son désarroi, quand l’autre pôle de puissance démocratique,
les États-Unis, est dans une même situation d’impuissance. Rien ici de très
rassurant pour l’ordre du monde à venir.
Notes
:
(1)
France Culture, le 4 novembre 2011, Daniel Cohen l’Invité