L’histoire
de
l’univers nous interpelle au plus profond de notre Être. Bien sûr, grâce aux
gigantesques progrès de la science, nous croyons presque tout savoir,
aujourd’hui, de ce qui est advenu depuis le big-bang.
Nous nous expliquons la naissance du cosmos, l’éclosion du système solaire,
l’apparition de la terre, la constitution au sein de la soupe primitive des
premiers composés organiques, la formation des acides nucléiques, l’apparition
de la vie, la photosynthèse des végétaux, les débuts de l’évolution, l’avènement
de l’Homo
sapiens sapiens, la
croissance exponentielle des connaissances, la remise en cause récente des
modèles darwiniens,... mais toujours, depuis les présocratiques, perdus dans cet
insondable cosmos, les mêmes interrogations métaphysiques nous hantent, en quête
de sens.
En
effet, si l’Univers n’a pas de sens, s’il n’est architecturé qu’autour de lois
physiques si majestueuses soient-elles, s’il est dépourvu de toute règle morale,
alors règnera à jamais la loi de la jungle et l’homme aura toutes les raisons,
s’il en est capable, d’être un loup pour l’homme et de mieux profiter d’une
existence égoïste, du hasard de sa naissance au néant de sa disparition. S’il a
un sens, au contraire, alors, profondément enfoui dans les secrets de l’Univers,
une Vérité émergera un jour, à son heure, déjà annoncée par les guides
spirituels qui ont balisé les chemins de l’humanité, qui révélera les mystères
de la création, le rôle dévolu à l’espèce humaine ou aux mutants qui naîtront
d’elle, expliquant avec une lumineuse clarté cette prodigieuse aventure et
justifiant à terme les efforts de perfectionnement qu’il aura fallu accomplir
sur nous-mêmes pour suivre le message des grands initiés.
Il
n’est pas, ici, dans mon propos de relater, une fois encore, les étapes
successives de tout ce qui est devenu connaissable. Dès que l’on passe des
quarks aux particules élémentaires, des forces nucléaires aux lois de la
thermodynamique, des chocs moléculaires aux constructions stéréochimiques, des
règles énergétiques aux modes d’action enzymatiques, des êtres unicellulaires à
l’homme, tout se conçoit, tout s’explique progressivement, seules restent les
lancinantes questions de l’avant big-bang et du devenir. Conscients du rôle qui
nous est dévolu, récepteurs de gènes complexes arrivés jusqu’à nous par
filiations successives, eux-mêmes nés des interactions chaotiques atomiques et
moléculaires des premiers jours du Cosmos, notre devoir est de transmettre le
code génétique qui nous est propre, en le dispersant à la multitude de nos
descendants.
Chaque
être vivant, quelle que soit sa place dans le règne animal ou végétal est donc à
la fois le point d’arrivée d’un faisceau convergent de milliards d’informations
génétiques provenant de tout ce qui nous a précédé et le point de départ d’un
cône de dilution d’autant d’informations qui, lorsque nous avons procréé,
s’uniront à d’autres, venues d’ailleurs, pour continuer la chaîne de la vie.
L’humble tâche qui nous est assignée paraît donc bien ingrate et même quelque
peu désespérée. Elle pourrait en théorie, dans un monde moins individualiste,
conforter l’esprit de fraternité qui devrait régner entre les membres d’une même
famille humaine mais nous espérons bien davantage. Or, de même que notre corps
et ses nombreux atomes issus d’origines animales, végétales et minérales si
diverses, unis aujourd’hui dans une forme particulière du Moi, sont
immanquablement recyclés tout au long de notre vie et après notre mort, de même
nos pensées, produit de notre réflexion et reflet d’autres pensées, sont
instantanément propagées autour de nous, sitôt émises, sans que nous n’y
prenions garde, alimentant la pensée du monde qui nous influence et que nous
influençons en retour.
Notre
Moi conscient actuel, qui nous est si cher, correspond donc dans l’espace-temps
à une réalité infiniment complexe qui nous relie à la fois à l’histoire de tout
ce qui vient de devenir Nous, en ce moment, matière et esprit, en convergeant
dans la forme actuelle de notre Être et à tout ce qui sera encore Nous, matière
et esprit, demain, sous d’autres formes, puisque à peine conçus, convergence de
ce tout ce qui a précédé et qui est devenu Nous, nous divergeons aussitôt vers
nos états successifs ultérieurs dont la mort, comme la naissance, ne sont que
des étapes particulières. L’enseignement d’Aristote ou le message du Christ,
présents dans nos neurones sous une forme chimiquement mémorisée et de ce fait
accessibles à notre conscience ne sont-ils pas plus Nous que le souvenir disparu
de notre petite enfance ou de notre vie intra-utérine ?
Nos
pensées qui ont influencé notre entourage ne sontelles
plus à nous alors qu’elles deviennent pensées d’autrui ? « Un est le Tout »
disait l’auteur des Ennéades.
Quatorze siècles plus tard Spinoza proclamait le même unicisme. Plus nous avançons dans la connaissance, plus nous
sommes éblouis par la clarté de leurs visions.
Avançons
donc sans crainte vers notre devenir, comme disait Goethe, car, sous une autre
forme (même si le rêve des « transhumanistes » se
réalise un jour prochain) il n’est rien d’autre que nous-mêmes !