NOTRE DEVENIR

 

par Pierre Chastanier

 

L’histoire de l’univers nous interpelle au plus profond de notre Être. Bien sûr, grâce aux gigantesques progrès de la science, nous croyons presque tout savoir, aujourd’hui, de ce qui est advenu depuis le big-bang. Nous nous expliquons la naissance du cosmos, l’éclosion du système solaire, l’apparition de la terre, la constitution au sein de la soupe primitive des premiers composés organiques, la formation des acides nucléiques, l’apparition de la vie, la photosynthèse des végétaux, les débuts de l’évolution, l’avènement de l’Homo sapiens sapiens, la croissance exponentielle des connaissances, la remise en cause récente des modèles darwiniens,... mais toujours, depuis les présocratiques, perdus dans cet insondable cosmos, les mêmes interrogations métaphysiques nous hantent, en quête de sens.

 

En effet, si l’Univers n’a pas de sens, s’il n’est architecturé qu’autour de lois physiques si majestueuses soient-elles, s’il est dépourvu de toute règle morale, alors règnera à jamais la loi de la jungle et l’homme aura toutes les raisons, s’il en est capable, d’être un loup pour l’homme et de mieux profiter d’une existence égoïste, du hasard de sa naissance au néant de sa disparition. S’il a un sens, au contraire, alors, profondément enfoui dans les secrets de l’Univers, une Vérité émergera un jour, à son heure, déjà annoncée par les guides spirituels qui ont balisé les chemins de l’humanité, qui révélera les mystères de la création, le rôle dévolu à l’espèce humaine ou aux mutants qui naîtront d’elle, expliquant avec une lumineuse clarté cette prodigieuse aventure et justifiant à terme les efforts de perfectionnement qu’il aura fallu accomplir sur nous-mêmes pour suivre le message des grands initiés.

 

Il n’est pas, ici, dans mon propos de relater, une fois encore, les étapes successives de tout ce qui est devenu connaissable. Dès que l’on passe des quarks aux particules élémentaires, des forces nucléaires aux lois de la thermodynamique, des chocs moléculaires aux constructions stéréochimiques, des règles énergétiques aux modes d’action enzymatiques, des êtres unicellulaires à l’homme, tout se conçoit, tout s’explique progressivement, seules restent les lancinantes questions de l’avant big-bang et du devenir. Conscients du rôle qui nous est dévolu, récepteurs de gènes complexes arrivés jusqu’à nous par filiations successives, eux-mêmes nés des interactions chaotiques atomiques et moléculaires des premiers jours du Cosmos, notre devoir est de transmettre le code génétique qui nous est propre, en le dispersant à la multitude de nos descendants.

 

Chaque être vivant, quelle que soit sa place dans le règne animal ou végétal est donc à la fois le point d’arrivée d’un faisceau convergent de milliards d’informations génétiques provenant de tout ce qui nous a précédé et le point de départ d’un cône de dilution d’autant d’informations qui, lorsque nous avons procréé, s’uniront à d’autres, venues d’ailleurs, pour continuer la chaîne de la vie. L’humble tâche qui nous est assignée paraît donc bien ingrate et même quelque peu désespérée. Elle pourrait en théorie, dans un monde moins individualiste, conforter l’esprit de fraternité qui devrait régner entre les membres d’une même famille humaine mais nous espérons bien davantage. Or, de même que notre corps et ses nombreux atomes issus d’origines animales, végétales et minérales si diverses, unis aujourd’hui dans une forme particulière du Moi, sont immanquablement recyclés tout au long de notre vie et après notre mort, de même nos pensées, produit de notre réflexion et reflet d’autres pensées, sont instantanément propagées autour de nous, sitôt émises, sans que nous n’y prenions garde, alimentant la pensée du monde qui nous influence et que nous influençons en retour.

 

Notre Moi conscient actuel, qui nous est si cher, correspond donc dans l’espace-temps à une réalité infiniment complexe qui nous relie à la fois à l’histoire de tout ce qui vient de devenir Nous, en ce moment, matière et esprit, en convergeant dans la forme actuelle de notre Être et à tout ce qui sera encore Nous, matière et esprit, demain, sous d’autres formes, puisque à peine conçus, convergence de ce tout ce qui a précédé et qui est devenu Nous, nous divergeons aussitôt vers nos états successifs ultérieurs dont la mort, comme la naissance, ne sont que des étapes particulières. L’enseignement d’Aristote ou le message du Christ, présents dans nos neurones sous une forme chimiquement mémorisée et de ce fait accessibles à notre conscience ne sont-ils pas plus Nous que le souvenir disparu de notre petite enfance ou de notre vie intra-utérine ?

 

Nos pensées qui ont influencé notre entourage ne sontelles plus à nous alors qu’elles deviennent pensées d’autrui ? « Un est le Tout » disait l’auteur des Ennéades. Quatorze siècles plus tard Spinoza proclamait le même unicisme. Plus nous avançons dans la connaissance, plus nous sommes éblouis par la clarté de leurs visions.

 

Avançons donc sans crainte vers notre devenir, comme disait Goethe, car, sous une autre forme (même si le rêve des « transhumanistes » se réalise un jour prochain) il n’est rien d’autre que nous-mêmes !

 

 

 

 

 

 

 

 

 
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09.11.2011
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