En présence de
Messieurs Philippe JURGENSEN et Laurent PINSOLLE
L’EURO, FAUT-IL EN
SORTIR ?
Par Christine
ALFARGE
C’est un
risque, car l’Europe va à la dérive et l’euro n’est qu’un succès technique et
néanmoins une monnaie fragile parce qu’elle ne s’appuie pas sur un pouvoir
politique fort. Les plus grands économistes s’accordent pour dire :
« qu’il n’y a aucun exemple dans l’Histoire, d’un divorce durable entre
souveraineté monétaire et souveraineté politique » à chaque fois qu’il
y a une monnaie forte, il y a un état fort derrière. Le dollar est fort parce
qu’il s’appuie sur les Etats-Unis d’Amérique. Quand on achète le dollar, on
achète les Etats-Unis d’Amérique, la puissance dans tous les sens du mot
(économique, politique) et avec l’Europe, on achète une monnaie technique parce
qu’il n’y a pas de puissance économique mais au contraire il y a une réflexion
sur l’Europe. Ce qu’il faut défendre avant tout, c’est la construction
européenne chère au Général de GAULLE, pour laquelle une Europe politique forte
reposant sur un lien franco-allemand à toute épreuve constitue le socle pour sa
stabilité et sa croissance ainsi que l’indépendance de ses décisions
économiques ou militaires. Il faut repenser l’Europe à travers une vision
stratégique capable d’incarner un contre-poids entre
les Etats-Unis et la
Chine.
L’euroest-ilmenacé ?
Force est
de constater que les rumeurs sur l’avenir de l’euro vont bon train, les
divergences sur la monnaie unique européenne se font à nouveau entendre sur fond
de crise de la dette grecque. Selon Laurent PINSOLLE, « La zone euro est
mal construite avec une monnaie trop chère qui aurait
due être mieux gérée, il considère que c’est une calamité pour l’industrie
française favorisant notamment les délocalisations. Il prône une sortie de
l’euro qu’il considère comme une monnaie de banquiers au service de la finance
et non pas des peuples européens ». En revanche, Philippe JURGENSEN
souligne, «En réalité, il s’agit surtout de l’avenir de la construction
européenne qui implique de gérer différemment, il préconise de faire baisser la
valeur de l’euro qui dépend d’une décision politique afin d’agir sur les
inconvénients, puisque l’euro tend à rendre nos exportations moins compétitives
et les importations plus avantageuses, ce qui est mauvais pour l’activité et
pour l’emploi ». Sur l’euro en tant que tel, c’est l’Europe à terme qui est
menacée parce que les 27 membres de l’Union européenne actuelle ne sont pas dans
la même Europe. La France et l’Allemagne qui s’étaient mis ensemble afin
d’éviter la répétition des deux guerres mondiales, sont dans l’Europe de 1957.
Puis il y a au moins 15 pays qui sont rentrés dans cette Union européenne comme
on va dans un super marché, on se sert dans les rayons et si possible on ne paie
pas à la sortie, cela génère des conflits d’objectifs très forts à l’intérieur
de l’Union européenne, pour simplifier on comprend pourquoi ils sont favorables
à des Etats-Unis d’Europe, autrement dit à un pouvoir fédéral. Si demain on
allait vers des Etats-Unis d’Europe sur le papier, il faudrait que ce soit des
pays qui aient la même politique stratégique et les mêmes valeurs politique et
culturelle, à l’heure actuelle, seulement 7 ou 8 pays pourraient s’agréger dans
des Etats-Unis d’Europe. A l’intérieur des 27, il existe une concurrence fiscale
et sociale très violente qui est la négation de la soit disant solidarité
politique. Certains pays considèrent qu’ils ont droit à des subventions mais
qu’ils n’ont aucune obligation en contre partie. C’est l’exemple de l’Irlande
dont l’essor juste avant la crise a été largement porté par les subventions
reçues de l’Europe et qui pour remercier celle-ci avait mis un taux d’impôts sur
les sociétés à 12.5 pour attirer des entreprises sur son territoire. On ne peut
pas avoir une union politique avec de la solidarité d’un côté et de la
concurrence fiscale et sociale de l’autre. Même si on ne va pas vers une
intégration fiscale et sociale, il faut un minimum de solidarité avec des
minimas sociaux et fiscaux communs à tout le monde.
Saisir la
crise pour conforter l’euro.
L’euro
est un acquis de la construction européenne, en une décennie il est passé devant
le yen, la livre sterling et le franc suisse pour devenir la deuxième monnaie
utilisée à travers le monde après le dollar.Malgré le souhait, comme
l’exprime Laurent PINSOLLE « d’un retour aux monnaies
nationales », l’Europe n’aurait pas pu fonctionner avec une quinzaine
de monnaies flottant entre elles. La crise actuelle, provoquant une série de
dévaluations compétitives, aurait disloqué le système et infligé des secousses
graves aux entreprises. L’Europe se serait retrouvée devant un champ de ruines
monétaires. Aujourd’hui, si la France veut agir sur le plan international,
l’euro doit être un challenger du dollar. Comme l’indique Philippe JURGENSEN
dans son analyse sur la force de notre monnaie : « L’euro est
devenu, devant le dollar, la première monnaie d’émission d’emprunts obligataires
internationaux. Si la devise américaine reste prédominante comme monnaie de
libellé des échanges internationaux (pour le pétrole notamment), un nombre
croissant de contrats sont rédigés en monnaie européenne. L’autre aspect est la
place significative de l’euro (environ 30%) dans les réserves de changes
mondiales, et de nombreux pays, à commencer par la Chine et la Russie, ont
annoncé leur souhait d’accroître encore sa place dans leurs réserves. Les autres
devises yen, livre sterling, franc suisse, n’ont que des parts faibles, ne
dépassant pas 4% au mieux. Au total, notre monnaie est ainsi la seule capable de
défier la suprématie du dollar ».
Dans le
monde d’aujourd’hui, 80% des pays de la planète sont soit dans la zone
euro, soit dans la zone dollar. La parité eurodollar est la parité centrale au
niveau de la planète. Les deux principaux décideurs pour la parité entre l’euro
et le dollar sont les Chinois et les Américains, ils se préparent de la même
manière à sortir de la crise par une combinaison d’investissements, de
dévaluation et d’inflation. C’est d’une part, la réserve fédérale de New-York
qui agit pour le compte du Fond monétaire américain et le politburo
chinois d’autre part qui décide en fonction de sa politique interne de soutenir
le dollar pour sa propre monnaie par rapport à son propre taux de change.
Veut-on
vraiment sauver l’euro ?
De toute
évidence, les Européens n’ont pas pris en compte les risques latents des
difficultés monétaires dans la mesure où les Etats-Unis utiliseraient comme
stratégie de défense monétaire de faire glisser le dollar, ce qui serait un
scénario catastrophe entraînant des chutes de revenus de 2 à 3% par an, un
chômage à 12%, des déficits publics gigantesques. Or, c’est le scénario le plus
probable auquel se prépare l’Amérique pour sortir de sa crise et faire face à
ses endettements colossaux. L’Europe monétaire n’y survivrait pas. Aujourd’hui,
avec la crise de la dette européenne, nous sommes toujours dans la même
crise. En 2009, il s’agissait d’une crise de la dette, mais privée, qui touchait
des banques et provoquait leur faillite. Actuellement, ce sont les Etats qui
font faillite car ils vivent au-dessus de leurs moyens. Si l’on prend l’exemple
de la Grèce, selon Philippe JURGENSEN : « le problème de ce
pays n’est pas sa monnaie mais l’excès de ses dépenses publiques par rapport aux
recettes. Une fraude massive évaluée par certains experts à près de 30% du PIB,
est la cause principale de l’insuffisance des recettes publiques ».
Lapremière plaie de la Grèce, c’est d’abord d’avoir lancé le
mouvement de panique qui a contaminé les marchés financiers. Le pays mentait de
longue date sur son déficit public. Il avait maquillé ses comptes pour pouvoir
entrer dans la zone euro.Après son accession au pouvoir en 2009, le
nouveau gouvernement grec découvre un déficit qui frôle les 13%, très loin des
6% annoncés. Les conséquences sont immédiates : prêter au pays devient cher
et les intérêts explosent.
Comment
l’Europe peut-elle agir pour relancer sa politique ?
Après
avoir consacré l’année 2010 et le premier semestre 2011 à essayer de renflouer
la Grèce, l’Irlande et le Portugal, les dirigeants européens doivent faire face
à une menace beaucoup plus grande. L’Espagne, l’Italie et la France sont à leur
tour dans l’œil du cyclone des marchés et subissent de virulentes attaques. Le
seul espoir repose sur la prise de conscience des dirigeants européens et
naturellement, l’Europe se tourne vers le duo franco-allemand pour qu’il
étudie les moyens de réformer la gouvernance économique de la zone euro afin de
préserver la monnaie unique. Les dirigeants français et allemands ont proposé
d’introduire une « règle d’or » d’équilibre budgétaire afin que chaque
état équilibre ses comptes. Ils se sont également mis d’accord sur la nomination
d’un président durable de la zone euro au niveau des chefs de gouvernement et
pour un renforcement du rôle du président du Conseil européen (ce sera Herman
Van Rompuy, actuellement président du Conseil européen
pour 2ans 1/2) pour en faire un porte-parole de l’euro. Afin de surmonter la
crise, un Mécanisme européen de stabilité financière, le MESF, a été mis en
place et doté de 440 milliards d’euros, pouvant être augmentés et constituer un
véritable Fonds Monétaire européen agissant de manière préventive pour
recapitaliser les banques ou racheter de la dette souveraine sur les marchés.
Par ailleurs, les sanctions prévues par le pacte de stabilité et de croissance
seront renforcées en cas de manquement à la règle.
Cependant,
l’Europe doit avoir un objectif stratégique permanent de battre la spéculation
internationale qui cherche à détruire sa monnaie. Ces attaques ne proviennent
pas des gouvernements, mais des opérateurs spéculatifs anglo-saxons dont le seul
but est de réaliser des profits à court terme. Lorsque les opérateurs
spéculatifs ont découvert la situation budgétaire de la Grèce, ils ont présenté
cette défaillance comme mettant en danger l’euro, alors qu’elle ne concernait
que les finances publiques grecques. Malgré des gestions budgétaires
calamiteuses de certains petits pays de la zone euro, les déficits publics dans
la zone euro sont en moyenne inférieurs à ceux des Etats-Unis, de la
Grande-Bretagne ou du Japon. Ce qui prouve que la cible spéculative n’est pas
seulement de tirer profit sur ces mauvaises gestions, mais de s’attaquer
au système monétaire de la zone euro lui-même. Aucune grande monnaie n’a jamais
disparu par la pression des marchés, en revanche dire que l’euro est en danger
fait le jeu des spéculateurs qui cherchent à tirer profit à court terme de la
baisse de la monnaie commune.
Il faut
anticiper sur le monde de demain.
Au moment
où l’Europe connaît des difficultés sous le poids de sa dette, les pays
émergents profitent d’une croissance forte due notamment au progrès technique.
Il faut que l’Europe tire également les leçons de ces deux chocs en
adoptant une véritable stratégie de développement par des coopérations étroites
avec les pays composant le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud).
A l’horizon 2030-2040, le monde va être structuré par un nouveau duo pôle entre
la Chine et les Etats-Unis et constituer entre ces deux géants tellement
d’antagonismes qu’à un moment ou un autre, ils vont se menacer. Il faut rappeler
que la Chine a un budget militaire qui augmente de 12 à 15 % par an depuis 15
ans et qu’elle a été une hyper puissance presqu’un millénaire avant.
La crise
économique et financière doit nous faire penser en profondeur à l’avenir de
l’Europe. Une Europe qui pourrait devenir une Confédération d’Etats avec plus de
coopérations entre les nations, plus de politiques communes. Prendre acte de la
diversité de l’Europe et de la transformer en force, trouver des objectifs
communs.