Compte-rendu du dîner-débat du 13 septembre 2011

En présence de Messieurs Philippe JURGENSEN et Laurent PINSOLLE


 

L’EURO, FAUT-IL EN SORTIR ?

Par Christine ALFARGE 

C’est un risque, car l’Europe va à la dérive et l’euro n’est qu’un succès technique et néanmoins une monnaie fragile parce qu’elle ne s’appuie pas sur un pouvoir politique fort. Les plus grands économistes s’accordent pour dire : « qu’il n’y a aucun exemple dans l’Histoire, d’un divorce durable entre souveraineté monétaire et souveraineté politique  » à chaque fois qu’il y a une monnaie forte, il y a un état fort derrière. Le dollar est fort parce qu’il s’appuie sur les Etats-Unis d’Amérique. Quand on achète le dollar, on achète les Etats-Unis d’Amérique, la puissance dans tous les sens du mot (économique, politique) et avec l’Europe, on achète une monnaie technique parce qu’il n’y a pas de puissance économique mais au contraire il y a une réflexion sur l’Europe. Ce qu’il faut défendre avant tout, c’est la construction européenne chère au Général de GAULLE, pour laquelle une Europe politique forte reposant sur un lien franco-allemand à toute épreuve constitue le socle pour sa stabilité et sa croissance  ainsi que l’indépendance de ses décisions économiques ou militaires. Il faut repenser l’Europe à travers une vision stratégique capable d’incarner un contre-poids entre les Etats-Unis et la Chine.          

L’euro est-il menacé ?

Force est de constater que les rumeurs sur l’avenir de l’euro vont bon train, les divergences sur la monnaie unique européenne se font à nouveau entendre sur fond de crise de la dette grecque. Selon Laurent PINSOLLE, « La zone euro est mal construite avec une monnaie trop chère qui aurait due être mieux gérée, il considère que c’est une calamité pour l’industrie française favorisant notamment les délocalisations. Il prône une sortie de l’euro qu’il considère comme une monnaie de banquiers au service de la finance et non pas des peuples européens ». En revanche, Philippe JURGENSEN souligne, «En réalité, il s’agit surtout de l’avenir de la construction européenne qui implique de gérer différemment, il préconise de faire baisser la valeur de l’euro qui dépend d’une décision politique afin d’agir sur les inconvénients, puisque l’euro tend à rendre nos exportations moins compétitives et les importations plus avantageuses, ce qui est mauvais pour l’activité et pour l’emploi ». Sur l’euro en tant que tel, c’est l’Europe à terme qui est menacée parce que les 27 membres de l’Union européenne actuelle ne sont pas dans la même Europe. La France et l’Allemagne qui s’étaient mis ensemble afin d’éviter la répétition des deux guerres mondiales, sont dans l’Europe de 1957. Puis il y a au moins 15 pays qui sont rentrés dans cette Union européenne comme on va dans un super marché, on se sert dans les rayons et si possible on ne paie pas à la sortie, cela génère des conflits d’objectifs très forts à l’intérieur de l’Union européenne, pour simplifier on comprend pourquoi ils sont favorables à des Etats-Unis d’Europe, autrement dit à un pouvoir fédéral. Si demain on allait vers des Etats-Unis d’Europe sur le papier, il faudrait que ce soit des pays qui aient la même politique stratégique et les mêmes valeurs politique et culturelle, à l’heure actuelle, seulement 7 ou 8 pays pourraient s’agréger dans des Etats-Unis d’Europe. A l’intérieur des 27, il existe une concurrence fiscale et sociale très violente qui est la négation de la soit disant solidarité politique. Certains pays considèrent qu’ils ont droit à des subventions mais qu’ils n’ont aucune obligation en contre partie. C’est l’exemple de l’Irlande dont l’essor juste avant la crise a été largement porté par les subventions reçues de l’Europe et qui pour remercier celle-ci avait mis un taux d’impôts sur les sociétés à 12.5 pour attirer des entreprises sur son territoire. On ne peut pas avoir une union politique avec de la solidarité d’un côté et de la concurrence fiscale et sociale de l’autre. Même si on ne va pas vers une intégration fiscale et sociale, il faut un minimum de solidarité avec des minimas sociaux et fiscaux communs à tout le monde.

Saisir la crise pour conforter l’euro.

L’euro est un acquis de la construction européenne, en une décennie il est passé devant le yen, la livre sterling et le franc suisse pour devenir la deuxième monnaie utilisée à travers le monde après le dollar. Malgré le souhait, comme l’exprime Laurent PINSOLLE « d’un retour aux monnaies nationales », l’Europe n’aurait pas pu fonctionner avec une quinzaine de monnaies flottant entre elles. La crise actuelle, provoquant une série de dévaluations compétitives, aurait disloqué le système et infligé des secousses graves aux entreprises. L’Europe se serait retrouvée devant un champ de ruines monétaires. Aujourd’hui, si la France veut agir sur le plan international, l’euro doit être un challenger du dollar. Comme l’indique Philippe JURGENSEN dans son analyse sur la force de notre monnaie : « L’euro est devenu, devant le dollar, la première monnaie d’émission d’emprunts obligataires internationaux. Si la devise américaine reste prédominante comme monnaie de libellé des échanges internationaux (pour le pétrole notamment), un nombre croissant de contrats sont rédigés en monnaie européenne. L’autre aspect est la place significative de l’euro (environ 30%) dans les réserves de changes mondiales, et de nombreux pays, à commencer par la Chine et la Russie, ont annoncé leur souhait d’accroître encore sa place dans leurs réserves. Les autres devises yen, livre sterling, franc suisse, n’ont que des parts faibles, ne dépassant pas 4% au mieux. Au total, notre monnaie est ainsi la seule capable de défier la suprématie du dollar ».  

Dans le monde d’aujourd’hui, 80% des pays de la planète  sont soit dans la zone euro, soit dans la zone dollar. La parité eurodollar est la parité centrale au niveau de la planète. Les deux principaux décideurs pour la parité entre l’euro et le dollar sont les Chinois et les Américains, ils se préparent de la même manière à sortir de la crise par une combinaison d’investissements, de dévaluation et d’inflation. C’est d’une part, la réserve fédérale de New-York qui agit pour le compte du Fond monétaire américain et  le politburo chinois d’autre part qui décide en fonction de sa politique interne de soutenir le dollar pour sa propre monnaie par rapport à son propre taux de change.

Veut-on vraiment sauver l’euro ?

De toute évidence, les Européens n’ont pas pris en compte les risques latents des difficultés monétaires dans la mesure où les Etats-Unis utiliseraient comme stratégie de défense monétaire de faire glisser le dollar, ce qui serait un scénario catastrophe entraînant des chutes de revenus de 2 à 3% par an, un chômage à 12%, des déficits publics gigantesques. Or, c’est le scénario le plus probable auquel se prépare l’Amérique pour sortir de sa crise et faire face à ses endettements colossaux. L’Europe monétaire n’y survivrait pas. Aujourd’hui, avec la crise de  la dette européenne, nous sommes toujours dans la même crise. En 2009, il s’agissait d’une crise de la dette, mais privée, qui touchait des banques et provoquait leur faillite. Actuellement, ce sont les Etats qui font faillite car ils vivent au-dessus de leurs moyens. Si l’on prend l’exemple de la Grèce, selon Philippe JURGENSEN : « le problème de ce pays n’est pas sa monnaie mais l’excès de ses dépenses publiques par rapport aux recettes. Une fraude massive évaluée par certains experts à près de 30% du PIB, est la cause principale de l’insuffisance des recettes publiques ». La première plaie de la Grèce, c’est d’abord d’avoir lancé le mouvement de panique qui a contaminé les marchés financiers. Le pays mentait de longue date sur son déficit public. Il avait maquillé ses comptes pour pouvoir entrer dans la zone euro. Après son accession au pouvoir en 2009, le nouveau gouvernement grec découvre un déficit qui frôle les 13%, très loin des 6% annoncés. Les conséquences sont immédiates : prêter au pays devient cher et les intérêts explosent.

Comment l’Europe peut-elle agir pour relancer sa politique ?

Après avoir consacré l’année 2010 et le premier semestre 2011 à essayer de renflouer la Grèce, l’Irlande et le Portugal, les dirigeants européens doivent faire face à une menace beaucoup plus grande. L’Espagne, l’Italie et la France sont à leur tour dans l’œil du cyclone des marchés et subissent de virulentes attaques. Le seul espoir repose sur la prise de conscience des dirigeants européens et naturellement, l’Europe se tourne vers le duo franco-allemand  pour qu’il étudie les moyens de réformer la gouvernance économique de la zone euro afin de préserver la monnaie unique. Les dirigeants français et allemands ont proposé d’introduire une « règle d’or » d’équilibre budgétaire afin que chaque état équilibre ses comptes. Ils se sont également mis d’accord sur la nomination d’un président durable de la zone euro au niveau des chefs de gouvernement et pour un renforcement du rôle du président du Conseil européen (ce sera Herman Van Rompuy, actuellement président du Conseil européen pour 2ans 1/2) pour en faire un porte-parole de l’euro. Afin de surmonter la crise, un Mécanisme européen de stabilité financière, le MESF, a été mis en place et doté de 440 milliards d’euros, pouvant être augmentés et constituer un véritable Fonds Monétaire européen agissant de manière préventive pour recapitaliser les banques ou racheter de la dette souveraine sur les marchés. Par ailleurs, les sanctions prévues par le pacte de stabilité et de croissance seront renforcées en cas de manquement à la règle.

Cependant, l’Europe doit avoir un objectif stratégique permanent de battre la spéculation internationale qui cherche à détruire sa monnaie. Ces attaques ne proviennent pas des gouvernements, mais des opérateurs spéculatifs anglo-saxons dont le seul but est de réaliser des profits à court terme. Lorsque les opérateurs spéculatifs ont découvert la situation budgétaire de la Grèce, ils ont présenté cette défaillance comme mettant en danger l’euro, alors qu’elle ne concernait que les finances publiques grecques. Malgré des gestions budgétaires calamiteuses de certains petits pays de la zone euro, les déficits publics dans la zone euro sont en moyenne inférieurs à ceux des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou du Japon. Ce qui prouve que la cible spéculative n’est pas seulement  de tirer profit sur ces mauvaises gestions, mais de s’attaquer au système monétaire de la zone euro lui-même. Aucune grande monnaie n’a jamais disparu par la pression des marchés, en revanche dire que l’euro est en danger fait le jeu des spéculateurs qui cherchent à tirer profit à court terme de la baisse de la monnaie commune.

Il faut anticiper sur le monde de demain.

Au moment où l’Europe connaît des difficultés sous le poids de sa dette, les pays émergents profitent d’une croissance forte due notamment au progrès technique. Il faut que  l’Europe tire également les leçons de ces deux chocs en adoptant une véritable stratégie de développement par des coopérations étroites avec les pays composant le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud). A l’horizon 2030-2040, le monde va être structuré par un nouveau duo pôle entre la Chine et les Etats-Unis et constituer entre ces deux géants tellement d’antagonismes qu’à un moment ou un autre, ils vont se menacer. Il faut rappeler que la Chine a un budget militaire qui augmente de 12 à 15 % par an depuis 15 ans et qu’elle a été une hyper puissance presqu’un millénaire avant.

La crise économique et financière doit nous faire penser en profondeur à l’avenir de l’Europe. Une Europe qui pourrait devenir une Confédération d’Etats avec plus de coopérations entre les nations, plus de politiques communes. Prendre acte de la diversité de l’Europe et de la transformer en force, trouver des objectifs communs.

 
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17.10.2011
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