NOTRE
DROIT : UN BOA CONSTRICTOR DÉBOUSSOLÉ DÉVORANT
par
Paul Kloboukoff
Envahissant,
effrayant, déroutant, démotivant, décourageant, étouffant, notre Droit, avec
l’appareil, le système juridique chargé de l’appliquer, est de plus en plus
incompris des citoyens et critiqué, voire rejeté par eux. Son emprise qui
s’étend, qui s’insinue dans presque tous les domaines profitant de la
prolifération des « réformes » et des autres changements, et son imperméabilité,
sont des causes de la réprobation impuissante qui gagne, sans que les Autorités
et les acteurs des processus législatifs et réglementaires semblent en avoir
conscience. Nombre des problèmes soulevés ne trouvent pas de solutions pour
autant. Au contraire, la complexité des sujets et souvent leurs
interdépendances, les alternances de gouvernement, la politisation des décisions
préparées et l’irrésolution de textes qui se replient sur des positions de «
consensus » boiteux, provoquent l’appel à des textes supplémentaires destinés à
remplacer, inverser ou amender ceux qui viennent tout juste d’être
adoptés.
Aux motifs
intérieurs, nationaux, viennent s’ajouter les obligations véhiculées par les
directives propulsées par l’Union européenne (UE) et la propension de
politiciens de presque tous bords à vouloir importer ce qui se fait dans
certains pays étrangers. Sans autre assurance de la compatibilité de ces
transplantations avec l’organisme du receveur que la conviction muée en
certitude qu’en Europe tout doit être identique. Ne serait-il pas temps de
marquer une pause. De s’interroger sur l’essence et la finalité de notre Droit,
sur l’utilité d’une plus grande pérennité de ses constituants, sur la recherche
d’une certaine « neutralité », sur une indispensable simplification. Une telle
réflexion pourrait peut-être aussi nous aider à y voir plus clair sur la
situation ainsi que sur nos intentions quant aux orientations et à l’avenir de
notre société. Encourager à anticiper les effets à attendre des avancées
scientifiques, technologiques, d’Internet et de la communication, des réseaux «
sociaux », qui révèlent quotidiennement de nouvelles brèches dans notre Droit
et, surprise après surprise, provoquent des réactions au coup par coup à la
suite d’évènements dommageables. Ne pas se laisser asservir par la mondialisation, submerger par les
bouleversements démographiques, accélérés par le traité de Schengen élargi, et
la montée de l’islam.
Selon Legifrance, pas moins de 2.619 textes de nature législative
(lois et ordonnances) étaient en vigueur au 1er juillet 2007, représentant
22.334 articles. Au 1er juillet2008, 23.883 textes réglementaires (décrets)
étaient en vigueur, représentant 137.219 articles. Les codes, au nombre de 64,
incorporent 102.237 articles de nature législative, réglementaire et
indifférenciés. Depuis mai2007 et la frénésie de « réformes » qui a suivi,
l’arsenal législatif et réglementaire a encore grossi, sans être dûment
dégrossi. Et « nul n’est censé ignorer la loi » ! En réalité, personne ne s’y
retrouve vraiment dans ses méandres et bien des portes et des fenêtres s’y
trouvent ouvertes à de divergentes interprétations ainsi qu’à des contestations
sur la validité et la justesse de ses textes et de leurs
applications.
À ce propos,
il n’est pas interdit de s’interroger sur la valeur ajoutée par les dizaines ou
les centaines de propositions d’amendements déposés par les oppositions pour
contrer les gouvernants et freiner l’adoption des textes. Pour le bien commun ?
Honnête envers les citoyens, ou malsain ? Souffrons
nous d’une diarrhée législative ? Rien que sur la quinzaine précédant le
14 juillet, quinze textes d’origine parlementaire seront définitivement adoptés
(Le Monde du 28 juin 2011). Parmi eux figurent l’entrée des jurés populaires en
correctionnelle, la réforme de la justice des mineurs, une nouvelle prime de
cohésion sociale, une réforme de l’ISF et trois lois organiques sur la
gouvernance Outre-mer. Sont aussi dans les tuyaux : le développement de
l’alternance, la création de maisons départementales pour handicapés et le
statut de nos sapeurs pompiers volontaires, que l’UE a attaqué… au mépris du
principe de subsidiarité.
Pour répondre
à « la demande du Président de la République qui souhaitait que notre pays
engage une simplification profonde de notre urbanisme… » (Le Monde du 24 juin
2011), le rapport « Urbanisme de projet », qui vise surtout à doper la
construction et à densifier l’habitat, ne prévoit pas moins de soixante-douze
mesures « incitatives ». Dont le relâchement des exigences pour surélever et
agrandir sa maison ou son immeuble. Les défenseurs du patrimoine s’inquiètent,
non sans raisons. Le gouvernement désire encore utiliser le Droit dans un but de
relance de la croissance, de caractère conjoncturel, et non dans une optique de
moyen et long terme, sans se soucier outre mesure, semble-til, des inévitables impacts sur l’environnement, sur le
milieu urbain et ses habitants. Signe de panique dans l’urgence
?
Une autre
idée, géniale aux yeux de certains, et non des moindres, serait d’instituer une
deuxième « Journée de solidarité ». Malgré les cafouillages engendrés par la
première, initialement fixée au lundi de Pentecôte. Une façon de légaliser une
nouvelle taxation des revenus et/ou une réduction des la durée des congés payés
qui viendrait à point nommé au secours des déficits publics. Les gouvernants
peuvent s’en lécher les babines. Pas les travailleurs. Intrusion, immixtion de
l’État, de caractère conjoncturel aussi, dans la gouvernance des entreprises par
la création de la fameuse « prime à 1.000 euros » (négociable, finalement) que
les sociétés réalisant des bénéfices en hausse vont devoir verser à leurs
employés. Sous couvert de justice sociale et de défense du pouvoir d’achat,
l’État « libéral » s’éloigne beaucoup de ses fonctions
régaliennes.
Trop et
indûment ?
Quant à la
législation de l’UE, à laquelle nous sommes soumis, elle grossit à vue d’oeil, prend déjà des dimensions alarmantes, veut toucher à
tout et n’hésite pas à jouer de la sanction plus sévèrement que le font nos lois
pour exercer plus de contraintes sur les justices nationales et sur les citoyens
de l’Europe. Le site Europa : « Synthèses de la législation de l’UE » voudrait
présenter la législation de l’UE « de manière concise, accessible et objective
». Il fournit pour cela trois mille cinq cents synthèses « conviviales », « dont
les actes sont parfois assez longs et techniques », réparties en trentedeux domaines thématiques. Rien que ça ! Humour de
technocrates bruxellois, sans doute. Pas rassurante, la pieuvre en action !
Surenchère et imbroglio juridique en matière de harcèlement sexuel (HS). Sous le
titre « Une législation améliorée à reculons », sur le site Libération
(12/06/2011), un article résume : « Renforcée sous la pression de l’UE, la loi
française est malgré tout un vaste imbroglio ».
La France
traînait les pieds pour adopter une directive de 2002 qui élargissait les
définitions du sexisme et du harcèlement ainsi que les conditions (condamnables)
dans lesquelles ils pouvaient être réputés s’exercer, dans l’entreprise en
particulier. Elle le fit malgré tout en2008, à l’approche de la présidence
française de l’UE. Selon la « procédure d’urgence », avec peu de débats. Le
texte est entré en vigueur, mais il ne figure ni dans le code du Travail, ni
dans le code Pénal. Coexistent maintenant trois définitions du HS, deux
anciennes et la nouvelle de 2008, que peu de professionnels connaissent. Merci
Bruxelles… et M. Sarkozy. Des cas de provocations, de désobéissance à la loi et
de récidive mettent sous pression la Justice pour modifier notre Droit et
provoquent des troubles ainsi que des hésitations juridiques. Souvent sous le
regard bienveillant ou le soutien de politiciens des partis d’opposition et la
participation active d’associations.
Chaque année,
des squats de logements inoccupés sont organisés. Leur médiatisation attise les
polémiques et les critiques à l’encontre de lois existantes (ou inexistantes),
de l’appareil judiciaire et de gouvernants locaux et/ou nationaux. Aussi, pour
sortir des impasses, les recours aux négociations et à des palliatifs
s’imposent, prenant ainsi le pas sur la loi. Une loi renégociée, en quelque
sorte… et qui peut aussi par la suite « faire jurisprudence ». Une nouvelle
source du Droit de plus en plus sollicitée ! Le mariage de deux personnes du
même sexe à la mairie de Beigle (aussitôt cassé) est
un exemple d’école d’irrespect des lois. Le sont aussi des destructions répétées
de plantations de maïs transgénique, face auxquelles la pression d’associations
écologistes et de paysans rend la justice hésitante, incertaine, variable dans
le temps et l’espace.
Par ailleurs,
des décisions sont prises et des actions entreprises par des partis politiques
qui ne sont pas prévues dans nos textes législatifs. Il semble en être ainsi de
l’organisation et des modalités des primaires présidentielles socialistes,
récemment et tardivement mises en cause, en particulier parce qu’elles
pourraient « déboucher sur un véritable flicage des fonctionnaires territoriaux
». La Commission informatique et liberté a été alertée. Mais, comme dans bien
des cas, les chiens aboient, et la caravane passe. Nombre de lois ne sont pas
établies dans une optique de long terme qui contribuerait positivement à leur
pérennité et à la réduction de l’instabilité juridique. Comme nous en avons vu
des exemples, de court terme, et sans référence à une vision d’ensemble
explicite, elles sont aussi de plus en plus souvent « conjoncturelles »,
dépendantes des évènements du jour, des ressources publiques disponibles et des
contraintes budgétaires, des pressions médiatiques, politiques, de lobbies ainsi
que des manifestations de la rue, de syndicats et d’associations diverses. Elles
en sont d’autant plus éphémères, contestables et « réversibles » en cas de
changement de contexte ou de majorité.
Les pratiques
des lois de finances et de leurs« rectifications », ainsi que leurs
déséquilibres, leurs déficits, semblent avoir déteint sur la « gestion » de
notre Droit, au jour le jour. Ainsi, des primes (PPE, heures supplémentaires,
prime à la casse…), des minima sociaux (RMI, RSA…), des emplois « aidés » sont
instaurés, restaurés, majorés, minorés, supprimés (par des lois) au gré des
événements, de la conjoncture et des alternances politiques. Notre Droit n’offre
plus un cadre serein et durable dans lequel peuvent s’exercer les actions des
agents économiques et sociaux, les droits et les obligations auxquels ils sont
soumis. Quelles décisions d’investissement, de recrutement, ou, plus
généralement, d’engagement, peuvent être prises avec lucidité et sagesse dans
cet univers mouvant ?
La gouvernance
« par objectifs », chiffrés ou non, prospère, enfle et se répand. Du « politique
», elle se propage au Droit, à la loi, auxquelles il est assigné désormais de
solutionner des problèmes majeurs ou mineurs. « Il faut qu’on parvienne à 20 %
de logements sociaux dans toutes les communes de France», par exemple. Ici,
notons en passant, qu’égalité rime avec uniformité et se conjugue avec
l’objectif de mixité sociale, si cher dans certains milieux. Alors, des lois ad
hoc voient le jour, instituant ce « devoir » et des sanctions à l’encontre de
communes récalcitrantes, mauvais élèves. Cette pratique de la mise de notre
Droit au service d’objectifs gouvernementaux et de l’UE touche de nombreux
domaines écologiques, sociaux, économiques, etc.
Au point que
pour « imposer le respect de l’équilibre budgétaire de la nation », la solution
suprême et radicale serait, pour certains (et non des moindres) d’interdire
purement et simplement le déficit annuel et d’inscrire cette interdiction dans
la Constitution française. Ridicule ? Rappelons que le traité de Maastricht et
ses descendants imposent déjà la limitation du déficit annuel public à 3 % du
PIB et celle du montant de la dette à 60 % du PIB, sous peine de sanctions
financières accompagnées de la réprobation inflexible (en théorie et dans les
intentions initiales, au moins). Ces contraintes ne sont pas respectées par la
France, ainsi que par d’autres pays, nous le savons bien. Pour des raisons
internes à notre pays (gouvernance, « jeux » politiques, absence de grandes
priorités reconnues…) ainsi que par un contexte international particulièrement
défavorable qui a très peu de chances de s’améliorer du jour au lendemain. Dans
le cas (improbable) où l’interdiction du déficit était introduite dans la
Constitution, quelles sanctions pourraiton imaginer en
cas de défaillance plus ou moins coupable ?
Hara-kiri ou
licenciement de gouvernants… et de leurs successeurs l’année suivante ? Non. On
continuerait de voter des budgets en équilibre, sachant très bien qu’ils ne
seraient pas tenus. Gardons raison. Sinon on proposera bientôt de déverser dans
notre Constitution l’obligation de garantir une croissance annuelle minimum de 2
% (droit à la croissance opposable), l’interdiction du chômage (droit au travail
opposable), la promesse d’une augmentation annuelle du pouvoir d’achat pour tous
(droit au pouvoir d’achat opposable), etc. Aux grands mots (République, Valeurs,
Constitution…) utilisés pour bercer les citoyens d’illusions, vrais aveux
d’impuissance qui sèment le trouble et la pagaille, préférons les remèdes
efficaces, que la Loi ne peut inventer à notre place. Evitons que l’irréalisme
et la confusion sévissent davantage entre des « objectifs », des intentions, des
penchants et des obligations imposées à la société.
« Nos » lois et obligations proviennent
en partie croissante de Luxembourg et de Bruxelles. On n’entend cependant pas
parler de la perte de souveraineté de la France sur son Droit, qui complète et
aggrave notre perte de souveraineté budgétaire et financière, plus difficile à
cacher, à nier, elle.
« Nos » lois
sont votées par des « majorités » obtenues au Parlement. Or, en l’absence d’une
dose raisonnable de proportionnelle, le Parlement représente mal la population
française. Ses « majorités » ne correspondent souvent qu’à une minorité des
citoyens électeurs. Témoin, resté au travers de la gorge de nombreux d’entre
eux, l’adoption par voie parlementaire (et non par référendum) du fameux « mini
traité » de Lisbonne. Au-delà de sa « légalité », il n’est donc pas inutile ou
malsain de s’interroger sur la légitimité réelle de pans entiers de notre Droit.
En témoignent notamment les contestations et les remises en cause de
dispositions, « passées en force » ou non, considérées comme « partisanes »
et/ou « politiciennes » par des opposants, voire des sympathisants ou des
soutiens des partis gouvernants. Deux exemples inoubliables : les péripéties des
35 heures, les pérégrinations du bouclier fiscal ! La politisation exacerbe
l’instabilité juridique.
Le Droit
apparaissait comme un guide de référence, voire un garde-fou pour baliser,
garder le droit chemin. Il devient un énorme recueil de déclarations
d’intentions assorti d’un arsenal incitatif et/ou coercitif, répressif destiné à
changer les comportements, les « mentalités » pour faire évoluer, conformément
aux voeux d’une partie seulement des citoyens,
l’économie et la société. Les textes et leurs bras séculiers (Hauts comités…)
condamnant et sanctionnant les « discriminations » en tous genres, en sont une
illustration. Au nom d’une prétendue égalité (ou d’un égalitarisme rampant), ne
piétine-t-on pas les plates bandes de la liberté (de penser, de s’exprimer, en
particulier) et celles du Droit à la différence, à son individualité, à sa
propre personnalité ?
L’homme n’a
pas le droit de donner la mort à un être humain. Même à un criminel. La peine de
mort a été abolie. Avec le vieillissement de la population, le Droit et la
Justice risquent de se trouver plus souvent confrontés au difficile dilemme de
l’euthanasie. Qu’il s’agisse d’euthanasie passive ou active, les délicates
décisions de la Justice ne semblent pas avoir été marquées par un excès de
sévérité, pour les uns. D’autres estiment que la loi est obsolète et que
l’euthanasie ne devrait plus être condamnable. La Justice, elle, semble chercher
sa voie. Il serait sans doute préférable que la question soit prise à bras le
corps et clarifiée au niveau national (et non européen) plutôt que de laisser le
coup par coup et la jurisprudence qui peut en dériver occuper des places
dominantes.
À propos des
condamnations, l’acte délictuel ou criminel jugé est toujours un élément central
des procès pour « évaluer » la gravité de la faute et déterminer la sévérité des
sanctions applicables. Il semble cependant que, autour de l’acte et de ses
conséquences, l’individu, sa personnalité, son passé (depuis sa naissance), ses
relations avec autrui, son environnement… soient de plus en plus prises en
compte pour alléger ou alourdir les peines à retenir.
Ainsi, les «
circonstances » peuvent être trouvées plus« atténuantes », parfois grâce à des
défenses « de qualité », d’ailleurs, pour un incriminé qui a vécu une enfance et
une jeunesse pauvres, malheureuses, douloureuses, qui a subi des exactions
familiales ou autres qui l’ont profondément marqué et/ou ont orienté sa vie, que
pour un impétrant « courant » qui n’a pas connu de tels évènements. Concernant
le passé, le poids négatif des récidives, plus ou moins nombreuses, ne semble
pas apprécié uniformément. Pourquoi ?
Il arrive
aussi que l’on puisse observer, notamment en l’absence de preuves irréfutables
de la culpabilité d’un accusé, que son « profil » pèse lourd dans les sanctions
retenues contre lui. Il est vrai que « l’intime conviction » ne peut être
insensible à ce profil, rester neutre et indifférente
devant lui. C’est une des raisons pour lesquelles je suis contre les jurés
populaires en correctionnelle, que le gouvernement cherche à promouvoir, et qui,
à mon avis, ne représentent en rien la « République » que l’on prétend leur
faire incarner.
Les questions
relatives à notre Droit, surdimensionné, de sources hétérogènes quand ce n’est
en contradiction, en pleine « mutation » plus ou moins consciente et avouée, ne
manquent donc pas. Il ne faut pas les éluder !