Eté
2011
Mon
cher Jacques.
Le
temps passe vite ! Un an s'est écoulé depuis ma dernière lettre, cependant tu
vas voir que le temps ne fait rien à l'affaire et que tout reste
figé.
Septembre
2010
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L’âge de la retraite dont je t’ai parlé dans ma dernière lettre met le peuple de
France dans la rue. Mais l’umps ne comprend toujours
pas que derrière ces manifestations se cache en réalité,
pour les plus de cinquante ans, l’angoisse de perdre son emploi avant l’âge
fatidique et de ne plus en retrouver. Comment vivre dans l’espace-temps séparant
la fin des indemnités de chômage et le versement de la retraite
?
-
Le ministre des Finances cherche à développer ses recettes en supprimant toutes
les niches fiscales, mais en ne touchant pas aux professionnels de l’évasion
fiscale et à la spéculation financière. Ainsi peut-on faire une fondation, la
domicilier au Lichtenstein et acheter en son nom une île aux Seychelles. Tout
cela ne rentre pas dans le bouclier fiscal puisque échappant à la législation
française !
-
Sais-tu, toi, grand officier de la Légion d’Honneur que celle-ci sert de cartons
de remerciements à notre président pour service rendu à sa personne
?
Octobre
2010
-
La France a perdu deux de ses plus grands savants, le 1er octobre Georges
Charpak, quatre-vingt-six ans, prix Nobel de Physique en 1992 et le 9 octobre
Maurice Allais quatre-vingt-dix-neuf ans, prix Nobel d’économie en 1988. Le
premier avait refusé de se rendre en URSS pour participer, à Doubna près de
Moscou, à un congrès international qui devait être consacré entre autres à
certaines de ses inventions. Il entendait protester contre la condamnation à
sept ans de camp, pour propagande antisoviétique, qui venait d’être prononcée à
l’encontre du physicien Youri Orlov. Le second a dénoncé ce qu’il a appelé «
l’aveuglement de la logique néolibérale et de la libéralisation totale du
commerce international » en plaidant pour un « protectionnisme éclairé ». Nos
politiques feraient bien de s’inspirer de ces deux-là.
-
La France est toujours dans la rue et le mouvement s’amplifie. Les
contestataires demandent au Président de s’expliquer sur une de ses promesses
électorales faites en 2008 « je ne toucherai pas à la retraite à soixante ans
»
Novembre
2010
-
La loi sur les retraites est enfin votée et la cote de popularité du Président
n’a jamais été aussi basse sous la Ve République.
-
Une affaire chasse l’autre, après Clearstream,
l’affaire de Karachi ; cette histoire de mauvais pot de vin pakistanais saoule
le pouvoir.
-
Après six mois d’annonces diverses et variées, le Gouvernement est profondément
remanié : on secoue, on prend les mêmes à des postes différents et on continue,
l’ouverture se ferme et le centre se décentre. Exception, le meilleur d’entre
nous qui avait juré que l’on ne pouvait diriger une grande ville et être
ministre est atteint de la maladie d’Alzheimer et devient ministre de la Défense
tout en restant maire de Bordeaux.
Décembre
2010
-
Les turpitudes de la diplomatie étatsunienne portées à la connaissance du monde
sur le site WikiLeaks commencent à bouleverser les
relations interétatiques. Espérons que cela ne génère pas de nouveaux conflits.
-
Le secrétaire général de l’UMP et le président de groupe de ce parti à
l’Assemblée nationale ont tenté de s’opposer à un texte visant à plus de
transparence financière pour les parlementaires via un amendement cosigné par
seize députés. Jean-François Copé et Christian Jacob ont, en effet, voulu
supprimer l’instauration d’une incrimination pénale spécifique pour les députés
faisant une déclaration de revenus et de patrimoine volontairement incomplète ou
mensongère. Une disposition qui avait pourtant été adoptée en commission des
lois. Insupportable. Le premier nous avait déjà habitués au mélange des genres
en étant député-maire-avocat, voici que maintenant il nous dit clairement que
les riches et les puissants ne sauraient être soumis aux mêmes lois que le
vulgum pecus. Électeurs meldoises et meldois, provinois, provinoises, adhérentes
et adhérents de l’UMP, vous voilà prévenus ! Vous n’êtes pas de la même caste ;
cependant, manants, votez comme je vous le dis, sinon… !
Janvier
2011
-
Les peuples de Tunisie et d’Égypte font la révolution pour chasser leurs
dictateurs respectifs et notre ministre des Affaires étrangères, Mme
Alliot-Marie (successeur d’un ex-médecin reconverti dans le « conseil »),
propose à Ben Ali le « savoir-faire » de la police française et déclare au Caire
que ce qui caractérise le pouvoir de Moubarak c’est son « souci de la démocratie
et de la tolérance» ! Décidemment nos ministres des Affaires étrangères se
suivent et continuent à bafouer les valeurs gaullistes du droit des peuples à
déterminer eux-mêmes leur avenir… sans parler de la piètre image qu’ils donnent
de la France.
-
Le tremblement de terre qui a dévasté Haïti il y a un an n’intéresse plus
personne et les Haïtiens continuent à mourir dans l’indifférence
générale.
Février
2011
-
La Révolution arabe se propage en Lybie. Le colonel Kadhafi mitraille, bombarde
et extermine les opposants. L’Otan intervient. Français et Britanniques sont
très impliqués, les Allemands et les Italiens s’en foutent
!
Mars
2011
-
Un tremblement de terre suivi d’un tsunami a ravagé le Japon. Une centrale
nucléaire n’a pas résisté et pour l’heure on ne sait comment arrêter
l’hémorragie de matière radioactive qui se déverse dans l’océan et imprègne le
sous-sol.
-
Les élections cantonales ont vu la victoire des abstentionnistes avec près de 60
% et… la montée en puissance du Front National sous la houlette de son nouveau
président, Marine Le Pen, fille du cidevant
Jean-Marie.
-
Suite à la Grèce et à l’Irlande, le Portugal est au bord de la faillite et
demande l’aide de l’Europe. Quant à l’Islande, elle aussi en faillite mais à la
suite d’un référendum, ses habitants ont décidé de faire un « bras d’honneur »
aux banquiers. Affaire à suivre.
-
La Côte d’Ivoire est à feu et à sang, Gbagbo, président déchu ne veut pas
laisser le pouvoir à son successeur élu, Ouattara. La force onusienne intervient
et la France avec.
-
Le débat sur la laïcité divise plus qu’il ne rassemble les Français. Rien
d’étonnant puisque c’est le secrétaire général de l’UMP, l’omniscient
Jean-François Coppé qui le mène
!
Avril
2011
-
La France et l’Otan poursuivent leur action en Lybie, les Étatsuniens se font
tirer l’oreille pour envoyer leurs avions bombardés les troupes du
dictateur.
-
La Syrie se réveille à son tour. Le président, en digne fils de son père, faire
tirer sur la foule et pendant ce temps Israël poursuit son expansion, dans une
curieuse indifférence médiatique, et continue de construire dans les territoires
occupés et à mépriser totalement les palestiniens
-
Les peuples de Bahreïn, du Yémen, d’Oman contestent à leur
tour.
-
Je reviens de Cuba. Parcourir les avenues et les rues de la capitale cubaine
c’est comprendre pourquoi lorsque le passé n’éclaire pas le présent l’avenir est
dans les ténèbres. Ce musée en plein air où se côtoient vestiges d’un passé
glorieux et ruines annoncées d’un avenir incertain laisse le visiteur, soucieux
de ne pas se laisser influencer par les propos dithyrambiques de voyagistes en
mal de clients et de nostalgiques des nuits cubaines où mojito et Hemingway ne font plus qu’un, perplexe et pour
tout dire avec un immense sentiment de gâchis. Ne pas entretenir ce qui rappelle
la période pré-castriste peut, après tout, être une attitude mais alors il eût
mieux fallu tout démolir… Façades fantomatiques, squelettes flamboyants de palacios, vous nous rappelez à chaque détour que vous étiez
les témoins de la « Perle des Caraïbes ».
Puissance
coloniale du XVIIe siècle, bourgeoisie du XIX e siècle, pompe de la République,
société des plaisirs du Vetado, toutes ces époques ont
imprimé leurs marques. Souvenir d’un temps où à La Havane tout était permis,
audaces artistiques et architecturales, excès, extravagances, trafics en tout
genre et argent roi. La Révolution a tout renié… et les Habaneros essaient de vivre les pieds dans les ruines d’un
passé combattu, la tête dans un présent où la période spéciale s’éternise et
avec l’espoir d’un autre futur pour leurs enfants. Curieuse destinée pour les
dirigeants de ce pays aujourd’hui obligés d’entretenir maison et bateau d’un
écrivain étatsunien, d’exhiber ce qui reste de fauteuils et chaises défoncés
datant de l’époque coloniale, oripeaux d’un passé honni, pour développer un
tourisme pourvoyeur d’emplois et source de devises.
Mai
2011
-
La France et l’Italie ne savent comment régler le problème de l’afflux des
réfugiés tunisiens et proposent de modifier le traité de
Schengen.
-
Dominique Strauss Kahn, président du FMI et prétendant à la succession de
Nicolas Sarkozy à la tête de l’État est impliqué dans une affaire de sexe aux
États-Unis. Il est accusé de viol sur une jeune femme de trente-deux ans, femme
de chambre dans l’hôtel où il résidait à New York. La police l’a arrêté au
moment où son avion s’apprêtait à décoller. Cette affaire a occupé les médias et
le microcosme durant tout le mois, on a atteint la
saturation.
Juin
2011
-
Les élections présidentielles occupent l’espace audio-visuel. Les Verts
organisent leur primaire avec sur le ring à ma droite un consommateur de CO2,
chouchou des médias et à ma gauche une juge un peu raide et pas très
convaincante.
Quant
aux primaires socialistes elles s’opposeront pas moins de cinq candidats :
Aubry, Hollande, Montebourg, Royal, Vals, à suivre. La droite s’enrichit d’une
nouvelle candidature :
Christine
Boutin. Le centre est toujours dans l’incertitude de l’apparition du chantre du
développement durable. L’extrême-gauche a perdu son facteur parti pédaler sous
d’autres cieux. Les Communistes ont réussi un tour de force, choisir pour les
représenter un trotskiste qui n’avait pas de mots assez durs pour les
vilipender. Ah la politique est une chose bien plaisante !
-
Jeu de chaises musicales au Gouvernement : Christine Lagarde, élue à présidente
du FMI en remplacement de l’infortuné DSK, laisse sa place au très chiraquien
Baroin qui dit-elle « sous sa gueule d’ange est un
redoutable adversaire », lequel Baroin laisse la
sienne à Pécresse, laquelle laisse sa place à...,
etc.
Par
ailleurs les « Français de l’étranger » sont heureux d’apprendre qu’ils ont
maintenant un secrétaire d’État, ancien judoka, qui envoie au tapis en se
mélangeant les pinceaux les mots se terminant en al(e).
Juillet
2011
-
Coup de tonnerre dans le Landerneau médiatico-politique : DSK est coupable mais pas condamnable,
sa victime a joué la comédie et a menti au procureur étatsunien. Inadmissible.
La classe politique se réjouit de cet état de fait et ne se pose pas de
questions sur son attitude à présenter au « bon » peuple un candidat de,
paraît-il, grande valeur, digne d’occuper la plus haute place alors qu’elle
«connaissait » de longue date la pathologie du candidat... Quel mépris de la
France !
-
Au départ du Tour de France, un champion dopé qui ne se dope pas mais dope les
financiers-organisateurs. Comme quoi l’histoire se répète, le Tour étant
universel il suffisait de se rendre des États-Unis en
Espagne.
Août
2011
-
Notre Président entre deux randonnées vélocipédiques a fait un saut à Paris pour
rencontrer la sémillante Angela Merkel. Le «
couple-moteur » n’était pas sur le même braquet, il semble même pour tout te
dire que les vacances aient fatigué notre président car il était en roue
libre.
-
Les États-Unis ont été déclassés, perdu le triple AAA cher à la finance
globalisée, les néo-libéraux sont dans tous leurs
émois. Notre consternant Premier ministre s’affole, la dette continue de
grossir.. allons-nous aussi
être mal noté par une officine new-yorkaise ? Allons donc on va réduire. notre dette et s’attaquer aux niches fiscales, augmenter les
taux de TVA anormalement bas, demander aux retraités un effort et quand même
faire payer les hauts revenus... ainsi leur sera-t-il demandé une taxe
exceptionnelle (heureusement temporaire) de 3 % sur le revenu fiscal de
référence (capital et travail) à partir de 500.000 euros. Ouf ! J’oubliais
l’État devra aussi réduire ses dépenses... c’est sans doute pour cela que la
réfection de l’Élysée s’est faite cet été au pas de charge et en dépit de toutes
les règles liées au temps de travail. Nous sommes sauvés les revenus liés à la
spéculation financière paieront toujours moins d’impôts que ceux liés au
travail. Les banques pourront continuer à refuser des prêts aux particuliers et
aux PME et continuer à faire joujou avec leurs dépôts. Le royaume de France
attend la Révolte des Modérés... qui a commencé en Espagne, en Angleterre et en
Israël.
Tu
vois Jacques, lorsque tu reviendras il te suffira de t’asseoir derrière ton
bureau et de reprendre la phrase là où tu l’avais laissée. Rien n’a changé…
À
l’année prochaine, je t’embrasse.
Georges
Aimé.