FUSION DE L’IR ET DE LA CSG :
POUR
QUOI FAIRE ?
par
Paul Kloboukoff
Une nouvelle trituration de notre fiscalité sur les revenus peut-elle viser
une baisse de la masse des impôts prélevés en France ? Non. Notre douloureuse
expérience passée, l’ampleur des déficits publics actuels et prévus, ainsi que
la revendication montante, avec l’ascension des prix des carburants, d’une
réduction des impôts et taxes pétroliers, démontrent que l’évocation d’une
baisse relève du mensonge politicien racoleur. De nos jours, « réformer », c’est
d’abord sabrer dans l’existant, même et surtout si celui-ci résulte largement de
réformes et/ ou de changements antérieurs que l’on a soi même
effectués.
À cet égard, les partis dominants de gauche et de droite se sont
accordés et désaccordés sur de nombreux points et peuvent se partager les
responsabilités des imperfections, des insuffisances, des lacunes, des
aberrations qui entachent notre fiscalité, parmi lesquelles les « niches »
fiscales, les exonérations, les rabais, remises, ristournes accordés, le
bouclier ainsi que les primes ou les pénalisations qui ont compliqué, obscurci,
rendu difforme notre système des prélèvements obligatoires. Entre partis de
gauche et de droite, une entente, au moins tacite, a conduit à faire de l’Impôt
sur le revenu (IR) un impôt de la redistribution. Et leurs sempiternelles
oppositions portent essentiellement sur les « taux » de fiscalisation et les
conditions d’allègement ou de défiscalisation à appliquer aux contribuables,
principalement en fonction du niveau des revenus et de la composition des
foyers. Selon, des réformistes du PS, l’IR vivrait « une lente agonie ». Parce
qu’il progresserait peu globalement (+ 5,6 % de 2001 à 2008). Alors, il
s’agirait de le tuer. Et on propose de le fusionner avec la Contribution sociale
généralisée (CSG), qui serait plus dynamique (+ 17,8 % de 2001 à 2008) et, de
vocation peu ou pas redistributive. En 2008, l’IR
rapporte 48,4 milliards d’euros (Mi €),« globalement »,
alors que les prélèvements de la CSG atteignent83,4 Mi €. Si la « réforme »
intervient, le petit IR sera-t-il avalé par la grande CSG ? L’IR sera-t-il
dominant ? En ira-til autrement ? Dans quels buts ?
Pour quoi faire ? La question peut être posée, avant de vouloir engager des «
débats » et des marchandages sur les hypothétiques tranches et taux du nouveau
prélèvement.
La prétendue « lente agonie » de l’IR
Si la progression de la masse globale de l’IR n’a été que + 5,6 % de
2001 à 2008, celle-ci avait bondi, juste avant, pendant la bulle financière de
la fin du vingtième siècle, de près de + 20 % en quatre ans, de 1997 à 2001.
Ainsi, de 1997 à 2008, l’IR a enregistré + 26,6 %. Pas négligeable ! Près de la
moitié des contribuables (46,6 % en 2009, soit près de 17 millions de foyers) ne
sont pas imposables à l’impôt sur le revenu. Il y même des contribuables
rémunérés ; ainsi, 8,2 millions de foyers bénéficient de la prime pour l’emploi
(PPE) pour un montant total de3,92 Mi € en 2009,
montant qui vient réduire la masse totale de l’IR encaissé. Le Trésor en verse
2,36 Mi € par chèques à4,68 millions de foyers non
imposables et le reste vient diminuer l’IR (et le nombre) des foyers imposables.
À elle seule, la PPE fait baisser les recettes totales de l’IR de moins 8,6
%.
On sait aussi que de multiples possibilités de réduction de la charge
fiscale, que certains appellent « niches », sont ouvertes aux contribuables pour
des motifs divers. Un exemple emblématique est le déterminant quotient familial,
contesté par la gauche, qui voudrait le remplacer par un crédit d’impôt, et sur
lequel une partie de la droite semble disposée à lâcher du lest. La question est
tellement importante, non seulement par ses impacts fiscaux, mais aussi en
raison de ses enjeux en matière de politique de population et de choix sociaux,
qu’il est indispensable qu’elle fasse l’objet d’une attention particulière et de
très sérieux débats entre toutes les parties concernées et ne soit pas « traitée
» plus ou moins en catimini, noyée dans une réforme attrape-tout
précipitée.
En outre, certaines catégories de revenus ne sont pas imposables, telles
les prestations familiales, les allocations logement, les intérêts des livrets
A, des livrets jeunes, etc. Pour l’ensemble de ces raisons, l’IR est considéré
comme « mité ». Pas de façon absurde en tous points. Et les options
envisageables de « démitage » sont assez nombreuses et
« discutables » pour justifier aussi de tête froide et raison garder, de grande concertation
organiser.
Spécialisation dans la redistribution de l’împôt sur le revenu
Sur un IR total net de 44,9 Mi € en 2009, la contribution de l’ensemble
des foyers imposables dont les revenus fiscaux ne dépassent pas 15.000 euros est
négative (– 2,6 Mi €). L’explication se trouve essentiellement dans les primes à
l’emploi (impôts négatifs) et la « modération » de l’imposition des revenus du
bas de l’échelle. Cette modération se lit aussi dans la tranche des revenus
fiscaux compris entre 15.000 et 28.750 €. 8,5 millions de foyers y sont imposés
pour 4,6 Mi € au total, soit 543 € par foyer en moyenne. Quant aux 5,5 millions
de foyers des classes moyennes dont le revenu fiscal va de 28.750 € à 48.750 €,
ils s’acquittent de9,7 Mi €, soit de 1.750 € par foyer
en moyenne. La sauce fiscale s’épaissit nettement entre 48.750 et 97.500 € de
revenu. 2,4 millions de contribuables (6,6 % de tous les contribuables) paient
13,5 Mi € (30 % du total de l’IR) et5.656 € par foyer en moyenne. Au sommet,
au-delà de 97.500 €, on trouve 570.000 foyers (1,55 % du total) qui déboursent
19,6 Mi € (43,8 % de l’IR total), et 34.470 € par foyer en
moyenne.
Sans entrer dans la polémique habituelle sur la justice ou l’injustice
des taux de prélèvements sur les « pauvres », les classes moyennes, les « aisés
» et les « très riches », on peut observer que :
- une majorité des foyers (non imposables et imposables) ne paient pas l’Impôt sur le
revenu ;
- près des trois quarts de l’IR sont acquittés par seulement 8,1 % des
foyers fiscaux. Cette forte concentration de l’impôt sur les plus hauts revenus
fragilise et rigidifie l’IR.
Aussi, que l’on pense appliquer à la CSG la même logique «progressiviste » a de quoi inquiéter sérieusement les
ménages aux revenus supérieurs à la moyenne, ainsi que tous les citoyens qui
craignent qu’un tel choix ne conduise au même type d’impasse que celui que nous
connaissons avec l’IR face à des dépenses hors de
contrôle.
CSG : une inconnue prélevée à notre insu par une multitude de
collecteurs.
Savez-vous combien vous payez au titre de la CSG et de la CRDS
?
Moi, je l’ignore, sans doute comme presque tous les contribuables. Pour
le calculer, il faudrait que je totalise les prélèvements de sept caisses sur
mes pensions et sur celles de ma femme ainsi que ceux opérés sur nos revenus
financiers non exonérés. Décourageant, donc. Mais, moins les citoyens sont
conscients de ce qu’ils paient, moins ils sont censés souffrir… et se rebeller.
C’est un des préceptes de base de notre gouvernance fiscale, qui use, à cet
effet, de deux lotions lénifiantes, le prélèvement à la source et la
mensualisation qui, en outre, banalisent les taxations, les font entrer dans
notre quotidien. En 1990, lorsque Michel Rocard a décidé de créer la
Contribution sociale généralisée (CSG), l’idée était de diversifier les
prélèvements et d’en élargir l’assiette au profit d’une Protection sociale déjà
insatiable et débordante. La CSG est un impôt « individuel », alors que l’IR est
« familialisé ». La différence n’est ni mince ni
neutre, fiscalement et socialement. La familialisation
est un ciment de la vie en commun, de la solidarité. Toute tentative
d’individualisation de l’IR exige donc plus qu’une approche superficielle,
accessoire, bâclée.
La CSG est réputée payée par tous les contribuables par prélèvements à
la source sur chacun des revenus de chacun des individus concernés. Les retenues
sont effectuées par les entreprises et les organismes qui versent les salaires
et les autres revenus d’activités, les revenus de remplacement (pensions,
allocations chômage, de préretraite, indemnités maladie, maternité, accidents…),
les revenus du patrimoine (financiers, mobiliers, fonciers…). Comme la CSG
auxquels ils sont associés, la Contribution pour le remboursement de la dette
sociale (CRDS), le Prélèvement social et le Prélèvement pour le Revenu de
solidarité active (RSA) ne s’appliquent pas de façon uniforme à toutes les
catégories de contribuables. Certains revenus échappent également à leurs
emprises. Aussi, le nombre de contribuables payant la CSG est inférieur à celui de l’ensemble des contribuables. Quels sont
les effectifs correspondants ? Mystère ! Je n’ai pas trouvé de statistiques sur
ces effectifs. Les seuls chiffres accessibles sont ceux des recettes totales de
la CSG et des trois impôts associés.
Le prélèvement « décentralisé » à la source (on devrait plutôt dire aux
sources) semble être la principale cause de l’impossibilité « technique » de
dénombrer les contribuables. Ni en totalité, ni par tranches de revenus ou
d’impôts, ni par catégories économiques ou sociales. Alors, on semble se
contenter de résultats d’enquêtes par échantillons (voir ci-après), auprès des
ménages, en particulier, pour évaluer une partie des impacts financiers des
choix fiscaux mis en oeuvre. Cette malvoyance peut
s’étendre s’il est décidé de prélever à la source le nouveau couple (IR + CSG).
Alors, l’information précise, qu’autorisent les impositions déclaratives de l’IR
et la centralisation par le Trésor, sera perdue pour les « acteurs sociaux »…
Sauf si le processus de retenue à la source est complété par une déclaration de revenus annuelle (à posteriori) identifiant et chiffrant toutes les catégories d’impôts
payés… par prélèvement à la source, notamment. Davantage de travail en
perspective dans ce cas pour les contribuables… et pour les services
fiscaux.
Au sujet du dynamisme forcé de la CSG
Rapidement insuffisante face aux dérives des dépenses de santé et aux
déficits persistants de la Sécu, la CSG a été majorée plusieurs fois. De 1,1 %
en 1990, Edouard Balladur l’a portée à 2,4 % en 1993. Sous Alain Juppé, en 1996,
la CSG est passée à 3,4 %, et la CRDS à 0,5 % a vu le jour. Sous Lionel Jospin,
le taux de la CSG a été monté à 7,5 %. Ce taux de 7,5 % s’applique aux revenus
d’activité (qui procurent l’essentiel des recettes). Les taux sont de 6,20 % sur
les indemnités chômage, de 6,60 % sur les retraites et de 8,50% sur les revenus
du patrimoine. Et, pour simplifier encore un peu les choses, une partie
seulement de la CSG est déductible du revenu imposable à l’IR. Sur les revenus
du patrimoine et les produits de placement sont aussi venus s’ajouter le
Prélèvement social destiné à financer les retraites (2 %), la contribution de
Solidarité autonomie (0,3 %) et le prélèvement RSA (1,1
%).
Les créations et les majorations successives des taux expliquent en
grande partie le « dynamisme » et la croissance de la CSG. Surtout jusqu’à l’an
2001 où elle a atteint 61,7 Mi €. Depuis2001, la progression s’est nettement
ralentie jusqu’à 2004 avant de reprendre pour arriver à 81,3 Mi € en 2009. De
son côté, la CRDS rapporte 5,9 Mi €. Pour que la nouvelle formule soit «
dynamique », sans qu’il soit nécessaire d’aggraver périodiquement les taux, il
serait utile que l’assiette (ou les assiettes) des prélèvements ait, elle-même,
un bon potentiel de croissance. Par rapport à la CSG actuelle, une orientation
décisive serait, lit-on, l’établissement d’une plus rigoureuse justice sociale
rendant l’impôt plus progressif et majorant la taxation des revenus les plus
élevés. Une nouvelle redistribution ainsi conçue peut éventuellement conduire à
augmenter le montant total des recettes fiscales (but inavoué, mais évident, de
la manoeuvre)… ponctuellement. Mais par la suite, pour
que le pari soi gagnant, il faudrait que les revenus (d’activités et financiers)
les plus élevés croissent plus que les autres revenus et jouent ainsi un rôle
d’accélérateur fiscal. Perspective réaliste, en France ?
La réforme pourrait aussi tenter de prendre plus de foyers aux revenus
faibles et modestes dans les mailles plus serrées d’un filet laissant passer
moins de primes, d’exonérations, de réductions et taillé pour limiter les niches
fiscales réduisant les impositions, au dessous de zéro, en particulier. Une
telle approche se heurterait de plein fouet aux oppositions de gauche et sans
doute aussi du « centre ». Elle ne peut, cependant, pas être exclue totalement,
compte tenu des déficits et des contraintes financières, et pourrait faire
partie du deal final… s’il y en avait un. Dans un tel cas, par la suite, le dynamisme
de l’impôt reposerait sur une base élargie… tant qu’on ne déciderait pas à
nouveau que l’hyper priorité est la réduction des inégalités de revenus, et que
tous les moyens sont bons pour y parvenir.
La CSG, un impôt progressif redistributif
aussiDans France, portrait social, l’INSEE présente des tableaux donnant des estimations des prélèvements
obligatoires et de la redistribution par équivalent adulte en fonction des
revenus, partagés en cinq quintiles des niveaux de vie (source : Insee- DGI, enquête revenus fiscaux, modèle Ines, calculs Drees et Insee). La CSG et la CRDS y figurent, comme l’IR. Les données concernent 2008.
Un quintile correspond à 20 % de la population des contribuables. Dans le
premier quintile (Q1), le Revenu disponible (RD) moyen après prélèvements et
redistribution est de 10.610 €, le total de la CSG acquitté par individu est de
420 €, soit 4 % du RD. Dans Q2, le RD est de 15.200 € et la CSG moyenne de 1.040
€, soit 6,8 % du RD. Dans Q3, le RD est de 19.200 € et la CSG de 1.670 €,
soit8,7 % du RD. Dans Q4, le RD est de 24.230 € et la CSG de 2.300 €, soit9,5 % du RD. Dans Q5, le RD moyen atteint 43.020 € et la CSG,
4.770 €, soit11,1 % du RD moyen.
Pour l’ensemble de la population, le RD moyen d’un individu se situe à
22.450 € et la CSG à 2.050 €, soit 9,1 % du Revenu disponible moyen.
Contrairement aux dires habituels, la CSG est donc loin d’être un impôt
proportionnel, au taux à peu près égal pour tous. Dans la pratique, ce
prélèvement s’avère progressif en fonction des revenus. À eux seuls, les 20 %
des contribuables du cinquième quintile paient ainsi 47 % du total de la CSG, et
ceux de Q4 : 22 %. Soit 69 % ensemble. Cette progressivité vient de
l’exonération de la CSG de certains revenus tels :
- les prestations familiales, les aides au logement, les allocations de
chômage et de préretraite lorsque la CSG fait passer l’allocation au dessous du
niveau du SMIC ;
- le RSA, les bourses, les pensions alimentaires, l’allocation aux
adultes handicapés, etc ;
- les intérêts des livrets A, des livrets jeunes, des livrets d’épargne
populaire (LEP), des LDD (ex CODEVI).
D’un autre côté, les prélèvements social et RSA
ne s’appliquent qu’aux revenus financiers. Comme par l’IR, la politique de
redistribution s’exprime ainsi par la CSG
Vers une réforme d’ensemble cohérente des prélèvements obligatoires et
de la redistribution ?
Une partie du travail de « progressivisation »
de la CSG, que d’aucuns affichent comme un objectif, voire une finalité, est
ainsi déjà réalisée. Il ne reste plus aux réformateurs qu’à secouer une fois
encore le cocotier et à introduire de nouvelles règles de redistribution. Car,
ne nous leurrons pas, une réforme fiscale d’importance ne peut pas être limitée
à la fiscalité. C’est l’ensemble du système de prélèvement et redistribution
qu’on devra inévitablement mettre en cause, redéfinir… si on veut un minimum de
cohérence. La TVA recèle aussi des niches fiscales (le taux à 5 ,5 % dans la
restauration, tant critiqué, par exemple). Les niches sont partout. Selon la
Cour des comptes, elles ne représenteraient pas « que » les 70,7 milliards «
officiels », mais se monteraient à
140 milliards de déductions fiscales… si l’on n’omet pas de compter la
centaine de niches anciennes existantes qui ont été pérennisées et, de ce fait,
banalisées. (Source : Marianne 2, article du 10 février 2010.) Prendre le nettoyage des niches fiscales
pour prétexte de la fusion IR + CSG parait bien puéril. D’ailleurs, notre
président a déjà pris le problème à bras le corps, avec la constance et le
bonheur que nous savons.
N’était-il pas question récemment d’instaurer une TVA sociale, pour remettre à niveau les ressources de la protection sociale ?
Pense-t-on abandonner sur un coup de tête un projet qui comporte l’intérêt de
majorer le coût des importations concurrençant nos produits dans des conditions
souvent inacceptables ? Et, oubliet- on les plaintes
et les complaintes des collectivités locales dont les dépenses, sociales en
particulier, courent devant leurs recettes ? Il n’est pas sûr que les amateurs
et les professionnels du changement pour le changement en soient tous
conscients. Sinon, on parlerait de « Réforme du système des prélèvements
obligatoires (y compris cotisations sociales) et de la redistribution », et on
évoquerait une piste, parmi d’autres, visant à associer l’IR et la CSG. Il
faudra sans doute plusieurs années pour qu’un avant projet de réforme soit
élaboré, étudié et débattu avec le sérieux requis, avant d’être soumis à des
choix électoraux. La précipitation et la fébrilité sont donc
inutiles.