«
NOTRE HOMME », À PESHAWAR
par Luc Beyer de ryke,
« We got him ! » « Nous l’avons eu ! » Ce fut le cri du coeur
de Barak Obama à l’exécution d’Oussama Ben Laden. Il
fallut dix ans pour que « justice soit faite ». Dix ans que le 11 septembre dont
on a peutêtre minimisé l’onde de choc qui a ébranlé
chaque Américain jusqu’au plus profond de lui-même.
Les états-Unis s’étaient assignés pour objectif : la guerre zéro mort. Pour eux, pas
pour leurs ennemis… But réalisé lors de la première du Golfe. Voilà que le 11
septembre 2001 l’attentat contre les Twin Towers, ces tours jumelles image-phare de la réussite américaine, fait mourir
plus de trois mille Américains. Des civils, pas des militaires. El l’homme qui
est l’initiateur et le commanditaire de ce massacre fut « leur » homme avant
d’avoir échappé à son maître tel le Golem. Je me remémore l’entretien que j’eus,
lorsque je siégeais au parlement européen à Bruxelles, avec Brzezinski dans les années 80.
Il avait joué auprès de Jimmy Carter le rôle qu’avait eu Kiesinger
auprès de Nixon. C’était par une belle journée ensoleillée. Je l’avais rencontré
dans une propriété amie et je nous revois, devisant familièrement sur une
pelouse tondue à ras qui aurait pu rivaliser avec un green anglais. L’intervention soviétique battait son plein en Afghanistan.
Elle se heurtait à la résistance farouche, sans merci des islamistes. Je
l’interrogeai à propos du sentiment éprouvé à l’égard de ces alliés peut-être
encombrants. D’un revers de la main et la parole définitive il rejeta mes
préventions. « Ce sont nos meilleurs alliés ! »
Parmi eux, Oussama Ben Laden qui, à Peshawar, avait ouvert « Beit-al-Ansar », la « Maison du
combattant » où il accueillait et formait des djihadistes venus de tout le monde arabe. Avec des dollars
de la CIA. C’est à cette scène vécue à Bruxelles que je songeai chaque fois
qu’il fut plus tard question de Ben Laden. Nos actes nous suivent. Peut-être
l’exécution de celui qui fut « notre homme » en Afghanistan permettra-t-il
d’exorciser le traumatisme de l’Amérique. À coup sûr il ne constituera pas
l’épilogue du terrorisme.
L’après Ben Laden
Le successeur de Ben Laden est sans doute à désigner mais il est déjà en
place. Il s’appelle Ayman Al-Zawahiri. Bras droit du défunt depuis vingt ans, selon É ric
Rouleau il est le véritable cerveau d’Al-Quaida. À
Françoise Germain- Robin dans L’Humanité, il brosse le portrait de l’homme : « C’est un Égyptien, un chirurgien réputé, beaucoup plus instruit et
sophistiqué que Ben Laden. […]Il a toujours été un musulman extrémiste. […] Il a
participé à l’assassinat de Sadate et a été condamné pour cela. […] C’est lui
aussi qui a été le cerveau de tous les grands attentats. » Voilà qui est peu réconfortant si l’on en croit le spécialiste du
Moyen-Orient qu’est É ric Rouleau. Ce qui pourrait diluer ce pessimisme lucide
ce sont les courants profonds qui traversent et parfois submergent le monde
arabe.
L’islamisme est loin d’être éradiqué, mais son modèle paraît désormais
inspiré par l’AKP en Turquie. Ainsi en É gypte les
Frères Musulmans se transforment en parti politique qui se choisit comme
dénomination « paix et Justice ». Que cette voie diffère fondamentalement des
options occidentales et, a fortiori, du laïcisme français est une évidence. Mais
qu’elle emprunte les règles d’une société de dialogue et non celles des affrontements armés ne peut que
réjouir.
Cela étant, le terrorisme n’a pas dit son dernier mot à condition qu’il
puisse un jour y avoir un dernier mot ce dont je doute. N’imaginons pas non plus
que Ben Laden mort cela suffise à nous faire replier nos étendards en
Afghanistan et à remiser l’arsenal de cette Star War au pays des Talibans. Qui dit Afghanistan dit Pakistan puissance
nucléaire, qui dit Pakistan dit Cachemire soit la pomme de discorde avec l’Inde.
Autant d’enjeux énormes dans la région. Avec Ben Laden un symbole a été abattu.
Demeure la réalité.