L’ENTENTE FRANCO-ALLEMANDE

« Un équilibre stratégique pour l’Europe selon le Général de GAULLE »

 

Par Christine ALFARGE

La France et l’Allemagne jouent un rôle moteur dans la construction européenne, un choix porté et incarné par les gouvernements des deux pays, sur le mode du tandem entre président de la République française et chancelier fédéral allemand. La volonté de lier le destin des deux pays n’efface pas toujours les divergences de conception ou d’intérêts.

Quels sont les fondements des relations franco-allemandes ?

Au regard de l’histoire, l’attitude du Général de GAULLE vis-à-vis de l’Allemagne fut de comprendre ce qu’était l’adversaire. Outre sa connaissance pour la langue allemande, la littérature et la philosophie, il approfondira cette connaissance en captivité à Ingolstadt pendant la première guerre mondiale à travers son ouvrage « la discorde chez l’ennemi » qui paraîtra en 1924 sur fond d’observation des forces mais aussi de certaines faiblesses de ce pays. Le Général de GAULLE se livrera à la fois à un hommage « au peuple  allemand vaillant et à ses chefs avec leur audace et leur esprit d’entreprise », des critiques envers les militaires notamment le manque de coordination dans le commandement allemand et enfin évoquera de manière détaillée la déroute du peuple allemand lors de la défaite en été et en automne 1918.

Mais le Général de GAULLE était lucide et ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur ce qui pouvait se passer pour la France après la victoire de 1918.  Dès le 1er mars 1925, il publia dans la Revue militaire française un article dans lequel, il insistait sur la fragilité de la frontière nord-est de la France et sur l’obligation de contenir une nouvelle agression allemande en renforçant un certain nombre de places. Il savait que la Reichswehr (force de défense du Reich) était toujours vaillante et que de nombreux allemands souhaitaient une guerre de revanche. En mars 1929, il prit note que l’Allemagne avait des projets d’annexion de l’Autriche, d’invasion de la Pologne et de récupération de l’Alsace-Lorraine. Dès l’année 1933, le Général de GAULLE n’avait pas de doutes non plus sur les desseins du nouveau régime incarné par Hitler.

Son ouvrage « Vers une armée de métier » publié en 1934, traduisait les convictions qui s’étaient forgées dans son esprit pendant ces dernières années. En voici quelques lignes « Car, entre Gaulois et Germains, les victoires alternatives n’ont rien tranché ni rien assouvi. Parfois, épuisés par la guerre, les deux peuples semblent se rapprocher, comme s’appuient l’un sur l’autre des lutteurs chancelants. Mais, sitôt remis, chacun se prend à guetter l’adversaire. Une pareille instabilité tient à la nature des choses… L’opposition des tempéraments avive cette amertume. Ce n’est point que chacun méconnaisse la valeur de l’autre et ne se prenne à rêver, parfois aux grandes choses qu’on pourrait faire ensemble. Mais les réactions sont si différentes, qu’elles tiennent les deux peuples en état constant de méfiance. » A l’avenir, le Général ne doutait pas qu’une crise nouvelle inciterait encore une fois, les allemands vers Paris. Dans ce livre, il développait toute sa théorie de la nécessité de grandes unités blindées et motorisées, basées sur le progrès technique et scientifique afin d’empêcher que le destin de la France ne soit définitivement scellé par l’agression venant de l’Est et du Nord. Hélas, il avait prévu la tragédie de 1940. Lorsqu’il fut appelé au gouvernement de Paul Reynaud en juin 1940, il était trop tard, ses idées pour lesquelles il avait lutté contre les divers gouvernements et surtout contre l’état-major, avaient été retenues par les adversaires militaires. Pendant la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne était pour le Général de GAULLE, l’ennemi qu’il fallait combattre par tous les moyens, ce dernier dénonça inlassablement  dans toutes ses déclarations à la radio française libre à Londres puis à Alger, les crimes et les cruautés perpétués par l’occupant. Il pensait qu’une fois la victoire acquise, il faudrait affaiblir l’Allemagne définitivement afin qu’elle ne soit pas en mesure d’exercer de nouvelles agressions.

Pendant les premières années suivant 1945, la conception d’ensemble qu’avait le Général de GAULLE de l’avenir de l’Allemagne était une Confédération d’Etats allemands avec des liens très distendus entre eux, afin qu’il n’existe aucune menace pour ses voisins. Son point de vue fut rejeté par les grandes puissances alliées à la Conférence de Yalta à laquelle il n’avait pas été convié. Dans sa conférence de presse du 12 novembre 1947, il renouvellera cependant son opposition à un Reich centralisé et se déterminera en 1948-1949 contre la création de la République fédérale allemande craignant de voir renaître un Etat allemand encore trop centralisé, selon lui. 

Discours de Bordeaux, le 25 septembre 1949.

La République fédérale allemande vient d’être créée, le Général en prend note et prononce un discours qui marque l’évolution de sa pensée, lorsqu’il souligne la nécessité d’une entente directe entre le peuple français et le peuple allemand, il s’exprime « Il y aura ou il n’y aura pas d’Europe (d’autant plus que l’Angleterre s’en éloigne) suivant qu’un accord sans intermédiaire sera ou non possible entre Germains et Gaulois ». Dans les années qui suivirent, il favorisa un rapprochement avec l’Allemagne et eut des paroles aimables à l’égard du Chancelier Adenauer. Cependant il refusa toute institution supranationale pouvant porter atteinte à la souveraineté de la France, il combattit la création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) menée par Robert Schuman en 1950-1952 et surtout le projet de la Communauté européenne de Défense (CED) qui avait le triple désavantage de s’attaquer à l’armée française en métropole, d’être encore plus assujettie à l’OTAN et de la séparer des Forces françaises d’outre-mer. Le Général de GAULLE était prudent concernant l’avenir de l’armée française, le 23 février 1952, il dit au sujet de la CECA et de la CED : « Sauf à subir un jour la servitude soviétique ou à n’être demain qu’un protectorat américain, en attendant de nous voir transférer sous l’hégémonie allemande, il nous faut notre armée ». En 1955, il finit par accepter avec résignation la souveraineté de la RFA et son réarmement dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et de l’OTAN. Les grandes puissances alliées opposées à un démembrement de l’Allemagne, adressèrent le même refus au Général de GAULLE. Après le rejet de la Communauté européenne de Défense, la méfiance des Français à l’égard de l’Allemagne était plus faible, la même chose pouvait s’observer du côté allemand. Ainsi, le Chancelier Adenauer soutenait la France dans la guerre d’Algérie, par crainte que l’URSS ne s’installe militairement dans ce pays en cas de victoire du FLN.

A son retour au pouvoir en 1958, le Général de GAULLE, face à la situation existante, prit la décision de ratifier le Traité de Rome, ce qui le conduisit à resserrer les liens avec la RFA sur plusieurs points : « L’Allemagne devrait respecter ses frontières, ainsi que l’indépendance de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. Elle ferait partie d’une Confédération européenne garantissant la sécurité de tous les Etats de l’Atlantique à l’Oural et elle tisserait avec la France des liens préférentiels ». La visite d’Adenauer à Colombey-les-Deux-Eglises les 14 et 15 septembre 1958 se passa sous un bon augure et dès la fin de 1958, le Général de GAULLE lui apporta son soutien dans la seconde crise de Berlin, jusqu’à la construction du Mur en août 1961. Aussi le Chancelier allemand fut rassuré sur la position française d’opposer un refus absolu à l’URSS concernant sa volonté d’incorporer à terme dans la RDA, la partie occidentale de l’ancienne capitale du Reich, ce qui ne voulait pas dire  que le Général excluait pour l’avenir la détente, puis l’ouverture vers l’Est. 

Cependant, des divergences existaient entre le Général de GAULLE et le Chancelier qui avait une vision fédérale européenne supranationale, à laquelle le Général était totalement opposé. Ce dernier souhaitait notamment que la France et l’Allemagne organisent leur défense en premier lieu par leurs propres moyens coordonnés, mais il refusa notamment de partager avec elle le secret atomique. Les deux hommes se rencontreront fréquemment entre 1960 et 1963, ainsi le rapprochement franco-allemand continuera sur le plan économique par un partenariat mutuel où la production industrielle se développera plus rapidement en Allemagne avec des progrès significatifs en France. Au sein de la Communauté économique européenne, le Général n’aura de cesse que de maintenir la souveraineté des Etats membres à travers toutes les décisions prises par la Commission.      

Au moment de son voyage officiel en Allemagne du 4 au 9 septembre 1962, le Général de GAULLE sera très bien accueilli par la population, rappelons que le Chancelier Adenauer avait donné son accord au « Plan Fouchet » rejeté le 17 avril 1962 par la Belgique et les Pays-Bas. La réalité politique de l’année 1962 pendant laquelle se dérouleront des évènements très importants marquera la politique ultérieure du Général, notamment la fin de la guerre d’Algérie et son indépendance. La signature le 22 janvier 1963 du Traité de l’Elysée portant sur une coopération politique, économique, sociale et militaire entre la France et l’Allemagne, marquera la réconciliation définitive de ces deux pays. Pour autant ce Traité fut mal perçu par les autres pays occidentaux qui parlaient même de « nationalisme franco-allemand », en ce qui concerne le Général de GAULLE, il était très déçu par le comportement des parlementaires allemands et ne cachait pas sa préoccupation lors d’une visite à Bonn le 14 juillet 1963, sur la politique qui serait menée par le successeur du Chancelier Adenauer. Le Général ne tardera pas à le savoir car Adenauer démissionnera en septembre 1963. Son successeur Erhard s’était positionné dès mai 1958 contre le Général de GAULLE en prenant ses distances avec l’Union franco-allemande, ce qui amena le Général, abandonné par la RFA, ayant de mauvaises relations avec les pays anglo-saxons, à repenser à son idée « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Son regard vers le bloc oriental était en quelque sorte le contrepoids à l’hégémonie anglo-saxonne et le moyen d’empêcher toute construction supranationale en Europe. Dans cette situation, il serait nécessaire à l’avenir, pour l’équilibre et la paix en Europe, de résoudre le problème de la réunification de l’Allemagne.

Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Général de GAULLE aura combattu l’hégémonie allemande, puis il acceptera progressivement l’idée du rapprochement, à son retour au pouvoir une coopération dans plusieurs domaines sera actée entre les deux pays. Espérons pour les temps présents que l’exemple de la réconciliation franco-allemande qui fut un long processus, serve à influencer certaines régions, vers le chemin de la paix.
 

© 15.05.2012