La
voie et la voix de la France
FRANCOPHONIE
ET RELATIONS
AVEC
LES éTATS AFRICAINS
par
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo*
C’est entendu, sur le plan international la France
demeure une puissance majeure qui a des positions stratégiques et économiques
appelées à être renforcées, des intérêts commerciaux qu’elle doit maintenir, et
un rayonnement culturel indéniable à promouvoir davantage. Mais à cela doit
s’ajouter que, du fait de son héritage républicain et de la tradition des
Lumières dont elle est porteuse, elle doit être une référence encore plus
visible qu’auparavant en matière de défense et de promotion des libertés et des
droits fondamentaux, comme sur le plan éthique et moral le Saint-Siège l’est à
sa manière, tout particulièrement dans son action diplomatique en direction des
pays en développement en proclamant la « centralité de l’Homme
».
On le voit avec Madagascar, la Côte-d’Ivoire, la
Tunisie, l’Algérie, aujourd’hui l’Égypte, et demain sans doute avec un autre
pays, l’Afrique, ou plutôt les Afriques (car c’est ainsi désormais qu’il faut
appréhender ce vaste continent), du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, sont, par
la volonté de leur peuple respectif, en pleine mutation démocratique. Ces
peuples revendiquent que les Libertés, les Droits fondamentaux et le juste
partage des richesses trouvent à s’appliquer dans leur pays respectif avec
autant d’exigence qu’ailleurs dans les pays dits développés. Le constat de cette
mutation dicte une refondation de l’action de la France vers ces pays afin
qu’elle n’apparaisse pas comme livrant des combats d’arrière garde. Dans le
concert des nations avec les Afriques, la France doit donc retrouver un rôle
spécifique, une place référentielle, reconnus comme tels, ce qui devrait lui
conférer une responsabilité particulière accrue parce que la voix de la France
doit être écoutée comme la voie qu’elle emprunte doit toujours entretenir
l’espoir chez elle et à travers le monde.
Une telle conception affirmative est celle qui se
conforme à la tradition gaulliste, celle qui prend sa source référentielle dans
les élans du discours de Brazzaville, qui sache embrasser différents espaces,
considérer dans sa personnalité propre chaque partenaire, et nourrisse une
définition nouvelle des axes de notre politique étrangère, clairement
identifiables et qui portent la marque pénétrante de la grandeur d’esprit et non
des petits calculs de contingences temporelles.
I. - Pour une Franc o phonie dynamique Il faut voir
la Francophonie comme un capital riche de la convergence de volontés
diversifiées, en particulier africaines. En cela, elle ouvre un espace de
valeurs partagées à l’instar de l’Europe. Elle doit donc susciter les meilleures
vocations en France et ailleurs, surtout en Afrique, dans ces Afriques qui ont
su valoriser leurs valeurs propres, s’en approprier d’autres et les restituer
dans des expressions qui nous parlent et nous touchent. Mais reconnaissons que
cet idéal de la Francophonie ne trouve que rarement l’écho souhaité en France
même. Il faut donc le réveiller, le faire vivre, le porter comme un
flambeau.
Pour qu’il en soit ainsi, il est possible de
travailler sur au moins deux leviers: identifier clairement la Francophonie
comme autre chose qu’une certaine vision, d’ailleurs assez confuse, qui la
ferait ressentir comme une forme de néocolonialisme; et valoriser le fait que la
Francophonie regroupe différents instances (axes de coopération multilatérale),
espaces structurés (culturel, scientifiques et techniques, juridique) et
évènementiels. Car, pour la France et pour les Français l’idée même de
Francophonie doit être perçue et acceptée comme un concept populaire et
mobilisateur, un objectif civilisationnel et un projet
politique.
À « une certaine idée de la France » doit maintenant
répondre « une certaine idée de la Francophonie ». La France a toujours su
assimiler, grâce à la solidité de ses soubassements civilisationnels, tous les
apports exogènes pour les restituer dans des valeurs qui font la spécificité
française. C’est ce qui caractérise l’intégration culturelle qui constitue un
des facteurs de fierté des Français, et précisément la France ne peut que se
grandir en les valorisant. C’est dans ce sens qu’il conviendrait de mettre en
avant la valeur mobilisatrice de l’idée de Francophonie en France, en
particulier à l’adresse de sa jeunesse qui se perd en repères, mais qui ne
demande qu’à croire en un idéal où se dessinent des espaces de liberté et de
générosité.
La Francophonie est une des marques privilégiées du
rayonnement de la France, comme elle est la marque de sa générosité et de son
ouverture, car elle représente sa volonté de partager avec d’autres les
richesses inhérentes à sa langue et de vivre avec d’autres des valeurs communes
dans lesquelles chacun se reconnait. La nouvelle Charte de la Francophonie
adoptée à Antananarivo en novembre 2005 confère à l’Organisation Internationale
de la Francophonie (OIF) un statut politique qui lui permet de se saisir des
grandes thématiques internationales comme elle lui permet d’être le cadre d’une
certaine diplomatie multilatérale au sein de la famille francophone, avec cette
condition première: qu’elle s’arcboute sur la primauté des valeurs, celles
héritées des Lumières, des principes démocratiques, des droits fondamentaux et
des traditions de sagesse.
Il faut donc voir dans cette nouvelle dimension
internationale de la Francophonie une opportunité pour la France de poursuivre
et de renforcer son action en direction des Afriques dans un esprit de vrai
partenariat et de considération réciproque. Un écueil de taille doit en effet
être évité à tout prix : la tentation d’instrumentaliser l’OIF sur le plan
diplomatique, le contraire constituerait une très mauvaise approche qui serait
tôt dénoncée et combattue avec raison par les autres membres. Ici comme
ailleurs, la voie et la voix de la France, défendeur et promoteur des libertés,
de la démocratie et des droits fondamentaux, doivent être sans ambiguïté ni
arrièrepensée.
C’est son honneur et sa crédibilité qui sont
directement en cause. C’est au sein de l’OIF que la notion de partage de valeurs
francophones communes prend son sens politique concret le plus visible et le
plus exemplaire pour la France. Précisément, figurent parmi ces valeurs celles
de la démocratie, des libertés et des droits fondamentaux dont la France est la
mère-patrie. La France n’a donc aucun intérêt à ce que cette image, cette aura,
soit ternie par de mauvaises pratiques diplomatiques. C’est en gardant cette
ligne de conduite, et au besoin par ce recentrage indispensable et urgent, que
la France gagnera en considération et en confiance dans le coeur des Français et
des peuples francophones sur le thème porteur de la Francophonie, et qu’elle
sera perçue comme exemplaire aux yeux de l’opinion publique française et
internationale.
II. - La nouvelle relationnelle franco-africaine Ce
qui précède à propos de la Francophonie constitue l’un des axes d’une conception
novatrice de ce qui pourrait être considéré comme étant « La nouvelle
relationnelle franco-africaine » fondée sur le triptyque : assainissement,
refondation et redéploiement. L’assainissement est une nécessité tant morale que
politique. La France ne saurait continuer d’apparaître comme ménageant au nom
d’une illusoire recherche de stabilité institutionnelle et politique des régimes
qui foulent aux pieds les droits fondamentaux et les principes de bonne
gouvernance et qui maintiennent le peuple dans un état de frustration.
L’exigence d’assainissement n’implique nullement l’ingérence intérieure. Par
contre, sans assainissement relationnel, point de refondation possible.
La refondation relationnelle appelle bien entendu
l’ouverture de négociations de bon aloi, lesquelles doivent aboutir à un
redéploiement mutuellement salutaire et porteur. La mise en oeuvre de ce
triptyque visera aussi un objectif majeur pour la France, celui de sécuriser et
pérenniser ses positions en Afrique à l’heure où la concurrence sur ce continent
regorgeant de sources énergétiques devient rude avec l’entrée en lice de la
Chine, de l’Inde et du Japon, mais aussi de nos autres partenaires européens
(Espagne, Portugal).
Trois niveaux relationnels avec l’Afrique sont donc à
considérer: le multilatéral avec, en particulier, l’Union Africaine,
l’Organisation Internationale de la Francophonie, la SADC, le COMESA, la
Commission de l’Océan Indien, le TICAD et les plates-formes africaines de la
Chine et de l’Inde (a); la proximité relationnelle avec le Sommet France-Afrique
(b); et le bilatéral avec chacun des pays africains choisis
(c).
(a). La
participation active de la France, à titre de membre (en particulier au sein de
l’Organisation Internationale de la Francophonie et de la Commission de l’Océan
Indien), doit naturellement se prolonger vers l’Union Africaine et vers d’autres
organisations régionales africaines en tant qu’observateur ou invitée (en
particulier la SADC et le COMESA), mais aussi vers d’autres espaces africains
animés par les partenaires européens de la France (le Commonwealth pour le
Royaume-Uni, et les différentes organisations de coopération africaine de
l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de la Turquie) et les pays asiatiques
(TICAD pour le Japon et les plates-formes africaines de la Chine et de
l’Inde.
S’agissant de l’OIF, on se réfèrera au développement
supra. Concernant la COI, une re-dynamisation de cette organisation, autour d’un
axe Paris-Antananarivo et fondée sur des programmes techniques intégrés et
ciblés, est nécessaire, l’océan Indien occidental, regroupant les îles
francophones afro-asiatiques, devant par ailleurs être conçu comme un espace
d’ouverture sur l’Asie. À propos de l’Union Africaine, la poursuite de la
présence active de la France en qualité d’observateur est
préconisée.
Quant à la SADC et au COMESA, il paraît important que
la France renforce son intérêt pour ces organisations qui regroupent l’« Afrique
qui marche », c’est à dire l’Afrique australe avec la SADC qui a vocation à se
constituer en un marché commun, et l’Afrique orientale avec la COMESA qui
s’organise en une vaste zone de libre échange. Des pays comme Madagascar peuvent
constituer une bonne porte d’entrée et un point d’appui sur ces deux
organisations régionales, Madagascar ayant aussi cet avantage unique
d’appartenir en même temps à la COI.
Enfin, s’agissant des autres espaces africains animés
par les autres partenaires européens de la France et par les pays asiatiques
(Japon, Chine et Inde), auxquels il faut ajouter la Turquie et l’Agence de
Développement de l’Aga Khan, il est important de trouver avec eux des terrains
de coopération inter-organisationnelle ou de concertation sur des programmes
ciblés à propos desquels on recherchera des convergences d’intérêt.
(b). À travers les sommets France-Afrique, la France
fait certes valoir une force de proposition et d’impulsion politique reconnue et
généralement appréciée, mais il convient d’éviter l’écueil d’un leadership trop
affirmé et, au contraire, jouer à fond le multilatéralisme. Ce « leadership
naturel » doit se traduire par la capacité d’écoute et l’art de concilier les
contraires, mais aussi par une volonté d’ouverture sur des Afriques dont chaque
composante tend de plus en plus à vouloir affirmer sa spécificité. Car,
l’Afrique est multiple et sans doute conviendrait-il que la France ne réduise
pas sa vision africaine à travers le prisme du pré-carré de l’Afrique
francophone. Cela suppose également qu’une meilleure connaissance des réalités
africaines constitue un souci permanent, chacun s’accordant sur le fait que trop
d’erreurs d’appréciation ont été commises (la mise en place d’une cellule
d’analyse et prospective est préconisée).
(c).
Cette vision à la fois universelle et sélective de l’Afrique ne doit pas avoir
pour résultat de disperser ni les intérêts ni les moyens d’une France qui, par
contre, se doit de s’appuyer sur des rapports bilatéraux fortement ancrés avec
certains pays africains avec lesquels elle partage des intérêts stratégiques,
des considérations culturelles et des destinées historiques partagés et
mutuellement avantageux.
Ainsi conviendrait-il que, sur la base de ces
critères, la France se choisisse des « partenaires privilégiés », successivement
en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest, en Afrique Centrale, en Afrique de
l’Est et en Afrique Australe, sans oublier l’Afrique-Asie de l’océan Indien.
Pour autant, les « autres » pays « non privilégiés » ne doivent pas se sentir
exclus, l’intérêt d’entretenir avec eux des rapports plus « spécialisés »
méritant considération. En guise de conclusion, et pour garder à l’esprit une
image forte, il faut se rappeler que ce sont les peuples qui font l’Histoire, en
Afrique comme en Europe et ailleurs. Si donc les chancelleries ne savent pas
observer et évaluer la force des sentiments profonds exprimés par ces peuples,
les évaluer et les rapporter avec suffisamment d’exactitude, des erreurs fatales
seront toujours à craindre (les exemples ne manquent pas dès qu’il s’agit de
cette Afrique qu’on a tendance à considérer avec une certaine condescendance),
lesquelles feront prendre aux gouvernements les mauvaises décisions qui seront
difficilement réparables devant ces peuples et devant l’Histoire. La voie de la
France doit toujours se distinguer par sa profondeur et par sa rectitude, et
ainsi sa voix sera toujours écoutée et retenue.