CES
GENS LÀ…
par
Luc Beyer de ryke,
«
Toute vérité doit être dite. » Cette
injonction se voit proclamée dans un évangile intitulé La
Lampe.
Sans doute convient-il de nuancer et d’estimer, selon
un autre aphorisme, que toute vérité n’est pas bonne à dire. Mais il ne faut pas
abuser et s’emplir des boursouflures du mensonge en les faisant passer pour la
vérité. C’est ce que la majorité des gouvernements occidentaux fait depuis
longtemps, entre autre à propos du monde arabe. Avec une mention particulière
pour le Gouvernement français.
Il fut un temps ou j’ai eu quelque faiblesse,
intellectuelle et politique, pour Mme Alliot-Marie. Je voyais en elle une femme
de caractère pour laquelle le gaullisme n’était pas devenu entièrement lettre
morte. Elle n’hésita pas à le faire savoir. C’était lors des présidentielles.
Mais le courage se dissout lorsque se fait sentir la loi d’airain du rapport de
force. La loi de Nicolas Sarkozy alors candidat. Et je vis, j’entendis, lors
d’un grand rassemblement électoral, Michèle Alliot-Marie abdiquer devant lui. Un
excellent discours si l’on juge de la forme. Moralement, il s’agissait d’un
reniement de tout ce qu’elle défendait quelques heures avant. Il y avait quelque
chose de fascinant à l’entendre, en direct, sauver sa carrière
!
Je ne l’ai jamais oublié. Cela étant, l’opportunisme,
paré généralement des apprêts pour l’ennoblir, ne contredit pas pour autant
intelligence et compétence. Pourtant, à force d’y céder, il entraîne la cécité.
Cette fois, convenons en, il atteint les dimensions de la raison d’État et, plus
que probablement, il fut dicté par l’Élysée. Mais offrir, la veille ou
l’avant-veille de la révolution tunisienne, le « savoir-faire » de la police
française au président ben Ali est une sorte de
parachèvement.
Que dis-je en parlant d’une veille de révolution !
Elle était en cours et les Tunisiens tombaient sous les balles d’une police que
Michèle Alliot-Marie se proposait d’assister. N’est-ce pas Thomas de Quincey qui
parlait du crime comme de l’un des Beaux-Arts ? N’allons pas jusque là. Limitons
nous à la cécité. L’autisme si l’on préfère. Je ne poursuis pas de crainte de me
montrer trop désobligeant.
Si Michèle Alliot-Marie s’est montrée emblématique
par la maladresse de son propos, ce serait réducteur de lui faire porter, à elle
seule, le bonnet d’âne… et d’infamie. La complicité occidentale à l’égard des
pays arabes « modérés » fut générale. Toutes tendances politiques confondues.
L’Internationale socialiste vient de se rappeler ses « valeurs intangibles »
face aux amis de Ben Ali et aujourd’hui ceux de Moubarak. Certes, je ne
disconviens pas des craintes légitimes que la plupart des gouvernements
nourrissaient et nourrissent devant les périls de l’islamisme. Mais à vouloir à
tout prix visser le couvercle sur la marmite tout explose…
Il y a quelques années, à la suite du terrible
attentat qui tua des touristes à Louxor au temple d’Hatchepsout, je me suis
rendu en Égypte. À Louxor puis à Assiout d’où étaient venus une partie des
terroristes. Au Caire j’ai rencontré des membres du Gouvernement mais aussi des
dirigeants des Frères musulmans. Après une enquête sérieuse et les nombreux
contacts établis le constat s’imposait. Nous avions à faire à un pouvoir
corrompu se livrant parfois à une surenchère islamiste… pour combattre
l’islamisme. De leur côté les Frères musulmans gagnaient les sympathies par des
actions caritatives là où le pouvoir était défaillant. Aussi inquiétant que ce
fut, il s’avérait qu’ils représentaient l’alternative au régime.
La seule ? Espérons que, du vaste mouvement populaire
qui s’affirme, l’Histoire de l’Égypte s’affiche plurielle. Mais, quelle que soit
l’avenir, rassurant ou préoccupant, l’évidence réside dans cette vérité (car ici
c’en est une) proférée par jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères
luxembourgeois, « Nous avons un peu oublié que des gens vivent là, qui veulent
aussi la démocratie et le droit de se déterminer eux-mêmes
».
Tant que dans le monde arabe – et ailleurs – nous
continuerons à ignorer les « gens qui vivent là », ces gens là nous
contraindrons à revoir notre copie.