La fille d’un de mes amis est étudiante en première
année de médecine à Paris (Necker). C’est une étudiante brillante (Bac S avec
mention « bien ») et très motivée (elle a vu Hippocrate en songe et rêve
d’exercer ce métier). Elle fait partie d’un milieu privilégié (son père,
professeur de médecine et sa mère également médecin l’entourent de tous leurs
efforts). Rien ne manque y compris les cours privés à 100 € de l’heure donnés
par ces mêmes professeurs qui, aux ordres de l’Autorité, soumettent les
étudiants à une sélection infernale (321 places en médecine à Necker pour 3.500
candidats dont 850 redoublants) avec des épreuves tellement difficiles que ces
professeurs eux-mêmes, hormis dans leur propre discipline, seraient bien
incapables de les réussir.
L’ennui comparativement à d’autres filières
sélectives (MP par exemple) c’est qu’en cas d’échec il n’y a pas de solution
véritablement équivalente. Un élève de maths spé qui a raté l’ENS, l’X ou
Centrale peut se rabattre sur une bonne ENSI ! Un khâgneux, filière commerce,
qui a raté HEC ou l’ESSEC peut aller à l’EN de Lyon, à Paris ou à Lille et
suivre une formation tout à fait identique. Par la suite (doctorat, MBA ou
autres) ils pourront même rattraper ce que certains considèreront comme un
handicap. En médecine impossible !
Aux vieux adage médecins rares, médecins chers, on a
trouvé une remarquable application : un numérus clausus extrême (alors
que des départements entiers sont sous-médicalisés) et l’appel à des médecins
étrangers (Algériens, Grecs, Roumains, Africains…) qui peuplent nos CHU et nos
CHR, main d’oeuvre taillable et corvéable à merci, bien obligée pour vivre
décemment d’accepter toutes ces gardes que nos élites ne veulent plus faire et
qui après une vie passée dans les hôpitaux publics se voient pour la plupart, à
l’heure de la retraite, interdits d’exercer « en ville » où ils pourraient par
une petite activité privée compléter leur maigre pension.
Je sais bien qu’on peut aussi dire que devant
l’incapacité des Français à maîtriser leurs dépenses de santé on a appliqué
cette règle simple consistant à réduire l’offre pour diminuer la demande ! Mais
estce bien raisonnable ?
Si votre enfant veut vraiment faire médecine et si
vous en avez les moyens, envoyez le donc en Belgique (avec du piston) ou en
Roumanie (avec du fric). Il reviendra plus vite diplômé et, Europe
oblige, il pourra s’installer en France sans problème (il ne pourrait pas s’il
avait fait médecine aux USA !). Ce ne sera peut être pas glorieux mais comme il
fera ensuite sa spécialité en France et s’arrangera pour être un temps attaché
des hôpitaux ; qui connaîtra, au vu de sa plaque, son lieu de formation initial
!
On marche vraiment sur la tête ! D’abord si l’on veut
savoir combien de médecins doivent être formés par an en France, il est
difficile de donner une réponse intrinsèque mais facile de donner une réponse
relative : il suffit de comparer le nombre de médecins pour mille habitants et
le nombre de médecins formés par médecin installé dans les différents pays
équivalent au nôtre pour savoir si notre position est convenable ou…déplorable
et agir en conséquence.
Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du
monde et il est d’ailleurs très inconvenant que des médecins formés dans des
pays émergents ou sous développés abandonnent leurs populations aux ONG au lieu
de se faire un devoir de soigner leurs concitoyens ! On peut avancer vers des
règles européennes plus souples à condition d’avoir la certitude que les niveaux
de formation sont strictement équivalents, ce qui est loin d’être le cas
!
À quand une université mafieuse dans un pays de
l’Union qui délivrera des diplômes-bidon contre de l’argent ? C’est déjà le cas
…en Russie. Seraient-ils d’ailleurs si mal formés ? Dans un pays qui a oublié
les racines hellénistiques de sa langue on ne sait même plus que l’enseignement
« clinique » ne peut se donner qu’au lit du malade !
Or il y aurait une autre façon bien plus valable de
sélectionner les médecins en s’assurant qu’ils font bien ce métier par vocation
et non, dans une époque déboussolée, pour trouver une « pompe à fric », la Sécu,
suffisamment attrayante. Il suffirait de commencer les études par une année de
stage comme aide-soignant dans un hôpital public,
ce qui permettrait au jeune de s’assurer qu’il est
vraiment motivé et qu’il est capable de témoigner ce qu’aucune épreuve écrite ou
QCM ne pourra déceler : de la compassion pour les malades. Il sera temps
ensuite, passée cette « propédeutique » de dispenser des formations adaptées à
la pratique future choisie par le candidat. Pourquoi un médecin généraliste, un
biologiste, un chercheur seraient-ils formés de la même façon et avec les mêmes
matières. Ah ! Comme j’aimerais voir TOUS nos grands cliniciens essayer
de passer un QCM de biophysique ou de biochimie de première année de médecine.
Le résultat serait couru d’avance !
Quant aux hôpitaux publics dont paraît-il on n’arrête
pas les déficits, comme il serait facile d’exiger comme autrefois un service à
mi-temps six demi-journées par semaine onze mois par an de tous les étudiants à
partir de la deuxième année (l’ancien externat des hôpitaux). Ce serait peut
être pour eux l’occasion d’apprendre auprès des infirmières qu’ils seconderaient
à faire la différence entre les examens vraiment utiles et… les autres et de
leur éviter une fois interne cette gabegie de dépenses d’examens complémentaires
…trop souvent négatifs dont ils se repaissent! Même la séméiologie est depuis
longtemps oubliée : au moindre doute, vite un scanner, une IRM, une batterie de
tests : ils ont trop vu les séries américaines type Docteur House !
Allons, soyons sérieux. Il n’y a pas UNE formation médicale mais au moins quatre
ou cinq (généraliste, spécialistes, biologistes, chercheurs, médecins
hospitaliers…). Chacune, dès le départ, doit avoir son programme et ses
épreuves. Chirurgie dentaire, pharmacie, kinésithérapie et maïeutique sont des
professions bien spécifiques exigeant des aptitudes particulières et non des
lots de consolation pour les recalés de médecine.
Et si l’on ne veut pas qu’un jour seuls les enfants
de milieux privilégiés puissent accéder à ces formations il faudra bien, en
médecine plus qu’ailleurs, accorder aux étudiants un statut particulier d’abord
d’étudiant aide-soignant puis d’étudiant aide-infirmière, puis d’étudiant
externe (le tout à mi-temps) puis enfin d’étudiant interne avec pour chacun une
rémunération progressive permettant de vivre décemment de son travail (en étant
logés sur les campus).
Quant aux autres professions de santé, je pense aux
infirmières en particulier, il faudra bien qu’on se décide un jour à fluidifier
la filière pour permettre en fonction de l’expérience acquise, pour ceux et
celles qui en ont le désir et le courage d’accéder à la filière
supérieure et d’y poursuivre ses études tout en travaillant à mi-temps ! Quel
bon médecin ferait plus tard une infirmière qui après cinq ans d’expérience
serait autorisée à entrer en troisième année de médecine !
Quel bon recyclage pour les recalés qui, comme la
jeune fille dont je parlais au début de ce billet, n’envisage pas d’autre
profession que celle du beau métier de soigner !