Ce sont des voeux un peu inusités que j’adresse à nos
compagnons à l’occasion de la nouvelle année. Inusités parce qu’ils se
présentent sous la forme d’une carte postale de Libye. Mon propos n’est pas de
parler de tourisme, aussi beaux que puissent être les sites grécoromains du
littoral tripolitain et cyrénaïque. Il est de vous entretenir de francophonie et
de géopolitique.
À nous qui sommes attentifs au rayonnement et à
l’illustration de la langue française, la francophonie, encore balbutiante, se
fraie une voie malaisée mais résolue. S’il en est ainsi, c’est à la volonté mise
en oeuvre par l’ambassadeur de France, François Gouyette, un proche de
Jean-Pierre Chevènement, Lisbeth Choquet, directrice de l’Institut culturel
français et David Germain-Robin, attaché culturel et scientifique. C’est la
première fois depuis l’an dernier qu’il y a désormais des professeurs français
pour enseigner la langue. Ce ne fut pas une mince affaire car ils sont
légion les Indiens, les Pakistanais, les Palestiniens, les Irakiens, les
Égyptiens à être recrutés comme professeurs.
À l’exception des Irakiens et des Palestiniens leur
temps de séjour n’excède pas trois ans. Ils n’ont pas le droit de sortir du pays
mais touchent des salaires décents. Grâce aux efforts déployés par notre attaché
culturel, nos vingt-six enseignants francophones (vingt-cinq Français et un
Belge) ont reçu l’autorisation de pouvoir quitter le pays ou s’absenter durant
le cours de leur contrat.
Ayant été convié moi-même à Tripoli à faire une
conférence à propos des « Écrivains francophones de Flandre » j’ai pu constater
la présence d’étudiants libyens aux connaissances linguistiques encore
trébuchantes mais attestant de la vitalité de l’Institut culturel français.
Les chemins de la connaissance, pour reprendre le titre de la célèbre
émission de Raphaël Enthoven, sont encore longs à parcourir mais le départ est
donné. Il faut dire que les relations franco-libyennes, à l’encontre d’un passé
fort sombre (l’attentat contre le vol de l’UTA en1989), sont devenues
harmonieuses. Il y a une raison à cela. Elles ne concernent pas la France seule
mais l’Europe. Retrouvant le rôle du limes romain revêtu dans l’Antiquité, la
Libye est devenue le barrage filtrant devant l’immigration qui menace l’Europe.
Pas seulement.
Tout gardien de l’Islam qu’il se veut, faisant du
vert uniforme le drapeau de la Libye et dispensant ses propres « sourates »,
dans Le livre vert, Moammar Khadhafi n’entend céder ce rôle à personne
d’autre que lui-même. Aussi traque-t-il les islamistes, à commencer par ceux de
l’Acqmi, la branche maghrébine d’Al Quaïda. C’est là qu’il se
montre utile, indispensable même, aux Occidentaux.
Les otages français, toujours détenus, disent les
périls grandissants du Sahel. À eux seuls, Khadhafi et les Touaregs, qui montent
la garde aux frontières, sont insuffisants. Mais ils constituent un atout non
négligeable dans le dispositif mis en place. On sait qu’une katiba
libyenne, composée d’islamistes venus de Derna en Cyrénaïque, se trouve en
Algérie. Jusqu’ici les menaces n’ont pas été suivies d’effets. Ce sont les
frontières maliennes qui font problème et, plus généralement, « une ceinture de
terrorisme s’étendant de la Mauritanie à la Somalie ». C’est pourquoi, tout en
se proclamant le guide de la Libye et de l’Afrique tout entière, Khadhafi prend
langue avec le patron d’Africom, le général américain William Ward, et
coopère avec les voisins dans la région comme avec les Européens. Voilà comment
Khadhafi, avec notre approbation, est devenu sentinelle du désert…