L’émulation qui anime avec une ardeur proche de la
frénésie les cénacles en vue des présidentielles ma fait songer à une fable que
me conta Malika Mokadem, romancière algérienne. Satan, maître des ténèbres fait
visiter l’enfer à un hôte de marque. Il lui montre des cuves où ses auxiliaires
armés de fourches repoussent les damnés qui tentent d’en sortir. Une des cuves
n’est pas gardée, l’hôte s’en étonne.
Pas de danger lui explique Satan. Dans celle-là il y
a des Algériens. Chaque fois que l’un passe la tête ses compagnons se pressent
pour la lui enfoncer. N’en dirait-on pas autant pour les candidats ou aspirants
candidats aux élections présidentielles ? Aucune famille politique, grande ou
petite, n’est épargnée. Approchons-nous du chaudron et contemplons le
spectacle.
Actuellement l’UMP ne connaît qu’un champion pour
porter ses couleurs. Il est à l’Élysée et s’il ne le dit pas encore luimême ses
amis, paraphrasant Mac Mahon, le proclame pour lui : « Il y est, il y reste ».
Là où le bas blesse c’est qu’au vu de sondages, certes relatifs, 34 % des
Français partagent ce point de vue. Très insuffisant pour réussir ce bac
présidentiel. L’autre jour un quotidien « filiale » du Parisien consacrait six
pleines pages dont sa « une » à François Fillon « son enfance, sa famille, ses
réseaux, ses ennemis, ses ambitions ». Je doute que la lecture de cette
hagiographie, d’ailleurs intéressante, ait été prisée par l’Élysée. D’autant
plus que malgré les révoltes sociales François Fillon demeure apprécié par 47 %
des Français. Et cela bien que plus de 70 % aient approuvé le vaste mouvement
d’opposition à la réforme des retraites. Cherchez
l’erreur.
La politique conduite est critiquée lorsqu’elle est
expliquée par Matignon, rejetée lorsqu’elle l’est par l’Élysée. Le ton, le
style, le comportement ont leur importance même s’ils n’expliquent pas tout. On
imagine mal François Fillon brocarder des journalistes en les appelant ses «
amis pédophiles ». Dans le « chaudron » bien d’autres s’agitent. Jean-François
Coppé a du savoir-faire, un plan de carrière pour une tête bien faite et des
dents aussi aiguisées que longues. Il passera son tour pour mieux préparer celui
de 2017. Le centre aussi connaît le trop-plein. Le nouveau… et l’ancien, celui
de François Bayrou. Les centristes pourraient occuper un chaudron à eux tous
seuls… Et Dominique de Villepin ? De lui on pourrait dire comme jadis Michel
Jobert qu’il est « ailleurs ». Il a des accents qui peuvent séduire mais ils
sont oblitérés par le duel singulier, sans merci, qui l’oppose au Président de
la République. Le projet collectif disparaît derrière le destin individuel.
Reste Nicolas Dupont Aignan. Bien des gaullistes de tradition se montrent
sensibles à son discours et souhaiteraient le voir jouer un rôle. Issu de la
majorité il l’a quitté. La sanction infligée fut la marginalisation. Sa force de
frappe, malgré l’indéniable ancrage local, est limitée. S’il obtient les
signatures nécessaires pour se présenter (ce qu’on s’ingéniera à lui refuser),
il pourra tout au plus additionner ses voix à ceux, à droite ou au centre, qui
s’efforceront de faire manquer la marche à Nicolas Sarkozy. Quelle alternative
?
Face aux dissensions proclamées ou non de la majorité
peuton au-delà des sympathies ou des allergies parler d’alternative ?
Tournons-nous vers la principale force d’opposition, le PS. Là au moins n’y a
–t-il pas d’unité ? Certes. Mais pour quarantehuit heures. Après quoi elle vole
en éclats pour revenir à la foire d’empoigne. Ségolène Royal, vierge aux
outrages du PS, a renvoyé Martine Aubry et DSK dans les cordes. À la première
elle a opposé un démenti cinglant. « Non, il n’y a pas de pacte entre nous pour
les présidentielles. Primaires il doit y avoir et primaires il y aura. » À DSK
dont elle ferait bien son premier ministre elle s’adresse sans trop d’aménité :
« La politique c’est avoir le courage d’enter dans la bataille. ». En d’autres
termes : « Décide-toi ou retire-toi. ». Cela sans parler des « petits »
candidats qui, tels, Arnaud Montebourg, l’ancien chevalier servant de Ségolène,
Manuel Vals, François Hollande, l’ancien prince-régent, Pierre Moscovici et
d’autres se jettent à corps perdus dans la bousculade.
Les autres
La scène se complète en passant en revue les autres
familles politiques. Entre Dany le Rouge, de plus en plus rose au fil des ans ;
Cécile Duflot qui a le mordant et l’abattage de la jeunesse, Éva Joly, ayant une
fois pour toutes revêtu sa toge de justicière, aux accents rocailleux, peut-on
vraiment parler de réelle fraternité ?
Quant au Front de Gauche, il constitue l’alliance
improbable entre un démagogue de talent, Jean-Luc Mélenchon, chef sans troupe et
une piétaille de militants communistes dévoués en quête d’un porte-voix. Pierre
Laurent, le successeur de Marie-George Buffet, a de l’intelligence, de la
réflexion mais pas de charisme. Très affaibli le PC dispose encore de cadres, de
militants, de réseaux. Mélenchon se fait passer de vieilles séquences de Georges
Marchais et s’applique à l’imiter pour capter l’héritage.
N’oublions pas Olivier Besancenot. Si présent hier et
avanthier dans les débats il est aujourd’hui (provisoirement ?) oublié. Son
refus d’une option unitaire et son repli sur le pré carré du radicalisme le
confinent dans un splendide isolement. À l’extrême-droite c’est aussi d’héritage
dont il est question. Celui de Jean-Marie Le Pen. Pour le vieux tribun, l’ancien
de la « Corpo » et le ligueur impénitent, ce ne serait pas tout à fait rendre
les armes que de les confier à sa fille Marine. Elle à l’étoffe d’une amazone,
et bien que détestée par les plus intégristes du FN, on voit mal Bruno Golnisch,
à la fois plus « tradi », plus courtois et professoral, lui damer le pion. Reste
qu’au FN, quel qu’en soit l’issue, la confrontation laissera traces et
cicatrices.
Ainsi dans touts les familles politiques la fable de
Malika Mokadem se vérifie. On use de tous les registres. Coup de Jarnac, croc en
jambe, clés de judo ou prises de karaté, dissimulation, mines chafouines, peaux
de banane, tout est bon pour enfoncer, étouffer, noyer son ami qu’il fut ou non
de « trente ans ».
Politique
J’ai bien peur que le « chaudron » de Malika Mokadem
se retrouve ailleurs qu’en Algérie et en France. Je me souviens d’un élu local
qui était un mandataire municipal dévoué, homme aimable et serviable, affligé
d’un léger bégaiement. Lorsqu’on faisait état devant lui d’une entourloupe, d’un
coup tordu, d’une vilénie même, il en convenait mais ajoutait aussitôt « cela
c’est de la po-po-politique « ! Et le mot, dont la première syllabe était
prononcée trois fois au moins, avait valeur d’absolution. Libre à nous de
s’indigner ou de sourire.
Nous nous faisons ici une idée plus noble de la
politique mais, convenons-en, rares sont ceux qui à l’exemple du général de
Gaulle avait coutume de se tenir sur les cimes. Leur air raréfié sied peu à la
politique politicienne et à ceux que, cruellement, le Général appelait les «
politichiens ».