Non, ce n’est pas une boutade ! Malgré son
allure de Pinocchio effaré, Monsieur Van Rompuy (Herman) est loin d’être le
personnage insignifiant qu’ont mélancoliquement décrit des européistes déçus. Il
signifie un projet politique tout à fait clair, et a été choisi à dessein ;
pas par les citoyens des différents peuples de la très diverse Europe,
évidemment, mais par une oligarchie mondiale qui n’est pas le cercle des
Présidents et des Premiers Ministres des pays de l’Union Européenne. Désormais
simples exécutants politiques, ceux-ci n’ont fait que ratifier la décision
d’affairistes qui ne se cachent même plus.
Avant de se présenter devant ceux qui devaient le
nommer, M. Van Rompuy a comparu, le 12 novembre 2009, au château de
Val-Duchesse, à Bruxelles, devant le jury d’un club mondial rassemblant
banquiers, marchands d’armes, magnats du pétrole et dirigeants de
multinationales avec leurs journalistes apprivoisés. Il est allé passer un
examen. Le projet d’impôt européen à prétexte écologique qu’il y a fait
connaître est tout ce que les citoyens ont été autorisés à savoir. Son parcours
politicien ayant été jugé conforme au profil souhaité, il a été adoubé comme
gouverneur général de l’Union Européenne. Quant à Madame Ashton, choisie en même
temps, elle déborde de précieuses qualités : parvenue typique de la
nomenklature, inféodée à la finance, absolument inconnue, tout à fait novice en
diplomatie et incapable d’ânonner une phrase en une autre langue que
l’anglais.
La deuxième signification est que l’Union Européenne
est une succursale de l’empire anglo-saxon, dont les dirigeants dictent la
politique étrangère qu’ils font appliquer par l’OTAN,
bras armé de l’oligarchie. Madame
Ashton joue à merveille de sa balourdise feinte pour ridiculiser
l’Union Européenne, tout en élargissant son propre champ d’action et en étoffant
ses services (ne parlons pas de ses revenus). Elle joue son rôle, conformément
aux instructions de ses commanditaires. La crise de la dette grecque montre sous
un jour limpide les relations entre l’empire et ses vassaux. La Grèce est
attaquée par des spéculateurs anglo-saxons, afin d’embarrasser les banques
rivales créditrices principalement allemandes et françaises, et pour détourner
l’attention de l’état désastreux des finances des États-Unis et de la
Grande-Bretagne. Pour les financiers, la diversité des pays du continent
européen est contraire à la nécessaire soumission des consommateurs et
défavorable à l’intimidation militaire exercée contre les « pays
émergents », vitale pour maintenir une hégémonie mondiale chancelante.
L’activité intellectuelle, politique et scientifique dans les pays d’Europe doit
être strictement encadrée et normalisée par l’usage exclusif de la langue
anglaise, tandis que l’innovation doit être concentrée dans les pays dominant
l’empire (comme le montre l’institution récente d’agences de contrainte et de
surveillance des chercheurs). Les diplomaties nationales sont donc vouées à
disparaître, en même temps que la liberté politique et culturelle des
nations.
Mais pourquoi être allé chercher le
Premier Ministre de Belgique, un pays qui apparemment n’avait pas besoin d’une
crise politique supplémentaire ?
Précisément afin de provoquer une nouvelle crise et
de scinder la Belgique, comme l’a récemment exigé un euro-député anglais qui, en
bon Anglais, se mêle de ce qui ne le regarde pas et parle dans l’intérêt des
classes dominantes. Mais quel est cet intérêt ? La Belgique n’est-elle pas
une création de l’Angleterre ?
La Belgique moderne fut en effet créée en 1830 par
l’Angleterre, afin que la France ne contrôlât pas le port d’Anvers et que la
frontière du Nord de la France fût vulnérable militairement. Mais les diplomates
anglais n’avaient pas prévu une guerre contre l’Allemagne unifiée, de sorte
qu’au XXe siècle l’Angleterre, alliée à la France, dut sacrifier des milliers
d’hommes pour défendre cette frontière indéfendable. La France en perdit
cependant bien plus encore ! La Belgique a ainsi très bien servi à
affaiblir la France, mais est devenue maintenant inutile. L’intérêt de
l’oligarchie serait au contraire à présent de la détruire. Bien entendu, le sort
de la Belgique n’intéresse en rien les oligarques, mais renforcer l’Union
Européenne leur importe au plus haut point, puisque celle-ci est la structure de
vassalisation des pays d’Europe à la phynance. Accroître les pouvoirs de l’Union
Européenne permettrait de réduire la démocratie à un pur jeu d’apparences, et de
renforcer durablement le régime autoritaire qui s’installe peu à peu depuis une
trentaine d’années. Mais il manque à l’Union Européenne la souveraineté qui lui
permettrait de dominer les États. C’est
à combler ce manque que détruire la Belgique serait
utile.
Le traité de Lisbonne a en effet doté l’Union
Européenne de la personnalité juridique et d’une représentation diplomatique.
Pour devenir un État internationalement reconnu, il ne lui faudrait plus qu’un
territoire propre, fût-il minuscule comme ceux de Monaco ou du Vatican. Un
quartier de Bruxelles ferait fort bien l’affaire. Dès que cette reconnaissance
serait obtenue, la subordination juridique des États, dès longtemps entreprise,
serait parachevée. L’attaque des spéculateurs contre la Grèce est déjà utilisée
pour préparer la mise sous tutelle des États.
Encore faut-il, pour obtenir la souveraineté sur une
partie de Bruxelles, faire éclater la Belgique, et il faut le faire sans tarder,
avant que les peuples d’Europe ne rejettent l’Union Européenne qui les ruine en
imposant le libre-échange absolu, y compris envers les pays tiers. L’éclatement
prochain de la zone euro rend la nécessité encore plus pressante. Cependant
d’autres raisons motivent aussi les oligarques à agir. Les extrémistes flamands
sont évidemment d’utiles auxiliaires, mais la crise économique pourrait faire
passer le nationalisme au second plan des soucis du peuple flamand. Mieux
vaudrait donc les utiliser au plus tôt, et si possible tant que sévit l’actuel
gouvernement français, tout entier composé de valets de la finance
internationale, dociles à nuire de leur mieux aux intérêts de la France et de la
Francophonie. Surtout, un fait interne à la Belgique, inconnu de la plupart des
Français, oblige à une manœuvre rapide et délicate.
Depuis 1962 la Belgique est soumise à des
« lois
linguistiques », imposées par la majorité flamande du pays.
Une « frontière linguistique », interne, divise le pays entre
Flandre, Wallonie et Bruxelles. Cette « frontière » fut fixée
sans consulter la population, sur la base d’un recensement de 1947 déjà périmé à
l’époque, afin que Bruxelles fût enclavée en Flandre. Elle ne coïncide pas
partout avec les limites administratives, ni avec l’actuelle limite entre les
langues, car l’extension de l’agglomération bruxelloise depuis soixante-trois
ans a étendu l’aire où l’usage du français est le plus courant. De ce fait, des
communes dont la grande majorité des habitants parlent français sont
administrativement rattachées à la Flandre (et de même les communes des Fourons,
loin de Bruxelles). Ces habitants sont parfois contraints à l’usage du
néerlandais, contre leur gré et au mépris de maints accords dûment signés et
ratifiés, ce qui suscite d’invraisemblables bisbilles, mesquines à souhait, qui
font toute la saveur de la politique belge. L’agglomération bruxelloise et la
Wallonie sont pourtant désormais contigües, mais le dessein opiniâtre des
Flamingants d’annexer Bruxelles à la Flandre empêche de reconnaître cette
réalité.
Quoique futiles, ces bizarreries ne sont pas
d’anodines coutumes locales, mais forment un important atout pour les partisans
d’une Union Européenne supra-nationale. En effet, lors de la division de la
Yougoslavie, la carence politique, la paresse d’esprit, le manque de
clairvoyance, la crainte inspirée par le seul nom de Sarajevo et surtout la
volonté de cacher le conflit politique opposant la France, qui voulait maintenir
la Fédération yougoslave, et l’Allemagne, qui voulait la détruire au plus tôt,
firent prévaloir une cote mal taillée : reconnaître les limites des
républiques fédérées comme frontières internationales, sans consulter les
populations ni considérer la répartition des diverses communautés humaines
assemblées ou divisées par ces frontières. On sait quels désastres ce compromis
entraîna et dans quelle confusion durable il a fait plonger les Balkans. Les
vices juridiques évidents étaient de confondre l’administratif et le
politique, de faire prévaloir le droit du sol sur le droit des
gens, et de préférer l’arbitraire bureaucratique à la vérité des préférences
nationales. Comme pour incruster le mal, les gouvernants d’Europe ont entériné
cette décision casuelle comme un principe. Ce précédent yougoslave serait donc
invoqué en cas d’éclatement de la Belgique (et l’on serait plus réaliste en
écrivant « lorsque la Belgique éclatera »).
Or plusieurs traditions politiques s’opposent en
Europe. Pour établir la nationalité des personnes, la tradition française
considère d’abord le droit du sol et secondairement la filiation, et elle s’en
tient depuis un siècle et demi au droit des gens pour fixer les frontières.
Jusqu’aux années récentes, la tradition germanique accordait l’exclusivité au
droit du sang pour la nationalité, et elle a longtemps tenté d’imposer le tracé
des frontières en invoquant le droit du sol ou le droit de conquête. La
tradition anglo-saxonne accorde la primauté au droit du sol pour la nationalité,
et laisse le droit du plus fort décider des frontières : la Grande-Bretagne
est une île. Ces trois traditions sont incompatibles.
Selon la jurisprudence tirée de l’écartèlement de la
Yougoslavie, les communes situées en Flandre sont flamandes, même celles dont la
grande majorité des habitants sont Bruxellois et francophones, et Bruxelles est
bel et bien enclavée en Flandre. En outre le parlement et le gouvernement
flamands (car il y a sept parlements et trois gouvernements en Belgique, outre
les assemblées provinciales !) ont, depuis des années, décrété que la
capitale de la Flandre était Bruxelles, et y ont fixé leur siège, sans consulter
les habitants de la ville bien entendu. En proclamant son indépendance, la
Flandre revendiquerait sa capitale ! Bien sûr, les Bruxellois sont à
85 % francophones, mais les dirigeants flamands ne manquent pas de
souligner qu’outre le français, maintes langues sont parlées à Bruxelles, y
compris le turc et l’arabe maghrébin, et même l’anglais dans des immeubles de
bureaux. Par mansuétude, le gouvernement flamand serait prêt à accorder un
statut dérogatoire (transitoire bien entendu) aux habitants qui ne parleraient
pas le néerlandais (anglais accepté).
Il est peu vraisemblable que les politiciens
britanniques et allemands intéressés par l’affaire soutiennent jusqu’au bout la
revendication flamande, car ils savent qu’imposer un changement de langue aux
habitants d’une grande ville est impossible. Mais des partisans du renforcement
de l’Union Européenne pourraient proposer (dans un esprit de conciliation, n’en
doutons pas…) un statut de "ville libre" pour une partie de Bruxelles,
comme jadis Dantzig ! Ce quartier serait pompeusement proclamé
« capitale de l’Europe » et, pour faire étasunien, on dirait
« District of Concordia ». Toute latitude serait laissée à
l’administration de l’Union Européenne pour angliciser peu à peu son
district ; en contrepartie, toute latitude serait laissée aux autorités du
nouvel État flamand, devenu souverain sur une partie de la ville, pour gêner les
Bruxellois francophones et attiser les oppositions ethniques. Mais ce scénario
dépend de l’enclavement de Bruxelles en Flandre, qu’un référendum dans les
communes proches de la « frontière linguistique » remettrait
en cause. La primauté du droit du sol sur le droit des gens, qui est le principe
de la politique flamingante et la cause principale de la fièvre politique
récurrente de la Belgique, paraît ainsi aux européistes comme un atout
maître.
Scinder la Belgique le long de la «
frontière linguistique » existante, sans consulter les populations
intéressées, est néanmoins en bonne logique un projet insoutenable. En effet,
une seule nationalité belge existe, et une seule souveraineté. Ces faits
incontestables sont de surcroît incarnés en une seule personne : le
roi ! Le droit des personnes ne distingue pas, parmi les Belges, des
Néerlandophones, des Francophones ou des Germanophones. La seule procédure
envisageable est donc de demander l’avis des populations au suffrage universel,
et de tracer la frontière au niveau communal. L’avenir de chaque commune serait
décidé à la pluralité des voix des habitants, puis chacun opterait pour la
nationalité de son choix. L’argument que le référendum n’existe pas en droit
belge est sans force, puisque par hypothèse l’État belge disparaîtrait. La seule
restriction envisageable au suffrage universel pourrait être de limiter le corps
électoral aux citoyens domiciliés dans chaque commune et y résidant
effectivement depuis plusieurs années, mais cette modalité d’application ne
modifierait pas le principe. Bien entendu, les États successeurs garantiraient
la liberté de circuler et de résider, ainsi que le maintien des droits des
minorités à l’avenir, de part et d’autre de la frontière ainsi démocratiquement
déterminée.
Quoique seule cette procédure soit conforme à
l’équité et à l’esprit du droit international, nul doute que des chicanes
seraient tentées pour en limiter et en retarder l’application. L’enjeu en effet
n’est pas mince, car si l’Union Européenne était reconnue comme un État fédéral
disposant d’un territoire propre et d’un service diplomatique, ses dirigeants
revendiqueraient bientôt un statut de membre permanent au Conseil de Sécurité de
l’ONU. La Grande-Bretagne n’envisageant aucun changement de ses droits, au nom
de son traditionnel statut d’exception, le siège de la France serait dévolu à
l’Union Européenne et bientôt confié à un Danois entouré d’une administration
anglaise. Ainsi l’empire anglo-saxon disposerait de trois sièges parmi les cinq
permanents.
Tel est le sens de la nomination de M. Van
Rompuy, voulue par la finance internationale. Dévoué à la Flandre et fidèle
serviteur des classes dominantes, M. Van Rompuy prépare la scission de la
Belgique afin d’assurer la domination de l’empire anglo-saxon sur l’Europe, en
contrepartie d’une promesse de soutien à la tentative de mainmise de la Flandre
sur Bruxelles. De son poste, il devrait faire traîner des négociations pendant
que les dirigeants flamands brusqueraient le mouvement. La France risque d’être
trahie par ses politiciens et éliminée de la politique mondiale.
À l’occasion d’une crise politique, les dirigeants
flamands tenteraient d’imposer leur solution avant que les peuples ne
réagissent. Cette « solution », qui évidemment ne ferait que
multiplier les problèmes, n’est pas une vague élucubration mais un dessein
médité. M. Herman Van Rompuy était l’un des parlementaires flamands qui
lancèrent le projet de scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde sans
référendum sur la limite linguistique, afin d’isoler Bruxelles. Herman a un
frère, Éric, lui aussi politicien. Il n’y a pas de mal à avoir un frère, ni à se
prénommer Éric, ni à se passionner pour la politique. Mais M. Éric Van
Rompuy est connu depuis quarante ans comme un flamingant rabique, qui ne se
cache pas de vouloir néerlandiser Bruxelles, de l’Atomium au bois de la Cambre
et des sous-sols aux mansardes. Éric dit tout haut ce que Herman ne doit pas
dire. Précisons : ce que Herman ne doit plus dire, car naguère encore il ne
s’en privait pas. S’il le pouvait, il ferait parler flamand au Menneken-Pis.
M. Herman Van Rompuy paraît certes aussi simplet que Pinocchio, mais ce
sont les renards et les loups qui tirent les ficelles.
Encore une fois, l’oligarchie mondiale se fiche de la
Flandre et des Flamingants, il se trouve seulement que des intérêts coïncident.
Ou plutôt, des hommes pensent que leurs intérêts coïncident. En réalité, le
peuple flamand, grand petit peuple qui peut s’enorgueillir d’un passé glorieux
et d’un présent prospère, nuirait certainement à son avenir s’il suivait ses
extrémistes. La volonté de souveraineté de la plupart des Flamands est
compréhensible et respectable, mais un coup de force à Bruxelles, suivi d’un
long conflit avec les habitants de la ville, serait un très mauvais commencement
d’existence étatique.
Fixer par référendum la frontière entre les États
serait, pour tous les peuples, bien préférable.
Face à de tels projets plusieurs
questions viennent à l’esprit. Quel est, à présent, le but de l’Union
Européenne ? Quelles sont ses effets réels ? Quelles forces sociales
soutiennent-elles l’intégration européenne ? Comment les États peuvent-ils
pacifier les rapports sociaux ?
Discuter ces questions en détail nécessiterait un
gros livre écrit par plusieurs auteurs, mais quelques réponses partielles
peuvent être cependant proposées.
Il n’est bien sûr pas possible d’épiloguer, puisque
nul ne connaît l’avenir, mais la prépondérance anglo-saxonne au Conseil de
Sécurité ouvrirait à l’ONU une crise semblable à l’agonie de la SDN à la fin des
années trente. La diplomatie, déjà rendue instable par la volonté des États-Unis
de récuser le multilatéralisme et d’affaiblir l’ONU, deviendrait chaotique.
L’oligarchie escompte cependant affermir ainsi son pouvoir, d’autant plus que la
suprématie de l’Union Européenne sur les États rendrait inopérants les débats
politiques dans les pays européens, comme ils le sont depuis longtemps dans les
pays anglo-saxons. Démocratie et Souveraineté nationale sont en effet
inséparables, et le but visé est d’abolir l’une et l’autre, afin d’achever de
détruire le compromis social datant de l’après-guerre, qui faisait la part trop
belle aux producteurs dans le partage de la valeur
ajoutée.
Dès les années cinquante du XXe siècle, les classes
dominantes comprirent que le suffrage universel rendait impossible une politique
réactionnaire dans les États nationaux. La « construction
européenne » leur permit de dominer les démocraties nationales et de
raffermir leur emprise sociale. Toute responsabilité politique fut bannie de
cette Union européenne, malgré la concentration progressive du pouvoir. La
notion même de politique en fut exclue, remplacée par l’exaltation des
compétences des experts et par quelques simagrées de démocratie factice. Le
libre-échangisme y devint dogme. Ainsi fut supprimé tout frein à la circulation
des marchandises et des capitaux, même à court terme, ce qui permit aux
détenteurs de monnaie de reprendre une grande part de la valeur économique
produite. Désormais les décisions sont prises dans l’ombre, au gré de firmes
privées, financières plutôt qu’industrielles, et dont les plus influentes ne
sont pas européennes. Sous la férule de la Commission, la concurrence entre les
pays de l’Union européenne est exacerbée à dessein, et l’immigration laissée
sans contrôle, afin de forcer la baisse relative des salaires et la régression
des droits sociaux. Pour verrouiller cet absolutisme si propice aux tripotages,
un projet de constitution fut présenté en 2005, mais rejeté par plusieurs
peuples en dépit d’une intense propagande. Le traité de Lisbonne fut donc imposé
en 2009 pour contraindre les peuples à se soumettre. Ce coup de force s’est
accompagné de l’aggravation de la surveillance policière. Dans l’Union
européenne, l’action politique est impuissante, l’industrie dépérit, les classes
populaires sont frappées par le chômage et appauvries, la plupart des
agriculteurs vivotent, l’activité intellectuelle s’étiole, la recherche est mise
sous tutelle, l’innovation disparaît. Mais si ce désastre organisé obère
l’avenir, il profite aux intermédiaires, et, au premier chef, aux banques
anglo-saxonnes qui, grâce aux manœuvres de leurs gouvernements, se sont arrogé
depuis quarante ans le monopole de la
création monétaire. Ce sont elles qui, au moyen de l’OMC, ont
imposé la concurrence indienne et chinoise. Ce sont elles qui achètent en
monnaie de singe les entreprises pour en absorber la substance puis les
démanteler. Ce sont elles qui gouvernent effectivement l’Union européenne, à
travers des hommes de paille. Grâce à la crise financière et à l’Union
européenne, elles contraignent à présent les États à collecter des impôts à leur
service. La prévarication est devenue une institution européenne, indispensable
à la survie de ces banques et de leur empire.
Le despotisme européiste, nous y sommes.
L’autoritarisme vétilleux de la Commission s’aggrave, avec l’aide de la bien mal
nommée Cour de justice européenne, dont les arrêts prétoriens étendent sans
cesse les compétences de l’Union européenne, en usurpant au profit de celle-ci
les droits des États. La langue des maltôtiers anglo-saxons est imposée, même
dans les affaires internes à chaque pays. La sape des constitutions nationales,
seul cadre où les divers intérêts sociaux puissent se confronter pacifiquement,
fait s’effondrer le débat politique et le contrôle démocratique sur les
gouvernants. Le pouvoir discrétionnaire de commissaires nommés par intrigue,
irresponsables, et placés sous influence, empiète ainsi chaque année davantage
sur les libertés publiques et privées. Les difficultés économiques et politiques
mènent fatalement ces despotes à la dictature. L’assujettissement des peuples
par la destruction des droits nationaux, n’est limité que par la résistance des
dirigeants des États, fort variable d’un pays à l’autre. Si les Allemands et les
Britanniques savent à la fois défendre leur pouvoir national, investir les
instances de décision de l’Union européenne et faire agir celles-ci au mieux de
leurs intérêts, les classes dominantes françaises font tout leur possible pour
accroître les prérogatives fédérales de l’Union européenne et vassaliser la
République Française, dans l’espoir d’accéder à la surclasse dominante
mondiale.
Prêtes à tout pour pérenniser leur prédominance
sociale tant elles craignent la révolte d’un peuple mal-pensant, les classes
dominantes françaises rêvent d’une tutelle étrangère et souhaitent une
administration anglophone, où caser leurs rejetons en excluant ceux du peuple.
En dégradant encore un peu plus l’enseignement public, elles pourraient réserver
le pouvoir à leurs descendants pour quelques générations. Les politiciens qui
s’agitent incessamment dans les palais parisiens sont au-delà de toute critique.
Tous leurs actes tendent à affaiblir la France, à la soumettre à l’empire
dominant et à diviser les Français. Leur programme est celui de Condoleezza Rice en
2003 : abaisser la France. Au service de maîtres qui les
méprisent, ces larbins ont envoyé l’armée française participer à l’agression
contre le peuple Afghan. Ces lémures s’efforcent de faire dépérir la
Francophonie et de céder la souveraineté de la Nation à l’Union européenne.
S’ils réussissaient, ils se rengorgeraient de leur renoncement. Les dominants
français, qu’ils se disent de « droite » ou de
« gauche », seraient immensément euphoriques de devenir
définitivement impuissants. Finies les responsabilités ! Et cela en
bénéficiant de la solidarité active des oligarchies des pays voisins ! La
France serait enfin échec et mat, politiquement, économiquement et
intellectuellement, pour la jubilation de l’Angleterre et de l’Allemagne, et au
grand soulagement de l’oligarchie française, qui pourrait s’angliciser le front
haut, afin de dominer le peuple pendant un siècle.
L’étape suivante, déjà en cours, est de brider
l’Union Européenne, par coalescence avec l’ALENA,
dans une Union Transatlantique étroitement liée à l’OTAN et conçue comme moyen
de domination interne sur les citoyens et d’intimidation externe vis-à-vis de la
Chine et de la Russie. Sa fondation serait prétexte à créer une nouvelle monnaie
permettant une banqueroute partielle. Sa direction effective serait partagée
entre les banquiers de Wall Street et ceux de la City, tandis que la
prédominance sur le continent européen serait laissée aux industriels allemands,
dont les représentants politiques s’efforcent depuis longtemps de diviser
l’Europe en régions, selon leur modèle fédéral, escomptant ainsi transformer en
pouvoir politique la puissance économique qu’ils retirent de l’UE. Le peuple
allemand ne suivrait peut-être pas ses dirigeants, mais les récents chanceliers
et ministres des affaires étrangères d’Allemagne ont dit et écrit, à maintes
reprises, que l’Union européenne permettrait à l’Allemagne de s’assurer
l’hégémonie qu’elle a échoué par deux fois à imposer à l’Europe par la guerre.
Cette hégémonie s’encadrerait, en attendant de s’en affranchir, dans l’empire
anglo-saxon, où la responsabilité politique des dirigeants et les droits des
personnes régressent depuis vingt ans. Les inextricables difficultés que ce
projet d’Union transatlantique ne manquerait pas de rencontrer font craindre une
fuite en avant de ses promoteurs vers la guerre.
Si ce projet de fédération despotique et
libre-échangiste aboutissait, la déstructuration économique s’aggraverait encore
et empêcherait définitivement de donner du travail à tous. Les plus récemment arrivés perdraient tout
possibilité de s’intégrer dans la nation. La cohésion sociale achèverait de se
déliter.
Mettre fin au libre-échange absolu et relocaliser la
production est donc vital. Pour les Français, c’est l’existence nationale,
culturelle et spirituelle qui est en jeu, en même temps que la prospérité, la
liberté et la paix civile. Pas de liberté individuelle si la liberté collective
n’est pas assurée ; pas de vie culturelle sans concorde ; pas de
concorde sans prospérité ; point de prospérité, même pour les riches, si
les pauvres sombrent dans la misère.
Un peuple est souverain s’il peut, par sa volonté
ultime exprimée collectivement, accepter ou repousser un projet engageant son
avenir. Parmi maintes raisons de vouloir maintenir notre Souveraineté nationale
et la transmettre aux générations à venir, fierté, fidélité à nos aïeux et à
notre culture, volonté d’être maître chez soi, goût pour la vie civique conçue
comme une œuvre d’art, crainte d’une désarticulation de la société menant à la
violence, il en est une qui devrait emporter la décision des Français :
dans le monde tel qu’il est, la France est un instrument irremplaçable au
service de la paix et de la liberté. Non par prédestination, parce que la France
serait une entité providentielle, peuplée d’esprits géniaux et douée d’une
essence collective intemporelle. Ce pays, comme toute autre formation sociale,
aurait pu disparaître ou avoir d’autres limites. Ses mœurs ont évolué au cours
du temps. Mais, au-delà de l’image sentimentale de Marianne au bonnet phrygien
ou de « la Madone aux fresques des murs », l’équilibre social
et les leçons de l’Histoire font que les Français croient à l’égalité des hommes
et à l’égalité des nations. Ils pensent que la liberté individuelle s’exerce
grâce à la liberté collective. Surtout, ils ont horreur des excès. Ce n’est pas
que jamais des Français n’en aient commis, il s’en faut. Mais, contre les abus,
se sont toujours dressés des femmes et des hommes, pour les dénoncer et appeler
leurs compatriotes à la raison, à la générosité et à l’honneur. Si peu nombreux
les protestataires aient-ils d’abord été, ils ont toujours fini par emporter la
conviction générale. Toutes les opinions, des plus chimériques aux plus
pertinentes, des plus tyranniques aux plus généreuses, ont déjà été débattues en
français. Au fil des siècles, malgré les défauts de leur organisation et les
injustices de leur société, et même après que certains d’entre eux aient commis
des crimes, les Français ont toujours su finalement se réformer. Souvent cela
n’alla pas sans difficultés, ni sans fautes parfois sordides. Cependant, par
leur attachement sans mysticisme à l’image idéale de la France, les Français
expriment leur consentement à l’effort d’humaniser la société, cet effort que
chaque génération doit continuer, en bénéficiant du labeur des générations qui
l’ont précédée pour alléger les peines des générations qui lui
succéderont.
Dans le désordre du monde, la France est le seul pays
autour duquel des oppositions à un impérialisme puissent se cristalliser
pacifiquement. C’est le seul pays qui pourrait, s’il se donnait à nouveau un
Gouvernement, proposer une réforme globale des relations internationales. Cette
proposition pourrait être d’autant plus favorablement accueillie que
l’impérialisme français date désormais d’un passé ancien.
La crise en cours, économique, financière, politique,
morale, et aussi guerrière puisque les puissances anglo-saxonnes ont perpétré
deux agressions au Moyen-Orient et y ont entraîné leurs alliés, démontre l’excès
d’ambition de l’oligarchie. Les événements châtient cette démesure. En répandant
partout le trouble et la violence, les puissances
« occidentales » se sont fait haïr dans le monde entier. Leurs
industries sont à présent très menacées par celles de pays concurrents que les
dirigeants ont eux-mêmes favorisés le plus possible, sous la pression de
financiers avides de multiplier les échanges, occasions de profits. Ces
concurrents sont sans scrupules et exploitent leurs peuples sans pitié. Si ce
déséquilibre perdurait, le risque de grave conflit s’accroîtrait. Seule une
calme fermeté peut rétablir à la fois l’équilibre international et la
liberté.
La dynamique propre du système international, mais
aussi les interventions des acteurs politiques, détermineront la coopération ou
l’affrontement, la prospérité ou l’appauvrissement, le rétablissement de la démocratie ou l’instauration
d’une dictature durable, la paix ou la guerre. Notre liberté
dépend de notre lucidité et de notre ténacité. Pour que les peuples d’Europe
ressaisissent une prise sur leur avenir, la priorité est d’abattre
l’irréformable Union Européenne, de quitter l’OTAN, et de remettre en chantier
la coopération internationale.
Les Français peuvent en prendre
l’initiative.
Christian Darlot, Linguiste, Chargé de recherche au
CNRS