DEVELOPPEMENT DURABLE :

L’EUROPE ENTRE LA LIBERTÉ DES NATIONS

 ET LE STALINO-LIBRECHANGISME

ou la signification de M. Van Rompuy

 

 

par Christian Darlot

 

Non, ce n’est pas une boutade ! Malgré son allure de Pinocchio effaré, Monsieur Van Rompuy (Herman) est loin d’être le personnage insignifiant qu’ont mélancoliquement décrit des européistes déçus. Il signifie un projet politique tout à fait clair, et a été choisi à dessein ; pas par les citoyens des différents peuples de la très diverse Europe, évidemment, mais par une oligarchie mondiale qui n’est pas le cercle des Présidents et des Premiers Ministres des pays de l’Union Européenne. Désormais simples exécutants politiques, ceux-ci n’ont fait que ratifier la décision d’affairistes qui ne se cachent même plus.

Avant de se présenter devant ceux qui devaient le nommer, M. Van Rompuy a comparu, le 12 novembre 2009, au château de Val-Duchesse, à Bruxelles, devant le jury d’un club mondial rassemblant banquiers, marchands d’armes, magnats du pétrole et dirigeants de multinationales avec leurs journalistes apprivoisés. Il est allé passer un examen. Le projet d’impôt européen à prétexte écologique qu’il y a fait connaître est tout ce que les citoyens ont été autorisés à savoir. Son parcours politicien ayant été jugé conforme au profil souhaité, il a été adoubé comme gouverneur général de l’Union Européenne. Quant à Madame Ashton, choisie en même temps, elle déborde de précieuses qualités : parvenue typique de la nomenklature, inféodée à la finance, absolument inconnue, tout à fait novice en diplomatie et incapable d’ânonner une phrase en une autre langue que l’anglais.

Le premier but de ce double choix est de signifier une fois pour toutes aux citoyens des pays d’Europe que l’ère démocratique est close, et que dorénavant c’est le conseil des banquiers qui décide . Désormais les choix seront faits par des experts, afin de maximiser les rendements financiers. Mettez vous bien ça dans la tête ! Peut-être pourtant quelques politiciens espéraient-ils qu’en acceptant des marionnettes aussi falotes ils retarderaient la mainmise totale des groupes bancaires, et pourraient exercer encore quelque pouvoir pendant quelques années. En ce cas ils se seraient illusionnés, car, derrière ce duo grotesque, la destruction de la démocratie va bon train, et eux-mêmes sont déjà surveillés.

La deuxième signification est que l’Union Européenne est une succursale de l’empire anglo-saxon, dont les dirigeants dictent la politique étrangère qu’ils font appliquer par l’OTAN, bras armé de l’oligarchie. Madame Ashton joue à merveille de sa balourdise feinte pour ridiculiser l’Union Européenne, tout en élargissant son propre champ d’action et en étoffant ses services (ne parlons pas de ses revenus). Elle joue son rôle, conformément aux instructions de ses commanditaires. La crise de la dette grecque montre sous un jour limpide les relations entre l’empire et ses vassaux. La Grèce est attaquée par des spéculateurs anglo-saxons, afin d’embarrasser les banques rivales créditrices principalement allemandes et françaises, et pour détourner l’attention de l’état désastreux des finances des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Pour les financiers, la diversité des pays du continent européen est contraire à la nécessaire soumission des consommateurs et défavorable à l’intimidation militaire exercée contre les «  pays émergents », vitale pour maintenir une hégémonie mondiale chancelante. L’activité intellectuelle, politique et scientifique dans les pays d’Europe doit être strictement encadrée et normalisée par l’usage exclusif de la langue anglaise, tandis que l’innovation doit être concentrée dans les pays dominant l’empire (comme le montre l’institution récente d’agences de contrainte et de surveillance des chercheurs). Les diplomaties nationales sont donc vouées à disparaître, en même temps que la liberté politique et culturelle des nations.

Mais pourquoi être allé chercher le Premier Ministre de Belgique, un pays qui apparemment n’avait pas besoin d’une crise politique supplémentaire ?

Précisément afin de provoquer une nouvelle crise et de scinder la Belgique, comme l’a récemment exigé un euro-député anglais qui, en bon Anglais, se mêle de ce qui ne le regarde pas et parle dans l’intérêt des classes dominantes. Mais quel est cet intérêt ? La Belgique n’est-elle pas une création de l’Angleterre ?

La Belgique moderne fut en effet créée en 1830 par l’Angleterre, afin que la France ne contrôlât pas le port d’Anvers et que la frontière du Nord de la France fût vulnérable militairement. Mais les diplomates anglais n’avaient pas prévu une guerre contre l’Allemagne unifiée, de sorte qu’au XXe siècle l’Angleterre, alliée à la France, dut sacrifier des milliers d’hommes pour défendre cette frontière indéfendable. La France en perdit cependant bien plus encore ! La Belgique a ainsi très bien servi à affaiblir la France, mais est devenue maintenant inutile. L’intérêt de l’oligarchie serait au contraire à présent de la détruire. Bien entendu, le sort de la Belgique n’intéresse en rien les oligarques, mais renforcer l’Union Européenne leur importe au plus haut point, puisque celle-ci est la structure de vassalisation des pays d’Europe à la phynance. Accroître les pouvoirs de l’Union Européenne permettrait de réduire la démocratie à un pur jeu d’apparences, et de renforcer durablement le régime autoritaire qui s’installe peu à peu depuis une trentaine d’années. Mais il manque à l’Union Européenne la souveraineté qui lui permettrait de dominer les États. C’est à combler ce manque que détruire la Belgique serait utile.

Le traité de Lisbonne a en effet doté l’Union Européenne de la personnalité juridique et d’une représentation diplomatique. Pour devenir un État internationalement reconnu, il ne lui faudrait plus qu’un territoire propre, fût-il minuscule comme ceux de Monaco ou du Vatican. Un quartier de Bruxelles ferait fort bien l’affaire. Dès que cette reconnaissance serait obtenue, la subordination juridique des États, dès longtemps entreprise, serait parachevée. L’attaque des spéculateurs contre la Grèce est déjà utilisée pour préparer la mise sous tutelle des États.

Encore faut-il, pour obtenir la souveraineté sur une partie de Bruxelles, faire éclater la Belgique, et il faut le faire sans tarder, avant que les peuples d’Europe ne rejettent l’Union Européenne qui les ruine en imposant le libre-échange absolu, y compris envers les pays tiers. L’éclatement prochain de la zone euro rend la nécessité encore plus pressante. Cependant d’autres raisons motivent aussi les oligarques à agir. Les extrémistes flamands sont évidemment d’utiles auxiliaires, mais la crise économique pourrait faire passer le nationalisme au second plan des soucis du peuple flamand. Mieux vaudrait donc les utiliser au plus tôt, et si possible tant que sévit l’actuel gouvernement français, tout entier composé de valets de la finance internationale, dociles à nuire de leur mieux aux intérêts de la France et de la Francophonie. Surtout, un fait interne à la Belgique, inconnu de la plupart des Français, oblige à une manœuvre rapide et délicate.

Depuis 1962 la Belgique est soumise à des «  lois linguistiques », imposées par la majorité flamande du pays. Une « frontière linguistique », interne, divise le pays entre Flandre, Wallonie et Bruxelles. Cette « frontière » fut fixée sans consulter la population, sur la base d’un recensement de 1947 déjà périmé à l’époque, afin que Bruxelles fût enclavée en Flandre. Elle ne coïncide pas partout avec les limites administratives, ni avec l’actuelle limite entre les langues, car l’extension de l’agglomération bruxelloise depuis soixante-trois ans a étendu l’aire où l’usage du français est le plus courant. De ce fait, des communes dont la grande majorité des habitants parlent français sont administrativement rattachées à la Flandre (et de même les communes des Fourons, loin de Bruxelles). Ces habitants sont parfois contraints à l’usage du néerlandais, contre leur gré et au mépris de maints accords dûment signés et ratifiés, ce qui suscite d’invraisemblables bisbilles, mesquines à souhait, qui font toute la saveur de la politique belge. L’agglomération bruxelloise et la Wallonie sont pourtant désormais contigües, mais le dessein opiniâtre des Flamingants d’annexer Bruxelles à la Flandre empêche de reconnaître cette réalité.

Quoique futiles, ces bizarreries ne sont pas d’anodines coutumes locales, mais forment un important atout pour les partisans d’une Union Européenne supra-nationale. En effet, lors de la division de la Yougoslavie, la carence politique, la paresse d’esprit, le manque de clairvoyance, la crainte inspirée par le seul nom de Sarajevo et surtout la volonté de cacher le conflit politique opposant la France, qui voulait maintenir la Fédération yougoslave, et l’Allemagne, qui voulait la détruire au plus tôt, firent prévaloir une cote mal taillée : reconnaître les limites des républiques fédérées comme frontières internationales, sans consulter les populations ni considérer la répartition des diverses communautés humaines assemblées ou divisées par ces frontières. On sait quels désastres ce compromis entraîna et dans quelle confusion durable il a fait plonger les Balkans. Les vices juridiques évidents étaient de confondre l’administratif et le politique, de faire prévaloir le droit du sol sur le droit des gens, et de préférer l’arbitraire bureaucratique à la vérité des préférences nationales. Comme pour incruster le mal, les gouvernants d’Europe ont entériné cette décision casuelle comme un principe. Ce précédent yougoslave serait donc invoqué en cas d’éclatement de la Belgique (et l’on serait plus réaliste en écrivant « lorsque la Belgique éclatera »).

Or plusieurs traditions politiques s’opposent en Europe. Pour établir la nationalité des personnes, la tradition française considère d’abord le droit du sol et secondairement la filiation, et elle s’en tient depuis un siècle et demi au droit des gens pour fixer les frontières. Jusqu’aux années récentes, la tradition germanique accordait l’exclusivité au droit du sang pour la nationalité, et elle a longtemps tenté d’imposer le tracé des frontières en invoquant le droit du sol ou le droit de conquête. La tradition anglo-saxonne accorde la primauté au droit du sol pour la nationalité, et laisse le droit du plus fort décider des frontières : la Grande-Bretagne est une île. Ces trois traditions sont incompatibles.

Selon la jurisprudence tirée de l’écartèlement de la Yougoslavie, les communes situées en Flandre sont flamandes, même celles dont la grande majorité des habitants sont Bruxellois et francophones, et Bruxelles est bel et bien enclavée en Flandre. En outre le parlement et le gouvernement flamands (car il y a sept parlements et trois gouvernements en Belgique, outre les assemblées provinciales !) ont, depuis des années, décrété que la capitale de la Flandre était Bruxelles, et y ont fixé leur siège, sans consulter les habitants de la ville bien entendu. En proclamant son indépendance, la Flandre revendiquerait sa capitale ! Bien sûr, les Bruxellois sont à 85 % francophones, mais les dirigeants flamands ne manquent pas de souligner qu’outre le français, maintes langues sont parlées à Bruxelles, y compris le turc et l’arabe maghrébin, et même l’anglais dans des immeubles de bureaux. Par mansuétude, le gouvernement flamand serait prêt à accorder un statut dérogatoire (transitoire bien entendu) aux habitants qui ne parleraient pas le néerlandais (anglais accepté).

Il est peu vraisemblable que les politiciens britanniques et allemands intéressés par l’affaire soutiennent jusqu’au bout la revendication flamande, car ils savent qu’imposer un changement de langue aux habitants d’une grande ville est impossible. Mais des partisans du renforcement de l’Union Européenne pourraient proposer (dans un esprit de conciliation, n’en doutons pas…) un statut de "ville libre" pour une partie de Bruxelles, comme jadis Dantzig ! Ce quartier serait pompeusement proclamé « capitale de l’Europe » et, pour faire étasunien, on dirait « District of Concordia ». Toute latitude serait laissée à l’administration de l’Union Européenne pour angliciser peu à peu son district ; en contrepartie, toute latitude serait laissée aux autorités du nouvel État flamand, devenu souverain sur une partie de la ville, pour gêner les Bruxellois francophones et attiser les oppositions ethniques. Mais ce scénario dépend de l’enclavement de Bruxelles en Flandre, qu’un référendum dans les communes proches de la «  frontière linguistique » remettrait en cause. La primauté du droit du sol sur le droit des gens, qui est le principe de la politique flamingante et la cause principale de la fièvre politique récurrente de la Belgique, paraît ainsi aux européistes comme un atout maître.

Scinder la Belgique le long de la «  frontière linguistique » existante, sans consulter les populations intéressées, est néanmoins en bonne logique un projet insoutenable. En effet, une seule nationalité belge existe, et une seule souveraineté. Ces faits incontestables sont de surcroît incarnés en une seule personne : le roi ! Le droit des personnes ne distingue pas, parmi les Belges, des Néerlandophones, des Francophones ou des Germanophones. La seule procédure envisageable est donc de demander l’avis des populations au suffrage universel, et de tracer la frontière au niveau communal. L’avenir de chaque commune serait décidé à la pluralité des voix des habitants, puis chacun opterait pour la nationalité de son choix. L’argument que le référendum n’existe pas en droit belge est sans force, puisque par hypothèse l’État belge disparaîtrait. La seule restriction envisageable au suffrage universel pourrait être de limiter le corps électoral aux citoyens domiciliés dans chaque commune et y résidant effectivement depuis plusieurs années, mais cette modalité d’application ne modifierait pas le principe. Bien entendu, les États successeurs garantiraient la liberté de circuler et de résider, ainsi que le maintien des droits des minorités à l’avenir, de part et d’autre de la frontière ainsi démocratiquement déterminée.

Quoique seule cette procédure soit conforme à l’équité et à l’esprit du droit international, nul doute que des chicanes seraient tentées pour en limiter et en retarder l’application. L’enjeu en effet n’est pas mince, car si l’Union Européenne était reconnue comme un État fédéral disposant d’un territoire propre et d’un service diplomatique, ses dirigeants revendiqueraient bientôt un statut de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. La Grande-Bretagne n’envisageant aucun changement de ses droits, au nom de son traditionnel statut d’exception, le siège de la France serait dévolu à l’Union Européenne et bientôt confié à un Danois entouré d’une administration anglaise. Ainsi l’empire anglo-saxon disposerait de trois sièges parmi les cinq permanents.

Tel est le sens de la nomination de M. Van Rompuy, voulue par la finance internationale. Dévoué à la Flandre et fidèle serviteur des classes dominantes, M. Van Rompuy prépare la scission de la Belgique afin d’assurer la domination de l’empire anglo-saxon sur l’Europe, en contrepartie d’une promesse de soutien à la tentative de mainmise de la Flandre sur Bruxelles. De son poste, il devrait faire traîner des négociations pendant que les dirigeants flamands brusqueraient le mouvement. La France risque d’être trahie par ses politiciens et éliminée de la politique mondiale.

À l’occasion d’une crise politique, les dirigeants flamands tenteraient d’imposer leur solution avant que les peuples ne réagissent. Cette « solution », qui évidemment ne ferait que multiplier les problèmes, n’est pas une vague élucubration mais un dessein médité. M. Herman Van Rompuy était l’un des parlementaires flamands qui lancèrent le projet de scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde sans référendum sur la limite linguistique, afin d’isoler Bruxelles. Herman a un frère, Éric, lui aussi politicien. Il n’y a pas de mal à avoir un frère, ni à se prénommer Éric, ni à se passionner pour la politique. Mais M. Éric Van Rompuy est connu depuis quarante ans comme un flamingant rabique, qui ne se cache pas de vouloir néerlandiser Bruxelles, de l’Atomium au bois de la Cambre et des sous-sols aux mansardes. Éric dit tout haut ce que Herman ne doit pas dire. Précisons : ce que Herman ne doit plus dire, car naguère encore il ne s’en privait pas. S’il le pouvait, il ferait parler flamand au Menneken-Pis. M. Herman Van Rompuy paraît certes aussi simplet que Pinocchio, mais ce sont les renards et les loups qui tirent les ficelles.

Encore une fois, l’oligarchie mondiale se fiche de la Flandre et des Flamingants, il se trouve seulement que des intérêts coïncident. Ou plutôt, des hommes pensent que leurs intérêts coïncident. En réalité, le peuple flamand, grand petit peuple qui peut s’enorgueillir d’un passé glorieux et d’un présent prospère, nuirait certainement à son avenir s’il suivait ses extrémistes. La volonté de souveraineté de la plupart des Flamands est compréhensible et respectable, mais un coup de force à Bruxelles, suivi d’un long conflit avec les habitants de la ville, serait un très mauvais commencement d’existence étatique.

Fixer par référendum la frontière entre les États serait, pour tous les peuples, bien préférable.

Face à de tels projets plusieurs questions viennent à l’esprit. Quel est, à présent, le but de l’Union Européenne ? Quelles sont ses effets réels ? Quelles forces sociales soutiennent-elles l’intégration européenne ? Comment les États peuvent-ils pacifier les rapports sociaux ?

Discuter ces questions en détail nécessiterait un gros livre écrit par plusieurs auteurs, mais quelques réponses partielles peuvent être cependant proposées.

Il n’est bien sûr pas possible d’épiloguer, puisque nul ne connaît l’avenir, mais la prépondérance anglo-saxonne au Conseil de Sécurité ouvrirait à l’ONU une crise semblable à l’agonie de la SDN à la fin des années trente. La diplomatie, déjà rendue instable par la volonté des États-Unis de récuser le multilatéralisme et d’affaiblir l’ONU, deviendrait chaotique. L’oligarchie escompte cependant affermir ainsi son pouvoir, d’autant plus que la suprématie de l’Union Européenne sur les États rendrait inopérants les débats politiques dans les pays européens, comme ils le sont depuis longtemps dans les pays anglo-saxons. Démocratie et Souveraineté nationale sont en effet inséparables, et le but visé est d’abolir l’une et l’autre, afin d’achever de détruire le compromis social datant de l’après-guerre, qui faisait la part trop belle aux producteurs dans le partage de la valeur ajoutée.

Dès les années cinquante du XXe siècle, les classes dominantes comprirent que le suffrage universel rendait impossible une politique réactionnaire dans les États nationaux. La « construction européenne » leur permit de dominer les démocraties nationales et de raffermir leur emprise sociale. Toute responsabilité politique fut bannie de cette Union européenne, malgré la concentration progressive du pouvoir. La notion même de politique en fut exclue, remplacée par l’exaltation des compétences des experts et par quelques simagrées de démocratie factice. Le libre-échangisme y devint dogme. Ainsi fut supprimé tout frein à la circulation des marchandises et des capitaux, même à court terme, ce qui permit aux détenteurs de monnaie de reprendre une grande part de la valeur économique produite. Désormais les décisions sont prises dans l’ombre, au gré de firmes privées, financières plutôt qu’industrielles, et dont les plus influentes ne sont pas européennes. Sous la férule de la Commission, la concurrence entre les pays de l’Union européenne est exacerbée à dessein, et l’immigration laissée sans contrôle, afin de forcer la baisse relative des salaires et la régression des droits sociaux. Pour verrouiller cet absolutisme si propice aux tripotages, un projet de constitution fut présenté en 2005, mais rejeté par plusieurs peuples en dépit d’une intense propagande. Le traité de Lisbonne fut donc imposé en 2009 pour contraindre les peuples à se soumettre. Ce coup de force s’est accompagné de l’aggravation de la surveillance policière. Dans l’Union européenne, l’action politique est impuissante, l’industrie dépérit, les classes populaires sont frappées par le chômage et appauvries, la plupart des agriculteurs vivotent, l’activité intellectuelle s’étiole, la recherche est mise sous tutelle, l’innovation disparaît. Mais si ce désastre organisé obère l’avenir, il profite aux intermédiaires, et, au premier chef, aux banques anglo-saxonnes qui, grâce aux manœuvres de leurs gouvernements, se sont arrogé depuis quarante ans le monopole de la création monétaire. Ce sont elles qui, au moyen de l’OMC, ont imposé la concurrence indienne et chinoise. Ce sont elles qui achètent en monnaie de singe les entreprises pour en absorber la substance puis les démanteler. Ce sont elles qui gouvernent effectivement l’Union européenne, à travers des hommes de paille. Grâce à la crise financière et à l’Union européenne, elles contraignent à présent les États à collecter des impôts à leur service. La prévarication est devenue une institution européenne, indispensable à la survie de ces banques et de leur empire.

Le despotisme européiste, nous y sommes. L’autoritarisme vétilleux de la Commission s’aggrave, avec l’aide de la bien mal nommée Cour de justice européenne, dont les arrêts prétoriens étendent sans cesse les compétences de l’Union européenne, en usurpant au profit de celle-ci les droits des États. La langue des maltôtiers anglo-saxons est imposée, même dans les affaires internes à chaque pays. La sape des constitutions nationales, seul cadre où les divers intérêts sociaux puissent se confronter pacifiquement, fait s’effondrer le débat politique et le contrôle démocratique sur les gouvernants. Le pouvoir discrétionnaire de commissaires nommés par intrigue, irresponsables, et placés sous influence, empiète ainsi chaque année davantage sur les libertés publiques et privées. Les difficultés économiques et politiques mènent fatalement ces despotes à la dictature. L’assujettissement des peuples par la destruction des droits nationaux, n’est limité que par la résistance des dirigeants des États, fort variable d’un pays à l’autre. Si les Allemands et les Britanniques savent à la fois défendre leur pouvoir national, investir les instances de décision de l’Union européenne et faire agir celles-ci au mieux de leurs intérêts, les classes dominantes françaises font tout leur possible pour accroître les prérogatives fédérales de l’Union européenne et vassaliser la République Française, dans l’espoir d’accéder à la surclasse dominante mondiale.

Prêtes à tout pour pérenniser leur prédominance sociale tant elles craignent la révolte d’un peuple mal-pensant, les classes dominantes françaises rêvent d’une tutelle étrangère et souhaitent une administration anglophone, où caser leurs rejetons en excluant ceux du peuple. En dégradant encore un peu plus l’enseignement public, elles pourraient réserver le pouvoir à leurs descendants pour quelques générations. Les politiciens qui s’agitent incessamment dans les palais parisiens sont au-delà de toute critique. Tous leurs actes tendent à affaiblir la France, à la soumettre à l’empire dominant et à diviser les Français. Leur programme est celui de Condoleezza Rice en 2003 : abaisser la France. Au service de maîtres qui les méprisent, ces larbins ont envoyé l’armée française participer à l’agression contre le peuple Afghan. Ces lémures s’efforcent de faire dépérir la Francophonie et de céder la souveraineté de la Nation à l’Union européenne. S’ils réussissaient, ils se rengorgeraient de leur renoncement. Les dominants français, qu’ils se disent de « droite » ou de « gauche », seraient immensément euphoriques de devenir définitivement impuissants. Finies les responsabilités ! Et cela en bénéficiant de la solidarité active des oligarchies des pays voisins ! La France serait enfin échec et mat, politiquement, économiquement et intellectuellement, pour la jubilation de l’Angleterre et de l’Allemagne, et au grand soulagement de l’oligarchie française, qui pourrait s’angliciser le front haut, afin de dominer le peuple pendant un siècle.

L’étape suivante, déjà en cours, est de brider l’Union Européenne, par coalescence avec l’ALENA, dans une Union Transatlantique étroitement liée à l’OTAN et conçue comme moyen de domination interne sur les citoyens et d’intimidation externe vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Sa fondation serait prétexte à créer une nouvelle monnaie permettant une banqueroute partielle. Sa direction effective serait partagée entre les banquiers de Wall Street et ceux de la City, tandis que la prédominance sur le continent européen serait laissée aux industriels allemands, dont les représentants politiques s’efforcent depuis longtemps de diviser l’Europe en régions, selon leur modèle fédéral, escomptant ainsi transformer en pouvoir politique la puissance économique qu’ils retirent de l’UE. Le peuple allemand ne suivrait peut-être pas ses dirigeants, mais les récents chanceliers et ministres des affaires étrangères d’Allemagne ont dit et écrit, à maintes reprises, que l’Union européenne permettrait à l’Allemagne de s’assurer l’hégémonie qu’elle a échoué par deux fois à imposer à l’Europe par la guerre. Cette hégémonie s’encadrerait, en attendant de s’en affranchir, dans l’empire anglo-saxon, où la responsabilité politique des dirigeants et les droits des personnes régressent depuis vingt ans. Les inextricables difficultés que ce projet d’Union transatlantique ne manquerait pas de rencontrer font craindre une fuite en avant de ses promoteurs vers la guerre.

Si ce projet de fédération despotique et libre-échangiste aboutissait, la déstructuration économique s’aggraverait encore et empêcherait définitivement de donner du travail à tous. Les plus récemment arrivés perdraient tout possibilité de s’intégrer dans la nation. La cohésion sociale achèverait de se déliter.

Mettre fin au libre-échange absolu et relocaliser la production est donc vital. Pour les Français, c’est l’existence nationale, culturelle et spirituelle qui est en jeu, en même temps que la prospérité, la liberté et la paix civile. Pas de liberté individuelle si la liberté collective n’est pas assurée ; pas de vie culturelle sans concorde ; pas de concorde sans prospérité ; point de prospérité, même pour les riches, si les pauvres sombrent dans la misère.

Un peuple est souverain s’il peut, par sa volonté ultime exprimée collectivement, accepter ou repousser un projet engageant son avenir. Parmi maintes raisons de vouloir maintenir notre Souveraineté nationale et la transmettre aux générations à venir, fierté, fidélité à nos aïeux et à notre culture, volonté d’être maître chez soi, goût pour la vie civique conçue comme une œuvre d’art, crainte d’une désarticulation de la société menant à la violence, il en est une qui devrait emporter la décision des Français : dans le monde tel qu’il est, la France est un instrument irremplaçable au service de la paix et de la liberté. Non par prédestination, parce que la France serait une entité providentielle, peuplée d’esprits géniaux et douée d’une essence collective intemporelle. Ce pays, comme toute autre formation sociale, aurait pu disparaître ou avoir d’autres limites. Ses mœurs ont évolué au cours du temps. Mais, au-delà de l’image sentimentale de Marianne au bonnet phrygien ou de «  la Madone aux fresques des murs », l’équilibre social et les leçons de l’Histoire font que les Français croient à l’égalité des hommes et à l’égalité des nations. Ils pensent que la liberté individuelle s’exerce grâce à la liberté collective. Surtout, ils ont horreur des excès. Ce n’est pas que jamais des Français n’en aient commis, il s’en faut. Mais, contre les abus, se sont toujours dressés des femmes et des hommes, pour les dénoncer et appeler leurs compatriotes à la raison, à la générosité et à l’honneur. Si peu nombreux les protestataires aient-ils d’abord été, ils ont toujours fini par emporter la conviction générale. Toutes les opinions, des plus chimériques aux plus pertinentes, des plus tyranniques aux plus généreuses, ont déjà été débattues en français. Au fil des siècles, malgré les défauts de leur organisation et les injustices de leur société, et même après que certains d’entre eux aient commis des crimes, les Français ont toujours su finalement se réformer. Souvent cela n’alla pas sans difficultés, ni sans fautes parfois sordides. Cependant, par leur attachement sans mysticisme à l’image idéale de la France, les Français expriment leur consentement à l’effort d’humaniser la société, cet effort que chaque génération doit continuer, en bénéficiant du labeur des générations qui l’ont précédée pour alléger les peines des générations qui lui succéderont.

Dans le désordre du monde, la France est le seul pays autour duquel des oppositions à un impérialisme puissent se cristalliser pacifiquement. C’est le seul pays qui pourrait, s’il se donnait à nouveau un Gouvernement, proposer une réforme globale des relations internationales. Cette proposition pourrait être d’autant plus favorablement accueillie que l’impérialisme français date désormais d’un passé ancien.

La crise en cours, économique, financière, politique, morale, et aussi guerrière puisque les puissances anglo-saxonnes ont perpétré deux agressions au Moyen-Orient et y ont entraîné leurs alliés, démontre l’excès d’ambition de l’oligarchie. Les événements châtient cette démesure. En répandant partout le trouble et la violence, les puissances « occidentales » se sont fait haïr dans le monde entier. Leurs industries sont à présent très menacées par celles de pays concurrents que les dirigeants ont eux-mêmes favorisés le plus possible, sous la pression de financiers avides de multiplier les échanges, occasions de profits. Ces concurrents sont sans scrupules et exploitent leurs peuples sans pitié. Si ce déséquilibre perdurait, le risque de grave conflit s’accroîtrait. Seule une calme fermeté peut rétablir à la fois l’équilibre international et la liberté.

La dynamique propre du système international, mais aussi les interventions des acteurs politiques, détermineront la coopération ou l’affrontement, la prospérité ou l’appauvrissement, le rétablissement de la démocratie ou l’instauration d’une dictature durable, la paix ou la guerre. Notre liberté dépend de notre lucidité et de notre ténacité. Pour que les peuples d’Europe ressaisissent une prise sur leur avenir, la priorité est d’abattre l’irréformable Union Européenne, de quitter l’OTAN, et de remettre en chantier la coopération internationale.

Les Français peuvent en prendre l’initiative.

Christian Darlot, Linguiste, Chargé de recherche au CNRS

 Cliquer ici pour envoyer un message

 

 

      Réagir à l'article :
 


09.06.2010

Free counter and web stats
HTML Web Counter