Nous
voilà
tous « conjoncturés » !
« L’euro, c’est une monnaie qui se partage à seize, et à la fin, c’est toujours
l’Allemagne qui gagne. »
Gary Lineker, footballeur anglais. « Conjoncturés » ! C’est le mot qu’avaient
inventé les Ivoiriens pour qualifier leur situation quand ils eurent à subir, au
début des années 1980, les effets pervers des mesures d’ajustement structurel et
de réforme administrative imposées par la Banque mondiale et le fmi
venus
aider leur pays à honorer les échéances de remboursement des emprunts qu’il
avait contractés pour la réalisation d’investissements supposés productifs et en
fait surdimensionnés, car, là aussi, il y avait eu des pousse-au-crime ! Et
voilà que pour nous, « pauvres » Gaulois, hier superassistés, c’est aujourd’hui,
avec la rigueur annoncée et de fait incontournable, le ciel qui menace de tomber
sur nos têtes… Bref, à notre tour, nous serons bientôt tous « conjoncturés
».
Du
risque de faillite grec, somme toute relativement circonscrit au départ, on est
passé à un doute généralisé des marchés sur la solvabilité des États européens
les plus endettés, ce qui a entraîné une ample spéculation à la baisse sur
l’euro dont les fondamentaux apparaissaient à la fois menacés par ce risque
d’insolvabilité et par l’absence d’une croissance économique suffisante, seule
capable de le réduire sensiblement. Du coup, même à supposer que les centaines
de milliards annoncés puissent être effectivement mobilisés en cas de besoin,
s’est trouvée entamée d’entrée la crédibilité des mesures financières envisagées
pour assurer une solidarité effective entre les seize pays qui composent la zone
euro. La probabilité d’une extension de la crise grecque à des pays comme
l’Espagne ou l’Italie constituait d’autre part un tel changement d’échelle qu’on
ne pouvait plus être assuré d’éviter alors un éclatement de la zone euro, voire
de l’Union européenne, les populations des pays budgétairement « sérieux », ceux
du Nord de l’Europe, refusant de sacrifier leur niveau de vie pour venir au
secours des « cigales » du Sud et les populations de celles-ci rejetant les
mesures antisociales imposées par le
fmi et
Bruxelles.
Ce
qui dérange le plus aujourd’hui, c’est que cette situation générale
d’endettement dépassant largement les limites fixées par les traités européens,
au demeurant parfaitement connue des responsables politiques et bancaires, ait
pu déboucher du jour au lendemain sur des surenchères de rigueur ici et là, sans
concertation préalable, et par conséquent sans prise en compte du risque
collectif de récession ainsi entraîné, lequel ne pourrait que porter plus grand
préjudice encore à la solidité de l’euro, même si son actuelle dévaluation de
fait correspond par ailleurs à un réajustement nécessaire. Indispensables à la
mise en oeuvre des mesures de réduction des dettes souveraines qui s’imposeront
de toute façon, les consensus nationaux sont d’autre part loin d’être acquis.
Ils ont été trop mis à mal auparavant, en France spécialement, par le jeu des
prises de position systématiquement négatives des partis d’opposition à chaque
changement de majorité. L’exercice démocratique des pouvoirs s’en est trouvé
quelque peu malmené, et aujourd’hui on ne peut que constater le dangereux manque
de réalisme et de sincérité des responsables politiques concernés qui, par pure
démagogie et n’ayant en vue que leur maintien ou leur retour au pouvoir, se
montrent toujours prêts à nier les plus grandes évidences. Ce n’est certainement
pas ainsi que la situation pourra être redressée.
Pour
l’heure, en la matière, rigueur ou pas, c’est le modèle budgétaire allemand,
imposé sans ménagement par Mme Merkel, défenderesse de l’euro fort, qui fait
loi. L’oeil rivé sur les taux d’emprunt appliqués à chacun de leurs pays, les
dirigeants européens ne semblent plus voir d’autre solution que l’entrée dans ce
moule jugé le plus protecteur au regard des annonces des agences de notation.
S’ensuit une véritable fuite en avant qui, outre la remise en cause probable
d’une croissance déjà insuffisante, risque de buter tôt ou tard sur le mur
constitué des populations rendues « vulnérables » (c’est ainsi qu’on appelle
au
fmi et
à la Banque mondiale les populations prises en otage par les plans d’ajustement
structurel – autre appellation contrôlée – qu’ils imposent en contrepartie de
leurs aides financières). Rien n’est donc réglé. Tous les scénarios restent
possibles, les pires et au mieux … les moins pires !
C’est
pourquoi il faut se demander comment on a pu en arriver là, à cet état de crise
suraiguë et à bien des égards irrationnelle. Se poser la question conduit
inévitablement à s’interroger sur le rôle qu’ont joué les agences de notation
dans la démesure prise par la crise et à se demander quels intérêts elles ont
objectivement servis, intentionnellement ou non, par des annonces négatives,
faites sans précaution et inévitablement relayées et amplifiées par des médias à
l’affût de toute mauvaise nouvelle. On aurait pu supposer que, devant ces
risques de déstabilisation de la zone euro qui ne pouvaient être ignorés, une
certaine prudence, de pure honnêteté intellectuelle, aurait joué, mais l’appât
des énormes gains qui pouvaient découler de la spéculation semble avoir au
contraire poussé à l’inverse. L’impunité n’est plus de mise devant de tels
manquements professionnels.
De
leur côté, les euroseptiques se réjouiront d’une situation qui confirme leurs
réserves antérieures quant à la viabilité du projet européen, et les adversaires
irréductibles d’une Union Européenne fédérale, c’est-à-dire destructrice des
identités nationales, y verront la juste sanction d’une forfaiture dénoncée.
Faut-il s’en réjouir ? C’est bien sûr affaire d’opinion, mais, audelà des
chimères idéologiques dont il ne faut pas cesser de dénoncer la dangerosité, on
ne peut négliger les conséquences possibles d’un tel échec. Même s’il n’y avait
pas retour aux affrontements guerriers des siècles passés - les peuples
européens sont assez sages pour ne plus en vouloir, le faire savoir et
reconnaître par leurs dirigeants -, resterait sans doute inévitable l’émergence
de tenaces rancunes s’opposant à toute tentative de gouvernance économique,
surtout si celle-ci devait ôter aux dirigeants nationaux leurs prérogatives dans
le domaine social. Ces rancunes se nourriraient inévitablement des difficultés
socio-économiques engendrées par cette quasi faillite, après les faux espoirs
qu’avaient fait naître les efforts de réconciliation de l’après-guerre.
On
voit bien aujourd’hui que ceux-ci relevaient davantage des bons sentiments que
d’un réalisme géopolitique, l’Allemagne n’ayant jamais cessé de rechercher
depuis sa défaite à rétablir une position dominante, ce à quoi elle a
parfaitement réussi et ce qu’a toujours confirmé la nature de ses rapports
privilégiés avec les États-Unis.
*
2.
L’Otan
se cherche toujours une raison d’exister … mais
sans
en avoir les moyens !
À
six mois du sommet de Lisbonne qui doit adopter son plan d’action pour la
prochaine décennie, l’Otan, confrontée en Afghanistan à une intervention
beaucoup plus lourde et durable que prévu et apparemment sans résultat probant,
se trouve, en cette période de restrictions budgétaires, avoir à choisir entre
poursuivre ce type d’intervention, jugé jusqu’à présent prioritaire, ou acquérir
les équipements qui permettraient de faire face aux menaces nouvellement
identifiées auxquelles seront vraisemblablement exposés dans l’avenir les pays
de l’Alliance atlantique, en premier lieu les menaces balistiques et les
cyberattaques, telle celle subie par l’Estonie en 2007. Il s’agit là de défis
technologiques et financiers considérables. De fait, aujourd’hui, sur son
principal théâtre d’opération, l’Afghanistan, malgré des succès tactiques locaux
et quelques ralliements superficiels, l’Otan n’a toujours pas réussi à faire la
preuve de sa capacité à éliminer une organisation terroriste qui bénéficie d’une
solide implantation dans le pays d’intervention.
Et
il est chaque jour plus évident que la situation qui prévaut actuellement et que
caractérise une augmentation sensible du nombre et de l’intensité des actions
menées par les insurgés annonce un échec final qui sera présenté par ces
derniers comme une victoire éclatante d’Allah sur les infidèles et autres
croisés occidentaux… L’effet est assuré dans les pays d’Islam ! On peut dès lors
se demander si l’Otan, dont la dépendance à l’égard des États-Unis n’est que
trop évidente, est bien l’outil adéquat pour intervenir dans une telle
situation, laquelle, pour autant qu’elle menace effectivement la sécurité
internationale, devrait logiquement relever d’une intervention des Nations
Unies, malheureusement dépourvues dès l’origine des moyens nécessaires.
L’établir dans ceux-ci aurait dû être et devrait toujours être une constante de
la politique extérieure de la France, surtout tant que les États-Unis s’y
opposeront au motif bien impérialiste que, comme pour la défense de l’Europe,
l’Otan, sous leur leadership, est l’outil militaire qui rend inutile l’existence
de tout autre système de défense. Sans pour autant remettre en cause ce
leadership américain, il semble cependant que le président Obama, placé lui
aussi devant la nécessité d’assainir les finances publiques de son pays, évolue
aujourd’hui vers un plus grand partage des responsabilités dans la gestion du
nouvel ordre mondial qui voit se déplacer en Orient et Extrême Orient le centre
de gravité de la planète.
Organisation
en fait régionale, l’Otan ne peut prétendre s’élargir au Pacifique : l’abandon
de la candidature de l’Australie en est révélatrice. Logiquement, l’organisation
devrait donc voir son champ d’intervention se réduire à celui de sa création,
c’est-à-dire à l’ensemble des pays bordant l’Atlantique Nord, élargi à l’Europe
centrale, voire à la Méditerranée. Telle est du moins l’idée que peuvent s’en
faire les autres grandes puissances existantes ou émergentes de par le monde, ce
qui enlève à leurs yeux toute légitimité à l’Otan pour intervenir, surtout par
la force, hors de cet espace d’origine. Â l’évidence, désormais, l’Occident,
États- Unis y compris, ne peut plus prétendre à une telle « suzeraineté », et il
doit adapter sa défense aux nouveaux rapports de forces qui se font jour et qui
ne lui sont plus nécessairement favorables.
A
contrario, il
reste que la mondialisation des menaces ne nécessite plus, à l’heure des
munitions intercontinentales, l’implantation à terre des systèmes de défense.
D’une précision chaque jour renforcée, leurs effets modulés en fonction des
cibles visées, ces munitions peuvent toutes être délivrées à partir des mers, de
l’air ou bientôt de l’espace, et la quasi-totalité des plates-formes adaptées
existe déjà. C’est là l’avantage principal qui reste aux puissances
occidentales. Quant au terrorisme, sa neutralisation passe davantage par des
infiltrations policières et des actions ciblées des forces spéciales que par des
projections de troupes terrestres dont le succès s’est pratiquement toujours
révélé incomplet. Ce n’est donc pas sur celles-ci qu’il faut compter, comme
encore aujourd’hui, pour assurer la sécurité des pays de l’Otan, ce qui devrait
inciter leurs dirigeants à limiter l’importance des réarmements conventionnels
qu’ils avaient envisagés en vue de projections de forces et que des restrictions
budgétaires incontournables remettront de toute façon largement en cause. Si
l’Otan doit subsister, raisonnablement, ce ne devrait être que pour rechercher
et mettre en oeuvre collectivement les parades à trouver aux nouvelles menaces
identifiées et pour partager entre pays composant l’organisation la charge
globale des systèmes de défense correspondants.
*
Un
tel choix ne pourrait par ailleurs que remettre en cause fort opportunément
l’importance démesurée prise par les structures de commandement de l’Otan qui se
sont greffées sur l’outil militaire proprement dit, tel qu’il est conçu et
employé actuellement. Hors opérations, ce ne sont pas moins de20.000 militaires
et civils qui sont employés dans ces (super) structures. Comme dans toute
organisation internationale de ce type, chaque pays veut y être représenté au
niveau qu’il estime être le sien, d’où d’inévitables sureffectifs et doublons
pour ménager les susceptibilités. L’inflation bureaucratique qui en résulte se
traduit par la multiplication de sous-comités et groupes de travail (380 !)
jugés « indispensables » au bon fonctionnement des trente-neuf grands comités
qui forment l’ossature de l’organisation (Conseil de l’Atlantique-Nord, Comité
des plans de défense, etc.). Le personnel du commandement intégré emploie à lui
seul 13.000 militaires, effectif dont la France, arguant de la nécessité de
faire des économies, demande une réduction d’un tiers au moment où elle veut y
faire affecter un millier de ses propres officiers et sousofficiers. Singulière
contradiction qui souligne le caractère quelque peu farfelu des retombées à
attendre du retour de notre pays dans le commandement intégré de l’Otan,
d’autant qu’aucun de ses partenaires ne sera prêt à renoncer à son profit à
quelques uns des postes qui lui resteraient affectés.
Une
moitié des pays de l’Otan – tous européens – consacrent aux équipements la norme
usuelle de 20 % de leurs crédits militaires. Cela traduit aux yeux de Washington
un singulier manque d’intérêt de ces pays pour les questions de défense, d’où «
des inquiétudes sur les capacités que les Européens sont en mesure de déployer
».
*
«
Je n’abandonnerai pas l’arme nucléaire, garante de la sécurité de mon pays, de
façon unilatérale, dans un monde aussi dangereux qu’il l’est aujourd’hui » :
Nicolas
Sarkozy le 12 avril à la télévision américaine. M. Obama est un idéologue …
pacifiste pour les autres !
*
Les
caillassages du Tremblay ne sont pas des faits divers. Ils s’inscrivent dans une
stratégie – sans doute encore à ses débuts de mise en oeuvre – de
désorganisation des transports publics à des fins de destruction du tissu
économique. Crime organisé et terrorisme d’essence communautaire et religieuse
peuvent avoir partie liée.