RÉPONSE AU SNES

AU FIL DES JOURS…

 

par François Lardeau

Nous voilà tous « conjoncturés » ! « L’euro, c’est une monnaie qui se partage à seize, et à la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne. » Gary Lineker, footballeur anglais. « Conjoncturés » ! C’est le mot qu’avaient inventé les Ivoiriens pour qualifier leur situation quand ils eurent à subir, au début des années 1980, les effets pervers des mesures d’ajustement structurel et de réforme administrative imposées par la Banque mondiale et le fmi venus aider leur pays à honorer les échéances de remboursement des emprunts qu’il avait contractés pour la réalisation d’investissements supposés productifs et en fait surdimensionnés, car, là aussi, il y avait eu des pousse-au-crime ! Et voilà que pour nous, « pauvres » Gaulois, hier superassistés, c’est aujourd’hui, avec la rigueur annoncée et de fait incontournable, le ciel qui menace de tomber sur nos têtes… Bref, à notre tour, nous serons bientôt tous « conjoncturés ».

 

Du risque de faillite grec, somme toute relativement circonscrit au départ, on est passé à un doute généralisé des marchés sur la solvabilité des États européens les plus endettés, ce qui a entraîné une ample spéculation à la baisse sur l’euro dont les fondamentaux apparaissaient à la fois menacés par ce risque d’insolvabilité et par l’absence d’une croissance économique suffisante, seule capable de le réduire sensiblement. Du coup, même à supposer que les centaines de milliards annoncés puissent être effectivement mobilisés en cas de besoin, s’est trouvée entamée d’entrée la crédibilité des mesures financières envisagées pour assurer une solidarité effective entre les seize pays qui composent la zone euro. La probabilité d’une extension de la crise grecque à des pays comme l’Espagne ou l’Italie constituait d’autre part un tel changement d’échelle qu’on ne pouvait plus être assuré d’éviter alors un éclatement de la zone euro, voire de l’Union européenne, les populations des pays budgétairement « sérieux », ceux du Nord de l’Europe, refusant de sacrifier leur niveau de vie pour venir au secours des « cigales » du Sud et les populations de celles-ci rejetant les mesures antisociales imposées par le fmi et Bruxelles.

 

Ce qui dérange le plus aujourd’hui, c’est que cette situation générale d’endettement dépassant largement les limites fixées par les traités européens, au demeurant parfaitement connue des responsables politiques et bancaires, ait pu déboucher du jour au lendemain sur des surenchères de rigueur ici et là, sans concertation préalable, et par conséquent sans prise en compte du risque collectif de récession ainsi entraîné, lequel ne pourrait que porter plus grand préjudice encore à la solidité de l’euro, même si son actuelle dévaluation de fait correspond par ailleurs à un réajustement nécessaire. Indispensables à la mise en oeuvre des mesures de réduction des dettes souveraines qui s’imposeront de toute façon, les consensus nationaux sont d’autre part loin d’être acquis. Ils ont été trop mis à mal auparavant, en France spécialement, par le jeu des prises de position systématiquement négatives des partis d’opposition à chaque changement de majorité. L’exercice démocratique des pouvoirs s’en est trouvé quelque peu malmené, et aujourd’hui on ne peut que constater le dangereux manque de réalisme et de sincérité des responsables politiques concernés qui, par pure démagogie et n’ayant en vue que leur maintien ou leur retour au pouvoir, se montrent toujours prêts à nier les plus grandes évidences. Ce n’est certainement pas ainsi que la situation pourra être redressée.

 

Pour l’heure, en la matière, rigueur ou pas, c’est le modèle budgétaire allemand, imposé sans ménagement par Mme Merkel, défenderesse de l’euro fort, qui fait loi. L’oeil rivé sur les taux d’emprunt appliqués à chacun de leurs pays, les dirigeants européens ne semblent plus voir d’autre solution que l’entrée dans ce moule jugé le plus protecteur au regard des annonces des agences de notation. S’ensuit une véritable fuite en avant qui, outre la remise en cause probable d’une croissance déjà insuffisante, risque de buter tôt ou tard sur le mur constitué des populations rendues « vulnérables » (c’est ainsi qu’on appelle au fmi et à la Banque mondiale les populations prises en otage par les plans d’ajustement structurel – autre appellation contrôlée – qu’ils imposent en contrepartie de leurs aides financières). Rien n’est donc réglé. Tous les scénarios restent possibles, les pires et au mieux … les moins pires !

 

 

C’est pourquoi il faut se demander comment on a pu en arriver là, à cet état de crise suraiguë et à bien des égards irrationnelle. Se poser la question conduit inévitablement à s’interroger sur le rôle qu’ont joué les agences de notation dans la démesure prise par la crise et à se demander quels intérêts elles ont objectivement servis, intentionnellement ou non, par des annonces négatives, faites sans précaution et inévitablement relayées et amplifiées par des médias à l’affût de toute mauvaise nouvelle. On aurait pu supposer que, devant ces risques de déstabilisation de la zone euro qui ne pouvaient être ignorés, une certaine prudence, de pure honnêteté intellectuelle, aurait joué, mais l’appât des énormes gains qui pouvaient découler de la spéculation semble avoir au contraire poussé à l’inverse. L’impunité n’est plus de mise devant de tels manquements professionnels.

 

De leur côté, les euroseptiques se réjouiront d’une situation qui confirme leurs réserves antérieures quant à la viabilité du projet européen, et les adversaires irréductibles d’une Union Européenne fédérale, c’est-à-dire destructrice des identités nationales, y verront la juste sanction d’une forfaiture dénoncée. Faut-il s’en réjouir ? C’est bien sûr affaire d’opinion, mais, audelà des chimères idéologiques dont il ne faut pas cesser de dénoncer la dangerosité, on ne peut négliger les conséquences possibles d’un tel échec. Même s’il n’y avait pas retour aux affrontements guerriers des siècles passés - les peuples européens sont assez sages pour ne plus en vouloir, le faire savoir et reconnaître par leurs dirigeants -, resterait sans doute inévitable l’émergence de tenaces rancunes s’opposant à toute tentative de gouvernance économique, surtout si celle-ci devait ôter aux dirigeants nationaux leurs prérogatives dans le domaine social. Ces rancunes se nourriraient inévitablement des difficultés socio-économiques engendrées par cette quasi faillite, après les faux espoirs qu’avaient fait naître les efforts de réconciliation de l’après-guerre.

 

On voit bien aujourd’hui que ceux-ci relevaient davantage des bons sentiments que d’un réalisme géopolitique, l’Allemagne n’ayant jamais cessé de rechercher depuis sa défaite à rétablir une position dominante, ce à quoi elle a parfaitement réussi et ce qu’a toujours confirmé la nature de ses rapports privilégiés avec les États-Unis.

 

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2. L’Otan se cherche toujours une raison d’exister … mais

sans en avoir les moyens !

À six mois du sommet de Lisbonne qui doit adopter son plan d’action pour la prochaine décennie, l’Otan, confrontée en Afghanistan à une intervention beaucoup plus lourde et durable que prévu et apparemment sans résultat probant, se trouve, en cette période de restrictions budgétaires, avoir à choisir entre poursuivre ce type d’intervention, jugé jusqu’à présent prioritaire, ou acquérir les équipements qui permettraient de faire face aux menaces nouvellement identifiées auxquelles seront vraisemblablement exposés dans l’avenir les pays de l’Alliance atlantique, en premier lieu les menaces balistiques et les cyberattaques, telle celle subie par l’Estonie en 2007. Il s’agit là de défis technologiques et financiers considérables. De fait, aujourd’hui, sur son principal théâtre d’opération, l’Afghanistan, malgré des succès tactiques locaux et quelques ralliements superficiels, l’Otan n’a toujours pas réussi à faire la preuve de sa capacité à éliminer une organisation terroriste qui bénéficie d’une solide implantation dans le pays d’intervention.

 

Et il est chaque jour plus évident que la situation qui prévaut actuellement et que caractérise une augmentation sensible du nombre et de l’intensité des actions menées par les insurgés annonce un échec final qui sera présenté par ces derniers comme une victoire éclatante d’Allah sur les infidèles et autres croisés occidentaux… L’effet est assuré dans les pays d’Islam ! On peut dès lors se demander si l’Otan, dont la dépendance à l’égard des États-Unis n’est que trop évidente, est bien l’outil adéquat pour intervenir dans une telle situation, laquelle, pour autant qu’elle menace effectivement la sécurité internationale, devrait logiquement relever d’une intervention des Nations Unies, malheureusement dépourvues dès l’origine des moyens nécessaires. L’établir dans ceux-ci aurait dû être et devrait toujours être une constante de la politique extérieure de la France, surtout tant que les États-Unis s’y opposeront au motif bien impérialiste que, comme pour la défense de l’Europe, l’Otan, sous leur leadership, est l’outil militaire qui rend inutile l’existence de tout autre système de défense. Sans pour autant remettre en cause ce leadership américain, il semble cependant que le président Obama, placé lui aussi devant la nécessité d’assainir les finances publiques de son pays, évolue aujourd’hui vers un plus grand partage des responsabilités dans la gestion du nouvel ordre mondial qui voit se déplacer en Orient et Extrême Orient le centre de gravité de la planète.

 

Organisation en fait régionale, l’Otan ne peut prétendre s’élargir au Pacifique : l’abandon de la candidature de l’Australie en est révélatrice. Logiquement, l’organisation devrait donc voir son champ d’intervention se réduire à celui de sa création, c’est-à-dire à l’ensemble des pays bordant l’Atlantique Nord, élargi à l’Europe centrale, voire à la Méditerranée. Telle est du moins l’idée que peuvent s’en faire les autres grandes puissances existantes ou émergentes de par le monde, ce qui enlève à leurs yeux toute légitimité à l’Otan pour intervenir, surtout par la force, hors de cet espace d’origine. Â l’évidence, désormais, l’Occident, États- Unis y compris, ne peut plus prétendre à une telle « suzeraineté », et il doit adapter sa défense aux nouveaux rapports de forces qui se font jour et qui ne lui sont plus nécessairement favorables.

 

A contrario, il reste que la mondialisation des menaces ne nécessite plus, à l’heure des munitions intercontinentales, l’implantation à terre des systèmes de défense. D’une précision chaque jour renforcée, leurs effets modulés en fonction des cibles visées, ces munitions peuvent toutes être délivrées à partir des mers, de l’air ou bientôt de l’espace, et la quasi-totalité des plates-formes adaptées existe déjà. C’est là l’avantage principal qui reste aux puissances occidentales. Quant au terrorisme, sa neutralisation passe davantage par des infiltrations policières et des actions ciblées des forces spéciales que par des projections de troupes terrestres dont le succès s’est pratiquement toujours révélé incomplet. Ce n’est donc pas sur celles-ci qu’il faut compter, comme encore aujourd’hui, pour assurer la sécurité des pays de l’Otan, ce qui devrait inciter leurs dirigeants à limiter l’importance des réarmements conventionnels qu’ils avaient envisagés en vue de projections de forces et que des restrictions budgétaires incontournables remettront de toute façon largement en cause. Si l’Otan doit subsister, raisonnablement, ce ne devrait être que pour rechercher et mettre en oeuvre collectivement les parades à trouver aux nouvelles menaces identifiées et pour partager entre pays composant l’organisation la charge globale des systèmes de défense correspondants.

 

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Un tel choix ne pourrait par ailleurs que remettre en cause fort opportunément l’importance démesurée prise par les structures de commandement de l’Otan qui se sont greffées sur l’outil militaire proprement dit, tel qu’il est conçu et employé actuellement. Hors opérations, ce ne sont pas moins de20.000 militaires et civils qui sont employés dans ces (super) structures. Comme dans toute organisation internationale de ce type, chaque pays veut y être représenté au niveau qu’il estime être le sien, d’où d’inévitables sureffectifs et doublons pour ménager les susceptibilités. L’inflation bureaucratique qui en résulte se traduit par la multiplication de sous-comités et groupes de travail (380 !) jugés « indispensables » au bon fonctionnement des trente-neuf grands comités qui forment l’ossature de l’organisation (Conseil de l’Atlantique-Nord, Comité des plans de défense, etc.). Le personnel du commandement intégré emploie à lui seul 13.000 militaires, effectif dont la France, arguant de la nécessité de faire des économies, demande une réduction d’un tiers au moment où elle veut y faire affecter un millier de ses propres officiers et sousofficiers. Singulière contradiction qui souligne le caractère quelque peu farfelu des retombées à attendre du retour de notre pays dans le commandement intégré de l’Otan, d’autant qu’aucun de ses partenaires ne sera prêt à renoncer à son profit à quelques uns des postes qui lui resteraient affectés.

 

Une moitié des pays de l’Otan – tous européens – consacrent aux équipements la norme usuelle de 20 % de leurs crédits militaires. Cela traduit aux yeux de Washington un singulier manque d’intérêt de ces pays pour les questions de défense, d’où « des inquiétudes sur les capacités que les Européens sont en mesure de déployer ».

 

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« Je n’abandonnerai pas l’arme nucléaire, garante de la sécurité de mon pays, de façon unilatérale, dans un monde aussi dangereux qu’il l’est aujourd’hui » : Nicolas Sarkozy le 12 avril à la télévision américaine. M. Obama est un idéologue … pacifiste pour les autres !

 

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Les caillassages du Tremblay ne sont pas des faits divers. Ils s’inscrivent dans une stratégie – sans doute encore à ses débuts de mise en oeuvre – de désorganisation des transports publics à des fins de destruction du tissu économique. Crime organisé et terrorisme d’essence communautaire et religieuse peuvent avoir partie liée.

 

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09.06.2010

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