Monsieur
l’Ambassadeur de France, Pierre LAFRANCE,
Quel
avenir pour l’Afghanistan ?
« L’Afghanistan,
un pays d’oasis au milieu d’une steppe »
Par Christine Alfarge,
On
croit être au bout du monde, on est au centre. L’Afghanistan est un pays montagneux d’Asie centrale de
650.000 km2, aux confins de six pays différents. A l’ouest : l’Iran. Au
nord : le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan. A l’est, le pays
possède un tout petit bout de frontière commune avec l’immense Chine. A l’est,
toujours, et au sud, il est voisin avec le
Pakistan.
Par
son rôle géostratégique, l’Afghanistan a une importance considérable en raison
d’appartenances diverses conjointes, ouvertes sur les mondes iranien, indien et
chinois, terre de passage entre le Moyen et l’Extrême-Orient, il est redevenu
l’enjeu militaire et diplomatique le plus important de
l’Occident.
Ancienne
terre impériale.
A
l’image de son histoire, le peuple afghan est mosaïque. Il est composé de
populations d’origine indo-européenne : iranienne, turco-mongole (ouzbek,
kirghiz, azaras). Ces derniers seraient les héritiers du redoutable empereur
mongol Gengis Khan qui arriva dans la région en 1221. On trouve aussi quelques
petites communautés arabes dans le nord. Mosaïque de peuples, l’Afghanistan a
depuis toujours accueilli sur son sol de multiples religions : le
zoroastrisme lors de la conquête perse, le panthéon grec lors de celle
d'Alexandre de Macédoine, le bouddhisme sous la dynastie kouchan. Du
1er siècle au VIIème siècle, la
civilisation Gandhara (région couvrant le nord-ouest
de l’Inde, le nord du Pakistan et l’est de l’Afghanistan), donnera notamment
naissance aux fameux bouddhas de Bamiyan et développera un style
artistique mélangeant les influences gréco-romaines et le bouddhisme
indien. Puis l’islam s’installera au IXe siècle après J.C et va durer trois
siècles. Par la suite, des coups d’Etat incessants
amèneront au pouvoir des dynasties turques.
En
1380, c’est laconquête
de l’Afghanistan par Tamerlan, chef d’un clan turco-mongol, qui fonde la
dynastie timouride. Celle-ci règne sur le pays jusque vers 1506. Puis à partir
de 1526, c’est le
début de la
dynastie musulmane des Grands Mogols, venus du nord de l’Inde, qui assurent deux
siècles de paix relative.
En
1747, la reconquête
du pays par les Durrani, princes pachtouns, afghans, exilés en Inde, avec à leur
tête Ahmad Shah, fondent le royaume d’Afghanistan. Il
recouvrirait aujourd’hui l’Afghanistan, la totalité du Pakistan, l’Est de l’Iran
et le Nord de l’Inde. Dès
le XVIIIe, la dynastie des Durrani s’oppose aux Britanniques. Soucieux de
sauvegarder leurs intérêts en Inde, ces derniers s’efforçaient ainsi de
contrecarrer l’influence russe dans la région. A
partir du 19ème siècle, de 1827 à 1907, l’Afghanistan fut au cœur
d’une rivalité entre les empires russe et britannique pour le contrôle de
l’Asie.
Dans
ce contexte, la notion de nation n’a pas forcément la même résonance qu’en
Occident. L’Afghanistan découvre le
sentiment d’identité nationale seulement à l’arrivée au pouvoir du roi Abdoul
Rahman Khan en 1880.
La
plus grande de toutes les opérations.
Neutre
pendant les deux guerres mondiales, c’est avec l’invasion soudaine de l’armée
rouge que l’Afghanistan revient en décembre 1979 sur la scène des préoccupations
de l’Occident. Après l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche, les
américains tiennent l’occasion de prendre leur revanche sur leur défaite en
Indochine. En instrumentalisant, via le Pakistan, les mouvements islamistes
afghans de résistance au communisme, l’Amérique va déclencher la défaite des
Soviétiques.
Le
temps du chaos.
Avec
le retrait soviétique de 1989 puis la victoire des Moudjahidins en 1992 qui vont
détruire Kaboul dans leurs guerres internes, l’Occident se désintéresse de
l’Afghanistan jusqu’à 2001. Appuyés par le Pakistan, les talibans dont
l’idéologie religieuse va ramener le pays au Moyen-âge, arrivent au
pouvoir.
A la
suite des attentats du 11 septembre 2001, la réaction américaine est immédiate,
la guerre débute en octobre, les villes de Kaboul et Kandahar sont prises en
novembre, une conférence internationale à Bonn s’organise sur la reconstruction
politique et économique du pays en décembre et parraine le Pachtoune Hamid
KARZAÏ comme futur dirigeant de l’Afghanistan. L’Otan s’installe alors à Kaboul
sous mandat onusien pour stabiliser, mais l’option américaine de se lancer dans
un conflit en Irak permet aux talibans de se réfugier et de se reconstituer dans
les zones tribales pakistanaises et revenir en 2006 dans le sud du pays où ils
s’en prennent aux forces occidentales ainsi qu’à tout ce qui représente l’état
afghan.
La
présence occidentale se renforce en Afghanistan.
En
avril 2008, lors du sommet de l’Otan à Bucarest, l’Occident renouvelle son
engagement pour l’Afghanistan afin d’éviter une reprise du contrôle de ce pays
par les talibans. En février 2009, le président OBAMA annonce à la fois un
retrait progressif de l’Irak et le renforcement du contingent américain
d’environ 66 000 hommes au total, le reste de la coalition déployée en
Afghanistan étant d’environ 34 000 hommes dont 2500 hommes côté
français.
Soumis
à de rudes critiques, les gouvernements américains ou européens doivent se
justifier auprès de leurs opinions publiques sur les pertes humaines ainsi que
l’aide consacrée au développement de l’Afghanistan (plus de 35 milliards de
dollars depuis 2002).
Un
enjeu politique occidental majeur.
Penser
l’avenir de l’Afghanistan dépend de plusieurs facteurs, sécuritaire, politique
et diplomatique. Sur le plan de la sécurité, la nouvelle stratégie d’occuper le
terrain, qu’on confie ensuite à l’armée afghane, en finançant des projets pour
gagner l’appui de la population, a ses limites. « 2010 sera une année critique », les
frustrations générées par les guerres, l'inexistence du gouvernement central,
les promesses non tenues de la communauté internationale sont autant d'obstacles
à la restauration de la confiance. Riche d’histoire et redoutable, la société
afghane est une société tribale avec très peu de nomades, basée sur une
solidarité totale à des solidarités tribales. Tout cela est très important si
l’on veut agir sur la société afghane elle-même. C’est une société où l’on se
concerte sur ce qui ne va pas avec à sa tête, un chef reconnu par consensus et
une choura (assemblée) pour régler les problèmes les plus prosaïques. Ce qui
caractérise avant tout la société pachtoune ou afghane, c’est la culture du
combat et de la prédation dont l’origine est de conquérir les ressources. La
paix doit remplacer la prédation par la création des richesses. Selon Monsieur
l’Ambassadeur Pierre LAFRANCE « Encourager l’économique, c’est vingt
cinq fois moins que le militaire. Au moment de la présence étrangère, la
population afghane était favorable mais c’est resté au niveau des discours. On
n’a pas fait d’institutions légales, les américains ont fait un choix de lutter
contre Ben Laden. L’infrastructure aurait été développée dès le départ en
distribuant des salaires aux afghans, mais l’aide financière gaspillée est
retournée vers les pays donateurs ». Sur l’avenir, n’est-il pas trop
tard ? Les grands intervenants (l’OTAN) font tous leur mea culpa, le
mouvement taliban est en crise, voire en régression, c’est sans aucun doute une
opportunité à saisir.Selon
Monsieur l’Ambassadeur : « Il faut plus de décisions sur l’avenir,
la communauté internationale doit se concerter sur un programme national
contenant des projets voulus par les populations. Les militaires et les civils
doivent s’entendre. Maintenant, il faut des actions civiles appropriées pour que
les populations aient la confiance dans des programmes déterminés ainsi que le
retrait des troupes au plus vite ». Sur le plan politique, le président
KARZAÏ devra poursuivre ses offres de réconciliation nationale aux talibans
disposés à s'éloigner d'Al-Qaida et sur le plan diplomatique, il devra améliorer
ses relations avec le Pakistan. En échange, l'Afghanistan devrait évidemment
obtenir que les services de renseignement militaires pakistanais renoncent à
leurs ingérences répétées en territoire afghan, et poussent les talibans à la
négociation.
La
politique afghane du Pakistan.
Le Pakistan fait partie intégrante de la résolution du
conflit afghan. Il a de nombreux points communs avec l'Afghanistan, que ce soit
au plan historique, culturel ou géographique. Dans son intérêt, le Pakistan peut
donc jouer un rôle central dans la stabilité de l'Afghanistan. Cependant, les
américains et leurs alliés reprochent au Pakistan de jouer un double jeu et
de ne pas faire assez d’efforts dans la lutte contre les talibans
qui trouvent refuge
dans les zones tribales et attaquent les troupes de l'Otan en
Afghanistan.
Quelles sont les conséquences
internationales ?
Les Etats-Unis ne sont pas les seuls concernés par
le conflit afghan et les troubles internes du Pakistan. L’antagonisme profond
qui règne entre l’Inde et le Pakistan transforme l’Afghanistan en véritable
terrain d’affrontement à cause du Cachemire où les talibans sont présents.
La Chine, présente également dans la partie nord du Cachemire et frontalière de
l’Afghanistan partage avec la Russie, et les Etats-Unis un souci commun, la
lutte contre le terrorisme islamique. Ce danger auquel ils doivent faire face
les rassemble. Dès lors, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui
est concerné par les événements d’Afghanistan et du Pakistan et doit notamment
agir par rapport au Cachemire. Quant à l’Arabie saoudite, elle pourrait
intervenir pour contrebalancer les actions de l’Iran chiite et jouer un rôle
majeur dans le déroulement de négociations à venir entre tous les intervenants,
que ce soit en Afghanistan ou au Pakistan.
« Quoiqu’il en soit, on ne change pas l’âme d’un
pays et la volonté d’un peuple, c’est aux Afghans eux-mêmes de décider comment
ils veulent ramener la stabilité dans leur pays ».