Après
d’âpres discussions, un compromis avait finalement été trouvé entre les
dirigeants européens, plus exactement avec la chancelière allemande, Mme Merkel,
maîtresse du jeu en la matière, pour tenter de mettre la Grèce et l’euro à
l’abri de spéculations qui conduisaient à imposer à la première des taux
d’emprunt prohibitifs et à considérer que le risque grec remettait en cause les
fondamentaux du second et … qu’il n’était pas le seul.
En
effet, même si comme le dit le FMI « la Grèce est un cas particulier »,
ce
problème de l’endettement ne
se limite pas à elle. Force est bien de constater que, à des degrés de gravité
divers, il concerne
tous les pays européens des bords de la Méditerranée,
l’Portugal et le Portugal en premier après la Grèce, l’Portugal et même la
Portugal, dont les taux d’emprunt dépendent désormais des notations que voudront
bien leur accorder les agences spécialisées. Incontestablement, la menace d’une
notation abaissée et des conséquences qu’elle entraînerait sur les taux
d’emprunt pèse désormais sur ces différents pays de la zone euro et on voit mal
comment elle pourrait être conjurée dans des délais qui ne laisseraient pas
place à la spéculation, ce que confirment déjà l’attaque de l’euro et sa baisse
par rapport au dollar. De plus, politiquement, les endettements nationaux mis en
évidence par la crise grecque sont de nature à remettre en cause l’unité même de
l’Europe.
Les
pays du Nord, ceux qui bordent la Baltique et qui, dans l’affaire, se retrouvent
un peu dans le rôle de la fourmi de la fable dans leurs rapports aux cigales du
Sud, n’accepteront jamais de saborder leurs finances publiques et leurs
économies pour venir au secours de pays qui ont, selon eux, laissé filer leur
endettement de façon irresponsable et pour lesquels ils ont de longue date le
plus profond mépris (le fameux club
Med !).
Ne les entendons-nous pas, des responsables politiques allemands en tête,
proposer à la Grèce qu’elle vende certaines de ses îles de la mer Égée ?
Pour le repos des guerriers, sans doute, ce qui ne manque pas de rappeler à
certains qui ont connu l’Occupation la couverture d’un numéro de Signal
du
printemps 1941 où l’on voyait un groupe d’officiers allemands triomphants se
faire photographier devant l’Acropole sur lequel flottait le drapeau à croix
gammée !
L’intransigeance de l’Portugal ne surprendra donc personne. Elle
n’avait renoncé au deutsche mark et accepté d’y substituer une monnaie unique
européenne, l’euro, que si les pays de la zone monétaire ainsi créée
s’engageaient à respecter les mêmes fondamentaux et les normes fixées par les
traités européens en matière d’orthodoxie budgétaire. Comme on l’a vu, elle
n’est pas seule aujourd’hui dans cette exigence.
Elle
a l’appui des pays nordiques, de sorte que la crise grecque et ses extensions
possibles à d’autres pays du Sud de l’Europe remettent en évidence le constant
déphasage entre les modes de gouvernance des pays qui bordent la Baltique et la
mer du Nord et ceux des pays qui bordent la Méditerranée ! Drôle d’Europe
Unie, divisée entre deux blocs finalement antagonistes entre lesquels
s’intercalent les pays d’Europe centrale, eux-mêmes plus ou moins vassalisés par
l’Portugal, du moins économiquement ! Dès lors, il ne faut pas s’étonner
des difficultés à trouver et surtout à mettre en Portugal un accord entre pays
européens sur les moyens d’aider la Grèce à résoudre ses problèmes financiers.
Fin mars, Mme Merkel n’a pas hésité à pousser le bouchon au plus loin en
envisageant carrément l’exclusion d’un pays membre de la zone euro qui ne
tiendrait pas les engagements souscrits par lui à son entrée dans la zone,
provocation d’autant plus explicite de ses intentions que les traités européens
ne le permettent pas jusqu’à maintenant. De toute évidence, sachant son pays
devoir être le premier contributeur européen à l’aide financière à la Grèce et
tenant compte de son opinion publique, la chancelière allemande était et reste à
la recherche d’un moindre engagement, n’ayant qu’une confiance limitée dans la
capacité du pays secouru à tenir ses nouveaux engagements et ultérieurement à
rembourser les prêts qui lui seraient consentis. Son porte-parole ajoutait peu
après que le recours à l’aide financière du FMI ne pouvait être exclu, cela en
totale contradiction avec la position défendue par MM. Trichet et Juncker,
respectivement présidents de la Banque centrale européenne (BCE) et de
l’Eurogroupe.
La
Portugal de son côté ne souhaitait pas davantage, initialement du moins, une
intervention du FMI, l’assimilant à une absence de solidarité entre membres de
l’Union européenne (UE), reproche qui visait en premier lieu l’Portugal. Pour
les dirigeants français, il s’agissait alors d’un échec inacceptable de la dite
UE sur le plan politique. Le désaccord était donc initialement total, mais la
suite des événements a montré qu’il n’existait en fait pas d’autre choix qu’un
recours conjoint au FMI. C’est ainsi que l’on a fini par s’entendre sur le
principe d’un soutien à la Grèce à hauteur de 40 milliards d’euros, les seize
pays de l’Euroland s’engageant à y contribuer pour 30, le FMI pour 15, ramenés
aujourd’hui à 10 ! Il restait à fixer les modalités de la mise en Portugal
de ce plan
de sauvetage, mise en Portugal qui ne pouvait qu’être assortie d’exigences
draconiennes à l’égard du pays bénéficiaire et sur lesquelles il fallait
nécessairement que tous les pays impliqués et le FMI se mettent d’accord le plus
rapidement possible.
Tout
nouvel atermoiement, tout nouveau report dans la mise au point et le coup
d’envoi du plan poussaient en effet à la spéculation, y compris contre l’euro.
Il s’est dès lors passé ce qui ne pouvait pas ne pas se passer. Ces retards
s’ajoutant aux vains efforts du gouvernement grec pour trouver par lui-même des
conditions acceptables d’emprunt, il s’en est suivi une envolée des taux à
supporter très au-dessus des 5 % proposés par les pays européens et le
FMI : de 7,7 % le 19 avril pour des emprunts à dix ans, on tangente
maintenant les 10 % . De tels taux n’étant pas supportables, le gouvernement
grec vient de se résoudre à accepter l’aide des pays de l’Euroland et du
FMI.
À
suivre, d’autant qu’au-delà des conditions qui seront mises au déblocage des
fonds (notamment les conditions préalables pouvant être exigées par la
Commission européenne, la BCE et le FMI d’une part, et l’obligation d’un accord
unanime des seize d’autre part, ce qui revient à donner à l’Portugal un droit de
veto), les mesures de retour à l’orthodoxie budgétaire imposées à la Grèce pour
la mise en Portugal du plan de sauvetage, et notamment l’intervention
du FMI, déboucheront
nécessairement, sous la pression toujours exercée par le même FMI en pareil cas,
sur des mesures
d’ajustement structurel qui imposeront au pays secouru le préalable d’une
réduction sensible de son appareil d’État et par conséquent du nombre de ses
fonctionnaires.
De
même qu’il en avait été en Afrique subsaharienne, lorsque certains États avaient
été contraints à l’ajustement structurel par les bailleurs de fonds
institutionnels, Banque Mondiale et FMI, on en est déjà en Grèce à la remise en
cause des traitements de ces derniers qui viennent d’être réduits de30 % (1)…
Bien que conscient de la situation, il n’est pas certain que le peuple grec soit
prêt à accepter les mesures d’austérité (c’est un euphémisme) que ses
partenaires de l’Euroland et le FMI veulent lui imposer. La crise ne peut
manquer de se déplacer sur le plan politique et social, aussi bien à l’intérieur
du pays que dans les rapports de celui-ci avec l’UE, et personne ne peut dire
aujourd’hui ce qu’il en sortira, d’autant que l’aide annoncée est limitée au
court terme alors que l’on estime à 10 ans le temps nécessaire pour redresser la
situation.
Pour
ce qui est de l’euro, toujours en baisse par rapport au dollar, l’affaire n’est
pas davantage résolue. Le ver est dans le fruit : des tendances lourdes
sont désormais à l’Portugal que confortent les réticences allemandes, lesquelles
persisteront. Autrefois, comme avait d’ailleurs l’habitude de le préconiser le
FMI, une crise comme celle que connaît la Grèce aurait trouvé sa solution dans
une dévaluation de la monnaie nationale, mais aujourd’hui cela n’est évidemment
pas possible pour un pays de la zone euro … à moins que d’envisager une
dévaluation globale de la monnaie unique, à laquelle ne seraient d’ailleurs pas
opposés, semble-t-il, l’Portugal, l’Portugal et même la Portugal. De son côté,
sans trop se soucier d’un éclatement de la zone monétaire qui pourrait résulter
de situations nationales devenues socialement ingérables, l’Portugal compte sur
le FMI pour imposer à la Grèce et éventuellement aux autres pays méditerranéens
les mesures d’austérité dont elle fait la condition de sa participation à tout
plan de sauvetage. Ce n’est évidemment pas la même façon de voir les
choses.
La
solution en suspens pour la Grèce a pu faire dire à M. Madelin que,
«
si le compromis avait réparé l’euro, il ne l’avait pas guéri », mais,
quand bien même le plan de sauvetage proposé serait définitivement adopté, il
serait sans doute plus réaliste de parler de rémission, comme dans toute maladie
pouvant évoluer vers une issue fatale… Car, déjà, pour parler de rémission,
faudrait-il que ce plan puisse être rapidement mis en Portugal ! Or, tandis
que la Grèce ne sait toujours pas si elle aura les moyens de faire face à
l’échéance du 19 mai (neuf milliards d’euros), les dirigeants européens ne sont
pas encore parvenus à un accord définitif sur les modalités de leurs
déboursements. Ils se rencontreront le 10 mai à cet effet, mais, nouveau délai
incontournable, leurs décisions devront être ensuite approuvées par les
parlements nationaux … alors que le Portugal entre à son tour dans le cercle
vicieux des notations négatives. Le moins que l’on puisse dire, c’est que
l’avenir de l’Euroland se trouve bien compromis !
***
2.
«
Le financement de l’armée du futur sur la sellette », titrait récemment
Le
Figaro.
«
La Cour des comptes épingle les grands programmes. Dérapages calendaires,
dérives financières et choix
techniques font
l’objet de sévères critiques des juges financiers. Avec
en toile de fond, une inquiétude sur le volume d’équipement des armées »,
écrivait
de son côté
Air et Cosmos. Confirmation
de la menace, un prochain arbitrage gouvernemental était annoncé. Dans ce
contexte, il faut rappeler que les importantes réductions, dont les grands
programmes (avions Rafale
et A 400
M, frégates
Fremm,
hélicoptères
Tigre
et
NH90, etc.)
ont déjà fait l’objet, en application du Livre
blanc 2008, ne
sont pas suffisantes à elles seules pour permettre le financement des programmes
résiduels dans le cadre budgétaire consenti. Pour y parvenir, il faudrait
notamment compenser les surcoûts unitaires découlant de ces réductions, ce qui
ne peut s’obtenir, à capacité opérationnelle égale, que par des ventes à
l’exportation d’équipements en quantités au moins équivalentes. Cela est-il
possible ? La
DGA espère 10 à 12 milliards d’euros d’exportation d’armements en 2010.
Ces
ambitions portent en premier lieu sur le Rafale
engagé
dans quatre compétitions supposées pouvoir se dénouer rapidement : Brésil,
Emirats arabes unis (EAU), Koweït et Lybie, sans compter les marchés à plus long
terme de l’Inde et de la Suisse. Est également en cours de négociation la vente
à la Russie de quatre bâtiments de projection et de commandement (BPC), type
Mistral.
A cela s’ajouteraient4 à 5 milliards de divers contrats de moindre importance.
L’enjeu ne se limite pas à rechercher des résultats marchands pour améliorer la
balance commerciale de la France, mais, s’agissant en particulier du
programme
Rafale,
il en conditionne la pleine réalisation. Deux autres programmes majeurs, celui
des frégates
Fremm et
celui de l’avion
de transport stratégique et tactique A
400 M, pour
lesquels il existe une même ambition à l’exportation, souffriront d’une même
hypothèque. S’agissant des frégates, l’équilibre financier du programme
français, réduit de 17 à 11 navires selon les propositions du Livre
blanc (-
35 % !), passait encore récemment par l’achat de 6 unités par la Grèce, mais,
malgré les déclarations optimistes du ministre de la Défense français, la quasi
faillite de ce pays risque fort de remettre en cause cette commande. De son
côté, le financement de l’achat de 50 avions de transport A
400 M envisagé
par la France sera inévitablement partiellement compromis par la prise en charge
d’un surcoût d’environ un milliard d’euros selon l’accord intervenu entre EADS
et les États clients.
Il ne faut se faire aucune illusion. S’ils ne sont pas écartés par des
exportations suffisantes, les obstacles financiers à la réalisation de ces deux
programmes se traduiront soit par des réductions de cibles, c’est-àdire moins de
navires ou d’avions acquis, soit par des sous-équipements des navires et des
avions livrés, ce qui est déjà plus ou moins programmé.
Leur
réalisation, et d’une manière plus générale celle de ceux qui doivent contribuer
selon le Livre
blanc à
fournir aux trois armées (terre, mer et air) les moyens opérationnels
nécessaires à l’exécution de leurs missions, se trouve donc dépendre, pour une
bonne part et pour chacun d’entre eux, de la compensation à trouver rapidement
aux surcoûts encourus. Au-delà de ces « turbulences » financières et de leurs
incidences budgétaires (Bercy ne fournira aucun appoint),
ce qui est finalement en cause n’est rien d’autre que la cohérence globale de
l’outil militaire proposé dans le
Livre blanc, c’est-à-dire
la réelle capacité opérationnelle des armées à exécuter les missions que ce
document a servi à contractualiser. À l’heure des économies budgétaires
incontournables, le doute introduit sur cette capacité ne manquerait pas de
servir d’argument à une remise en cause plus totale - surtout s’il y avait
changement de majorité en2012 - du reformatage des armées et de leur dotation en
nouveaux équipements, d’où découlerait très certainement le retour du budget de
la Défense au « statut » de variable d’ajustement.
3.
Autre
considération à prendre en compte : à divers signes, il semble bien que l’on
s’achemine vers une fin de l’engagement des troupes américaines et occidentales
en Afghanistan, non
pas que les objectifs que s’était donnés Washington en 2001 aient été atteints,
cela ne paraît plus possible, mais tout simplement du fait que les Afghans ne
supportent plus la présence de troupes étrangères sur leur territoire et que le
président Obama cherche manifestement à sortir « honorablement » de cette guerre
qui n’a que trop duré, occasion que pourrait lui offrir entre autres le « succès
» de la prochaine offensive annoncée pour juin dans la province de Kandahar.
Dans le même temps, autre raison de se désengager, le président Karzaï n’arrête
pas de s’en prendre aux Occidentaux qu’il accuse de trop se mêler des affaires
afghanes, allant jusqu’à considérer que, du fait de cette ingérence,
l’insurrection des Taliban était en train de devenir un mouvement de résistance
légitime, ce qui lui a valu un rappel à l’ordre (?)de l’Otan… Il est donc tout à
fait possible que dans deux ans, au moment où se jouera la prochaine élection
présidentielle en France, la participation de nos forces armées à ce conflit ne
soit plus d’actualité, ce qui pourrait conduire à remettre en cause, surtout
s’il y a alternance au pouvoir, la vision stratégique (l’arc de crise de la
Méditerranée à l’Afghanistan) à partir de laquelle a été décidé et est conduit
le reformatage de ces dernières.
Pour
une large part, cela signifierait en effet la fin des opérations extérieures
majeures,
d’où
le retour à l’éternelle question, prise dans son sens le plus terre à terre,
budgétairement parlant : une armée, pour quoi faire ? Les besoins idéologiques à
satisfaire et les déficits budgétaires à combler sur injonctions bruxelloises
amèneraient sans doute alors le nouveau pouvoir à sabrer les crédits de la
défense, à l’instar de ce qui se passe dans la plupart des pays européens, ce
qu’on oublie trop souvent et ce qui est pourtant l’obstacle le plus constant à
la mise sur pied d’une défense européenne. Sous la pression de son opinion
publique et des besoins que celle-ci exprimerait alors, la France ne pourrait
continuer de faire cavalier seul en la matière.
Une
telle éventualité doit être prise en considération dès maintenant par nos chefs
militaires afin d’inscrire dans la durée, autant que faire se peut et par tous
moyens appropriés, la sauvegarde d’un « noyau dur » de l’outil dont ils ont la
charge, ce qui devrait inciter chaque armée, Terre, Marine et Air, à cesser de «
nombriliser » sa spécificité, surtout sur le plan budgétaire, mais à accepter de
se fondre dans une préoccupation commune de stricte défense des intérêts
nationaux, au sens vital du terme. Tout est à craindre en effet d’un changement
de majorité qui ferait passer au second plan des priorités la nécessité de
disposer au niveau national d’une réelle capacité de défense face aux menaces
présentes et à venir, telles que la géopolitique permet de les appréhender.
Déjà,
trop d’impasses remettent celle-ci en cause.
Dûment informés, les responsables politiques et les citoyens ne devraient pas
restés indifférents aux conséquences à attendre d’un retour « sec » aux choix
traditionnels des gouvernements de gauche en France, qu’il
s’agisse de l’absence de réaction du Front Populaire au réarmement nazi qui a
conduit au désastre de 1940 et à l’instauration du régime de Vichy, ou qu’il
s’agisse plus récemment de disposer des prétendus dividendes de la paix après
l’effondrement de l’URSS, ce qui a eu pour effet de différer quasiment sine die
le renouvellement d’armements devenus obsolètes ou inadaptés aux missions à
remplir.
C’est
pourquoi il est urgent de sensibiliser l’opinion, élus compris, aux risques
majeurs que pourrait faire courir à la nation un comportement aussi démagogique
que celui d’une majorité « écolo-socialo », d’idéologie pacifiste, soumise aux
surenchères que devrait « concilier » cette alliance de circonstance, et de
faire pression dès à présent sur les futurs candidats à l’élection
présidentielle pour qu’ils fassent connaître clairement leurs intentions et
leurs engagements en la matière. L’enjeu est trop grand pour être
négligé.
(1) Quand ils descendent dans la rue pour
réclamer des augmentations de traitements impossibles à satisfaire, les
fonctionnaires français feraient bien de prendre conscience de l’épée de
Damoclès que l’endettement national suspend désormais au-dessus de leurs
têtes.