BELGIQUE, le volcan communautaire

FRATERNITÉ  PORTÉE  DISPARUE,

SOLIDARITÉ  IMPOSÉE

 

par Paul Kloboukoff

Dernière venue dans la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », la valeur Fraternité a cessé de vivre et de servir de référence aux citoyens français, supplantée, terrassée, remplacée par un « concept », la solidarité, aux significations variables et souvent confuses, mis à toutes les sauces, jusqu’à l’indigestion parfois, par les politiciens, les acteurs sociaux, les médias et leurs invités favoris. La Fraternité n’apparaît dans la devise de la France qu’avec la Constitution de la République française du 4 novembre 1848, en son article IV : « Elle [la France] a pour principe la liberté, l’égalité et la fraternité. » Aux côtés des droits fondamentaux Liberté et Égalité, se trouve inscrite une invitation, une obligation, un devoir d’ordre moral et social. Cette particularité a peut être contribué à retarder son entrée dans les grands principes directeurs de la France. Il semble aussi que Jean-Jacques Rousseau y était hostile et que des réticences étaient dues à l’usage de la devise peu fraternelle « la fraternité ou la mort » sous la Terreur. Un siècle plus tard, le mot fraternité s’est retrouvé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, dont l’article1’énonce : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Pourquoi cette valeur généreuse est-elle ensuite tombée en désuétude, dans les oubliettes des milieux politiques ?

 

La Fraternité se prête sans doute mal à un « encadrement » juridique, à la fixation de règles, de contraintes, de sanctions de même nature que celles qui enveloppent et orientent la Liberté et l’Égalité en France et dans l’Union européenne (UE). Elle est entière, peu malléable, résistante aux manipulations. Elle exprime des sentiments. C’est la propension (tendance naturelle, disposition) à aimer et à aider son prochain. Alors, la fraternité ne peut naître d’artifices et d’incitations financières ; elle ne se laisse pas forcer la main. La fraternité fait aussi penser à l’éthique chrétienne. Et ce n’est pas bon pour elle. C’est un principe exigeant difficile à prêcher de nos jours de souffrance des valeurs morales. Ségolène Royal a organisé un « concert de la Fraternité » pendant la campagne de 2007, puis des « fêtes de la Fraternité » les deux années suivantes (Wikipédia). Sans éveiller l’élan espéré, semble-t-il. Au moins jusqu’aux années 1970, le mot solidarité s’appliquait précisément à la situation de débiteurs, qui étaient dits solidaires lorsqu’ils s’engageaient à répondre les uns des autres, et chacun d’eux était obligé directement au paiement de la somme totale due. Symétriquement, des créanciers pouvaient être solidaires.

 

Cette définition juridico financière a survécu ; nous nous sommes aussi habitués aux cautions solidaires couramment pratiquées dans le secteur immobilier, en particulier. La définition de la solidarité a ensuite été élargie aux personnes se trouvant dans un rapport d’aide mutuelle caractérisé par l’existence de liens et/ou d’obligations de réciprocité. Hachette 2009 la définit comme « un sentiment de responsabilité mutuelle entre plusieurs personnes, plusieurs groupes » et considère que des personnes peuvent être dites solidaires si « elles sont liées entre elles par des responsabilités et des intérêts communs ». Cela peut être le cas d’adhérents de mutuelles, de syndicats, de coopératives, de groupements de consommateurs, etc.

 

Cette définition peut sembler très ouverte si le seul critère regardé est l’existence d’intérêts communs ; le critère complémentaire de partage en commun de responsabilités, d’obligations, la rend plus restrictive. . . et précise. Le premier échelon de la solidarité, naturelle, pourrait-on dire, est la famille. Nous savons à quel point cette assise familiale s’est rétrécie et fragilisée avec l’industrialisation, l’urbanisation et l’exode rural, avec l’évolution des moeurs et des modes de vie. Par le mariage, par exemple, on avait coutume de s’unir « pour le meilleur et pour le pire ». Maintenant, on n’attend pas le pire pour se séparer. L’engagement réciproque de longue durée est presque vu comme une anomalie liberticide. Vive les mariages, les PAX et les unions libres CDD (contrats à durée déterminée) ! L’éloignement de membres de mêmes familles et d’amis ainsi que la mobilité géographique des travailleurs (prônée par les autorités et l’UE) et des étudiants ne sont pas favorables à une solidarité basée sur la vie en commun, sur la connaissance des autres, sur la proximité. Finies les solidarités des villages et des quartiers d’antan. L’anonymat et l’indifférence des villes sont de règle, quand ce n’est la méfiance envers des personnes aux coutumes différentes et des changements rapides de l’environnement pas goûtés de tous.

 

La crainte, l’insécurité et/ou le sentiment d’insécurité, qui ne sont pas cantonnés dans les cités et les zones dites « sensibles », ne sont pas spécialement porteurs d’ouverture sur l’extérieur, d’éclosion de sentiments fraternels et amicaux, propices à l’expression d’une solidarité largement partagée. Les évolutions en cours, avec la recherche du gigantisme, de la concentration de populations plus nombreuses, hétérogènes et mobiles dans des mégapoles et leurs faubourgs ne laissent pas présager d’amélioration, d’humanisation des relations entre les individus et les familles.

 

À côté des acceptions courantes précédentes, une conception nettement moins volontaire, plus contraignante, de la solidarité a été introduite et s’est imposée en politique et dans la vie sociale. Au début du xxe siècle, les théories qui portaient sur la « solidarité sociale » ont été influencées par la philosophie du « solidarisme », théorie morale et sociale fondée sur la solidarité et issue de la recherche d’une troisième voie entre le libéralisme républicain de l’époque et le socialisme marxiste. Sa figure de proue a été Léon Bourgeois (1851-1925), l’un des fondateurs du mouvement radical, douze fois ministre, président du Conseil en 1895, président de la Chambre des Députés en1902, président du Sénat en 1920, l’un des pères et premier président de la Société des Nations (SDN) et Prix Nobel de la Paix en 1920. Le palmarès impressionnant d’un homme d’influence ! Pour LB, « L’individu isolé n’existe pas ».

 

Un des principes majeurs de la doctrine solidariste était que « L’individu n’existe que par le fait seul qu’il naît et se développe au sein d’une société, profite de tous les efforts sociaux antérieurs et doit en revanche contribuer au bien commun » (Larousse Universel 1923, NLU1949). C’était une façon de faire de la solidarité un devoir pour tous les citoyens, de faire sortir la réciprocité des conditions exigées de la solidarité, d’affirmer la solidarité intergénérationnelle et, ipso facto, de faire de l’État un acteur et un arbitre légitime pour juger des contributions au bien commun dont seraient redevables les individus. Une fois ce principe énoncé, (adopté, admis, reconnu ?), la porte s’ouvrait à son application dans le droit social et dans la gouvernance nationale. « C’est au nom de la solidarité qu’il [LB] défendra le principe de l’impôt sur les successions, sur les revenus et la mise en place d’une retraite pour les travailleurs. » (cf. Wikipédia). Ces idées ont largement inspiré le système de protection sociale et l’établissement de la Sécurité sociale en 1945. Pourtant, le mot solidarité est absent de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de décembre 1948.

 

Par contre, cinquante ans plus tard, en 2000, la Solidarité devient, auprès de la Dignité humaine, de la Liberté et de l’Égalité, l’une des quatre « valeurs indivisibles et universelles » portées au pinacle dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne, où elle trouve une place éminente dans les douze articles du « Chapitre IV – Solidarité ». Selon la Charte, la solidarité consiste essentiellement en la reconnaissance et le respect d’un catalogue de droits (fondamentaux) variés, notamment en matière de protection, d’assistance et d’aide. Le mot « droit » est utilisé dix neuf fois dans le Chapitre IV. Les mots « protection » et « protégé » le sont douze fois. Sept articles concernent le travail : Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise ; Droit de négociation et d’actions collectives ;Droit d’accès aux services de placement ; Protection en cas de licenciement injustifié ; Conditions de travail justes et équitables ; Interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail ; Vie familiale et vie professionnelle.

 

On peut être surpris de trouver la solidarité impliquée dans la plupart de ces articles. Je ne décèle, par exemple, pas de trace de l’ADN de la solidarité dans le fait que « tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié… ». Un licenciement abusif est illégal et relève de la Justice (Prud’hommes) chez nous. Idem pour « Le travail des enfants est interdit… ». Les deux articles relatifs à la Sécurité sociale et l’aide sociale, ainsi qu’à la Protection de la Santé, sont prolixes en reconnaissances, en respects de droits. « L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales.» Sont aussi reconnus « le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes… » et « le droit [pour tous] d’accéder à la prévention en matière de soins médicaux… ». Pour compléter ces droits, la Charte sollicite un niveau élevé de protection de l’environnement dans une optique de développement durable, d’une part, et un niveau élevé de protection des consommateurs, d’autre part.

 

Si la Charte tente de faire le tour et le contour des champs d’application de la solidarité (elle est seule à le faire), elle explicite peu, sinon pas, les contenus concrets de leurs composantes et la signification qui doit dans chaque cas être accordée à la solidarité. Presque à chaque article, elle renvoie au droit communautaire (que connaissent seulement quelques parlementaires, juristes spécialisés et mouvements associatifs qui vont rechercher dans le droit communautaire les droits qu’ils ne trouvent pas dans le droit français) ainsi qu’aux législations et aux pratiques nationales (qui sont également très touffues, désordonnées et changeantes). La Charte semble ainsi s’adresser plus aux sommets des États et des entreprises, aux acteurs sociaux qu’aux citoyens européens. En France, la tendance ascendante est d’en retenir surtout que le solidarité est l’ouverture (ou la confirmation) de droits sociaux de toutes sortes, d’aides dont les personnes peuvent, dont elles doivent bénéficier, auxquelles elles ont droit.

 

À qui ces droits sont-ils opposables et dans quelles conditions ? Sans autres précisions, la Charte trouble les esprits, sans apporter des éclaircissements sur ce qu’est et ce que devrait insuffler la valeur « solidarité ». Une certaine confusion règne, d’ailleurs, en France où le solidarisme (le mot a été effacé de nos dictionnaires depuis les années 1970, au moins) est très à la mode. Dans certains domaines, il dépasse des limites que les concepteurs initiaux n’auraient pas osé approcher. Pour L’État et les collectivités locale omniprésents, des prélèvements obligatoires (PO) géants sont les moyens principaux d’alimentation des caisses de la solidarité « publique ». Ces ressources étant toujours insuffisantes, la générosité, les contributions « volontaires » et/ou « spontanées » des individus au bien commun, à l’amélioration du sort des autres, sont aussi sollicités avec de plus en plus d’insistance. Le bénévolat, les dons en nature ou en espèces répondent à ces appels répétés. Cet altruisme, ces actes de bienfaisance n’attendent pas de réciprocité. Sans eux, la recherche ne progresserait pas dans certains domaines vitaux ; de l’aide alimentaire et sociale, des secours et des soins urgents ne seraient pas prodigués, nous dit-on. Pour stimuler les dons, l’État rembourse 75 % de ceux inférieurs à 495 € et 66 %, au-delà, s’ils vont à des aides reconnues d’utilité publique. Les donateurs dirigent ainsi une partie (infime) des dépenses publiques suivant leurs priorités ou leurs coups de coeur. Lorsque ce ne sont pas des allocations, les « aides à la personne » sont souvent des activités rémunérées, dont l’État peut aussi rembourser une fraction des coûts. Ce dernier, et les contribuables, sont donc « solidaires » envers les bénéficiaires. Pour presque tout le reste, place à la solidarité forcée ! Dont la pression et la progression découragent l’altruisme. Curieusement, seul l’ISF s’est vu qualifié d’impôt de solidarité… sur la fortune. Pourquoi pas l’impôt solidaire sur le revenu, la TVA solidaire (en attendant la TVA sociale), les taxes locales solidaires ? Et quelles cotisations sociales ne seraient pas solidaires ?

 

Du côté des assurances et des mutuelles (icônes de la solidarité), les cotisations (ou primes) ne couvrent plus les seuls risques encourus par les assurés concernés euxmêmes. Celles d’assurances habitation sont majorées de+ 2 % à + 8% par les grands assureurs. Motif invoqué : intempéries, incendies, inondations et autres désastres ont provoqué des sinistres ruineux, et « il faut bien répercuter ces coûts »… sur l’ensemble des habitations. Surtout si on désire réaliser de copieux bénéfices solidaires. La plupart d’entre elles ne sont pas situées dans des lieux exposés aux risques coûteux incriminés (zones inondables…) et aucune aggravation des risques couverts ne justifie de telles hausses des primes pour elles. En outre, nos primes incluent déjà une « surcotisation catastrophes naturelles » obligatoire non négligeable. Les gouvernants semblent contents de cette «mutualisation » des risques (ou des coûts sociaux) qui s’apparente aux prélèvements obligatoires (PO) courants, sans en porter le nom. Ils ne s’étonnent pas d’un projet de tarif unique de transports en région parisienne qui permettrait aux personnes qui font des trajets courts de payer pour celles qui font des trajets longs. Solidarité, quand tu nous tiens !

 

L’idée d’une fiscalité progressive sur les revenus était déjà présente à la Belle Époque. Mais il n’était à coup sur pas question d’exonérer la moitié des contribuables du paiement de l’impôt sur le revenu et de faire verser des primes par le Trésor. Il n’était pas prévu que le taux global des PO atteigne 45 % du PNB, et soit nettement plus élevé pour de nombreux ménages des classes moyennes. Il n’était pas question de niches ou de boucliers fiscaux. Dans des pays nordiques que nos dirigeants et nos élites présentent volontiers comme des modèles sociaux avancés, la proportion des contribuables échappant aux impôts sur le revenu est bien plus faible que chez nous, d’une part, et les barèmes fiscaux sont moins progressifs, d’autre part. La perception de la solidarité fiscale est loin d’être uniforme. Les écarts existants entre les taux nationaux des PO dans l’OCDE (de 25 % du PNB à près du double) montrent l’élasticité des solidarités et des contributions que l’on demande aux uns et aux autres. Les tentatives de réforme du financement de la Santé aux États-Unis montrent qu’une forte opposition doctrinale persiste entre les Républicains, libéraux, et les Démocrates, plus solidaristes qu’eux.

 

Un peu comme en France il y a plus de soixante ans. Ceci pour souligner que si des principes généraux solidaristes sont assez largement reconnus aujourd’hui, il n’y a pas d’unanimité, ni même de majorité qualifiée, dans leurs applications. Dans chaque pays, les gouvernants et les rapports de force, déterminent les ressources à prélever et les moyens à consacrer à la « solidarité publique » qui, à côté de l’exercice des fonctions régaliennes de l’État, associe, combine et mélange la Protection sociale et la redistribution (qui inclut l’aide sociale). Et en France, la barre a été placée haut dans ces deux domaines. L’ampleur des déficits publics et de la dette oblige à des restrictions et à des révisions. Améliorer les performances, faire mieux et dépenser moins sont les recettes magiques répétées par les gouvernants. Nous voyons les secteurs les plus « dépensiers » pris dans le collimateur, et la façon dont la solidarité y est réformée. Réorganiser, regrouper, répartir autrement sur le territoire, fixer des objectifs de limitation ou de réduction des effectifs et des dépenses, privatiser, déplacer les responsabilités et, plus encore, les charges financières de l’État vers les collectivités locales, les entreprises privées et les ménages, sont des moyens déjà à l’oeuvre. Non sans impact, au moins à court terme, sur la croissance et sur le chômage. Moins de moyens publics pour de meilleurs résultats.

 

Contre ce mot d’ordre s’élève avec vigueur et sans succès toute l’opposition qui, à l’inverse, réclame plus de moyens dans presque tous les secteurs. Notamment pour maintenir ou préserver un haut niveau de service, comme dans l’Enseignement et la Recherche (où la quête de l’excellence est de rigueur) ou la Santé. Concernant l’environnement et l’écologie solidaires, le gouvernement pourrait continuer à économiser son énergie. Pour la prochaine étape de la « réforme des retraites », pas mal de pronostics ont déjà été émis. Majoration de l’âge minimum de la retraite : peu probable, trop impopulaire, malgré les « bons » exemples d’autres pays européens. Préférence, donc, aux procédés déjà éprouvés comme l’allongement de la durée des cotisations pour bénéficier des pensions à taux plein. Et « maîtrise » des revalorisations des pensions destinées aux classes moyennes. Les hausses des cotisations sociales patronales et/ou salariales, ainsi que de la CSG, déplaisent aux syndicats et au patronat. Les « Libéraux » s’y opposent aussi. Et les gouvernants, qui ont juré qu’ils n’aggraveraient pas la fiscalité, craquent. Il serait question de taxer les plus hauts revenus. Sans toucher au bouclier fiscal. On songe aussi à augmenter la CSG, des retraités, en premier lieu ? Les pensions des retraites par répartition, de la Sécu et des complémentaires, vont continuer à se dévaloriser (plus vite ?), poussant encore les ménages à épargner plus et à garnir leurs assurances vie, cheminant lentement mais sûrement vers la capitalisation… sous les regards compréhensifs des Autorités, et gourmands des intermédiaires financiers. Et l’harmonisation (en panne ?) des régimes de retraites attendra-elle de prochaines réformes ? Rien de bien surprenant en vue, donc. De vigoureuses palabres ou « négociations » sont annoncées.

 

Les médias vont se régaler. Pas nous. La crise creusant davantage les inégalités que la croissance, les pressions vont pousser les gouvernants à accroître la redistribution. Les demandes et les besoins exprimés étant plus nombreux et plus pressants, les choix de priorités devraient normalement être plus tranchés et visibles, particulièrement ceux en faveur des plus faibles, des plus démunis et des handicapés. Mais, la sélectivité implique des restrictions et des exclusions, ce qui n’est pas bon politiquement. Et puis, on ne peut envisager de voir faiblir la volonté de nivellement qui conduit à répartir et à disperser davantage les aides, visant ainsi une population électorale plus large et plus variée, plus diverse. Les gouvernants scandant qu’il n’y aura pas plus de PO, on peut craindre de voir monter les prix supportés par les ménages (et les entreprises), à l’image du déremboursement des médicaments et des franchises sournoises imposées aux soins, ainsi qu’au recours croissant à la mutualisation, entendue comme le transfert aux ménages de charges couvertes par l’État (cf. exemple précédent des assurances). Et puis, la France, livrée aux partis, aux clans, aux chapelles politiques, peut-elle être fraternelle et solidaire ? En Ile de France (IDF), les élections de mars 2010 ont vu s’affronter des candidats de douze listes différentes, solidaires… dans leurs désaccords. Pour Paul Huchon, tête de liste socialiste en IDF, le but suprême était de battre la droite (FR 2 le15 mars). De son côté, rassembleuse pour le second tour,

 

Martine Aubry préférait (le 17 mars) une gauche solidaire, ouverte à la pensée des autres (partis de gauche), à une gauche plurielle… celle du premier tour. Mais un mot à la place d’un autre ne change pas les dures réalités. Sur ses documents promotionnels, Valérie Pécresse, tête de liste UMP en IDF, n’embouchait pas le clairon de la solidarité. En politique, la solidarité se réclame et se proclame d’abord à gauche, au PS. Mais, les Verts ne veulent pas lui laisser le monopole du coeur. Avec l’écologie et la lutte contre le réchauffement climatique, ils tiennent des filons de solidarité inépuisables, à l’échelle planétaire. Le nouveau sésame sert trois fois dans leur prospectus du second tour « pour une Ile-de-France plus solidaire… ». L’abus de ce qui pourrait être une belle valeur, en fait un slogan sans signification précise.

 

Voici quelques autres exemples, puisés sur Internet, qui contribuent à vider les mots solidaire et solidarité de leur substance : La « gauche solidaire » ; Le parti de Villepin sera le PRS. « Pour une république solidaire » ; Je blogue solidaire (blog solidaire) on Twitter ; Boutique solidaire ; Partage solidaire des congés : est-ce légal ? Tourisme solidaire ; Epargne Solidaire : Finances solidaires et placements éthiques ; Solidarité Antifa [antifasciste] ; Carrefour. Solidarité ; Location : la solidarité rentable [dispositif Solibail] peine à convaincre les propriétaires ; Rugby : Toulouse – Dusautoir. « Retenir la solidarité » ; etc. Et l’inventif ministre Borloo vient de décider d’appeler « zones de solidarité » des zones « noires » littorales vouées à la destruction massive des habitations. Être solidaire, le dire, l’afficher est devenu une obligation, un « must » et une banalité captée par la pensée unique.

 

Ainsi, des pubs vantent aussi un « crédit solidaire », face à des offres de « crédit responsable ». D’ici à ce que le grand capitalisme financier et les délocalisations soient déclarés solidaires, il n’y a plus qu’un petit pas à faire. Le solidarisme du début du xxe siècle est venu de la recherche d’une troisième voie entre le libéralisme et le marxisme. Le solidarisme de nos jours ne peut pas se dépêtrer des contradictions et des incompatibilités inhérentes à un système qui continue d’essayer d’emboîter le capitalisme et le marxiste, auxquels il voit, assurément, bien des mérites, pour les rendre solidaires. Il voudrait marier un socialo communisme qui pousse les revendications sociales, égalitaristes et étatiques, quoi qu’il arrive, d’un côté, avec le soutien à un grand capitalisme financier (français, européen, mondialiste) qui lui apparaît être le meilleur secours et recours, dans une Union européenne très élargie, pour ne pas succomber à l’impitoyable concurrence internationale. En l’absence de recherche d’une nouvelle voie, d’un nouveau modèle, permettant des choix sensés, clairs et durables, ce sera encore le règne des compromis perdants perdants, des alternances, des cohabitations, comme celles que nous avons connues sous F. Mitterrand et sous J. Chirac, ou encore comme celle, chargée d’hostilité, qui se développe entre notre pouvoir central et les pouvoirs régionaux… en toute solidarité, bien entendu.

 

 

NB : Maastricht, les ratifications parlementaires de traités vitaux, comme celui de Lisbonne, l’attitude des Allemands et les déclarations d’Angela Merkel sur la Grèce et sur l’euro indiquent que le solidarité de l’UE est circonstancielle, à géométrie variable et au contenu indéfini, pour ne pas dire presque inexistant lorsqu’il s’agit de solidarité entre les peuples d’Europe. Une réflexion de fond sur le sujet, honnête et réaliste, s’impose pour donner un sens à cette valeur, sans laquelle l’UE n’ira pas loin.

 

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17.05.2010

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