Superbonimenteur
n’est
pas superman. Nul
mieux que des Américains ne pouvaient décrire le désenchantement qui fait suite
aujourd’hui à l’élection triomphale d’un Barack Obama incarnant l’espoir et le
changement dont rêvait une majorité d’Américains. Accusé de s’intéresser
davantage à Wall Street qu’aux problèmes quotidiens de son électorat après son
soutien à un système financier en faillite, « le candidat du changement est
devenu celui de la continuité » reconnaît son griot officiel, Richard N.
Smith.
De
son côté, dans le New
York Times repris
par Le
Monde,
sous le titre «
Decrypter Obama », Richard
W. Stevenson définit le nouveau président des États-Unis comme un personnage «
complexe et indéfinissable » qui échappe aux critères habituels :
«
Oui, le président est un libéral, sauf quand il ne l’est pas. Il est opposé à la
guerre, sauf quand il envoie des renforts de troupes… Il concentre plus de
pouvoir à la Maison Blanche qu’aucun de ses prédécesseurs, sauf lorsqu’il
manifeste un excès de déférence envers le Congrès. Il sait conserver son
sang-froid, sauf quand il le perd »
(ça, c’est plus grave !). Désormais sa démarche consiste à contenter tout le
monde, de sorte que la question qui se pose à ses électeurs est celle de savoir
si c’est « un homme pragmatique ou … un vil flatteur et une girouette
(sic)
».
La parole du président, qui est son arme essentielle selon Richard N. Smith,
manque désormais de crédibilité. Richard W. Stevenson précise le diagnostic :
«
Les présidents (américains) ont toujours cherché à se définir simplement par un
thème qui éclaire leurs choix et la manière dont ils sont perçus. Quand le
scénario est limpide et bien construit, il permet d’établir un lien avec les
électeurs, de leur expliquer vers quelle destination on les emmène… ».
Il
est évident que ce n’est pas le cas avec Obama.
S’il
ne s’agissait que de problèmes internes aux États-Unis, on pourrait ne pas s’en
soucier, mais l’ambiguïté, un pas en avant, un pas en arrière, rend tout autant
inintelligible la politique extérieure. À propos du tragique séisme qui a
endeuillé le peuple d’Haïti, le président américain déclare dans un article
publié par Le
Monde le
20 janvier :
« En ce nouveau siècle, nous ne pourrons répondre seuls à aucun grand défi »,
mais
en même temps il se félicite du déploiement à son initiative d’une véritable
armada sur le site : «
Cela renforce notre leadership
»
(sic). Leadership au
nom duquel la force américaine a cru bon d’interdire l’atterrissage d’un avion
français porteur d’un hôpital de campagne au profit de jets américains de
politiciens venus « se faire voir » !
On
ne peut rester sans réaction devant un tel comportement aussi révélateur d’une
Amérique qui ne s’intéresse qu’à elle-même et qui,
« quand elle s’intéresse au monde, c’est essentiellement à l’Asie comme rivale
et au Moyen-Orient comme problème … L’Europe n’existe plus aux yeux des
États-Unis » (D.
Moïsi, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), dans
La
Croix, le
4 février). Aussi ne faut-il pas s’étonner du refus du président Obama de
participer au sommet États-Unis-Union Européenne (U.E.) qui devait se tenir au
printemps, mais en tirer les conséquences, d’autant plus que, dans la réalité,
les Américains ne peuvent plus prétendre à un leadership exclusif. Pour l’U.E.,
il s’agit désormais, comme le suggère D. Moïsi, de «
penser ses défis dans un monde postaméricain», c’est-à-dire
ne plus se définir exclusivement par rapport ou contre les États-Unis, mais par
rapport à un monde devenu multipolaire. La priorité des Européens, c’est
maintenant de «
se mettre d’accord sur une politique à l’égard de la Chine, de l’Inde, de la
Russie »… et
autres pays émergents-émergés. Les dirigeants européens, et en premier lieu les
dirigeants français, seraient sans doute bien inspirés de prendre en
considération un tel propos.
...
2.
La
multipolarité a longtemps été un voeu pieux d’opposition au
leadership
indiscuté
de l’hyperpuissance américaine. Il n’en est plus de même aujourd’hui comme l’ont
montré les dernières conférences internationales.
Au
départ, il y avait ces quatre pays dits « émergents », le Brésil, la Russie,
l’Inde et la Chine, que l’on avait regroupés sous le vocable global quelque peu
condescendant de BRIC. C’était évidemment faire peu de cas de ce que ces pays
représentaient réellement, déjà et potentiellement ; c’était aussi oublier que
deux d’entre eux, la Russie et la Chine, ayant joué le rôle que l’on sait
pendant la Seconde guerre mondiale, faisaient partie des cinq membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU, instance de gestion des crises au plan mondial,
et c’était parallèlement ne retenir contre eux, surtout contre la première, que
l’inéluctabilité de la défaite finale de leurs systèmes politiques et
économiques dans leur affrontement au bloc anglo-saxon, champion du
capitalisme.
D’une
certaine façon, certains en concluaient, un peu trop vite on vient de le voir,
que la messe était dite et l’Histoire finie… Organisée dans l’urgence, sous la
contrainte d’événements qui remettaient en cause l’idéologie libérale,
elle-même
prise au piège de la spéculation effrénée qu’elle avait déclenchée, la recherche
de mesures de sauvegarde des économies menacées de destruction rendait
indispensable une concertation plus large que celle qui se limitait jusqu’alors
aux seuls pays du G 7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie,
Royaume-Uni et Japon). Cette instance, même élargie à la Russie pour former le G
8, prenait enfin conscience qu’elle n’avait plus le monopole de la régulation de
l’économie mondiale et qu’elle devait s’élargir aux pays dont l’économie jouait
déjà ou jouerait bientôt un rôle significatif au sein de celle-ci. C’est ainsi
que l’on est passé du G 8 au G 20. Quels étaient les nouveaux venus ? Tout
d’abord, les trois autres pays composant le BRIC : le Brésil, la Chine et
l’Inde. Ensuite, sans omettre l’Union européenne en tant que telle : deux pays
représentant l’Amérique latine, l’Argentine et le Mexique ; deux pays de
l’Orient islamique, l’Égypte et la Turquie ; un pays représentant l’Afrique
subsaharienne, l’Afrique du Sud ; deux pays de l’Extrême-Orient, la Corée du Sud
et l’Indonésie ; enfin l’Australie.
Cette
liste est en fait encore incomplète, même si elle est déjà pleinement
révélatrice de l’éclatement du monde en une pluralité d’économies régionales et
sousrégionales, chacune ne se limitant pas à son marché interne mais se donnant
vocation à intervenir dans les échanges internationaux. Que faut-il donc
entendre par pays émergents ? Selon le Centre français d’étude et de recherche
en économie internationale (Cepii), trois critères sont à retenir : (a) le
niveau de richesse par habitant, en progression mais encore très inférieur à
celui du revenu moyen des pays de l’OCDE ; (b) une participation croissante aux
échanges internationaux ; (c) l’attraction exercée sur les flux internationaux
de capitaux. Le Crédit Agricole quant à lui privilégie un « important potentiel
de développement », d’où une liste de treize pays dans laquelle on trouve entre
autres, à côté des pays entrés au G20, le Vietnam. Sont encore à retenir, la
Pologne en Europe, Israël désormais considéré comme un pays développé bien que
son revenu par habitant ne dépasse pas celui des Portugais,
Taïwan…
Cela finit par faire beaucoup de monde, et
il n’est pas certain que cette multipolarisation qui s’accélère se fasse dans
l’harmonie des rapports entre États.
Il
est clair que l’élargissement de la concurrence internationale qui en résulte
déjà, et qui se fait aux dépens des puissances occidentales du fait de la
dégradation de leur compétitivité, contient en germe des conflits d’intérêts
susceptibles de dégénérer entre États rivaux. Et à cet égard, on ne prête
peut-être pas assez attention, et spécialement les États qui ont des
responsabilités mondiales en matière de régulation, au fait que nombre de ces
pays dits émergents sont en pleine phase de réarmement et qu’ils développent
souvent euxmêmes une industrie d’armement nationale, ce qui montre leur
détermination à défendre leurs positions au besoin par la force. Il y a là un
risque qui peut devenir majeur pour la communauté internationale tout entière
dès lors que se trouveraient impliquées des alliances d’ordre
stratégique.
...
Figure
dans l’avis n° 1972, tome 7, Défense,
Equipement des forces - dissuasion, du projet de loi de finances pour 2019,
rapporté
par le député François Cornut- Gentil, un sous-chapitre intitulé
«
La fin de l’illusion de la sanctuarisation des crédits de la défense »
dont
le moins qu’on puisse en dire est qu’il interpelle ! On peut y lire en effet : «
Un simple regard posé sur les pratiques budgétaires de la Ve
République
révèle sans difficulté que la sanctuarisation n’est qu’illusion rhétorique ».
Pourtant, « on persiste à se référer à la sanctuarisation pour refuser tout
débat sur la nécessité de la dépense, pour rejeter toute réflexion autour des
priorités et pour laisser les militaires s’autogérer ».
Ainsi
énoncé, ce constat peut surprendre, venant après les discours quelque peu
lénifiants qui ont accompagné la publication du nouveau Livre
blanc sur
la défense et la sécurité nationale et les réductions de format qu’il annonçait
pour les armées. Il a cependant le mérite de dire clairement les choses. Chacun
sait que depuis longtemps les lois de programmation militaire quinquennales
(LPM) qui fixent les équipements à réaliser pendant la période de référence
n’ont jamais été respectées et qu’il en sera de même pour celle qui vient d’être
adoptée.
Il en est bien évidemment ainsi pour les budgets triennaux de la défense qui
resteront pour Bercy une des plus commodes variables d’ajustement, surtout si un
changement de majorité intervient à l’occasion de la prochaine élection
présidentielle. Mais
déjà, les crédits votés pour 2010 n’échapperont pas à cette règle
coutumière.
Est
donc en cause le programme d’équipement des forces, dénommé programme 146 dans
la nomenclature budgétaire, qui a pour premier objectif de « mettre à la
disposition des armées les armements et matériels nécessaires au succès des
opérations des forces armées ». Il est reproché au ministère de la Défense de
raisonner exclusivement en termes de réalisations, ce qui conduit M.
Cornut-Gentil à regretter, s’agissant de l’information de l’Assemblée nationale,
l’absence de vérification de l’adéquation des équipements réalisés aux besoins
opérationnels, ce qui ne permet pas de s’assurer de l’efficacité de la dépense
publique. L’engagement en Afghanistan oblige en effet à « repenser les besoins
opérationnels et les moyens d’y répondre », comme le reconnaissent eux-mêmes les
Américains : «
Le défi auquel (il faut faire) face en soutenant les besoins de nos troupes
tient dans le profond contraste avec les programmes conventionnels existant, des
armements destinés à lutter contre d’autres armées, marines et forces aériennes
modernes… » (Robert
Gates, secrétaire à la Défense, juillet 2009).
La
réponse dans l’urgence à ces besoins bien entendu non budgétisés conduit à des
surcoûts qui s’ajoutent à ceux déjà engendrés par les multiples opérations
extérieures (Opex) auxquelles participent les armées françaises (outre en
Afghanistan, au Liban, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Kosovo, dans l’Océan
Indien, etc. : au total, dix mille militaires déployés). Pour 2010, la provision
budgétisée s’élève à 570 millions d’euros, mais on sait déjà qu’elle ne couvrira
au mieux que 65 % des dépenses. Il faudra donc prendre le reste ailleurs…
Cependant les problèmes de financement ne se limitent malheureusement pas à ces
surcoûts opérationnels. Ils affectent profondément les grands programmes dont la
réalisation au niveau quantitatif comme à celui des performances optimales
recherché n’est déjà plus assuré.
Au niveau quantitatif, la réduction
des cibles inscrite dans le Livre
blanc conduit
mécaniquement à des surcoûts unitaires qui ne pourront être compensés que par
des exportations en nombre suffisant. Ainsi, pour les frégates multi-missions
(Fremm),
dont
le nombre à commander a été réduit de dix-sept à onze, l’équilibre financier du
programme dépendra de la vente à l’exportation des six frégates dont l’achat a
été abandonné. Si une a pu être vendue au Maroc, il est loin d’en être
aujourd’hui de même pour celles dont l’achat était envisagé par la Grèce (6 ?)
et par l’Algérie.
Le
programme « Rafale » connaît des difficultés similaires de réalisation, aucune
des promesses d’acquisition par des États tiers ne s’étant encore concrétisée.
Son étalement dépendant de ces éventuelles exportations qui seraient
nécessairement prioritaires, sa complète réalisation pourrait finir par s’en
trouver remise en cause. Enfin, bien qu’aucune alternative ne soit possible, la
réalisation du programme de l’avion de transport tactique et stratégique
A
400 M reste
toujours dépendre d’un accord entre les États clients et l’avionneur sur la
prise en charge des surcoûts découlant tout autant de surenchères technologiques
incompatibles avec le calendrier et le financement impartis que d’une mauvaise
gestion européenne du projet. Coût supplémentaire prévisible pour la France de
l’ordre du milliard d’euros, soit l’équivalent entre autres du financement de
deux
Fremm (485
millions d’euros par unité selon la DGA). Au niveau des performances
recherchées, la priorité étant désormais donnée à l’adaptabilité aux besoins
opérationnels, on attend beaucoup d’un nouveau mode de gestion des programmes,
dénommé «
démarche incrémentale *». De
quoi s’agit-il ? Selon le Livre
blanc, d’une
« approche par étapes fournissant très rapidement une première capacité
opérationnelle et remettant
à des étapes ultérieures d’éventuels perfectionnements du système requis au vu
du retour d’expérience. En
d’autres termes, il s’agirait de « ne pas rechercher immédiatement le système
d’armes le plus sophistiqué », mais « de concevoir, dès le départ, (à partir de
la définition de systèmes de base) les programmes sous un angle évolutif ». Ce
nouveau mode de gestion des programmes, associé au passage bienvenu du coût
d’acquisition au coût de possession, peut effectivement garantir de moindres
rapports de dépendance des armées envers des fournisseurs toujours enclins à les
pousser à des surenchères technologiques sans rapport avec leurs réels besoins
opérationnels et inutilement très coûteuses.
Il
reste que cela ne doit pas être l’habillage hypocrite d’une misère acceptée qui
conduirait à priver les forces françaises des moyens d’affronter des combats de
plus grande intensité que ceux d’aujourd’hui.
*
Selon les dictionnaires français, l’incrément
se
définit comme«
une quantité constante
ajoutée
à la valeur d’une variable à chaque exécution d’une instruction d’un programme
». Cette
définition, valable en informatique, pose tout de même un problème d’application
aux programmes d’armement pour lesquels l’ajout d’adaptation sur retour
d’expérience est lui-même une variable soumise à la diversité et à l’évolution
des modes de combat.