AU FIL DES JOURS

Franco cacophonie

 

par P. VINCENT

 

Reçu d’une amie thaïlandaise que j’avais connue étudiante à Paris ce message : « La question se pose pour moi de savoir si je dois inscrire ma fille au lycée français. Qu’en pensez-vous ? Quels sont les avantages pour elle d’apprendre le français ? » J’ai de plus en plus d’amis étrangers francophones qui se montrent ainsi hésitants. Si des jeunes apprennent le français, c’est bien sûr pour venir un jour en France à des titres divers. Difficile pour moi de leur assurer qu’ils n’auront jamais à subir de tracasseries de la part de nos ministres de l’Intérieur et des administrations qui en dépendent, une tradition qui remonte à Charles Pasqua.

 

Je voyais souvent à Paris un chef d’entreprise maghrébin ingénieur de Centrale qui venait y rencontrer ses fournisseurs. Un jour il m’a téléphoné en colère pour me raconter les avanies subies à notre consulat et me faire part de sa résolution de ne jamais y remettre les pieds. Il s’est trouvé d’autres fournisseurs en Allemagne, tant pis pour nous ! Victime d’autres tracasseries, une Japonaise ayant fait de solides études en France avait été contrainte de rentrer au Japon. Revenue quelques années plus tard aux côtés du directeur d’une firme japonaise s’installant près d’Orléans, elle découvrit enfin la gentillesse de nos fonctionnaires, surtout quand à leur tour ils cherchaient du travail pour un parent ou un ami, ce qu’elle racontait en riant. Pas de quoi être fiers !

 

Bien que lui ayant envoyé à temps un certificat d’hébergement en règle, une amie professeur de français à Bangkok faillit rater son avion, notre consulat lui réclamant à la dernière minute la photocopie de ma carte d’identité dont j’avais bien sûr déjà présenté l’original à ma mairie pour pouvoir obtenir ce certificat. Suprême absurdité, on exigeait l’original de cette photocopie, on refusait que celle-ci fût envoyée par fax. L’inventeur de cette exigence était heureusement bien incapable de voir la différence entre une photocopie originale (sic) et un fax photocopié. En vacances à Bangkok et prenant chaque matin mon petit déjeuner à la cafétéria de l’Alliance française située dans le même immeuble que notre consulat, j’ai vu une professeur d’université obligée d’y revenir trois jours de suite pour obtenir les visas dont elle avait besoin pour un séjour linguistique en France avec ses étudiants. Tous étaient bien connus du personnel du consulat qu’ils rencontraient à cette cafétéria ou à la bibliothèque voisine. La cause du zèle de notre consulat était donc uniquement la crainte de ses supérieurs hiérarchiques parisiens.

 

Les enseignants-chercheurs thaïlandais qui voulaient faire des thèses de doctorat en sciences obtenaient plus facilement leurs visas. Mais arrivés en France ils avaient parfois des difficultés pour obtenir un titre de séjour. L’un d’eux s’est vu éconduire, après plus de trois heures de queue dans une préfecture, au prétexte que son passeport n’était pas un passeport normal, et c’était vrai : c’était un passeport spécial délivré aux seuls fonctionnaires et qui, ô ironie, était censé valoir à son titulaire davantage de considération. Il s’agit dans tous ces exemples d’étrangers qui seraient normalement bienvenus sur notre territoire au regard des plus récents critères de sélection. Souhaitons que de leur côté ceux que nous jugeons dignes d’intérêt ne se désintéressent pas de la France.

 

Devant l’orientation de plus en plus basique et utilitaire que l’on semblait vouloir donner à notre système éducatif, un ancien universitaire québécois de mes amis estimait quant à lui qu’elle était devenue moins attrayante, y compris pour lui-même : « J’ai failli aller prendre ma retraite en France, mais j’y aurais été très malheureux de voir la France se courber devant les impératifs du monde actuel, c’est-à-dire américain … J’en ai pris mon parti, après avoir passé la plus grande partie de ma vie à me battre pour la francophonie… » Et l’on ne reverra certainement plus un procureur étranger venir soutenir une thèse devant un président Pierre Truche sur les spécificités de notre procédure pénale, puisque nos récentes «réformes» tendent à l’aligner sur le modèle anglo-saxon.

 

En 2006, dans un « courrier des lecteurs » de Libération, je découvrais aussi la mise en garde d’un ancien directeur de l’inalco, institution dispensant l’enseignement de quatre-vingtreize langues dites «orientales» et contribuant largement à la diffusion de notre culture, contre les projets de Nicolas Sarkozy qu’il jugeait nocifs pour l’attractivité de notre enseignement supérieur. Il faut savoir ce que l’on veut. Il ne sert à rien de continuer à célébrer de coûteuses grand-messes francophonesques ni de recourir pour notre propagande aux meilleurs gourous de la communication si ceux qui avaient fait le choix du français se montrent aujourd’hui déçus et si le risque de déception est encore plus grand pour demain. Les politiciens qui fondent leur attitude à l’égard des étrangers sur des calculs électoralistes devraient se préoccuper un peu plus des dommages collatéraux que cela entraîne pour le Pays.

 

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02.02.2010

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