TENTATIONS ET MIRAGES
NORDIQUES
par
Paul Kloboukoff,
Bien
des
choses flatteuses sont dites sur les performances économiques et, plus encore,
sur la générosité des systèmes de protection sociale des « démocraties sociales
» (ou libérales socialistes ?) que sont les quatre Scandinaves, le Danemark, la
Finlande, la Norvège et la Suède. Les Pays-Bas sont également souvent cités en
exemple. Pour nombre de dirigeants de l’Union
européenne (UE), de gouvernants français et de politiciens peu créatifs, pas
exclusivement de gauche, ce sont des modèles à copier où puiser des idées
ingénieuses, chiner et faire son marché, en prenant ce qui nous paraît attrayant
et en laissant tout ce qui l’entoure, ce dont il fait partie. Sans trop douter
de l’acceptabilité par notre système français, par les principes (complexes et
quelquefois séculaires) qui le régissent, par les valeurs qui le fondent et par
les us et coutumes citoyennes.
Attention
aux prélèvements et aux transplantations hâtives de greffons ! De nombreuses
données accessibles sur les sites Internet de l’UE et de l’OCDE, notamment,
montrent des différences significatives, voire des contradictions, entre les
contextes et les comportements respectifs. Derrière les chiffres se révèlent des
conceptions dissemblables à bien des égards entre le « social » nordique et
celui déclaré et/ou mis en oeuvre en France. L’expression « solidarité »
nationale n’a pas tout à fait la même signification au Nord que chez nous. La
vision de la «laïcité » non plus, d’ailleurs. Libres échangistes, les
Scandinaves n’étaient pas aux côtés de la France et des Pays-Bas parmi les États
fondateurs de la Communauté européenne dans les années 1950. Le Danemark a
adhéré en 1973, et ce n’est qu’en 1995 que la Finlande et la Suède sont entrées
dans l’UE. La Norvège, jouissant d’enviables ressources pétrolières et gazières,
reste en dehors de l’Union. La Finlande a adopté
l’euro. Pour leur part, ainsi que la Norvège, le Danemark et la Suède ont
préféré conserver leurs couronnes et gérer leurs propres monnaies. Comme des
grands. Sans inconvénient majeur jusque là, semble-t-il. Exemplaires en cela
aussi ? Le Danemark, la Norvège et la Suède, comme les Pays-Bas, sont des
royaumes (monarchies constitutionnelles) et chez tous trois, le protestantisme
(église luthérienne) est religion d’État. En
France,
République
laïque fière de ses valeurs, les deux premières religions sont le catholicisme
et l’islam. Les dimensions des pays scandinaves ainsi que celles des Pays-Bas
sont inférieures à celles de la France avec ses 544 000 km² (DOM et TOM non compris) et ses 63,4 millions (Mi)
d’habitants. Le Danemark, très bien situé et entouré, ne couvre que 43 100 km² et ne compte que5,4 Mi
habitants. Pas plus qu’une région française, comme Rhône- Alpes, par exemple,
avec ses 6 Mi hab. Les trois autres Scandinaves sont
plus étendus, très étirés vers le grand nord. Mais leurs populations sont
faibles et concentrées dans le sud et sur le littoral : Finlande : 304500 km² et 5,3 Mi hab. Norvège : 324
200 km² et 4,4 Mi hab. Suède
: 410 300 km² et 9 Mi hab.
Le climat est rigoureux et les conditions de vie sont difficiles pendant une
partie de l’année. Les 33 800 km² des Pays-Bas
hébergent 16,3 Mi habitants. Forte densité, donc. Ces caractéristiques ne sont
pas sans effets sur les sentiments nationaux et les attitudes des citoyens, en
matière de solidarité notamment. Il n’est pas surprenant que la diversité
démographique et l’hétérogénéité sociale soient plus grandes en France que dans
chacun des pays du Nord.
Travailler
plus et gagner plus pour se protéger plus
Plus
les revenus sont élevés, plus les pourcentages des ressources consacrées à la
protection sociale peuvent l’être. Les revenus annuels, mesurés par les PIB par
habitant exprimés en parité de pouvoir (PPDA) en 2008, sont de 26.900 euros en
France, de 28.900 en
d’achat
Finlande, de 29.800 € au Danemark, de 30.500 € en Suède, de 33.900 € aux
Pays-Bas et de 47.700 € en Norvège. Sauf dans ce dernier pays, la supériorité
nordique ne s’explique pas par des conditions naturelles spécialement
favorables. Les Nordiques travaillent plus que les Français. En France, 40,4 %
de la population occupent un emploi en2007. Ce taux est de 47,1 % en Finlande,
de 50,2 % en Suède, et il atteint53 % au Danemark et aux Pays-Bas. C’est 30 % de
plus qu’en France. Malgré les 35 heures (ou ce qu’il en reste), les durées
hebdomadaires moyennes de travail sont voisines les unes des autres. Les
importants écarts précédents tiennent essentiellement aux proportions plus
fortes de personnes actives, aux moindres taux de chômage, ainsi qu’aux durées
totales de travail des individus plus longues. La retraite à moins de soixante
ans (en moyenne) et le faible emploi des seniors aident la France à prendre la
dernière place dans ce groupe de pays.
Si
la France désire copier les Nordiques en remontant ses exigences sociales, et
les moyens qui peuvent leur être consacrés, bien sûr, ces chiffres nous
suggèrent par où il faut passer. Et la France ne doit compter que sur ses
propres forces. L’UE ne l’aide pas à progresser dans ce sens puisque la France
s’appauvrit au sein de l’Union. En2000, le PIB par
habitant en France était égal à celui de l’UE des 15 (22.000 €). En 2008, il est
inférieur (26.900 € contre 27.800 €). En huit ans, la France a reculé par
rapport à ses partenaires de 9,6 % en moyenne. Les européistes qui affirment que
l’Union est la planche de salut de la France sont
évidemment muets à ce triste sujet. La croissance économique française est
inférieure à celle des Nordiques malgré une natalité et une immigration qui font
le bonheur de nos pro natalistes et nos promoteurs de
la diversité. Et les coûts horaires moyens de la main d’oeuvre chez nous ne sont
pas inférieurs à ceux des Nordiques. Il paraît donc recommandé de chercher
d’autres clefs du dynamisme et de la compétitivité… dans une économie
mondialisée à laquelle les entreprises nordiques se sont adaptées mieux que
leurs concurrentes françaises. C’était nécessaire dans des pays plus dépendants
de leur commerce extérieur en raison de leurs petites tailles. Il faut aussi se
méfier des solutions de facilité béquilles, comme la prolifération des services
à la personne, et ne pas surestimer nos « avantages comparatifs », notre
attractivité touristique, par exemple. L’intensité touristique (nombre de
nuitées en hôtels et autres hébergements collectifs par habitant) en France
n’est que de 4,7 en 2006, à peine inférieure à celles du Danemark, des Pays-Bas,
et plus en dessous de celles de la Suède (5,3) et de la Norvège (5,9). Pour
info, l’Espagne est à 8,7. Ne gobons pas n’importe quelles pubs
gouvernementales. Observons, gardons les pieds sur terre.
Des
dispositions fiscales presque en opposition avec les
nôtres
Baisser
la TVA, toujours jugée trop forte en France (taux normal de19,6 % ; taux réduit de 5,5 % sur pas mal de produits, des
aliments de base jusqu’à la restauration) et pénalisante pour les ménages à
faible revenu, est un leitmotiv de la gauche qui a gagné du terrain à
droite.
Parmi nos Nordiques, seuls les Pays-Bas ont des taux de TVA voisins des nôtres
(taux normal 19 % ; taux réduit 6 %). La Finlande a fixé son taux normal à 22 %
et le Danemark, la Suède et la Norvège à25 %. Ajoutons qu’au Danemark il n’y a
pas de taux réduit et que dans les trois autres Scandinaves les taux réduits
appliqués sont nettement plus forts qu’en France (12 %, 14 % et 17 % sur
l’alimentation de base, par exemple). Des choix très différents des nôtres ont
donc été faits consistant à taxer plus fortement la consommation, afin d’être en
mesure de taxer moins les entreprises et, en même temps, de faire supporter aux
importations une partie plus élevée du fardeau fiscal. Les responsables
scandinaves n’ont pas eu à faire appel au « concept » de « TVA sociale » pour
justifier ces choix, qui semblent bien compris chez eux.
Le
taux normal d’imposition des revenus des sociétés est en France de 33,3 %. Les
Pays-Bas offrent un taux de 20 % à 23,5 %, tandis que les quatre Scandinaves ont
fixé des taux compris entre 26 % et28 %. Là encore, en privilégiant
l’attractivité, ces pays ont adopté des positions que notre gauche et ses
sympathisants combattent chez nous en réclamant une plus lourde taxation des
bénéfices des sociétés. En matière d’impôt sur le revenu des personnes (IR), les
Autorités françaises se sont escrimées à compliquer et opacifier notre système
fiscal. Notre impôt sur le revenu (IR) est devenu, à lui seul, une grosse
machine à redistribuer. Pas seulement par le jeu des « quotients familiaux », de
la progressivité (que la gauche trouve toujours insuffisante), des réductions
possibles sur des intérêts d’emprunts, sur des dépenses pour économiser de
l’énergie, pour l’aide à la personne… L’État est aussi
« l’employeur complémentaire » de millions de bénéficiaires de réductions de
leur IR et/ou de chèques au titre de la prime pour l’emploi (PPE). Cela conduit
(et ce n’est pas innocent) à minorer les recettes fiscales ainsi que le taux
global officiel des prélèvements obligatoires. Les comparaisons avec les impôts
sur les revenus d’autres pays n’en sont pas facilitées. De plus, la Contribution
sociale généralisée (CSG), qui est un impôt prélevé sur un plus grand nombre de
contribuables, est venue s’ajouter à l’IR et a pris de
l’ampleur avec les majorations successives des taux
d’imposition.
Les
comparaisons internationales, et notamment celles permises par les fiches-pays du site internet «
laposte- export-solutions.com », ont du mal
à tenir compte de toutes ces considérations. Pour cette source, l’impôt sur le
revenu des personnes en France s’étage entre 0 % et40 %, taux applicable dans la
tranche des revenus les plus élevés. En 2008, sur les 36 millions de
contribuables à l’IR déclarés, 10,22 millions
reçoivent des avis de non-imposition et 8,89 millions
bénéficient de restitutions par le Trésor (PPE). Ainsi, le nombre de
contribuables « payeurs » recevant des avis d’imposition n’est que de16,925 millions, soit 47 % de l’ensemble des contribuables. Au
total, l’IR ainsi défini et pratiqué ne rapporte que
59,2 milliards d’euros. La TVA, elle, en est à 165,9 milliards. Aux Pays-Bas,
les revenus de tous les contribuables apparaissent taxés, de 20 % au moins, et
de 25,5 % dans la tranche de revenu la plus élevée. Contributions effectives de
tous et faible progressivité. Passons vite sur la riche Norvège où les taux
extrêmes sont de 0 % et12 %. Au Danemark, en Finlande et en Norvège cohabitent
des impôts sur les revenus d’État et des IR des
municipalités. Les premiers sont progressifs (moins qu’en France), les taux
plafonds étant de 27,8 % au Danemark et de 25 % en Suède. En Finlande, le taux
plafond est de 30,5 % et un taux plancher de 7 % s’applique aux revenus les plus
faibles. Les municipalités fixent leur taux (unique et uniforme, quel que soit
le revenu) dans des fourchettes relativement étroites. Ces taux sont forts,
variant de 29 % à 35 % au Danemark, de 16,5 % à 21 % en Finlande et de 28,9 à
34,9 % en Suède. Un « impôt d’Église » variant suivant
la localité est aussi en vigueur au Danemark (de 0,4 % à 1,5 %) et en Finlande
(de 1 % à 2 %).
Nos
différences avec ces Scandinaves sautent ici aux yeux. Leurs principes
directeurs fiscaux sont en presque totale opposition avec ceux de notre gauche.
Leurs recettes fiscales sont plus élevées qu’en France (cf.
ci-après)
parce que chez eux les proportions de contribuables payant l’IR sont nettement plus fortes que chez nous et parce que les
contributions minimales demandées sont élevées. Chaque citoyen doit apporter un
écot significatif. Payer l’IR n’est pas l’apanage des
riches, des aisés. En même temps, la proportionnalité des contributions aux
revenus, notamment avec les copieuses taxes municipales, prend le pas sur la
progressivité. Nous avons aussi nos impôts locaux, bien sûr. Mais la taxe
d’habitation et la taxe foncière sont assises sur les valeurs locatives et la
taxe professionnelle est en voie de disparition. Ce sont, en réalité, des
conceptions bien différentes de la solidarité et de l’égalité qui ont ainsi
modelé nos systèmes fiscaux. Quelles transplantations sensées peut-on imaginer
?
Pays
scandinaves : forts impôts sur les revenus et recettes fiscales très
élevées
Les
records européens des prélèvements obligatoires (PO) sont battus, de beaucoup, par les quatre pays scandinaves,
avec des recettes totales des administrations publiques tournant autour de 55 %
du PIB dans trois d’entre eux en 2008 et atteignant 58,7 % en Norvège
(cf.
hydrocarbures). Les 49,3 % de la France, jugés excessifs, et les 46,6 % des
Pays-Bas apparaîtraient presque modestes ou mesurés. La Suède et le Danemark se
distinguent par de consistants impôts sur la production et les importations.
Respectivement 18,2 et 17,2% de leurs PIB… contre 14,8 % en France. Mais les
écarts sont surtout considérables entre les impôts courants sur les revenus et
les patrimoines ; 11,4 % du PIB en France, de 17 à 18 % en Finlande, en Suède
ainsi qu’en Norvège, et énorme taxation danoise : 29,8 % du
PIB.
En
revanche, les importantes cotisations sociales françaises (17,9 % du PIB)
dépassent de très loin celles du Danemark (1,8 % seulement) et sont nettement
supérieures à celles des autres Scandinaves, comprises entre 9 et 12 % du PIB.
Ces données globales reflètent et illustrent bien les choix différenciés vus
ci-dessus. L’impact sur la variable stratégique que constitue le « taux
d’imposition implicite du travail » n’est pas spectaculaire. Ce taux n’est
nettement inférieur aux 41,3 % de la France qu’au Danemark (37 %) et plus encore
aux Pays-Bas (34,3 %), deux pays qui sont visiblement attentifs à ne pas nuire à
la compétitivité de leurs entreprises par des PO
pénalisants.
Plus
de rigueur dans la gestion de leurs ressources et de leurs
dépenses
Des
six pays, la France est le seul en 2008 dont les recettes totales des
administrations publiques sont inférieures à leurs dépenses, avec un déficit de
- 3,4 % du PIB. L’excédent est de + 3,4 % du PIB au Danemark, de + 4,4 % en
Finlande, de + 2,5 % en Suède et de + 18,8 % du PIB en Norvège. Conséquence de
cette plus grande « rigueur » des pays scandinaves facilitée par l’acceptation
d’une fiscalité plus lourde, l’endettement public est contenu dans les limites
de 33 à 38 % du PIB (non compris la Norvège), tandis que la France, avec 68 %, a
dépassé les bornes fixées à Maastricht. Nous savons que la position française
s’est fortement dégradée depuis 2008, hélas. Les gouvernants nordiques disposent
donc de marges de manoeuvre, notamment en matière sociale, qui manquent en
France où les retours aux équilibres sont recherchés, surtout par la réduction
des dépenses publiques et le transfert de coûts de la Sécurité Sociale vers les
ménages.
Deux
options contrastées du financement de la protection
sociale
En
France, le choix initial a été de faire financer le plus gros des dépenses de
protection sociale (PS) par les employeurs et par les personnes protégées. En
2007, 65,3 % des recettes de PS sont donc (encore) fournies par ces agents
économiques, et la contribution publique est limitée à 31,4 %. En raison des
difficultés de maîtrises des dépenses, de santé en particulier, des déficits
croissants et de la diversification des aides, cette dernière proportion a
augmenté au cours des années et continue de croître. Les Pays-Bas sont allés
dans le même sens. Au contraire, les Scandinaves ont choisi de financer la PS à
l’aide de plus d’impôt. La contribution publique aux recettes totales de la PS
est de 43,2 % en Finlande, de 47,3 % en Suède, de 52,7 % en Norvège et de 61,9 %
au Danemark. En contrepartie, les contributions des employeurs et des personnes
protégées sont inférieures à 33 % au Danemark et n’atteignent pas 50 % dans les
trois autres pays. Ceci est possible parce que la forte « solidarité fiscale »
scandinave sollicite tous les citoyens, qui sont des bénéficiaires passés,
actuels et/ou potentiels de la PS nationale.
Dépenses
sociales : quelques différences notables
Les
dépenses par grandes fonctions montrent des différences dans les priorités
sociales. Ainsi, en France, parmi les dépenses de prestations sociales, 29,9 %
sont consacrées à la fonction maladie, aux soins de santé en 2007. C’est un peu
moins qu’aux Pays-Bas (32,5 %) ainsi qu’en Norvège, et plus que dans les trois
autres Scandinaves où elles sont contenues entre 23 et 26 %. La France
pourrait-elle descendre à de tels seuils ?
Par
contre, les quatre Scandinaves mobilisent entre 12,7 % et 18,7 % de leurs
dépenses pour l’invalidité, soit entre deux et trois fois plus que la France
(6,1 %). Celle-ci a donc un long et coûteux chemin à parcourir pour marquer
autant d’attention et de considération à l’égard des personnes invalides. En
faveur de la fonction vieillesse, la part des dépenses est la plus faible en
Norvège (30,4 %). Dans les cinq autres pays les pourcentages se trouvent
relativement peu éloignés, dans une fourchette de 35 % à 39 %. Mais la fonction
survie mobilise aussi 6,6 % des dépenses françaises. Beaucoup plus que les
autres pays. La France apparaît moins généreuse (8,5 % de ses dépenses) à
l’endroit de la fonction famille enfants que les Scandinaves qui lui réservent
entre 10 % et 13 %. Sans connaître les « succès » natalistes français. Sachant
que les taux de chômage varient d’un pays à l’autre et dans le temps, il est
difficile de comparer les dépenses qui sont vouées à ce
fléau.
Enfin,
les pourcentages des dépenses consacrées à l’exclusion sociale et au logement
(si elles sont évaluées de façon correcte et homogène, comme devraient l’être
les autres statistiques passées en revue) apparaissent minimes, comme des
miettes comprises, ensemble, entre3 % et 5 %.
Des
« risques de pauvreté » redoutables et de la grande
redistribution
Avec
la récente fixation par les statisticiens de l’UE du seuil de pauvreté à 60 % du
revenu médian, les taux de pauvreté (pourcentage de personnes « pauvres » par
rapport à la population totale) dans les différents pays se sont envolés, du
jour au lendemain. Aussi, les mêmes spécialistes ont décidé de rebaptiser la
pauvreté « observée » en l’appelant « le risque de pauvreté », un « concept »
virtuel qui peut paraître moins traumatisant et/ou culpabilisant. Je continuerai
cependant ici à parler de la « pauvreté ». Avant que ne soient effectués les
transferts sociaux par l’État entre les catégories de
populations, le taux de pauvreté est en 2007 de 21 % aux Pays-Bas (une personne
sur cinq est pauvre !), de 26 % en France (une personne sur quatre l’est !) et
il monte à 27 %, 28 % et 29 % chez les quatre Scandinaves ! Autant de pauvres,
cela a de quoi surprendre, déconcerter, voire effrayer. Découvrir que les
économies scandinaves créent plus de pauvreté qu’en France peut aussi étonner.
Mais, rassurons nous, la grande redistribution des revenus est à
l’oeuvre.
En
France, elle permet de réduire de moitié le taux de pauvreté, le faisant
descendre à 13 %. Les cinq nordiques « corrigent » encore davantage les
inégalités de revenus par la redistribution, ramenant leurs taux de pauvreté à
10 %, 11 %, 12 % et 13 %. Ainsi, les écarts entre les taux nationaux de nos six
pays après redistribution sont-ils assez limités. Les Scandinaves ont presque
autant de pauvres que les Français. Par contre, ils ont moins de pauvres parmi
les jeunes de 0 à 18 ans, entre 10 % et 13 % suivant le pays, contre 16 % en
France. La vie familiale semble préserver mieux de la pauvreté dans le Nord. En
revanche, les taux de pauvreté y sont notablement plus élevés parmi les 18 à 24
ans. Trouvé insupportable au niveau de 21 % en France, il atteint 24 % en
Finlande, 27 % en Suède, 34 % au Danemark et 38 % en Norvège. Vertigineux ?
Instructif, en tout cas sur les difficultés matérielles que peuvent rencontrer
les jeunes qui étudient et/ou font leurs premiers pas sur le marché du travail.
Nos jeunes qui peuvent bénéficier d’emplois aidés, de la prime pour l’emploi,
d’aides au logement… doivent-ils les envier ? Il y a relativement peu de pauvres
Scandinaves parmi les 50 à 64 ans, 5 % seulement au Danemark, en Suède et en
Norvège, contre11 % en France. Leur secret ? Travailler plus longtemps pour ne
pas gagner beaucoup moins ou trop peu.
En
effet, au delà de65 ans, le taux de pauvreté, qui est de 13 % en France et de11
% en Suède, grimpe à 15 % en Norvège, à 18 % au Danemark et 22 % en Finlande.
Pauvres vieux ! Le passage de l’activité à la retraite est évidemment
déterminant dans cet appauvrissement. On peut d’ailleurs observer, à ce sujet,
que le « taux de remplacement » des revenus des retraités (mesuré par le revenu
médian des personnes de65 à 74 ans rapporté au salaire médian des personnes de50
à 59 ans), qui est de 61 % en France et en Suède, n’est que de 49 % en Norvège,
de 46 % en Finlande, de 42 % aux Pays-Bas et de 39 % au Danemark. Par rapport
aux salariés en fin de carrière, nos retraités feraient ainsi partie des mieux
traités. N’allons donc pas forcément au Nord chercher les meilleurs régimes de
retraites pour nous. N’imaginons pas qu’à quelques détails près nos systèmes
sont semblables et que les harmonisations européennes ne relèvent que de petits
coups de baguette magique. Avant de penser à copier, prenons aussi conscience
que la très forte fiscalité et l’importante redistribution pratiquées là-bas ne
bénéficient pas autant à toutes les catégories de la population, aux jeunes, aux
familles et aux retraités en particulier. Une « valeur » apparaît portée bien
plus haut que chez nous, la valeur travail.