AU FIL DES
JOURS
par François Lardeau,
Confrontés au peu de
considération dans lequel les citoyens les tiennent, les hommes politiques et
les journalistes n’ont guère trouvé matière à se rassurer dans le sondage
effectué en décembre par la Sofrès auprès de mille
cinq cents personnes pour le compte du Centre de recherche politique de Sciences
Po (Cevipof) et de son
partenaire, l’Institut Pierre-Mendès-France. Selon ce sondage en effet, deux tiers
des Français (67 %) n’ont confiance « ni dans la droite ni dans la gauche pour
gouverner le pays ». C’est, après l’espérance suscitée par la campagne
présidentielle de 2007, le retour à la défiance qui régnait déjà en2006. Dans
l’opposition, le parti socialiste, candidat autoproclamé à l’alternance, ne
recueille « la confiance pour gouverner » que d’à peine la moitié de ses
militants (49 %) et la gauche dans son ensemble que d’un de ses électeurs sur
trois !
Alors que les instances
territoriales (maires et conseils municipaux, conseils généraux et conseils
régionaux) se trouvent ménagées, la défiance est maximale à l’égard du président
de la République et du Gouvernement. Cela ne peut étonner : d’une part, le
procès permanent fait au président sous des formes de plus en plus haineuses
finit par porter ses fruits au grand détriment de la fonction ; d’autre part, le
vieux conflit entre girondins et jacobins se poursuit au-delà de toute
rationalité, quitte à bloquer tout effort de développement économique et social.
Paradoxalement, il reste que les citoyens, conscients de leurs intérêts très
concrets, ne remettent pas en cause le rôle de l’État
régalien : les hôpitaux (86 %), l’école (83 %), l’armée (75 %) et la police (73
%) (sic), voire les grandes entreprises publiques, sont
des institutions ou des organismes pour lesquels, parfois plus par nécessité que
par conviction, ils manifestent encore attachement et certaine
confiance.
Un tel constat d’une société
enfermée dans ses contradictions et son manque d’ambition collective ne conduit
guère à l’optimisme. Manque également, au plus haut niveau, l’autorité morale
qui seule pourrait animer cette dernière. Condition sine qua non qui n’est
jamais assez soulignée et dont devraient davantage se soucier nos soi-disant
élites politiques.
***
L’euro en première ligne
Les dettes publiques et les
andouillettes partagent presque un même système de notation : triple A pour
celles des pays les moins endettés et les plus à même de respecter leurs
engagements ; AAAAA pour les meilleures des andouillettes… J.-P. Robin (Le
Figaro économique) Une monnaie ne vaut, dit-on, que par la solidité de ses
fondamentaux, laquelle dépend bien évidemment de l’état de l’économie du pays ou
de l’ensemble de pays considéré, ici l’Euroland,
handicapé dès le départ par l’hétérogénéité des économies nationales des pays
qui le composent. Dans ces conditions, la crise ne pouvait que révéler dans
toute son ampleur l’irréalisme des obligations souscrites par les pays de
l’Union Européenne (U.E.) en signant le traité de
Maëstricht. Il est clair aujourd’hui qu’aucun des pays signataires qui
appartiennent à la zone euro, l’Allemagne mise à part et encore, n’est en mesure
d’équilibrer son budget national sans recourir à l’emprunt, et cela dans des
proportions telles que le service de la dette est devenu pour chaque pays un
obstacle au financement des investissements qui pourtant commandent son
avenir.
« Sale temps pour l’euro », titre Gabriel
Milesi dans le Journal des Finances. L’état d’alerte
est en effet déclenché pour quatre pays de la zone au moins, l’Espagne,
l’Irlande, la Grèce et le Portugal, qui affichent un déficit public jugé des
plus préoccupants, la Grèce en premier dont la notation (indice de confiance
dans sa solvabilité) a été abaissée à BBB avec un doute sur la capacité du pays
à restaurer sa crédibilité financière, notamment en réduisant ses dépenses dans
un contexte social volcanique. L’Espagne ne va guère mieux, et la France, qui
s’est assise par facilité sur le pacte de stabilité que
les signataires du traité de Maëstricht s’étaient engagés à respecter, n’est pas
sur une meilleure voie. Selon l’Insee, la dette publique de notre pays (État,
Sécurité sociale et collectivités territoriales) s’élevait à 1 457, 4 milliards
d’euros fin septembre, soit à 75,8 % du PIB, et l’emballement n’est pas fini :
elle devrait exploser en 2010 et atteindre 84 % du PIB, hors grand emprunt sur
les marchés (22 milliards d’euros). Un pic à91,3 % du
PIB est même envisagé pour 2013, ce qui donne le vertige !
Les agences de notation sonnent
l’alerte. Fitch Ratings n’hésite pas à mettre dans un
même sac l’Espagne, le Royaume-Uni et la France dont les endettements respectifs
sont porteurs de risques équivalents, s’élevant, selon ses propres estimations,
à plus de 90 % du PIB en 2011 pour les trois pays alors qu’elle fixe la limite
acceptable pour un pays noté triple A à 80 %, seuil en voie d’être dépassé dès
cette année. De son côté, l’agence américaine Moody’s considère que cette
notation n’est plus de mise lorsque la charge annuelle de la dette dépasse10 %
du montant des recettes fiscales et assimilées (État, collectivités
territoriales et Sécurité Sociale). Si la charge de la dette n’atteint encore
que 7 % de ce montant pour notre pays, elle pourrait atteindre les 10 % dès 2012
au train où il continue à s’endetter…
Il est évident que de tels
niveaux d’endettement ne peuvent qu’engendrer des effets pervers. S’y ajoute
ainsi en premier une dégradation des taux d’emprunt qui n’arrange rien : quand
la Grèce emprunte à dix ans au taux de 5,78 %, l’Allemagne se refinance au taux
de 3,15 %. 3,40 % encore pour la France, mais pour combien de temps ? La crise a
bon dos, mais chacun sait que cet endettement n’a plus la justification de
financer des investissements productifs et qu’il résulte de dépenses de
fonctionnement de moins en moins maîtrisées. Nicolas Sarkozy et le Gouvernement
en sont parfaitement conscients. Le sujet devrait être à l’ordre du jour dès ce
mois : il s’agirait de « débattre de propositions pour sortir de la spirale des
déficits et de l’endettement ». Certes, mais encore ? Il ne faut pas oublier que
les causes sont structurelles, profondément ancrées, et que, si une rupture avec
les errements actuels s’imposera tôt ou tard, elle ne pourra se faire que dans
la douleur … ce qui, entre parenthèses, ne devrait pas pousser la gauche à
revenir au pouvoir !
Bruxelles et Francfort
s’inquiètent à juste titre. Les institutions européennes supranationales en
viendront peut-être un jour à imposer des plans d’ajustement structurel, comme
autrefois la Banque Mondiale et le FMI en Afrique avec les dégâts sociaux que
l’on sait. Il y a déjà des gens en France pour proposer des mesures radicales,
telles que procéder au licenciement sec de 20 % des fonctionnaires, ou encore…
sortir de l’euro et dévaluer immédiatement après avoir converti la totalité de
la dette dans la monnaie nationale, faculté qu’ont su conserver les États-Unis
et l’Angleterre … Plus prosaïquement, ces endettements bousculant les
sacro-saints critères de Maëstricht et du Pacte de stabilité, mettant à mal les
fondamentaux de l’euro, il semble bien que l’on en soit arrivé à un moment de
vérité s’agissant de la monnaie unique, jusqu’à écrire comme Charles Gave,
toujours dans le Journal des Finances : « Et comme tout le monde se porterait
mieux si ce monstre n’avait jamais vu le jour ! »
***
Quand l’impasse … s’élargit !
À l’Est, rien ne va plus ! Après l’Irak, l’Afghanistan ; après
l’Afghanistan, le Yémen ! … Bien du plaisir, M. Obama
! Voilà l’illustre bonimenteur à l’épreuve des faits, et ce n’est pas s’en
prendre à des services de sécurité sans doute quelque peu sous-performants qui peut cacher un manque réel de lucidité
politique au regard des développements d’une situation de moins en moins maîtrisée. La dernière attaque des talibans au coeur de
Kaboul confirme ce triste bilan auquel il faut ajouter les attentats de Bagdad
qui saluent le départ des Marines US… Dans un contexte de globalisation
effective de la menace islamiste, de la Méditerranée, du Sahara et de la Corne
de l’Afrique au Pakistan, tout se passe comme si se développait une stratégie
visant à « affoler » la coalition occidentale en l’obligeant à être partout à la
fois. Stratégie d’un seul homme, Oussama Ben Laden, ou plus vraisemblablement stratégie collégiale si
l’on se réfère aux exemples vietnamien et algérien, de sorte que l’élimination
de la direction adverse n’apparaît pas possible. En l’occurrence, dans la phase
actuelle, cette dernière donne l’impression de jouer au chat et à la souris.
L’Oncle Sam est baladé d’un
théâtre d’opérations à un autre jusqu’à lui faire perdre la tête, s’engageant
ici, puis là, et encore ailleurs, et en voie d’épuiser finalement tous les
moyens opérationnels qu’il peut mobiliser, alliés compris.
D’une manière évidente, deux
stratégies se développent et s’opposent selon des référentiels temporels qui
témoignent d’une asymétrie bien plus fondamentale dans l’affrontement que le
rapport des forces, c’est-à-dire selon le jargon du moment :
• celle de la coalition occidentale, conçue par le
commandement de l’ISAF, qui voudrait enfermer son
intervention en Afghanistan dans le cadre temporel d’une campagne de contre-insurrection de douze mois :
- Shaping Operations (modélisation
de l’espace d’engagement) : 4 mois,
- Sustaining Operations (soutien à
l’action principale) : 4 mois,
- Decisive Operations (opérations
décisives) : 4 mois ;
• celle des insurgés (talibans) dont le cadre temps se
compte en dizaines d’années :
- Shaping Operations :
30 ans,
- Sustaining Operations
: 50 ans,
- Decisive Operations :
éternellement (sic). Cette présentation d’aujourd’hui confirme et souligne
l’asymétrie des stratégies qui a toujours caractérisé les conflits intervenus
depuis la fin de la seconde guerre mondiale entre les puissances coloniales qui
ne voulaient pas renoncer à leurs possessions et les peuples colonisés avides de
recouvrer leur indépendance. Alors que les premières cherchaient à briser
rapidement, par la seule force militaire, l’insurrection des seconds, ceux-ci,
instrumentalisant le désintérêt, voire l’hostilité, et in fine la lassitude des
opinions publiques, jouaient la durée. Et finalement, on l’a vu, ce sont eux qui
l’ont emporté, bénéficiant par ailleurs du soutien du bloc soviétique à l’époque
de la guerre froide. On va incontestablement vers une évolution semblable du
conflit afghan faute d’un horizon visible, les forces de la coalition
occidentale apparaissant de plus en plus comme une armée d’occupation
néocolonialiste aux yeux de populations par ailleurs soumises à leurs bavures.
Aussi, loin du consensus officiellement affiché, à partir notamment d’une
référence inappropriée dans ses objectifs aux méthodes de pacification du
maréchal Lyautey, les critiques se multiplient au sein même de la coalition sur
la façon dont sont menées les opérations.
Une des plus pertinentes est sans
doute celle qui porte sur la formation des forces afghanes que l’on veut « faire
manoeuvrer à l’occidentale » (bataillons, brigades) au lieu de les laisser
intervenir à leur manière traditionnelle, « en petites bandes très agressives,
c’est-à-dire comme les rebelles », ainsi que l’a souligné, de retour de Kaboul,
le colonel Goya, directeur d’études à l’Institut de
recherche stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM).
Cette remarque n’est pas sans rappeler l’action efficace des commandos de
supplétifs pendant la guerre d’Indochine et celle des commandos de chasse
pendant celle d’Algérie… Concernant l’armement, le colonel s’étonne du
remplacement des Kalachnikovs des combattants afghans, parfaitement adaptés aux
modes de combat locaux, par des M 16 américains nettement plus encombrants … Il
faut bien vendre ses productions ! Il s’agit là de considérations d’ordre
tactique qui, même prises en compte, ne sont pas de
nature à provoquer un retournement de la situation. Le colonel Goya veut croire
à une possible victoire à long terme, la population
étant supposée détester les talibans. Mais, outre le fait que l’on disait déjà
la même chose des rapports des populations avec le Viêt-Minh et le FLN et que malheureusement rien n’est venu
par la suite confirmer ce « postulat », il semble bien que les troupes
françaises opérant conjointement aujourd’hui avec la nouvelle armée afghane ne
parviennent pas à convaincre la population de la zone contrôlée qu’elles
agissent pour son bien, sept mille personnes au moins ayant fui la dite zone
pour se réfugier dans un camp de « déplacés » aux portes de Kaboul (Le Monde du
27 janvier). S’ajoute à cet insuccès un taux élevé de désertions parmi les
militaires du rang afghans : 34 % des effectifs…
En fait, pris dans sa globalité,
l’échec trouve son origine dans l’incapacité des politiques à donner un
véritable sens au conflit et donc à le légitimer, notamment aux yeux des
opinions publiques. Si cette condition était remplie, la question de la
pertinence et de la durée de l’intervention armée se ferait moins pressante. Il
s’ensuivrait également une meilleure coordination de cette dernière au niveau de
l’ensemble du théâtre d’opération, actuellement partagé entre des commandements
sectoriels de nationalités diverses agissant chacun selon la conception
nationale de leur mission (contingents allemand et italiens entre autres). Le
rapport aux populations s’en trouverait renforcé, surtout si cellesci ne discutaient plus par ailleurs la légitimité du
gouvernement du président Karzaï. Lequel, en cette fin
de janvier, homme habile entre tous, uniquement soucieux de durer, est à la
manoeuvre pour trouver à l’extérieur le soutien qui lui manque à l’intérieur du
pays. Prétendant faire la paix en offrant aux talibans modérés, c’est-à-dire non
liés à al-Qaïda (?),de
partager le pouvoir avec eux, projet dont il a su habilement faire confirmer le
principe par les pays voisins de l’Afghanistan lors d’un mini-sommet organisé à Istanbul par la Turquie, il surfe sur
les déclarations des officiels américains qui recherchent de plus en plus
ouvertement une porte de sortie à court terme (retrait des forces dès2011 ?). Le
général américain McChrystal en est à déclarer : « Je
pense qu’il y a eu assez de combats (sic) et je crois qu’une solution politique,
comme dans tous les conflits, est inévitable ». On sait par expérience (voir
plus haut) que s’y résoudre, c’est dans le cas précis reconnaître la « victoire
» de l’autre et accepter par avance les surenchères auxquelles cette « victoire
» conduira de sa part. Où seront les garanties ? Parier sur le Pakistan paraît
bien aléatoire, même en lui accordant un soutien dans sa rivalité avec l’Inde ou en lui reconnaissant un droit à une « profondeur
stratégique » en Afghanistan !