Pourquoi
cette
question sur l’identité nationale (IN) rencontre-t-elle un tel écho,
laisse-t-elle peu de gens indifférents et sera-t-elle encore pressante lors de
la prochaine campagne des élections régionales ? Les exploitations médiatiques
des résultats du référendum suisse sur les minarets et de l’interrogation sur
l’IN en France ont réveillé ou ranimé des inquiétudes
latentes sur l’avancée de la religion musulmane, avec ses pratiques, ses us et
coutumes, ainsi que sur celle de communautarismes… qu’il apparaît difficile de
dissocier de l’immigration, qui se trouve ainsi à nouveau au coeur des
discussions.
Entre
deux feux
Aujourd’hui,
l’identité nationale française se trouve prise entre deux feux : la construction
européenne (et mondialiste) en cours et l’immigration. L’UE vise à supplanter
les autorités nationales et à diriger les sentiments nationaux, les identités
nationales, vers une « nationalité » européenne. Il « faut » être Européen plus
que Français ou Italien. Bientôt, nos compatriotes auront deux nationalités,
l’européenne et la française. Ceux qui ont déjà choisi et acquis une deuxième
nationalité en auront alors une troisième, sans autre formalité. Et, s’il est
bien porté dans certains milieux de se déclarer citoyen européen, nous voyons
aussi des citoyens du Monde. Atteint, le « concept » de citoyenneté française a
du plomb dans l’aile et celui d’identité nationale part en vrille. Nos
dirigeants des deux bords ont soutenu ces orientations. Ils ont applaudi les
accords de Schengen et le traité de Lisbonne. Sils n’éludent pas ces questions
dans le débat, que peuvent-ils lui apporter d’autre que la défense de leurs
abandons et leur insistance pour continuer sur la même voie, qu’ils garantiront
encore comme la meilleure, la seule voie possible.
Pendant
des siècles, la France a été une terre d’accueil. Elle a su et pu assimiler,
intégrer les vagues d’immigrants qui se sont déposées sur son sol. Elle a
affirmé, consolidé sa personnalité et son identité avec l’adhésion et la
participation de ces apports extérieurs, en sauvegardant et en garantissant les
valeurs séculaires qui étaient jugées essentielles par les Français. Force est
de constater que la France n’est plus en capacité d’intégrer l’immigration qui
s’est accélérée et renforcée depuis une quinzaine d’années. Les politiciens se
montrent impuissants, désarmés, sans solutions devant les problèmes, souvent
aigus, posés dans les domaines économiques, sociaux et culturels,
sociétaux.
Nombre
d’entre eux ont tendance à sous-évaluer les flux migratoires et les populations
immigrées, ou encore à les minimiser (pour rassurer les électeurs ou s’attirer
la sympathie des immigrés ?). Ainsi, on préfère s’appesantir sur les étrangers
en situation illégale ou irrégulière (minoritaires, et souvent travailleurs),
avec reconduite à la frontière à la clef, comme si c’était le principal problème
soulevé par l’immigration. Et la « discrétion » est de règle sur les
informations existantes en la matière.
Informations démographiques incomplètes et biaisées
Les
recensements effectués par l’inseesont
considérés comme les sources de données démographiques les plus fiables. Or, il
est défendu de collecter des informations sur les religions des personnes lors
des recensements et des autres enquêtes. Comme si le « secret statistique » qui
interdit la présentation de données individuelles recueillies n’existait pas.
Aussi, sur la présence de musulmans en France, ne peut-on trouver que des
estimations basées ou non sur des sondages. Pour l’Institut national d’études démographiques (ined), il
y aurait eu3.650.000 musulmans adultes (de dix-huit ans et plus) en 1999. Sans
compter les sans-papiers, les convertis, les musulmans d’Outre-mer et les musulmans d’origine asiatique. Pour Bernard
Godart et Sylvie Taussig,
démographes de l’ined,
il devait donc y avoir plus de 5 millions de musulmans en 2006. Mais, en
l’absence de données officielles, sans dénombrements rigoureux (avec le respect
de l’anonymat, bien sûr), on peut tout imaginer. Jusqu’à 8 millions de musulmans
en France, a-t-on entendu. C’est un résultat et un revers de la politique de
l’autruche pratiquée, sans doute « pour ne pas inquiéter inutilement » le bon
peuple. Quant aux lieux de culte, ils seraient au nombre de 2.000 (dont plus de
1.300 mosquées), en forte hausse, avec de nombreux
projets.
Du
côté des partis de gouvernement ainsi que dans les cercles« bien pensants », la
tendance est à minimiser l’immigration proprement dite et le nombre d’immigrés
présents sur le sol français. Pour cela, il est commode de jouer sur les mots et
de mettre en avant les chiffres concernant les étrangers ; ils sont moins élevés
et moins « dynamiques » que ceux de l’immigration. En 2006, dans la France
métropolitaine (FM), sur une population de 61,4 millions de résidents, le nombre
d’étrangers
(personnes
de nationalité étrangère) était de 3,54 millions, soit 5,8 % du total. En sept
ans, entre 1999 et 2006, l’effectif des étrangers a augmenté de + 5,6 %...
seulement !?
En
revanche, le nombre d’immigrés
(personnes
nées
à l’étranger,
restées étrangères ou devenues françaises par acquisition) est chiffré à 5,04
millions en 2006, soit à 8,2% de la population. Entre 1999 et 2006,
l’augmentation a été de + 17 %, trois fois plus rapide que celle de la
population totale. Voici une autre vision, sans fard, de l’immigration. Pourquoi
tellement plus d’immigrés que d’étrangers en France ? En grande partie parce que
les personnes nées à l’étranger ayant acquis la nationalité française sont de
plus en plus nombreuses (plus de 2 millions en 2006)… et ne sont évidemment pas
comptées comme des étrangers.
Pour
compléter cette quantification de l’immigration, il y a lieu de considérer les
personnes nées
en France qui
ont acquis la nationalité française ou sont restées étrangères (pnef). Il
y en avait 1,31 million en 1999, soit 2,2 % de la population de fm.
C’est ainsi de l’ordre de 10 % de personnes vivant sur notre sol qui ne sont pas
nées françaises.
Les
autorités ont bien du mal à « maîtriser les flux migratoires ». Elles n’ont pas
moins de difficultés à maîtriser les estimations et les statistiques sur ces
mouvements migratoires avec l’extérieur. Dans son Bilan démographique 2008 (in
inseePremière,
n°1220,
janvier 2009) un tableau donne les soldes migratoires (entrées – sorties)
annuels évalués depuis 1999. Le cumul de ces soldes annuels de 1999 à 2006 est
de + 620.000 personnes, soit un apport moyen net de + 88.000 personnes par an.
De tels chiffres sont montrés au public. Cependant, pour assurer la cohérence
avec les observations sur la croissance totale de la population résidente et la
croissance naturelle de celle-ci (naissances – décès), un « ajustement » se
montant à + 660.000 personnes est ajouté… au solde cumulé précédent de + 620.000
personnes. La somme, intitulée « solde migratoire apparent », s’élève à + 1, 28
million de personnes. Elle représente 42 % de l’accroissement total de notre
population (+ 3,06 millions) entre 1999 et 2006. On ne peut donc dire ou laisser
entendre que l’immigration est globalement marginale en
France.
Importance
des dimensions régionales et locales
La
répartition des immigrés sur le territoire national est loin d’être uniforme. De
très importants écarts existent, avec de fortes polarisations et des zones peu
peuplées par l’immigration. Cela peut évidemment expliquer des perceptions et
des attitudes différenciées à l’égard de cette dernière selon le lieu où l’on se
trouve. Pour être concret et compris partout, le débat sur l’identité nationale
doit tenir compte des caractéristiques démographiques, sociales et économiques
locales, ainsi que de particularismes divers, de volontés d’autonomie, de
revendications identitaires régionales, par exemple. On ne peut apprécier les
problèmes et débattre de l’in
dans
des termes semblables en Bretagne, en Corse et en Ile-de-France. Les situations
et les perspectives locales seront, débat ou non, des critères de choix des
électeurs aux régionales de 2010. Aux candidats de cogiter et de
s’expliquer.
Des
exemples parlants
En
Bretagne, région comptant 3 millions d’habitants en 2006, il n’y avait que 2,4 %
d’immigrés… après une augmentation de leur nombre de + 60 % depuis 1999. Aussi,
pour de nombreux Bretons, l’immigration représente quelque chose de relativement
incorporel, qui se passe ailleurs et ne les touche pas ou peu. Elle ne sera sans
doute pas au centre de leurs débats sur l’in,
si
de tels débats sont organisés localement. En 2006, la Région d’Ile-de-France,
qui comptait 11,5 millions d’habitants, hébergeait 1,95 million d’immigrés, soit
16,9 % de sa population totale. Beaucoup plus que la moyenne
nationale.
Entre
1999 et 2006, l’augmentation de la population immigrée a atteint + 21 %,
poussant la croissance de la population francilienne jusqu’à + 4,9 %, tandis que
la population non immigrée n’augmentait que de + 3,2 %. Pendant cette période,
la population totale a crû de + 580.000 personnes, parmi lesquelles+ 340.000
immigrés. Indépendamment ou non de ce que peuvent être le ressenti des
Franciliens et l’impact sur la perception de l’in,
la
progression de l’immigration apparaît comme un facteur explicatif majeur des
besoins locaux nouveaux et/ou additionnels en matière de logement sociaux, de
soins, de bâtiments scolaires, de moyens de transports… Aucun des responsables
politiques franciliens ne l’ignore. Cette progression accentue aussi la position
démographique dominante, concentrationnaire, de la région parisienne. Mais
a-t-on une politique de population et une politique d’aménagement du territoire
qui se préoccupent de ce type de questions ? Avec le
Grand Paris ?
Toujours
en 2006, le département de la Seine-Saint-Denis comptait 26,5 % d’immigrés. En
ajoutant les pnef,
personnes
nées en France ayant acquis la nationalité française ou étant restées étrangères
(6 % de la population locale en 1999), on obtient de l’ordre de 32 %, les deux
autres tiers de la population étant nés français en France ou à l’étranger. Le
nombre d’immigrés a crû de + 31 % de 1999 à 2006. La forte attractivité de ce
département n’a pas faibli, au contraire. Au point que 86 % de l’augmentation de
population du département est due aux seuls immigrés. Cette importance et cette
croissance de la population immigrée sont des caractéristiques démographiques
dominantes de la période… observées et vécues par les Séquano-dyonisiens… immigrés et non immigrés. Peuvent-elles
être occultées par les politiciens et sans influence dans les éventuels débats
sur l’in
?
Dans
la commune de Bobigny, préfecture de la Seine-Saint-
Denis, la présence des immigrés (32 % des 47.800 Balbyniens) et l’augmentation
de leur nombre (+ 32 %) sont encore plus fortes. Les pnefreprésentaient
7 % de la population locale en 1999. Si cette dernière proportion n’a pas baissé
(ni crû), la commune de Bobigny ne comptait plus en 2006 qu’environ 60 % de
personnes nées françaises en France ou à l’étranger. L’augmentation de la
population de la commune en sept ans est due entièrement à celle de la
population immigrée. L’immigration peuple ainsi chaque année davantage la
préfecture et le département de Seine-Saint- Denis. Il
n’est pas étonnant de trouver moins d’immigration à Versailles que dans le 93.
Il y a tout de même 8 % d’immigrés, comme la moyenne nationale, et un peu plus
de la moitié (52 %) de la progression de la population de la commune entre 1999
et 2006 vient de ce que le nombre d’immigrés a progressé de + 15,6 %, tandis que
celui des non immigrés n’a progressé que de + 1,1 %.
Là
aussi, les équilibres démographiques bougent. Parmi les 6 millions d’habitants
en 2006 dans la vaste Région Rhône-Alpes ont été
comptés 9 % d’immigrés, leur nombre étant en hausse de + 14 % par rapport à
1999. La métropole régionale, Lyon, comptait 14 % d’immigrés. Là aussi, le
nombre d’immigrés a fortement crû : + 18 % en sept ans, soit quatre fois plus
que les non immigrés. Au sud, dans la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur
(paca),
peuplée par 4,8 millions de Provençaux, 9,8 % d’immigrés ont été dénombrés en
2006, soit + 9,1 % de plus qu’en 1999. Il faut ajouter que la croissance du
nombre des non immigrés a été soutenue (+ 6,6 %) par l’attraction que le « Midi
» exerce en France. C’est ainsi deux types de mouvements migratoires différents
que les Provençaux ont eu à connaître et à absorber. Dans le département des
Bouches-du-Rhône, la proportion d’immigrés était voisine en 2006 de celle de la
région : 9,7 %. Ce chiffre est à rapprocher du pourcentage d’étrangers qui est
affiché : 3,8 %.
Pensée
unique, langue de bois et bouche cousue : peut-on y échapper
?
Ces
observations, limitées dans leur objet de caractère essentiellement informatif
pour le présent article, portent sur la France métropolitaine prise dans son
ensemble, sur trois Régions qui abritaient 22,3 millions de résidents en 2006
(plus du tiers de la population totale) ainsi que sur plusieurs départements et
communes de ces régions. Tirées des résultats des Recensements de 1999 et de
2006, elles représentent, avec du poids, une certaine réalité française, une
réalité « de proximité », vécue et mouvante pour les citoyens. Les Autorités,
les politiciens et les médias ne doivent pas mettre ce type d’informations
statistiques sous le boisseau. Le droit à une information loyale et non faussée
ne doit pas être exclu de notre démocratie.
Au
vu de cette diversité des situations et connaissant un peu la France, il me
paraît très déconseillé d’essayer d’orienter les débats à la recherche plus ou
moins autoritariste et moralisatrice d’un consensus mou, rassurant, propret,
désinfecté, neutre, d’une « opinion publique » unique, virtuelle, normalisée,
formatée, sans lignes de force et sans aspérités… qui ne représenterait rien et
n’apporterait rien. Méfions nous des tentations insidieuses du « politiquement
correct », des technocrates et de la pensée imposée.
En
fait, et compte tenu des réactions très rapidement enregistrées jusqu’ici, il
est tout à fait possible, sinon probable, au regret des uns et à la satisfaction
des autres, qu’il n’y ait pas de vrai débat… faute de débateurs et en raison de
la réticence visible des politiciens. Ce qu’ils voudront bien déclarer ou
n’oseront pas dire à l’approche de la prochaine échéance électorale, les
régionales de mars 2010, risque fort d’être « compromettant » pour eux… de
brouiller leurs images, de les mettre en porte à faux vis-à-vis d’une partie de
leur électorat et de leur faire perdre des voix. Entre tirer la langue de bois,
parler pour ne rien dire et se taire, il leur sera difficile de choisir.