LE GENERAL DE GAULLE,

IDENTITÉ NATIONALE,

EUROPE ET IMMIGRATION

 

par Paul Kloboukoff,

 

Pourquoi cette question sur l’identité nationale (IN) rencontre-t-elle un tel écho, laisse-t-elle peu de gens indifférents et sera-t-elle encore pressante lors de la prochaine campagne des élections régionales ? Les exploitations médiatiques des résultats du référendum suisse sur les minarets et de l’interrogation sur l’IN en France ont réveillé ou ranimé des inquiétudes latentes sur l’avancée de la religion musulmane, avec ses pratiques, ses us et coutumes, ainsi que sur celle de communautarismes… qu’il apparaît difficile de dissocier de l’immigration, qui se trouve ainsi à nouveau au coeur des discussions.

 

Entre deux feux

Aujourd’hui, l’identité nationale française se trouve prise entre deux feux : la construction européenne (et mondialiste) en cours et l’immigration. L’UE vise à supplanter les autorités nationales et à diriger les sentiments nationaux, les identités nationales, vers une « nationalité » européenne. Il « faut » être Européen plus que Français ou Italien. Bientôt, nos compatriotes auront deux nationalités, l’européenne et la française. Ceux qui ont déjà choisi et acquis une deuxième nationalité en auront alors une troisième, sans autre formalité. Et, s’il est bien porté dans certains milieux de se déclarer citoyen européen, nous voyons aussi des citoyens du Monde. Atteint, le « concept » de citoyenneté française a du plomb dans l’aile et celui d’identité nationale part en vrille. Nos dirigeants des deux bords ont soutenu ces orientations. Ils ont applaudi les accords de Schengen et le traité de Lisbonne. Sils n’éludent pas ces questions dans le débat, que peuvent-ils lui apporter d’autre que la défense de leurs abandons et leur insistance pour continuer sur la même voie, qu’ils garantiront encore comme la meilleure, la seule voie possible.

 

Pendant des siècles, la France a été une terre d’accueil. Elle a su et pu assimiler, intégrer les vagues d’immigrants qui se sont déposées sur son sol. Elle a affirmé, consolidé sa personnalité et son identité avec l’adhésion et la participation de ces apports extérieurs, en sauvegardant et en garantissant les valeurs séculaires qui étaient jugées essentielles par les Français. Force est de constater que la France n’est plus en capacité d’intégrer l’immigration qui s’est accélérée et renforcée depuis une quinzaine d’années. Les politiciens se montrent impuissants, désarmés, sans solutions devant les problèmes, souvent aigus, posés dans les domaines économiques, sociaux et culturels, sociétaux.

 

Nombre d’entre eux ont tendance à sous-évaluer les flux migratoires et les populations immigrées, ou encore à les minimiser (pour rassurer les électeurs ou s’attirer la sympathie des immigrés ?). Ainsi, on préfère s’appesantir sur les étrangers en situation illégale ou irrégulière (minoritaires, et souvent travailleurs), avec reconduite à la frontière à la clef, comme si c’était le principal problème soulevé par l’immigration. Et la « discrétion » est de règle sur les informations existantes en la matière. Informations démographiques incomplètes et biaisées

 

Les recensements effectués par l’insee sont considérés comme les sources de données démographiques les plus fiables. Or, il est défendu de collecter des informations sur les religions des personnes lors des recensements et des autres enquêtes. Comme si le « secret statistique » qui interdit la présentation de données individuelles recueillies n’existait pas. Aussi, sur la présence de musulmans en France, ne peut-on trouver que des estimations basées ou non sur des sondages. Pour l’Institut national d’études démographiques (ined), il y aurait eu3.650.000 musulmans adultes (de dix-huit ans et plus) en 1999. Sans compter les sans-papiers, les convertis, les musulmans d’Outre-mer et les musulmans d’origine asiatique. Pour Bernard Godart et Sylvie Taussig, démographes de l’ined, il devait donc y avoir plus de 5 millions de musulmans en 2006. Mais, en l’absence de données officielles, sans dénombrements rigoureux (avec le respect de l’anonymat, bien sûr), on peut tout imaginer. Jusqu’à 8 millions de musulmans en France, a-t-on entendu. C’est un résultat et un revers de la politique de l’autruche pratiquée, sans doute « pour ne pas inquiéter inutilement » le bon peuple. Quant aux lieux de culte, ils seraient au nombre de 2.000 (dont plus de 1.300 mosquées), en forte hausse, avec de nombreux projets.

 

Du côté des partis de gouvernement ainsi que dans les cercles« bien pensants », la tendance est à minimiser l’immigration proprement dite et le nombre d’immigrés présents sur le sol français. Pour cela, il est commode de jouer sur les mots et de mettre en avant les chiffres concernant les étrangers ; ils sont moins élevés et moins « dynamiques » que ceux de l’immigration. En 2006, dans la France métropolitaine (FM), sur une population de 61,4 millions de résidents, le nombre d’étrangers (personnes de nationalité étrangère) était de 3,54 millions, soit 5,8 % du total. En sept ans, entre 1999 et 2006, l’effectif des étrangers a augmenté de + 5,6 %... seulement !?

 

En revanche, le nombre d’immigrés (personnes nées à l’étranger, restées étrangères ou devenues françaises par acquisition) est chiffré à 5,04 millions en 2006, soit à 8,2% de la population. Entre 1999 et 2006, l’augmentation a été de + 17 %, trois fois plus rapide que celle de la population totale. Voici une autre vision, sans fard, de l’immigration. Pourquoi tellement plus d’immigrés que d’étrangers en France ? En grande partie parce que les personnes nées à l’étranger ayant acquis la nationalité française sont de plus en plus nombreuses (plus de 2 millions en 2006)… et ne sont évidemment pas comptées comme des étrangers.

 

Pour compléter cette quantification de l’immigration, il y a lieu de considérer les personnes nées en France qui ont acquis la nationalité française ou sont restées étrangères (pnef). Il y en avait 1,31 million en 1999, soit 2,2 % de la population de fm. C’est ainsi de l’ordre de 10 % de personnes vivant sur notre sol qui ne sont pas nées françaises.

Les autorités ont bien du mal à « maîtriser les flux migratoires ». Elles n’ont pas moins de difficultés à maîtriser les estimations et les statistiques sur ces mouvements migratoires avec l’extérieur. Dans son Bilan démographique 2008 (in insee Première, n°1220, janvier 2009) un tableau donne les soldes migratoires (entrées – sorties) annuels évalués depuis 1999. Le cumul de ces soldes annuels de 1999 à 2006 est de + 620.000 personnes, soit un apport moyen net de + 88.000 personnes par an. De tels chiffres sont montrés au public. Cependant, pour assurer la cohérence avec les observations sur la croissance totale de la population résidente et la croissance naturelle de celle-ci (naissances – décès), un « ajustement » se montant à + 660.000 personnes est ajouté… au solde cumulé précédent de + 620.000 personnes. La somme, intitulée « solde migratoire apparent », s’élève à + 1, 28 million de personnes. Elle représente 42 % de l’accroissement total de notre population (+ 3,06 millions) entre 1999 et 2006. On ne peut donc dire ou laisser entendre que l’immigration est globalement marginale en France.

 

Importance des dimensions régionales et locales

La répartition des immigrés sur le territoire national est loin d’être uniforme. De très importants écarts existent, avec de fortes polarisations et des zones peu peuplées par l’immigration. Cela peut évidemment expliquer des perceptions et des attitudes différenciées à l’égard de cette dernière selon le lieu où l’on se trouve. Pour être concret et compris partout, le débat sur l’identité nationale doit tenir compte des caractéristiques démographiques, sociales et économiques locales, ainsi que de particularismes divers, de volontés d’autonomie, de revendications identitaires régionales, par exemple. On ne peut apprécier les problèmes et débattre de l’in dans des termes semblables en Bretagne, en Corse et en Ile-de-France. Les situations et les perspectives locales seront, débat ou non, des critères de choix des électeurs aux régionales de 2010. Aux candidats de cogiter et de s’expliquer.

 

Des exemples parlants

En Bretagne, région comptant 3 millions d’habitants en 2006, il n’y avait que 2,4 % d’immigrés… après une augmentation de leur nombre de + 60 % depuis 1999. Aussi, pour de nombreux Bretons, l’immigration représente quelque chose de relativement incorporel, qui se passe ailleurs et ne les touche pas ou peu. Elle ne sera sans doute pas au centre de leurs débats sur l’in, si de tels débats sont organisés localement. En 2006, la Région d’Ile-de-France, qui comptait 11,5 millions d’habitants, hébergeait 1,95 million d’immigrés, soit 16,9 % de sa population totale. Beaucoup plus que la moyenne nationale.

 

Entre 1999 et 2006, l’augmentation de la population immigrée a atteint + 21 %, poussant la croissance de la population francilienne jusqu’à + 4,9 %, tandis que la population non immigrée n’augmentait que de + 3,2 %. Pendant cette période, la population totale a crû de + 580.000 personnes, parmi lesquelles+ 340.000 immigrés. Indépendamment ou non de ce que peuvent être le ressenti des Franciliens et l’impact sur la perception de l’in, la progression de l’immigration apparaît comme un facteur explicatif majeur des besoins locaux nouveaux et/ou additionnels en matière de logement sociaux, de soins, de bâtiments scolaires, de moyens de transports… Aucun des responsables politiques franciliens ne l’ignore. Cette progression accentue aussi la position démographique dominante, concentrationnaire, de la région parisienne. Mais a-t-on une politique de population et une politique d’aménagement du territoire qui se préoccupent de ce type de questions ? Avec le Grand Paris ?

 

Toujours en 2006, le département de la Seine-Saint-Denis comptait 26,5 % d’immigrés. En ajoutant les pnef, personnes nées en France ayant acquis la nationalité française ou étant restées étrangères (6 % de la population locale en 1999), on obtient de l’ordre de 32 %, les deux autres tiers de la population étant nés français en France ou à l’étranger. Le nombre d’immigrés a crû de + 31 % de 1999 à 2006. La forte attractivité de ce département n’a pas faibli, au contraire. Au point que 86 % de l’augmentation de population du département est due aux seuls immigrés. Cette importance et cette croissance de la population immigrée sont des caractéristiques démographiques dominantes de la période… observées et vécues par les Séquano-dyonisiens… immigrés et non immigrés. Peuvent-elles être occultées par les politiciens et sans influence dans les éventuels débats sur l’in ?

 

Dans la commune de Bobigny, préfecture de la Seine-Saint- Denis, la présence des immigrés (32 % des 47.800 Balbyniens) et l’augmentation de leur nombre (+ 32 %) sont encore plus fortes. Les pnef représentaient 7 % de la population locale en 1999. Si cette dernière proportion n’a pas baissé (ni crû), la commune de Bobigny ne comptait plus en 2006 qu’environ 60 % de personnes nées françaises en France ou à l’étranger. L’augmentation de la population de la commune en sept ans est due entièrement à celle de la population immigrée. L’immigration peuple ainsi chaque année davantage la préfecture et le département de Seine-Saint- Denis. Il n’est pas étonnant de trouver moins d’immigration à Versailles que dans le 93. Il y a tout de même 8 % d’immigrés, comme la moyenne nationale, et un peu plus de la moitié (52 %) de la progression de la population de la commune entre 1999 et 2006 vient de ce que le nombre d’immigrés a progressé de + 15,6 %, tandis que celui des non immigrés n’a progressé que de + 1,1 %.

 

Là aussi, les équilibres démographiques bougent. Parmi les 6 millions d’habitants en 2006 dans la vaste Région Rhône-Alpes ont été comptés 9 % d’immigrés, leur nombre étant en hausse de + 14 % par rapport à 1999. La métropole régionale, Lyon, comptait 14 % d’immigrés. Là aussi, le nombre d’immigrés a fortement crû : + 18 % en sept ans, soit quatre fois plus que les non immigrés. Au sud, dans la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (paca), peuplée par 4,8 millions de Provençaux, 9,8 % d’immigrés ont été dénombrés en 2006, soit + 9,1 % de plus qu’en 1999. Il faut ajouter que la croissance du nombre des non immigrés a été soutenue (+ 6,6 %) par l’attraction que le « Midi » exerce en France. C’est ainsi deux types de mouvements migratoires différents que les Provençaux ont eu à connaître et à absorber. Dans le département des Bouches-du-Rhône, la proportion d’immigrés était voisine en 2006 de celle de la région : 9,7 %. Ce chiffre est à rapprocher du pourcentage d’étrangers qui est affiché : 3,8 %.

 

Pensée unique, langue de bois et bouche cousue : peut-on y échapper ?

 

Ces observations, limitées dans leur objet de caractère essentiellement informatif pour le présent article, portent sur la France métropolitaine prise dans son ensemble, sur trois Régions qui abritaient 22,3 millions de résidents en 2006 (plus du tiers de la population totale) ainsi que sur plusieurs départements et communes de ces régions. Tirées des résultats des Recensements de 1999 et de 2006, elles représentent, avec du poids, une certaine réalité française, une réalité « de proximité », vécue et mouvante pour les citoyens. Les Autorités, les politiciens et les médias ne doivent pas mettre ce type d’informations statistiques sous le boisseau. Le droit à une information loyale et non faussée ne doit pas être exclu de notre démocratie.

Au vu de cette diversité des situations et connaissant un peu la France, il me paraît très déconseillé d’essayer d’orienter les débats à la recherche plus ou moins autoritariste et moralisatrice d’un consensus mou, rassurant, propret, désinfecté, neutre, d’une « opinion publique » unique, virtuelle, normalisée, formatée, sans lignes de force et sans aspérités… qui ne représenterait rien et n’apporterait rien. Méfions nous des tentations insidieuses du « politiquement correct », des technocrates et de la pensée imposée.

 

En fait, et compte tenu des réactions très rapidement enregistrées jusqu’ici, il est tout à fait possible, sinon probable, au regret des uns et à la satisfaction des autres, qu’il n’y ait pas de vrai débat… faute de débateurs et en raison de la réticence visible des politiciens. Ce qu’ils voudront bien déclarer ou n’oseront pas dire à l’approche de la prochaine échéance électorale, les régionales de mars 2010, risque fort d’être « compromettant » pour eux… de brouiller leurs images, de les mettre en porte à faux vis-à-vis d’une partie de leur électorat et de leur faire perdre des voix. Entre tirer la langue de bois, parler pour ne rien dire et se taire, il leur sera difficile de choisir.

 

 

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07.01.2010

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