par
Hélène Nouaille en collaboration Jean-Paul Vignal,
La
Lettre de Léosthène(helene.nouaille@free.fr)
Menée par des Africains, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) est un
partenariat dynamique oeuvrant à travers le continent pour aider des millions de
petits exploitants et leurs familles à s’affranchir de la pauvreté et de la
faim. Les programmes de l’Alliance proposent des
solutions pratiques pour augmenter la productivité et les revenus des petites
exploitations tout en protégeant l’environnement et la biodiversité. Pour
réaliser cet objectif, les partenariats de l’Alliance
s’intéressent aux aspects importants de l’agriculture africaine : les semences,
la fertilité des sols, l’eau, ainsi qu’aux marchés, à l’enseignement et à la
politique agricoles (1) »
Tiens, se dit-on, qui se tient derrière cette
initiative, à priori intéressante et dont l’ancien secrétaire général de l’ONU,
KofiAnnan, est président
depuis juin2007 ? Comment est-elle coordonnée aux travaux menés au niveau
mondial sous la houlette de l’ONU ? De ce côté en effet, les rapports d’experts
« ne représentant pas des intérêts d’actionnaires » sur les problèmes
alimentaires dans le monde (2) s’accordent à souligner l’importance de
techniques agricoles adaptées au terrain, au climat et à la formation des hommes
qui la pratiquent sur la durée, tout en privilégiant, comme il est naturel,
l’importance de la recherche pour améliorer dans ce cadre le rendement agricole,
ce qui se comprend très bien.
Traduit en langue technocratique, cela se dit : « Le
concept d’une évaluation internationale des connaissances, des sciences et des
technologies agricoles pour le développement (IAASTD) est approuvé comme une
démarche intergouvernementale multi thématique, multi spatiale, multi temporelle
(coordonnée par) un Bureau composé d’intervenants multiples, démarche
co-sponsorisée par la FAO, le Global EnvironmentFacility (GEF, Fonds pour l’environnement mondial), les
programmes de Développement des Nations-Unies (UNDP),
de l’Environnement (UNEP), l’UNESCO, la Banque
mondiale et l’OMS ».
Le rapport de l’IAASTD
d’avril 2008 avance un certain nombre de constats et de préconisations, vingtdeux au total, qu’on peut trouver dans un Résumé
général à l’intention des décideurs (2), pages 6 à 10. Ils couvrent à peu près
tous les domaines qu’implique le développement d’une agriculture susceptible de
répondre aux besoins d’une population qui croît sans mettre en danger à terme
les terres qui la reçoivent et les hommes qui la pratiquent. À propos de
productivité, nous lisons, au point 3 : « L’accent mis sur l’augmentation des
rendements et de la productivité a, dans certains cas, eu des conséquences
négatives sur la durabilité de l’environnement ». C’est-à-dire
?
Entre autres choses que les plants proposés pour un
meilleur rendement (hybrides) sont nécessairement associés à un certain nombre
de produits apportés à la terre (intrants), tels que « éléments nutritifs
(engrais azotés, phosphatés, potassiques et éventuellement oligoéléments)
nécessaires à la croissance maximale de la plante, produits phytosanitaires
(fongicides, insecticides) » (Wikipedia). Ou encore
que « il n’est pas intéressant de ressemer les graines récoltées. En effet, les
plantes qui en résulteraient seraient différentes de la variété homogène F1, car
il se produit à la deuxième génération une disjonction des caractères (en vertu
de la troisième loi de Mendel). Il est donc nécessaire de racheter des semences
chaque année car la production de semences F1 n’est pas à la portée de
l’agriculteur moyen » (même source, contrôlée). Comprenons bien, ce type de
semences est adapté à des agricultures « hightech », pratiquées par exemple en France ? Oui, nous répond
un expert consulté, « On en utilise beaucoup : toutes les semences dites
hybrides, telles que le maïs, doivent être rachetées tous les ans. De plus, même
quand les semences sont réutilisables, comme c’est le cas pour la plupart des
céréales à paille, la majorité des agriculteurs achètent de nouvelles semences
tous les ans comme le montre ce tableau des ventes » (3). Allons donc regarder
de plus près les programmes de l’Alliance (AGRA) qui
distribue généreusement des subsides aux centres de recherche agricole de
l’Afrique. Et d’où viennent les fonds ? La consultation attentive du conseil
d’administration (4) nous éclaire.
Une partie des dirigeants travaille ou a travaillé
pour la fondation de Bill Gates (The Bill & Melinda Gates Foundation) (5) ou
pour la Rockefeller Foundation (6). Et le programme,
tel qu’exposé par le viceprésident d’AGRA, AkinAdesina, dans Africa. com (7) le 27 octobre
dernier, est très clair : « Notre politique est d’encourager les gouvernements à
mettre en place de meilleures politiques pour encourager des sociétés privées
productrices de semences à les produire et à les commercialiser auprès des
petits fermiers ». Quelles sociétés privées ? L’histoire ne le dit pas, et c’est
notre confrère le Temps qui précise qui « s’intéresse au marché mondial de cent
quatre-vingt millions de petits paysans africains » (8).
On trouve « tous les grands noms de l’agrobusiness
tels que Syngenta, DuPont PioneerHi-Bred ou Monsanto, dont plusieurs anciens collaborateurs figurent au
sein du conseil d’administration de l’AGRA. C’est dire si à terme », continue
Catherine Morand, « l’introduction de semences transgéniques brevetées va
fatalement figurer à l’agenda de cette nouvelle Révolution verte ». Joli nom
pour désigner une politique de transformation de l’agriculture des pays en
développement dont les prémices datent de1943 au Mexique, déjà avec l’appui de
la Fondation Rockefeller et dont les résultats sont controversés. « Appliquer au
contexte africain les mêmes recettes qu’en Asie il y a quelques décennies en
faisant l’impasse sur le coût environnemental et social très lourd qu’elles ont
engendré – nappes phréatiques contaminées, perte de fertilité des sols,
disparition de nombreuses variétés et millions de paysans chassés de leurs
terres – apparaît comme totalement irresponsable sur un continent où plus de 70
% de la population vit de l’agriculture » (8).
Le rapport de l’IAASTD
recommande tout autre chose : que « le renforcement des partenariats en matière
de recherche et de vulgarisation, la gouvernance locale axée sur le
développement et des institutions telles que les coopératives, les organisations
paysannes et les associations professionnelles, les institutions scientifiques
et les syndicats, aident les petits producteurs et entrepreneurs à saisir et
améliorer les opportunités existant au niveau des exploitations agricoles, après
les récoltes, et dans les entreprises rurales non agricoles ».
En clair, il s’agit de mettre ce que la recherche
scientifique peut apporter au service et à la portée des paysans sur la durée,
sachant que « dans certains cas, ce sont les petites exploitations agricoles qui
économisent l’eau, les nutriments et l’énergie et préservent les ressources
naturelles et la biodiversité sans sacrifier les rendements (...) » (2). Et ceci
sans négliger les savoirs traditionnels, ni privilégier « des considérations à
court plutôt qu’à long terme ».
De leurs travaux, les experts de l’IAASTD concluent que, dans les conditions qu’ils décrivent,
la terre est capable de nourrir à terme la population à venir – toujours dans la
durée. La « révolution verte », elle, est née sous les auspices d’une pensée néo
malthusienne défendue aussi bien par la fondation Rockefeller que par des
agronomes prestigieux, tel le prix Nobel de la paix 1970 Norman Borlaug (« Si la population continue à augmenter à ce
rythme, nous allons détruire l’espèce »), cité par le New York Times (9) qui
s’interroge, lors de son décès en septembre dernier, sur les limites des
méthodes qu’il a initiées. Et si nous en croyons le site en ligne du Times
britannique, cette « pensée » a le vent en poupe du côté de Bill Gates,
co-fondateur de Microsoft faut-il le rappeler,
aujourd’hui.
En mai dernier, rapporte le Times on line (10), un
certain nombre de richissimes philanthropes se sont discrètement réunis à
Manhattan, à l’initiative de Bill Gates, « au domicile de sir Paul Nurse, un
prix Nobel britannique biochimiste et président de l’université privée
Rockefeller ». Parmi eux, « David RockfellerJr, le patriarche de la plus riche dynastie américaine, les
financiers Warren Buffet et George Soros, Michael
Bloomberg, le maire de New York et les magnats de la presse Ted Turner et OprahWinfrey ». L’un des
participants, sous couvert d’anonymat, a confirmé qu’un « consensus s’était
trouvé : ils appuieraient une stratégie par laquelle la croissance de la
population serait combattue parce qu’elle représentait une menace potentielle
désastreuse en matière sociale, industrielle et d’environnement ». Si la réunion
avait été tenue secrète, c’est parce qu’ils « avaient besoin d’être indépendants
des agences gouvernementales, qui sont incapables de faire face au désastre que
nous voyons arriver ».
L’Alliance pour une
révolution verte en Afrique(AGRA) travaille donc dans
une perspective différente de celle de l’Organisation
des Nations Unies et, nous dit le Temps, suscite la défiance en Afrique même : «
En 2007, la nomination de l’ex-secrétaire général des Nations unies KofiAnnan à la présidence de
l’AGRA a représenté un grand «coup» pour ses promoteurs. Mais a toutefois déçu
voire révolté les représentants des organisations paysannes. ‘’La stratégie de l’Alliance est de
faire croire qu’il s’agit d’une initiative émanant des Africains eux-même‘’, déplore Mamadou Goïta,
membre de la COPAGEN, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique
africain. Cette coalition dénonce régulièrement la mainmise d’AGRA sur les
centres de recherche agricoles sur le continent, les salaires mirobolants
proposés aux chercheurs africains, régulièrement invités par les compagnies
agro-génétiques aux États- Unis. ‘’Les gens d’AGRA essaient en permanence de nous piéger, en
tentant de passer par des ONG américaines sur le terrain pour conclure des
accords avec des associations paysannes, dénonce Bernadette Ouattara, responsable d’Inades au
Burkina Faso’’ ».
Dans moins de quelques semaines, du 16 au 18 novembre
2009, les chefs d’État et de gouvernements,
responsables politiques qui ont légitimement en charge la sécurité alimentaire
de la planète et ne travaillent pas dans une perspective malthusienne, vont à
nouveau se réunir au siège de la FAO, Organisation des Nations Unies pour
l’Alimentation et l’Agriculture, à Rome, pour un sommet mondial sur la sécurité
alimentaire. Les échos des préparatifs de cette réunion sont plutôt positifs : à
la lumière de l’expérience de la Révolution verte passée et de ses limites (11)
et parce qu’il faut prévenir les émeutes de la faim, les travaux et
avertissements des experts mandatés par l’ONU commencent à être entendus, pris
en compte – y compris l’idée que les terres arables doivent être protégées des
appétits privés, que le développement d’une agriculture vivrière raisonnée et
maîtrisée par les populations locales (techniques, matériel agricoles et
semences comprises) participe à cette sécurité alimentaire. Effet positif de la
crise ? Peut-être. Acceptons-en l’augure, pour l’Afrique et le reste du monde.
Un milliard d’hommes ne mangent pas à leur faim quand la terre peut les
nourrir.
Laisser les rênes aux intérêts privés n’a pas été une
si grande réussite en matière financière, faut-il laisser aux intérêts privés,
au vrai business, fussentils déguisés en organisations
charitables, la même latitude ?
1 Jean-Paul Vignal, est partenaire de JP2 Consultants, une
société
de
conseil implantée dans la région de Dallas, au Texas,
États-
Unis. Il s’est spécialisé
depuis plus de trente ans dans la prévision
technologique et l’évaluation des technologies de
valorisation
thérapeutique, alimentaire, industrielle et énergétique de la
biomasse.
En accès libre
:
Valeurs libérales et
développement durable, le 23 avril 2007, Jean-Paul