Le 16 octobre 2009, l’Association des Amis de la Fondation Charles-de-Gaulle,
présidée par Michel Anfrol, organisait un dîner-débat
d’un intérêt exceptionnel avec Daniel Cordier, compagnon de la Libération et
ancien secrétaire de Jean Moulin. Le livre que vient de publier Daniel Cordier
(Alias Caracalla, éditions Gallimard) et qui est consacré a ses mémoires pour
les années 1940-1943 constitue l’un des témoignages les plus bouleversants et
les plus authentiques jamais écrits sur la période de la Résistance, le Général
de Gaulle et Jean Moulin dont l’auteur fut le plus proche collaborateur d’août
1942 au 21 juin 1943, jusqu’à son arrestation a Caluire et sa tragique disparition. C’est devant une
affluence record et une salle pleine à craquer que Daniel Cordier a répondu avec
beaucoup de simplicité et de pertinence aux nombreuses questions d’un auditoire
particulièrement attentif.
En premier lieu, Daniel Cordier a tenu à réfuter les
insinuations malveillantes et sans le moindre fondement dont Jean Moulin fut
victime après sa mort héroïque. On se souvient qu’Henri Frenay, suivi
aveuglement par le journaliste Thierry Wolton s
obstina contre toute évidence à voir en Jean Moulin un agent soviétique. À
l’inverse, Jacques Baynac le soupçonnait fortement,
sans la moindre preuve, d’être un agent américain ayant trahi de Gaulle. En
réalité, les travaux des historiens, à commencer par ceux de Daniel Cordier, ont
fait justice de ces allégations et démontrent sans la moindre contestation
possible que Jean Moulin, homme d une droiture et d’une loyauté sans faille, fut
bien un patriote exemplaire, profondément attache a son pays pour lequel il fit
le sacrifice de sa vie.
Daniel Cordier a mis en évidence le rôle historique
capital joue par Jean Moulin dans la coordination et l’unification des
différents réseaux de résistance sous l’autorité unique du Général de Gaulle
puis dans la création du Conseil national de la Résistance dont de Gaulle devait
dire plus tard à Alain Peyrefitte : « Sans le CNR, il n’y aurait pas eu une
Résistance mais des résistances. À la Libération, il n y aurait pas eu un peuple
rassemblé mais un peuple éclaté. » En assurant dans la clandestinité et au
milieu d’énormes difficultés la jonction entre la France libre, dirigée depuis
Londres par de Gaulle et la Résistance intérieure dont les différents mouvements
s’étaient crées spontanément sur le territoire national, puis en plaçant cette
Résistance intérieure sous l’autorité politique et militaire du Général de
Gaulle dont il était le délégué général, spécialement mandaté pour cette
mission, Jean Moulin apporta au Général de Gaulle la légitimité qui lui était
indispensable pour s’imposer face aux alliés, notamment Churchill et Roosevelt,
lequel lui était irrémédiablement hostile au point de rechercher longtemps un
accord avec le sinistre régime de Vichy.
Cette légitimité permit à de Gaulle de triompher des
tentatives d’élimination politiques qui furent menées contre lui par ces mêmes
alliés (affaires Darlan et Giraud) puis, grâce au soutien unanime du CNR,
création de Jean Moulin, de présider le gouvernement de la France libérée avec
des ministres représentant toutes les forces de la Résistance, communistes
inclus. Cette alliance indéfectible de deux hommes exceptionnels, unis pour
sauver leur pays de l’occupation nazie et du régime collaborationniste et
réactionnaire du maréchal Pétain mérite une place de choix dans la mémoire
collective des Français. Daniel Cordier devait rappeler à cet égard l’entente
parfaite qui exista d’emblée malgré leurs différences entre le chef de la France
Libre, militaire de carrière atypique et visionnaire et le préfet de gauche aux
fortes convictions républicaines et antifascistes, devenu le chef de l’armée des
ombres.
L’arrestation de Jean Moulin par Klaus Barbie, due
manifestement à une trahison non encore élucidée faute d’archives, puis sa mort
sous la torture sans qu’il ait parlé ont fait de cet homme un héros national
dont les cendres ont été transférées à juste titre par
le Général de Gaulle au Panthéon lors d une cérémonie mémorable, marquée par
l’admirable discours d’André Malraux. Remercions Daniel Cordier, témoin de
premier plan, historiographe inspiré et véritable disciple de Jean moulin, son
ancien patron, d’en perpétuer le souvenir et d’en faire vivre le symbole
historique, un symbole dont on peut souhaiter qu’il inspire les jeunes
générations, actuellement en manque de repères.