Allemagne

Allemagne

 

par Luc Beyer de ryke,

 

Quel est le nouveau visage de l’Allemagne après les récentes élections législatives ?

 

Sans vouloir ni pouvoir rééditer la célèbre « Analyse spectrale de l’Europe » de Keyserling, oeuvre magistrale et subjective de l’entre-deux guerres, efforçonsnous, modestement, d’esquisser les orientations probables de la « nouvelle Allemagne ». Rappelons la photographie du scrutin. La sociale-démocratie, le SPD, en est sortie étrillée. Avec 23% des voix et la perte de soixantequinze sièges c’est le plus mauvais score depuis 1945. N’ayant pas su assumer son héritage, celui de l’étatprovidence, conduit par Steinmeier baptisé « efficience grise », parce que dépourvu de tout charisme, le SPD est un parti social-démocrate qui a perdu sa gauche. Ce qui explique le succès de Die Linke et celui du talentueux Oskar Lafontaine. Une réconciliation est-elle possible entre les frères écartelés ? Sans doute pas. Die Linke est globalement le parti des « Ossis », les Allemands de l’Est. Même s’il a réalisé de belles percées à l’Ouest, en particulier en Sarre, fief d’Oskar Lafontaine.

 

Mais il faut relever, comme le fait le professeur Jacques-Pierre Gougeon, spécialiste de l’Allemagne, qu’environ un tiers des dirigeants ont appartenu aux structures de la RDA. Or, la sociale-démocratie allemande se nourrit d’une très ancienne tradition anticommuniste. À tel point que jadis Adenauer disait ne pas pouvoir rivaliser dans ses discours avec l’anticommunisme d’un Schumaher. Si Die Linke a marqué une réelle avancée, son succès se trouve stérilisé par absence de partenaire.

 

Les Libéraux

 

Il en va tout autrement du FDP, le parti libéral. C’est lui le grand gagnant. C’est à lui qu’Angela Merkel offre de gouverner avec elle. La sociologie de l’électorat libéral, de ses racines, de ses aspirations, n’est pas linéaire. Économiquement il se situe très à droite. Demain au Gouvernement il se voudra le porte-parole de la grande industrie. Mais parallèlement sur le plan sociétal il se montre, à l’image des intellectuels qu’il regroupe, très innovant. La révolution des moeurs ne lui fait pas peur. Il la recherche. Il est également très soucieux et sourcilleux lorsqu’il s’agit de défendre les libertés. Il n’emboîte pas le pas à ceux qui prônent une politique sécuritaire.

 

En politique extérieure il marque également sa différence en plaidant pour un retrait d’Afghanistan. Autant de points et de matières où la chancelière aura à négocier et composer. Elle-même a imprimé à son parti, la démocratie-chrétienne, un infléchissement plus social et imposé un plus grand engagement des pouvoirs publics, en particulier dans l’éducation apportée à la petite enfance. À tel point que 40 % des électeurs verts avaient confié ne pas avoir de répugnance à voter pour elle. Ce qui a probablement limité le succès très contenu des écologistes.

 

Paradoxalement Angela Merkel se sentira peut-être plus proche d’eux que des partenaires libéraux lorsqu’on parlera climat et environnement. Depuis longtemps l’Allemagne s’est engagée dans la voie d’une économie verte. Ce n’est pas nécessairement celle choisie et privilégiée par l’industrie.

 

Un rôle planétaire

 

Les évolutions allemandes se marquent en outre à propos de la manière dont elle se voit elle-même. Il est loin le temps des « Burgraves », celui des Gaulois et des Germains dont parlait le Général de Gaulle. Le couple franco-allemand existe toujours, leur alliance demeure fondamentale. Il n’en demeure pas moins que les regards énamourés de l’Allemagne s’adressent aujourd’hui davantage à Washington et à Moscou qu’à Paris. Il est loin aussi le désarmement de l’Allemagne. Ses troupes sont présentes sur les terrains d’opération. On compte plus de huit mille hommes habilités non seulement à se défendre mais à attaquer si besoin est.

 

Sachons aussi qu’Angela Merkel se montre présente au Proche-Orient. Elle entend structurer les relations avec Israël. Deux fois l’an les deux pays ont des relations bilatérales et nouent un dialogue singulier autant que privilégié. Ce qui, assure-t-on, n’empêche pas la chancelière de se montrer parfois critique à l’égard de la politique israélienne. Jusqu’où s’exerce la critique, cela est une autre histoire… Cela témoigne en tout état de cause de la « décomplexion » de l’Allemagne actuelle face à la politique mondiale. C’est un problème générationnel. Les chanceliers depuis Khöl n’ont pas vécu la guerre. Le cours des choses a repris. L’Allemagne a conscience de sa puissance. La géopolitique reconquiert ses droits. Angela Merkel jette un regard solidaire vers les pays de l’Est, cette Mittel Europa de tous temps si chère à l’Allemagne. Assurée désormais d’elle-même l’Allemagne aspire à se retrouver au Conseil de sécurité. Sa diplomatie se mobilise. C’est jouable mais pas joué. S’il s’élargit le Conseil de sécurité s’ouvrira peutêtre plus volontiers à un pays autre qu’européen.

 

Quoiqu’il en soit et aussi prégnants que puissent être ses problèmes économiques et sociétaux, l’Allemagne a retrouvé sa place en Europe et dans le monde. Elle entend l’occuper. À la France, à tous ses partenaires d’en être conscients.

 

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17.10.2009

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