DERRIÈRE
LE SOMMET DES TROIS AMIGOS
par
Jacques b. gélinas,
C'est
avec une étonnante légèreté que les médias ont rapporté et commenté le cinquième
sommet annuel des dirigeants nord-américains qui s'est tenu à Guadalajara les 9
et 10 août. Aucun ne s'est donné la peine de situer cette rencontre dans son
contexte et d'en souligner la portée.
Lors
des quatre sommets précédents, les journalistes appelaient ces rencontres par
leur vrai nom: le sommet du Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP).
Mais voilà qu'en 2009, cette rencontre annuelle est devenue jovialement le
sommet des trois amis, alias los tres amigos. Les
médias se sont contentés de mentionner les trois ou quatre contentieux
d'actualité qui n'ont pu, hélas! qu'être effleurés en
seulement trois heures d'échanges. À croire que ces trois politiciens amis ne se
sont déplacés que pour fraterniser un brin et parader évasivement en conférence
de presse.
La
brièveté des pourparlers de Guadalajara peut surprendre si l'on ignore que la
rencontre elle-même n'est qu'un élément, en quelque sorte protocolaire, de
l'entente conclue entre George W. Bush, Paul Martin et Vicente Fox lors de la
rencontre fondatrice du PSP, à Waco, au Texas, en mars 2005. Cette entente
marque un tournant dans l'«intégration profonde» -- deep integration -- des politiques
canadiennes à celles des États-Unis. Un tournant aussi dans l'emprise des
lobbies d'affaires sur la classe politique.
Lancé
dans la plus grande discrétion, le PSP se veut un appendice de renforcement de
l'ALENA. Malgré son apparence -- calculée -- informelle, l'accord constitue une
alliance formelle et très bien structurée, dotée de quatre
instances:
- le
sommet annuel des dirigeants politiques des trois pays;
- un
cabinet ministériel nord-américain composé de deux ministres de chaque pays,
l'un responsable de la sécurité et l'autre, de l'économie;
- le
Conseil nord-américain de la compétitivité (CNAC), un puissant lobby d'affaires
trinational, créé par le PSP de 2006, composé de 30
chefs d'entreprises, dix pour chacun des pays (parmi celles-ci Lockheed Martin,
Wal-Mart, Ford, Home Depot, etc.);
- des
groupes de travail au nombre de 19, composés d'experts et de fonctionnaires en
provenance des trois pays, chargés de faire avancer une centaine de dossiers
portant sur 317 domaines.
Les
objectifs du PSP et des sommets nord-américains
L'ensemble
des travaux engagés dans le cadre de ce partenariat inégalitaire convergent vers
cinq objectifs centraux:
- aligner
les réglementations économiques, sociales et environnementales du Canada et du
Mexique sur celles des États-Unis;
- créer
une communauté économique de sécurité dans le but de resserrer la coopération
militaire et policière entre les trois pays, dans la foulée des mesures
antiterroristes du 11--Septembre;
- aligner
le traitement des immigrants, des réfugiés et des touristes sur les règlements
états-uniens;
- assurer
la sécurité énergétique des États-Unis par un renforcement de la «clause de
proportionnalité» contenue dans l'ALENA;
- consolider
le bloc économique nord-américain pour le rendre plus compétitif, capable de
faire front aux autres organisations économiques régionales d'Europe et
d'Asie.
Le
Partenariat pour la sécurité et la prospérité se caractérise par sa discrétion,
voire son opacité. Pas une seule loi n'est votée ni modifiée pour la mise en
oeuvre des décisions prises dans le cadre du PSP. On
procède par voie réglementaire, au sein des ministères et des agences
gouvernementales.
Alors
que le grand patronat était dans le coup depuis plus de deux ans avant la
signature de l'entente, le Parlement canadien n'a été ni consulté ni informé sur
sa préparation et sa conclusion en 2005. Ce n'est que deux ans plus tard, en
2007, à l'insistance du NPD, que le gouvernement de Stephen Harper a accepté de
transmettre une partie des textes de l'entente au comité permanent sur le
commerce international de la Chambre des communes.
Est-il
nécessaire de souligner la grande responsabilité des médias dans ce déni de
démocratie ?