FAUT-IL UNE LOI INTERDISANT LA BURQA ?

Le Figaro Magazine, 27 juin 2009

 

« Oui, car derrière le voile se dissimule le statut d'infériorité de la femme », dit Jacques Myard.

« Vous placez la France sur le banc des accusés du liberticide », lui répond Mohammed Moussaoui.

 

Le Figaro Magazine- : Quel est le sens du projet de commission d'enquête parlementaire sur le port du voile intégral en France? Est-ce une réaction au discours de Barack Obama commenté par Nicolas Sarkozy?

 

Jacques Myard-Le discours d'Obama n'est pas admissible, en effet, mais les propos tenus lundi par Nicolas Sarkozy au Congrès de Versailles ont levé toute ambiguïté : «La burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage.»

Ayant moi-même proposé dès septembre 2008 l'interdiction de la burqa, il était naturel que je cosigne l'initiative prise par le député-maire PCF de Vénissieux, André Gerin. Au début de la mission d'information qui devait aboutir à la fameuse loi du 15 mars 2004 sur le voile, nous n'étions que trois députés pour dire qu'il fallait agir. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée, Jean-Pierre Brard, député de la Seine-Saint-Denis, et moi. A la fin de la mission, l'ensemble des députés avait parfaitement compris.

 

Mohammed Moussaoui-J'observe quant à moi qu'une commission d'enquête parlementaire est une procédure bien lourde et contraignante pour un phénomène qui demeure très marginal. Certes, les femmes portant la burqa ne suivent pas la voie de la modération, aussi nous les appelons à retrouver le chemin du juste milieu, à l'instar de l'immense majorité des musulmans. Le principe fondamental étant l'absence de contrainte dans notre religion, nous ne sommes pas en mesure de forcer une personne qui croirait que sa religiosité ou sa spiritualité passe par ce type de vêtement. Voilà pourquoi nous faisons et nous devons faire le choix de l'éducation, de la pédagogie et du dialogue.

 

Jacques Myard-Reste que le port de la burqa ou du niqab que vous qualifiez de marginal ne cesse de s'amplifier dans certaines banlieues. Qu'au sein de votre foi vous rappeliez que cette pratique n'est pas conforme à vos dogmes, libre à vous. Pour moi, je me placerai sur le plan non pas de la religion mais de la stricte égalité des hommes et des femmes, et du respect de la dignité de la personne. Derrière la pratique coutumière du voile intégral se dissimule le statut d'infériorité de la femme, qui ne doit pas être vue et qui n'a pas les mêmes droits que l'homme. C'est insupportable dans une société laïque comme la nôtre.

 

Mohammed Moussaoui-Lorsque les femmes subissent le port de la burqa, la société a le devoir de les défendre, au nom de la liberté. Mais lorsqu'elles la revendiquent, nous devons comprendre leurs motivations par le dialogue. Le voile intégral existe dans d'autres traditions religieuses, on le retrouve notamment dans certains monastères. Des espaces fermés, j'en conviens...

 

Jacques Myard-Et il ne s'agit nullement de voiles couvrant le visage...

 

Mohammed Moussaoui-Il s'agit bien de ce type de voile. Je vous renvoie aux écrits de Jean Baubérot, spécialiste des religions.

 

Jacques Myard-Nous sommes alors dans le domaine de l'histoire. Revenons à notre siècle.

 

Mohammed Moussaoui-Les personnes qui ont choisi librement de porter la burqa évoquent le principe des libertés individuelles, qui ne peut être limité qu'en proportion des impératifs de l'ordre public.

 

Jacques Myard-Liberté individuelle, dites-vous ? Vous n'êtes pas sans savoir que la pression du groupe social - celle des hommes sur les femmes - est forte. Toutes proportions gardées, et sans vouloir offenser quiconque, cela me rappelle les prostituées affirmant agir librement pour avouer, une fois en sécurité, qu'elles étaient sous la contrainte de proxénètes. Quelques femmes veulent vivre sous la burqa, dont acte, mais votre argument de la liberté individuelle est à prendre avec des pincettes. Poussé à l'extrême, il ne saurait être le principe structurant d'une société. Existe aussi une éthique collective. Dans ma circonscription, lorsqu'on me rapporte qu'une coiffeuse doit fermer les volets de sa boutique pour coiffer ses clientes, je me demande où l'on va. La femme a-t-elle une vocation à l'invisibilité ? Il y a des limites à respecter. La liberté individuelle s'arrête aux principes structurants de notre société : l'égalité des sexes, la dignité de la personne - sans même parler des problèmes de sécurité.

 

Mohammed Moussaoui-Evoquer les problèmes de sécurité que peut générer ce type de vêtement me paraît essentiel, je vous l'accorde. Un responsable dans l'exercice de sa fonction peut légitimement demander à une femme de se dévoiler pour l'identifier. Du reste, ne confondons pas le principe de l'égalité des sexes, immuable car il relève de la dignité humaine, et les règles de mixité qui, elles, ne relèvent pas du même ordre.

 

Jacques Myard-Et vous voudriez changer nos normes, acceptées par tous ? Avec des rues réservées aux hommes et d'autres réservées aux femmes ?

 

Mohammed Moussaoui-Bien sûr que non. Mais admettez que la mixité n'est pas une norme qui s'impose dans toutes les circonstances et que les pratiques que vous dénoncez sont, je le répète, marginales. En revanche, la menace de la stigmatisation existe bel et bien. Des voix s'élèvent déjà pour traiter l'islam de secte.

 

Jacques Myard-Je vous le dis droit dans les yeux : la stigmatisation que vous évoquez n'est qu'un argument hypocrite. Les musulmans ne sont nullement mis en cause. Reste que la loi stigmatisera toujours, et à juste titre, les sectes. Ceux dont nous parlons relèvent de ce domaine. Il y a un moment où il faut avoir le courage d'agir. Je voterai donc pour cette commission d'enquête. Et vous y avez vous-même intérêt en tant qu'autorité musulmane, pour redonner des règles claires à l'intention de tous.

 

Mohammed Moussaoui-En tant que représentant du culte musulman, je dois veiller à ce que le débat demeure serein. Tel n'est pas toujours le cas. Il faut voir les multiples déclarations et réactions où les musulmans de France sont presque mis à l'index.

 

Jacques Myard-Mais puisque vous n'approuvez pas les pratiques sectaires, dénoncez-les ! Je n'ai jusqu'ici jamais rien repéré en ce sens dans vos propos. C'est regrettable. Cela éviterait au législateur d'intervenir.

 

Mohammed Moussaoui-Nous défendons la voie du juste milieu par le biais de la pédagogie, alors que vous placez la France sur le banc des accusés du liberticide. Même la loi du 15 mars 2004, malgré les subtilités qui l'entourent, est perçue comme telle, dès lors qu'on observe de graves dérives dans son application.

 

Jacques Myard-Ah bon ? Eh bien vous nous les signalerez ! J'ai l'impression au contraire que cette loi a amené beaucoup de sérénité. J'en veux pour preuve les nombreux témoignages que j'ai reçus de personnes de confession musulmane.

 

Mohammed Moussaoui-Des exemples de femmes confrontées à une forme d'intolérance parce qu'elles portent un foulard sont malheureusement nombreux, c'est ainsi qu'on leur interdit l'accès à des services, alors même que la loi les y autorise.

 

Jacques Myard-Nous sommes dans un pays où la liberté individuelle est respectée. Et vous savez bien que certains veulent enfermer la femme dans un statut d'infériorité, ce qui n'est pas acceptable dans les lois de la République. Battez-vous donc pour l'égalité des sexes et vous serez plus convaincant.

 

Mohammed Moussaoui-L'égalité des hommes et des femmes fait partie des principes fondamentaux de l'islam.

 

Jacques Myard-Alors, dites-le fort, dites-le à ceux qui cachent leurs femmes. Les dérives sectaires ne représentent pas la majorité du monde musulman, je vous l'accorde, mais c'est à vous de les combattre, sans vous retrancher derrière le faible argument du juste milieu.

 

Mohammed Moussaoui-Nous redoutons en effet que, dans la conscience collective, ces pratiques soient rattachées d'une manière ou d'une autre à l'islam. C'est ce qui nous fait craindre une stigmatisation de notre communauté. Mais c'est aussi à vous d'y prendre garde.

 

 

05.09.2009       Réagir à l'article :
 

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