MON AMI JACQUES

par Marc Ponsard,

Sous son apparence un peu abrupte, Jacques dissimulait une nature profondément humaine et généreuse. Ses colères mémorables étaient souvent feintes et assurément son caractère n’était pas aussi mauvais qu’il aimait à le faire croire. S’il savait être éloquent, il utilisait des expressions à l’emporte-pièce qu’il ne fallait surtout pas prendre au pied de la lettre. Ainsi, lors du premier dînerdébat à l’Académie auquel j’assistais, il avait déclaré : « Je préfère Hitler à [George W.] Bush parce qu’au moins Hitler était intelligent ! ». Jacques aimait choquer pour provoquer le débat et la discussion. La polémique ne le rebutait pas, bien au contraire. Elle stimulait son énergie. Cela lui permettait d’affirmer ses convictions qui étaient fortes et ancrées dans un patriotisme sincère, réel et profond. Mais cela ne l’empêchait pas d’être ouvert à la discussion et à l’échange. Il était intransigeant pour tout ce qui lui semblait toucher à l’essentiel, à savoir l’indépendance nationale, le rôle et la place de la France dans le monde et la défense des droits sociaux et de la participation.

Il était constamment rebelle aux idées dominantes et à la pensée unique. Il rejetait les fatalités, les renoncements et les abandons. Il n’était pas de ceux qui sont prêts à se renier et à se rallier pour des honneurs, un ministère ou une décoration.

Jacques était aussi un véritable humaniste dont les convictions sociales étaient marquées par la doctrine sociale de l’Église. Il était généreux et attentif aux autres. Une phrase de son père prononcée le jour de ses douze ans était restée gravée en lui : « N’oublies jamais qu’un ouvrier entre dans un tunnel à l’âge de quatorze ans et qu’il n’en sort qu’avec sa mort. Le rôle d’un patron, c’est qu’il s’en sorte bien avant ». Jacques s’en est souvenu toute sa vie. Cela explique son attachement à la participation. Comme chef d’entreprise, il l’avait mise en oeuvre dans les années 60 en associant les salariés de son entreprise. Le Général de Gaulle avait appris cette expérience et il s’y était intéressé en l’invitant à l’Élysée pour en parler.

Au fil du temps, Jacques et moi étions devenus de véritables amis. Malgré notre différence d’âge (trente-neuf ans nous séparaient), il avait insisté pour que l’on se tutoie et cela nous était devenu naturel tant Jacques était resté jeune et vif d’esprit. Il utilisait toutes les techniques modernes de communication (surtout le téléphone portable et les courriels). Rares étaient les semaines sans qu’il ne m’appelle en me saluant de son traditionnel (et flatteur !) « Salut jeune homme ! ». Il me recevait régulièrement chez lui à Samois-sur-Seine (près de Fontainebleau) où il vivait dans une maison jolie et coquette. Venant de Paris, j’arrivais vers 19 heures et il me gardait parfois jusqu’à une heure du matin car il aimait discuter autour d’un verre d’Armagnac (qu’il préférait au Cognac !) après le dîner. Ce fût un grand privilège d’avoir avec lui ces nombreuses conversations sur le Général et le gaullisme au cours desquelles il fût véritablement mon professeur de Gaullisme.

Avec lui, je revivais l’épopée du Général, depuis la manifestation du 11 novembre 1940 à celle du30 mai 1968 sur les Champs-Élysées. Il avait participé à ces deux manifestations et aux nombreux épisodes survenus entre ces deux dates (notamment la Seconde guerre mondiale, le RPF, le retour au pouvoir du Général et la guerre d’Algérie). Il regrettait de ne pas avoir pris de notes à l’époque mais il avait conservé en mémoire bon nombre de faits et d’anecdotes. Il aurait pu être ministre (notamment dans le gouvernement Chaban-Delmas entre 1969 et 1972) mais il n’avait pas suffisamment l’esprit courtisan pour cela. Son opposition au président Pompidou m’était difficile à comprendre en raison des liens amicaux qu’entretenaient Jacques avec les anciens premiers ministres, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer.

Avec le recul, Jacques se souvenait ne pas s’être compris et entendu avec Pompidou, tout en reconnaissant qu’il n’avait pas été un mauvais président. Son décès brutal, à la fin de l’été dernier, nous a laissé orphelins. Certes, lors de notre dernière rencontre à son retour de vacances, il m’avait fait part de sa très grande fatigue mais nous ne nous étions pas préparés à son départ, tant était grande sa volonté de voir la fin du mandat du Président de la République actuel pour connaître la suite. Il était resté curieux de l’avenir… ce qui ne l’empêchait pas d’annoncer régulièrement « la Révolte des Croquants ». Avant même la crise actuelle, il pensait que les années 2010 allaient être très préoccupantes. Pour autant, Jacques n’était pas triste ou fataliste. Il annonçait le pire pour le conjurer. Son patriotisme était tel qu’il n’a jamais cessé de croire en la France et en sa destinée. Citons-le en guise de conclusion (lors du dîner-débat du23 octobre 2007) : « Par éthique, j’ai toujours considéré

qu’il était indispensable d’aller à l’essence même des choses ; par conviction, j’ai toujours considéré qu’il était nécessaire de pousser la critique événementielle ; par habitude culturelle, j’ai toujours pensé que de la confrontation de l’essence et de la critique naissaient les éléments positifs qui permettent un accord d’une part entre les hommes, d’autre part entre eux et les phénomènes d’interaction ». Tel était mon ami Jacques

 

 

 

05.09.2009       Réagir à l'article :
 

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