Patience et longueur de temps ! Le nouveau système de retraite (SRU)
qui nous est promis ne sera universel qu’aux alentours de 2040. D’ici là, les
régimes spéciaux, « appelés à disparaître », qui comprennent ceux de
la fonction publique, qui posent le plus de problèmes financiers, qui se
différencient fortement des régimes du privé et sont considérés comme les plus
« injustes », n’en feront pas partie. Ainsi, les régimes qui méritent
d’être traités en priorité seront en train de « converger » vers le
SRU entre 2025 et 2040. De quelle façon ? Suivant quelle
trajectoire ? Qui remplacera l’Etat dans leur financement ? Le
secteur privé et les réserves que ses régimes ont constituées ? Mystères
et boule de cristal !
Par contre, dès 2025, on aura détricoté les régimes
des salariés du privé, le régime général et les complémentaires Agirc et Arrco
qui fonctionnent correctement. On aura cassé ceux des Indépendants qui ne
coûtent rien au contribuable, dégagent même des excédents et ont constitué des
réserves.
« Rien
n’est décidé encore », plaident avec mauvaise foi les Autorités et des
défenseurs de la réforme. Alors que des décisions d’importance sont gravées
dans le marbre, depuis le début. Le SRU sera entièrement par répartition.
Contrairement aux meilleurs systèmes européens, aucune trace de capitalisation
n’y apparait. Il sera à points et « chaque
euro cotisé donnera droit à des points de retraite… ». Ce qui n’est
pas exact (cf. ci-dessous).
Un taux de cotisation retraite de 28,12% pour tous
(nous verrons qu’il y a d’assez nombreuses dérogations pour les Indépendants,
les micro-entrepreneurs, les artistes et les journalistes) a été retenu,
partagé à raison de 60% à la charge de l’employeur et de 40% à celle du
salarié. En outre, sur les 28,12% cotisés, un dixième, soit 2,81%, sera payé au
titre de « la solidarité » et ne procurera pas de points aux
cotisants. Le Rapport Delevoye déclare que le « rendement » du SRU
sera de 5,5%, c’est-à-dire que 100 points de retraite cotisés ouvriront droit à
5,5 points de pension par an au futur retraité. Subterfuge ! Les
rapporteurs ont « oublié » de compter les points de solidarité dans
les points cotisés. Le rendement corrigé du SRU présenté est de 4,95%.
L’assiette de cotisations sera élevée. Son plafond
sera de 3 fois le niveau du plafond de la Sécurité sociale, soit de
120 000 € bruts annuels. C’est une « préconisation » à laquelle
les syndicats, les caisses de retraite et d’autres interlocuteurs ont dit
fermement « NON ! » dès le début des « concertations »
qui ont duré 18 mois. Pour eux le plafond d’un régime, fut-il universel, de
base doit rester limité au plafond de la SS, c'est-à-dire à 40 000 €
annuels. Ils n’ont pas été entendus. Maintenant, ils s’opposent au
démantèlement du SR actuel. Ils jugent que moyennant des aménagements, il est
nettement préférable au système universel à points préconisé. Ils sont loin
d’être les seuls.
« La
réforme n’est pas écrite » a déclaré le Premier ministre le 12
septembre. Mais, le dossier ne repart pas sur une page blanche. « Notre point de départ, ce sont les préconisations
du haut-commissaire ». Il a révélé quelques points [médiatisés] sur
lesquels « rien n’est tranché »
et qui feraient l’objet de discussions : l’âge de départ pour une retraite
à taux plein, la durée des cotisations nécessaire, l’emploi et le chômage des
seniors… (1). Il s’est bien gardé de parler des choix basiques,
fondamentaux évoqués ci-dessus. Il les considère comme acquis, intangibles. Ce
qui explique les montées des colères de plus en plus manifestées. Et ce n’est
pas fini !
Pourtant des solutions plus conformes aux besoins,
plus réalistes et moins complexes à mettre en œuvre ont été proposées et
soumises au Haut-commissaire chargé de la réforme des retraites (HCCRR). Sans
suites !
En juillet, l’Institut de la protection
sociale (IPS) observait que la fusion des 42 régimes pose de nombreux problèmes
techniques très complexes. Il conseillait de renoncer à un système à régime
unique et formulait des propositions.
Ces propositions ont été peaufinées après
une Evaluation approfondie du dernier Rapport du HCCRR publiée le 17 septembre.
« Pour résumer, le Rapport [Delevoye] demande à 80% des Français de modifier
l’architecture de leur système de retraite (régime de base/régime
complémentaire) parce que 20% sont censés ne pas pouvoir évoluer ».
Pour le président de l’IPS, le Rapport
Delevoye « ne résiste pas à l’analyse »
… + « de nombreux chiffrages
manquent et d’innombrables questions se posent sans réponse à ce jour ».
De la mise en œuvre des axes essentiels du Rapport « résultera une situation très problématique pour notre
pays ».
« Il
est encore temps de réagir en faisant le choix de la sagesse… Pour cela, il faut instaurer un régime
universel de base tout en incitant les régimes complémentaires à divers
rapprochements entre eux ».
Pour l’IPS, il suffit :
« . D’étendre le régime de base des salariés du privé et des
Indépendants assujettis à la SS aux autres professions et au secteur
public dans la limite d’un plafond de sécurité sociale ;
. De doter les fonctionnaires
d’un véritable régime complémentaire obligatoire par répartition comme c’est le
cas des autres actifs ».
Il est indispensable « De poursuivre les réformes financières équilibrant les comptes
des régimes de retraite ».
J’ai également fait état de deux articles de Gérard
Maudrux, un chirurgien qui a été président de la CARMF pendant 15 ans. Ils
viennent à l’appui des propositions précédentes. Ils apportent aussi un
témoignage accablant sur la conduite de la « concertation », pour
« amuser la galerie », qui aura duré 18 mois.
Les partenaires sociaux et les partis politiques
(LREM en tête) sont très attachés à ce que la solidarité soit « une clef
d’entrée » du système de retraite et même, pour certains, que celui-ci
soit un vecteur complémentaire de la redistribution pour réduire les
inégalités. Ils recommandent qu’au moins 20% des dépenses du SRU y soient
consacrés, comme dans le système actuel. Or, seulement 10% des cotisations
seront dédiées à la solidarité (cf. ci-dessus). Quelle est l’explication de
cette (apparente) contradiction ? Comment seront financés les 10% des
ressources manquantes ?
Voilà des sujets abordés dans le présent
article. J’ajoute que l’on nous répète que les retraités actuels et les autres
personnes nées avant 1963 « ne sont
pas concernés » par les changements annoncés. Mais, aucune indication
n’est fournie sur le modus operandi. C’est un peu comme « circulez, il n’y
a rien à voir ! ». Comment seront évalués les droits acquis dans les
différents régimes et de quelles façons (différentes suivant les régimes)
seront-ils transformés en points ? Qui versera les pensions ? Que se
passera-t-il pour les personnels de la FP et des régimes spéciaux ainsi que
pour les Indépendants pendant les 15 ans de convergence ?
Ce qui manque en tout premier lieu c’est
une photographie d’ensemble du système et de ses acteurs tel qu’il sera lors de
sa « mise en place » en janvier 2025, et une autre du système dans
son état final 15 ans plus tard.
Enormément d’infos font défaut pour pouvoir se
prononcer sur un projet de loi « en toute connaissance de
cause » !
I - Les grands traits d’un système
meilleur que celui du gouvernement
De premières observations et un regard sur les systèmes jugés les
meilleurs au monde
Dans mon article de mars « Sortir la réforme des retraites de l’ombre
et redresser le tir », j’avais souligné que :
. Le
problème majeur de notre système de retraite (SR) est sa viabilité, sa
pérennité, son équilibre financier.
. La
promesse du maintien de l’âge légal à 62 ans était illusoire. L’augmentation de
l’espérance de vie impose celle de la durée du travail, de l’âge de départ à la
retraite et/ou de l’ouverture des droits, complets ou partiels.
. Ce
qui requiert la mise en place d’incitations et d’aides efficaces pour que les
seniors puissent rester en emploi.
.
Conjuguées, l’assiette de cotisation plafond annoncée proche de 10 000 €
par mois (3 fois le plafond de la SS) et le taux global de prélèvement de 28%
(cotisations salariales + patronales) alourdissent un SR
« obligatoire » dont il convient plutôt d’alléger le poids
dans le PIB pour en rehausser la viabilité. Ils priveront encore la majorité
des travailleurs de la possibilité d’épargner et de souscrire à des assurances
de leurs choix. Lorsque le régime général de la SS a été créé, le but était
d’assurer aux retraités, et surtout aux plus pauvres, un revenu décent pour
vivre, moyennant un effort contributif limité, et pas de garantir aux cotisants
aux hauts salaires un taux de remplacement de 56% dans le privé et de 75% dans
le public.
Il serait bon de revenir aux
« fondamentaux ».
. Dans un
système à points cohérent, les pensions doivent être revalorisées en fonction
de l’évolution du salaire moyen, et non en fonction de l’inflation, solution
qui conduira à un appauvrissement relatif des retraités. Les projections du COR
le montrent sans détour.
Au classement mondial du « Melbourne Mercer Global
Index » 2018 le SR de la France est 17ème sur 34 pays. De loin
les premiers sont les Pays-Bas et le Danemark. Suivent la
Finlande, l’Australie, la Suède et la Norvège. L’Allemagne
fait partie des 12 premiers. C’est pourquoi, j’avais brièvement présenté les
grands traits des SR des 5
pays européens, ici soulignés, de cette « élite ».
Organisés en plusieurs régimes
« étagés », de base et complémentaires, avec un fort poids de l’Etat
dans le financement des régimes de base universels, ces SR accordent la
priorité aux personnes à faible revenus, avec des pensions de base minima. Ils
conjuguent la répartition et la capitalisation et laissent davantage de liberté
de choix aux futurs retraités avec des cotisations obligatoires plus faibles
qu’en France.
Plusieurs de ces pays ont été « visités »
par le groupe de travail du Haut Commissaire, par le
COR, ainsi que par des sénateurs. Au stade actuel, peu de traces de ces marques
d’intérêt sont visibles dans les préconisations de M Delevoye. Aucune
dans l’architecture générale du système.
Un modèle de référence possible défendu par l’IPS
Aussitôt le Rapport de juillet 2019 du HCRR
présenté, l’IPS a publié un communiqué de presse titré : « Retraites : La mise en œuvre du Rapport
Delevoye ferait sortir la France des standards mondiaux » (2).
L’IPS soulignait que « Aucun pays n’a mis en œuvre un régime
universel aussi étendu que celui préconisé » et rappelait que
« dans la plupart des pays existent
è Un régime de base : qui
assure un niveau de vie minimum
è Des régimes complémentaires : ancrés dans une logique professionnelle, gérés en répartition ou
en capitalisation
è Des régimes supplémentaires : gérant l’épargne facultative individuelle ou d’entreprise
Avec, le plus souvent, 3 grands régimes propres
aux salariés du privé, aux indépendants et aux fonctionnaires ».
L’IPS recommandait de « Sauvegarder
l’essentiel et s’attaquer aux vrais problèmes ».
La fusion des 42 régimes pose de nombreux
problèmes techniques très [trop] complexes.
L’IPS a conseillé au gouvernement : - « d’instaurer un
régime de base commun à tous les Français en étendant le dispositif du secteur
privé vers le secteur public, en le limitant au plafond de la sécurité
sociale » ; - de maintenir
des régimes complémentaires adaptés ; - d’en laisser le pilotage aux partenaires sociaux ;
- de s’attaquer plus fermement aux
déséquilibres financiers.
Deux mois plus tard, l’IPS s’était livré à une « Evaluation
du Rapport Delevoye » déposé le 18 septembre (3). C’est une analyse
approfondie du Rapport et de l’ensemble des mesures proposées. Il
a simulé financièrement les impacts des préconisations majeures et,
en particulier, celles relatives aux cotisations des salariés et des
indépendants, y compris sur l’effet redistributif entre le dispositif existant
et le projet de réforme.
Publié le 17 septembre, le rapport d’évaluation
de l’IPS est intitulé « SOLIDARITE,
GOUVERNANCE, FINANCEMENT L’inquiétant
visage du futur système des retraites ». Ce titre met en relief trois
défauts graves du système proposé : la réduction de la solidarité par
rapport au système existant, la mainmise de l’Etat sur sa gouvernance et
l’absence de préconisations pour améliorer sa viabilité financière, qui est
loin d’être assurée.
Le président de l’IPS condamne aussi le choix qui a
été fait « d’aligner les retraites
des salariés du secteur privé et des indépendants sur l’organisation du secteur
public (un seul régime piloté en direct par l’Etat) ».
Il a résumé les principales
recommandations de l’Evaluation, qui prolongent et précisent celles déjà
formulées dans le communiqué de presse du 18 juillet (cf. ci-dessus). Il
suffit :
« . D’étendre le régime de
base des salariés du privé et des Indépendants assujettis à la SS aux autres
professions et au secteur public dans la limite d’un plafond de sécurité
sociale ;
. De
doter les fonctionnaires d’un véritable régime complémentaire obligatoire par
répartition comme c’est le cas des autres actifs ». A cette fin,
le rapport d’Evaluation suggère d’utiliser une « coquille » qui
existe depuis 2005, le régime additionnel de la fonction publique (RAFP), dont
les cotisations portent sur une partie des primes et/ou, éventuellement, de
fusionner le RAFP avec l’IRCANTEC, le régime complémentaire des contractuels,
en ouvrant ce dernier aux fonctionnaires
. + Il
est indispensable « De poursuivre les réformes financières
équilibrant les comptes des régimes de retraite ».