Retraites : pour une réforme acceptable


Par Paul KLOBOUKOFF,

 

On attribue au Président et ami Jacques Chirac cette conviction : « On réforme avec les Français et pas contre eux ! Mieux vaut renoncer à des réformes, les reconsidérer ou les reporter si elles doivent diviser les citoyens ». Ses successeurs n’ont, hélas, pas eu la même sagesse, la même retenue et le même souci de préserver la cohésion nationale. Cela peut-il changer ?

En résumé


Patience et longueur de temps ! Le nouveau système de retraite (SRU) qui nous est promis ne sera universel qu’aux alentours de 2040. D’ici là, les régimes spéciaux, « appelés à disparaître », qui comprennent ceux de la fonction publique, qui posent le plus de problèmes financiers, qui se différencient fortement des régimes du privé et sont considérés comme les plus « injustes », n’en feront pas partie. Ainsi, les régimes qui méritent d’être traités en priorité seront en train de « converger » vers le SRU entre 2025 et 2040. De quelle façon ? Suivant quelle trajectoire ? Qui remplacera l’Etat dans leur financement ? Le secteur privé et les réserves que ses régimes ont constituées ? Mystères et boule de cristal !

Par contre, dès 2025, on aura détricoté les régimes des salariés du privé, le régime général et les complémentaires Agirc et Arrco qui fonctionnent correctement. On aura cassé ceux des Indépendants qui ne coûtent rien au contribuable, dégagent même des excédents et ont constitué des réserves.

« Rien n’est décidé encore », plaident avec mauvaise foi les Autorités et des défenseurs de la réforme. Alors que des décisions d’importance sont gravées dans le marbre, depuis le début. Le SRU sera entièrement par répartition. Contrairement aux meilleurs systèmes européens, aucune trace de capitalisation n’y apparait. Il sera à points et « chaque euro cotisé donnera droit à des points de retraite… ». Ce qui n’est pas exact (cf. ci-dessous).

Un taux de cotisation retraite de 28,12% pour tous (nous verrons qu’il y a d’assez nombreuses dérogations pour les Indépendants, les micro-entrepreneurs, les artistes et les journalistes) a été retenu, partagé à raison de 60% à la charge de l’employeur et de 40% à celle du salarié. En outre, sur les 28,12% cotisés, un dixième, soit 2,81%, sera payé au titre de « la solidarité » et ne procurera pas de points aux cotisants. Le Rapport Delevoye déclare que le « rendement » du SRU sera de 5,5%, c’est-à-dire que 100 points de retraite cotisés ouvriront droit à 5,5 points de pension par an au futur retraité. Subterfuge ! Les rapporteurs ont « oublié » de compter les points de solidarité dans les points cotisés. Le rendement corrigé du SRU présenté est de 4,95%.

L’assiette de cotisations sera élevée. Son plafond sera de 3 fois le niveau du plafond de la Sécurité sociale, soit de 120 000 € bruts annuels. C’est une « préconisation » à laquelle les syndicats, les caisses de retraite et d’autres interlocuteurs ont dit fermement « NON ! » dès le début des « concertations » qui ont duré 18 mois. Pour eux le plafond d’un régime, fut-il universel, de base doit rester limité au plafond de la SS, c'est-à-dire à 40 000 € annuels. Ils n’ont pas été entendus. Maintenant, ils s’opposent au démantèlement du SR actuel. Ils jugent que moyennant des aménagements, il est nettement préférable au système universel à points préconisé. Ils sont loin d’être les seuls.

« La réforme n’est pas écrite » a déclaré le Premier ministre le 12 septembre. Mais, le dossier ne repart pas sur une page blanche. « Notre point de départ, ce sont les préconisations du haut-commissaire ». Il a révélé quelques points [médiatisés] sur lesquels « rien n’est tranché » et qui feraient l’objet de discussions : l’âge de départ pour une retraite à taux plein, la durée des cotisations nécessaire, l’emploi et le chômage des seniors… (1). Il s’est bien gardé de parler des choix basiques, fondamentaux évoqués ci-dessus. Il les considère comme acquis, intangibles. Ce qui explique les montées des colères de plus en plus manifestées. Et ce n’est pas fini !

Pourtant des solutions plus conformes aux besoins, plus réalistes et moins complexes à mettre en œuvre ont été proposées et soumises au Haut-commissaire chargé de la réforme des retraites (HCCRR). Sans suites !

En juillet, l’Institut de la protection sociale (IPS) observait que la fusion des 42 régimes pose de nombreux problèmes techniques très complexes. Il conseillait de renoncer à un système à régime unique et formulait des propositions.

Ces propositions ont été peaufinées après une Evaluation approfondie du dernier Rapport du HCCRR publiée le 17 septembre. « Pour résumer, le Rapport [Delevoye] demande à 80% des Français de modifier l’architecture de leur système de retraite (régime de base/régime complémentaire) parce que 20% sont censés ne pas pouvoir évoluer ».

 

Pour le président de l’IPS, le Rapport Delevoye « ne résiste pas à l’analyse » … + « de nombreux chiffrages manquent et d’innombrables questions se posent sans réponse à ce jour ». De la mise en œuvre des axes essentiels du Rapport « résultera une situation très problématique pour notre pays ». 

« Il est encore temps de réagir en faisant le choix de la sagesse… Pour cela, il faut instaurer un régime universel de base tout en incitant les régimes complémentaires à divers rapprochements entre eux ». Pour l’IPS, il suffit :

 

« . D’étendre le régime de base des salariés du privé et des Indépendants assujettis à la SS aux autres professions et au secteur public dans la limite d’un plafond de sécurité sociale ;

. De doter les fonctionnaires d’un véritable régime complémentaire obligatoire par répartition comme c’est le cas des autres actifs ».

 

Il est indispensable « De poursuivre les réformes financières équilibrant les comptes des régimes de retraite ».

J’ai également fait état de deux articles de Gérard Maudrux, un chirurgien qui a été président de la CARMF pendant 15 ans. Ils viennent à l’appui des propositions précédentes. Ils apportent aussi un témoignage accablant sur la conduite de la « concertation », pour « amuser la galerie », qui aura duré 18 mois.

Les partenaires sociaux et les partis politiques (LREM en tête) sont très attachés à ce que la solidarité soit « une clef d’entrée » du système de retraite et même, pour certains, que celui-ci soit un vecteur complémentaire de la redistribution pour réduire les inégalités. Ils recommandent qu’au moins 20% des dépenses du SRU y soient consacrés, comme dans le système actuel. Or, seulement 10% des cotisations seront dédiées à la solidarité (cf. ci-dessus). Quelle est l’explication de cette (apparente) contradiction ? Comment seront financés les 10% des ressources manquantes ?

Voilà des sujets abordés dans le présent article. J’ajoute que l’on nous répète que les retraités actuels et les autres personnes nées avant 1963 « ne sont pas concernés » par les changements annoncés. Mais, aucune indication n’est fournie sur le modus operandi. C’est un peu comme « circulez, il n’y a rien à voir ! ». Comment seront évalués les droits acquis dans les différents régimes et de quelles façons (différentes suivant les régimes) seront-ils transformés en points ? Qui versera les pensions ? Que se passera-t-il pour les personnels de la FP et des régimes spéciaux ainsi que pour les Indépendants pendant les 15 ans de convergence ?

Ce qui manque en tout premier lieu c’est une photographie d’ensemble du système et de ses acteurs tel qu’il sera lors de sa « mise en place » en janvier 2025, et une autre du système dans son état final 15 ans plus tard.

Enormément d’infos font défaut pour pouvoir se prononcer sur un projet de loi « en toute connaissance de cause » !

 

I - Les grands traits d’un système meilleur que celui du gouvernement

De premières observations et un regard sur les systèmes jugés les meilleurs au monde

Dans mon article de mars « Sortir la réforme des retraites de l’ombre et redresser le tir », j’avais souligné que :

 

. Le problème majeur de notre système de retraite (SR) est sa viabilité, sa pérennité, son équilibre financier.

. La promesse du maintien de l’âge légal à 62 ans était illusoire. L’augmentation de l’espérance de vie impose celle de la durée du travail, de l’âge de départ à la retraite et/ou de l’ouverture des droits, complets ou partiels.

. Ce qui requiert la mise en place d’incitations et d’aides efficaces pour que les seniors puissent rester en emploi.

. Conjuguées, l’assiette de cotisation plafond annoncée proche de 10 000 € par mois (3 fois le plafond de la SS) et le taux global de prélèvement de 28% (cotisations salariales + patronales) alourdissent un SR « obligatoire » dont il convient plutôt d’alléger le poids dans le PIB pour en rehausser la viabilité. Ils priveront encore la majorité des travailleurs de la possibilité d’épargner et de souscrire à des assurances de leurs choix. Lorsque le régime général de la SS a été créé, le but était d’assurer aux retraités, et surtout aux plus pauvres, un revenu décent pour vivre, moyennant un effort contributif limité, et pas de garantir aux cotisants aux hauts salaires un taux de remplacement de 56% dans le privé et de 75% dans le public.

 

Il serait bon de revenir aux « fondamentaux ».

. Dans un système à points cohérent, les pensions doivent être revalorisées en fonction de l’évolution du salaire moyen, et non en fonction de l’inflation, solution qui conduira à un appauvrissement relatif des retraités. Les projections du COR le montrent sans détour.

Au classement mondial du « Melbourne Mercer Global Index » 2018 le SR de la France est 17ème sur 34 pays. De loin les premiers sont les Pays-Bas et le Danemark. Suivent la Finlande, l’Australie, la Suède et la Norvège. L’Allemagne fait partie des 12 premiers. C’est pourquoi, j’avais brièvement présenté les grands traits des SR des 5 pays européens, ici soulignés, de cette « élite ».

Organisés en plusieurs régimes « étagés », de base et complémentaires, avec un fort poids de l’Etat dans le financement des régimes de base universels, ces SR accordent la priorité aux personnes à faible revenus, avec des pensions de base minima. Ils conjuguent la répartition et la capitalisation et laissent davantage de liberté de choix aux futurs retraités avec des cotisations obligatoires plus faibles qu’en France.

Plusieurs de ces pays ont été « visités » par le groupe de travail du Haut Commissaire, par le COR, ainsi que par des sénateurs. Au stade actuel, peu de traces de ces marques d’intérêt sont visibles dans les préconisations de M Delevoye. Aucune dans l’architecture générale du système.

Un modèle de référence possible défendu par l’IPS

Aussitôt le Rapport de juillet 2019 du HCRR présenté, l’IPS a publié un communiqué de presse titré : « Retraites : La mise en œuvre du Rapport Delevoye ferait sortir la France des standards mondiaux » (2).

L’IPS soulignait que « Aucun pays n’a mis en œuvre un régime universel aussi étendu que celui préconisé » et rappelait que « dans la plupart des pays existent

è  Un régime de base : qui assure un niveau de vie minimum

è  Des régimes complémentaires : ancrés dans une logique professionnelle, gérés en répartition ou en capitalisation

 

è  Des régimes supplémentaires : gérant l’épargne facultative individuelle ou d’entreprise

Avec, le plus souvent, 3 grands régimes propres aux salariés du privé, aux indépendants et aux fonctionnaires ».

L’IPS recommandait de « Sauvegarder l’essentiel et s’attaquer aux vrais problèmes ».

La fusion des 42 régimes pose de nombreux problèmes techniques très [trop] complexes.

 

L’IPS a conseillé au gouvernement : - « d’instaurer un régime de base commun à tous les Français en étendant le dispositif du secteur privé vers le secteur public, en le limitant au plafond de la sécurité sociale » ; - de maintenir des régimes complémentaires adaptés ; - d’en laisser le pilotage aux partenaires sociaux ; - de s’attaquer plus fermement aux déséquilibres financiers.

Deux mois plus tard, l’IPS s’était livré à une « Evaluation du Rapport Delevoye » déposé le 18 septembre (3). C’est une analyse approfondie du Rapport et de l’ensemble des mesures proposées. Il a simulé financièrement les impacts des préconisations majeures et, en particulier, celles relatives aux cotisations des salariés et des indépendants, y compris sur l’effet redistributif entre le dispositif existant et le projet de réforme.

Publié le 17 septembre, le rapport d’évaluation de l’IPS est intitulé « SOLIDARITE, GOUVERNANCE, FINANCEMENT L’inquiétant visage du futur système des retraites ». Ce titre met en relief trois défauts graves du système proposé : la réduction de la solidarité par rapport au système existant, la mainmise de l’Etat sur sa gouvernance et l’absence de préconisations pour améliorer sa viabilité financière, qui est loin d’être assurée.

 

Le président de l’IPS condamne aussi le choix qui a été fait « d’aligner les retraites des salariés du secteur privé et des indépendants sur l’organisation du secteur public (un seul régime piloté en direct par l’Etat) ».

Il a résumé les principales recommandations de l’Evaluation, qui prolongent et précisent celles déjà formulées dans le communiqué de presse du 18 juillet (cf. ci-dessus). Il suffit :

« . D’étendre le régime de base des salariés du privé et des Indépendants assujettis à la SS aux autres professions et au secteur public dans la limite d’un plafond de sécurité sociale ;

 

. De doter les fonctionnaires d’un véritable régime complémentaire obligatoire par répartition comme c’est le cas des autres actifs ». A cette fin, le rapport d’Evaluation suggère d’utiliser une « coquille » qui existe depuis 2005, le régime additionnel de la fonction publique (RAFP), dont les cotisations portent sur une partie des primes et/ou, éventuellement, de fusionner le RAFP avec l’IRCANTEC, le régime complémentaire des contractuels, en ouvrant ce dernier aux fonctionnaires

 

. + Il est indispensable « De poursuivre les réformes financières équilibrant les comptes des régimes de retraite ».

 

L’Evaluation des préconisations du Rapport Delevoye par l’IPS

L’IPS a relevé une dizaine de préconisations constructives mais d’intérêt secondaire [des mesures existantes déjà ou en partie prévues] ne nécessitant pas la mise en place d’un régime universel. Parmi elles : - la garantie à 100% des droits acquis dans l’ancien régime ; - un minimum de droits de retraite annuel pour les indépendants ; - un minimum de retraite fixé à 85% du SMIC pour une carrière complète ; - des pensions de réversion harmonisées avec des règles communes à tous ;- deux mesures autorisant des départs anticipés, pour les carrières longues et pour les fonctions dangereuses exercées dans le cadre de missions régaliennes ; - la majoration des points de retraites de 5% par enfant, certaines familles ayant 3 enfants pouvant cependant être pénalisées par ce changement…

La plupart des autres préconisations suscitent des interrogations techniques et des critiques de l’IPS. Parmi elles :

. La mise en place d’un système unique pour remplacer les 42 régimes va faire sortir la France des standards mondiaux. L’argument de la mobilité professionnelle pour la justifier est fallacieux. Un changement de régime en cours de carrière ne pose pas de problème aujourd’hui.

. Avec le basculement « big-bang » au 31 décembre 2024 du décompte et de la transformation en points des droits acquis dans le régime actuel, la garantie de ceux-ci est en réel danger. L’IPS rappelle qu’à la suite de la mise en place en 2008 de l’interlocuteur social unique (ISU), de sérieux dysfonctionnements informatiques avaient eu lieu entre le régime social des indépendants (RSI) et l’Urssaf. Le recouvrement avait été perturbé mettant en péril l’équilibre des comptes du RSI (4). En décembre 2024 les changements annoncés seront d’une toute autre dimension.

L’IPS demande que le HCRR publie tous les modèles de conversion avant de présenter son projet de loi. 

. Une étatisation de la gouvernance du SRU comme il n’en existe nulle part ailleurs au monde. Le Conseil citoyen (tiré au sort), le Conseil d’Administration, l’Assemblée générale et le Comité d’expertise indépendant ne sont qu’une « cosmétique de façade masquant la toute-puissance du ministère des Finances ». Les vraies décisions seront prises dans le cadre des lois de finances.

. La convergence des assiettes des cotisations et l’application d’un taux unique de 28,2% aux fonctionnaires (et à ceux des autres régimes spéciaux) qui bénéficient de primes et dont les pensions sont calculées sur les 6 derniers mois d’activité exigera une refonte de leurs statuts… et des calculs complexes. Un chiffrage budgétaire s’impose.

. La comptabilisation en points des droits de retraite. La valeur du point peut baisser si les gestionnaires le décident.

. La question centrale est celle du « rendement » cible du Régime. Un rendement de 5,5%, soit 5,5 € de retraite par an pour 100 euros cotisés, a été annoncé. Faux, manque de transparence ! En réalité, le taux correct sera de 4,95% puisque les euros cotisés au titre de la « solidarité » n’ouvriront pas de droits.

. Il n’est pas précisé quel niveau de prise en charge sera retenu pour l’attribution de points en cas de chômage, maladie, invalidité, maladie et maternité.

 

. Le passage à l’indexation de la valeur du point de retraite sur le revenu moyen d’activité par tête (RMPT) ne pourra pas se faire immédiatement car, sans autre changement destiné à « l’équilibrer », il majorera les pensions à verser.

. Une réduction de la solidarité qui favorise à l’excès les plus hauts salaires. L’IPS critique le choix de sortir les rémunérations supérieures à 120 000 € brut du champ des régimes obligatoires (qui va aujourd’hui jusqu’à 8 plafonds de la SS, soit 320 000 €). Au-dessus du nouveau seuil, les cotisations seront limitées à 2,81% (au titre de la solidarité). 4% de la masse des revenus d’activité seraient concernés. Avec un risque de désolidarisation de la part de ses « bénéficiaires ».

Pour un salarié au revenu de 200 000 €, les cotisations retraite (patronales et salariales) seront de 36 390 €, contre 54 358 € dans le système actuel. Cela amènera aussi une réduction des recettes du SR de – 17 968 €… à compenser.

. Le respect de la règle d’indexation des pensions sur l’inflation parait peu assuré. [Son « oubli » actuel le montre].

. Des reculs sont préconisés en matière de réversion : - l’âge de liquidation des droits sera porté à 62 ans, alors qu’il est de 55 ans dans le régime Agirc ; - la réversion sera réservée aux couples mariés. En cas de divorces, la question des droits sera soumise à l’appréciation des juges des affaires familiales lors des séparations.

. Concernant « la transition » vers la retraite et l’extension du dispositif de retraite progressive, l’IPS signale que ce dispositif n’a jamais fonctionné

. Le traitement spécifique prévu pour les Indépendants, identique pour tous, qu’ils soient artisans, commerçants, exploitants agricoles, avocats, médecins… Il sera dégressif, les taux des cotisations étant de 28,12% jusqu’au plafond (actuel) de la SS, 40 000 €, et de 10,13% (correspondant à la part salariale) entre 40 000 € et 120 000 €.

Pour l’IPS, cette dérogation fait « la démonstration par l’absurde que la seule solution technique viable est un système universel limité à 1 plafond de la SS et, qu’au-delà, il faut laisser les complémentaires s’adapter aux particularités des professions et des statuts ».

Autres dérogations : - l’option ouverte aux micro-entrepreneurs d’acquérir un minimum de points chaque année ; - certaines professions spécifiques conserveront des bases d’assiettes de cotisations avec des barèmes simplifiés forfaitaires, et des taux réduits seront accordés aux artistes auteurs ou du spectacle, aux marins, aux journalistes.

. Des « énièmes » changements relatifs aux cotisations des indépendants ne peuvent que soulever l’inquiétude.

. La convergence progressive des barèmes de cotisations des professions libérales entrainera la hausse rapide des cotisations, surtout pour les revenus supérieurs au plafond de la SS.

Leurs régimes peuvent aussi craindre que leurs réserves soient confisquées (cf. ci-après).

. Promesse est faite que le SRU garantira les réserves nécessaires pour honorer les engagements des anciens régimes. Comment ? Pas vraiment de réponse, et jusque-là l’Etat n’est pas parvenu à alimenter le Fonds de réserve. La seule proposition formulée [d’un manque total de clarté] est que le SRU puisse récupérer la part des réserves antérieurement constituées par les caisses en vue d’assurer la couverture de leurs dépenses.

Seule la part des réserves rigoureusement destinée à ces engagements sera transférée. On comprend la méfiance et les réticences des cotisants et des retraités des régimes du secteur privé qui ont constitué des réserves.

. La promesse du respect d’une « règle d’or » d’équilibre financier du système peut-elle être prise au sérieux sachant que l’Etat a n’a pas été capable d’équilibrer son budget depuis près de 40 ans ?

Un régime de base universel pour une bonne réforme acceptable par tous

« Réforme des retraites : non, il n’y a pas de consensus »

C’est le titre d’un article du 28 août sur contrepoints.org (5) de Gérard Maudrux (GM), un chirurgien qui a été président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) pendant 15 ans jusqu’en 2015. Il a « participé » aux « concertations de 18 mois » et son témoignage à leur sujet est accablant. Lors des premières réunions avec les Caisses de retraite, la question du plafond des cotisations du SRU a été posée : jusqu’à 1 plafond de la SS (40 000 €) ou 3 PSS (120 000 €) ? La réponse des Caisses a été unanime : jusqu’à 1 PSS, et régimes complémentaires au-delà de ce plafond. Les syndicats, sauf peut-être la CFDT, ont répondu clairement de la même façon à cette question. Les uns et les autres n’ont pas été entendus. La décision du plafond à 3 PSS était déjà prise. Il n’y a pas eu de vraie concertation, il s’agissait « d’amuser la galerie, occuper le terrain, faire croire ». Dès la première réunion, il avait été précisé que « ce ne sont pas des négociations, mais de réunions d’information ». Aux demandes répétées pour savoir « où on allait, si c’était équilibré, pour combien de temps », les Caisses n’ont obtenu aucune réponse. Ce n’est pas un « projet collectif » qui est sorti des concertations, mais « celui d’une poignée ».

Pour un régime base universel

Le 5 septembre, sur le même site (6), GM revient sur le choix du plafond à 120 000 €, avec lequel « on transforme une bonne réforme, qui aurait été acceptée et saluée par tous, en une réforme inacceptable, dont tout le monde aura des raisons de se plaindre. Les régimes complémentaires professionnels et autonomes ont été sacrifiés « sur l’autel des régimes spéciaux » par manque de courage de leur créer une caisse spécifique obéissant aux mêmes règles que les autres… Les différences professionnelles obligeront à des dérogations qui seront mal vécues par ceux soumis au système universel. Les régimes spéciaux perdureront avec des dérogations et des bonifications diverses.

GM défend « un régime de base universel » limité à 1 plafond de la SS. Avec pour principe, « à revenu égal, cotisation égale, retraite égale », et la garantie d’un minimum vital pour tous. Il retiendrait des taux des cotisations proches de ceux actuels des salariés : - 10% à 10,5% pour tous, salariés du public et du privé, indépendants et élus ; - 7,25% à 7,75% pour tous les employeurs. Une cotisation de solidarité pourrait s’appliquer jusqu’à 3 PSS.

« Un espace de liberté » serait laissé aux professions pour qu’elles organisent leurs régimes en fonction de leurs particularités et les fassent évoluer en fonction des besoins et « de l’évolution de notre civilisation ».

 

 

II - Une solidarité mobilisant 20% des ressources ? Financé comment ?

Sans tambours ni trompettes, il aurait été décidé que 20% des dépenses totales du système de retraite (315,1 Mds € en 2017) continueront d’être affectés à la solidarité. Les périodes de chômage indemnisé, de maternité, de maladie et d’invalidité donneront droit à des points de solidarité financés par l’impôt [ !?]. Ils auront la même valeur que les points attribués au titre de l’activité (7). Des majorations de points de 5% par enfant sont aussi proposées.

Une retraite minimum sera garantie aux travailleurs ayant eu des revenus modestes et/ou ayant travaillé à temps partiel. Un montant a été avancé correspondant à 85% du SMIC net, un peu supérieur aux minima en vigueur pour les salariés et les exploitants agricoles.

Aux noms de la pénibilité, de la dangerosité et/ou de l’exposition à des risques professionnels, des possibilités de départs anticipés à la retraite seront maintenues.

Unifiée et réservée aux couples mariés, la réversion devrait garantir au conjoint survivant un niveau de pension à hauteur de 70% de la somme des pensions du couple.

En fait, cette « solidarité » est un des rares points d’accord de la part du patronat et des syndicats. La CFDT avait même observé dans le Rapport Delevoye de juillet « un certain nombre d’avancées en faveur d’un système plus redistributif et plus lisible. Il prouve « qu’il est possible de construire une réforme d’ampleur tout en confortant la répartition et la solidarité ». Et le syndicat désirait aller plus loin, notamment avec « l’aménagement des fins de carrière avec le développement de la retraite progressive », ainsi qu’un « effort soutenu pour répondre aux inégalités et aux discriminations qui persistent sur le marché du travail, notamment en défaveur des femmes » (8).

Du côté des partis politiques, un groupe de travail « transpartisan » (associant les 8 groupes parlementaires) sur la réforme des retraites a été mis en place en février 2019 par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. La « restitution » de son travail (9) porte uniquement sur la solidarité et des aspects sociaux. On peut y lire : « La solidarité est rapidement apparue pour le groupe de travail comme une clef d’entrée privilégiée de la réforme. La solidarité sans laquelle le système de retraite ne pourrait pas remplir son objectif de garantir un niveau de vie décent… les aléas de la vie professionnelle ne pourraient être compensés… la confiance des Français dans un système juste et redistributif serait illusoire ». « La solidarité devra à ce titre être placée au frontispice du futur régime universel, pour renforcer tant la redistribution entre générations que celle au sein de chaque génération ».

S’appuyant sur une évaluation par la DREES des droits propres liés aux dispositifs de solidarité portant sur les pensions versées en 2012 (10), le groupe a recommandé de réserver 20% du montant total de pensions aux dispositifs de solidarité. Il est intéressant de noter qu’en 2012 la contribution à ce montant par les régimes de base et intégrés avait été de près de 90%, tandis que celle des régimes complémentaires n’avait été que de 10% environ.

Visiblement attentif aux demandes de la CFDT, le groupe a formulé 18 propositions dont certaines sont plus précises et/ou vont au-delà des préconisations du Commissaire Delevoye, telles : la suppression de la condition d’âge pour bénéficier d’une pension de réversion, l’indemnisation du congé de proche aidant, l’autorisation de la prolongation de la perception du RSA jusqu’à l’âge du taux plein, le respect de la promesse présidentielle d’une pension au moins égale à 1 000 euros pour une carrière complète, l’assujettissement aux cotisations sociales patronales des gratifications versées aux stagiaires afin de leur permettre d’acquérir des points, etc.

A force de solidarité sociale, de réduction des inégalités et de redistribution, nous sommes ici assez loin du système à points dans lequel « un euro cotisé ouvre les mêmes droits… ».

Mais, deux questions ne semblent pas (encore) avoir de réponse : - avec les dernières préconisations du HCCRR quel sera effectivement la part de la Solidarité dans les dépenses du SRU, 20%, davantage, moins ? Comment sera financé l’écart avec les ressources procurées par les cotisations retraites, « préconisé » à 10% de ces cotisations ?

Annexes :

Des informations basiques sur notre système de retraite actuel

Décidément, les « privilèges insensés » des salariés des régimes spéciaux (SNCF, RATP, Industries électriques et gazières…) occupent beaucoup l’espace médiatique, d’autant plus accaparé par le sujet que des manifestations et des grèves des agents de la RATP, de la SNCF et d’autres opposants à la réforme Delevoye [et non Macron] perturbent le quotidien. Pourtant, si des « avantages indus » sont contrariants, si ces régimes sont déficitaires et « coûtent cher à l’Etat », ils sont loin de constituer le problème majeur de la réforme des retraites. Selon Les Echos, dont la source est le projet de loi de finances (PLF) 2019 (7), dans le montant total de dépenses de retraites qui s’élève à 315,1 Mds € en 2017, celles de ces régimes spéciaux sont de 15,4 Mds €, soit moins de 5%.

D’autres régimes spéciaux méritent d’attirer l’attention et de faire l’objet en priorité de réformes, ceux de la fonction publique d’Etat (civile et militaire), aux dépenses de 52,1 Mds €, couvertes en majeure partie par des subventions (considérées comme des cotisations patronales) de l’Etat, et ceux de la CNARCL (Caisse des collectivités locales et des hôpitaux) aux dépenses de 18,9 Mds €, largement subventionnées aussi. Au contraire, l’IRCANTEC, la Caisse des agents non titulaires, aux dépenses de 2,9 Mds €, s’est constituée de confortables réserves.

Les poids lourds de notre système de retraite (SR) sont ceux des salariés du secteur privé. Le régime de base, déficitaire, géré par la CNAV, a dépensé 122,7 Mds €. Les régimes complémentaires Agirc (cadres) et Arrco ont dépensé 77,9 Mds €. Gérés avec rigueur par les partenaires sociaux, ils ont accumulé des réserves convoitées. Ils pratiquent sans perturbations le système à points. Pourquoi et en quoi est-il urgent de les « réformer » ?

Dans le troisième groupe de régimes, celui des indépendants et du secteur agricole, la MSA exploitants, avec 7,3 Mds €, et la MSA salariés, avec 5,8 Mds € assurent 88% des dépenses des régimes de base. Les modestes 12% restants, soit 1,8 Md €, proviennent de la CNAVPL (professions libérales) et de la CNBF (avocats). Par contre, les régimes complémentaires des professions libérales sont plus étoffés. Celui des professions libérales « pèse » 5,1 Mds € et celui des commerçants, 1,9 Md. Les infos présentées lors des manifestations du 14 septembre ont appris au public que ces régimes autonomes dégagent des excédents, tandis que le taux des cotisations retraite sont limités à 14%, que les indépendants refusent de le voir porté à 28% et désirent conserver leurs régimes autonomes.

Ce rapide tour d’horizon met en relief des problématiques spécifiques à chacun des trois grands groupes de régimes qui composent notre système de retraite, celui des salariés du secteur privé, celui des indépendants et celui des salariés du secteur public. Les différences entre les conditions d’activité, les carrières et les rémunérations, les déterminations des pensions sont telles que l’exécutif estime qu’il faudra 15 ans (à partir de 2025) pour rapprocher les régimes de la fonction publique et les autres régimes spéciaux du système à points projeté. Ne serait-il pas logique et prudent de commencer par les « rapprochements » avec les régimes des salariés du privé avant de se lancer « bille en tête » dans une « universalisation » du système ?

Vers un système universel truffé de régimes spéciaux et particuliers ?

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à regrouper les 42 régimes de retraite actuels en un système « universel » par répartition « à points » empreint de clarté et de justice sociale dans lequel «  1 euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Ceci, sans modifier l’âge de la retraite et en préservant le niveau des pensions.

En fait, les cotisations qui seront prises en compte dans le nouveau système seront celles du salarié et de son employeur. Or, si les taux des cotisations salariales sont en voie d’uniformisation et déjà proches dans la fonction publique (FP) du taux applicable dans le privé (11,25% du salaire brut), des écarts considérables séparent les cotisations des employeurs publics de celles du privé. Ces dernières sont de près de 17%, tandis que les contributions de l’Etat sont de 74,3% pour les salariés de la fonction publique (FP) d’Etat et de 30,65% pour ceux de la FP territoriale ainsi que de la FP hospitalière. Comment le gouvernement compte-t-il procéder pour réduire ces « inégalités » et rapprocher la FP des futures « normes » : un taux de 28%, dont 11% à la charge du salarié et 17% à celle de l’employeur ? Qui va financer les déficits des régimes de la FP que l’Etat couvre par ses « cotisations » géantes ? Et ceux des régimes spéciaux (EDF, RATP, SNCF…), appelés à entrer (sans précipitation) dans le nouveau système. Mystère ! Cela fait partie des « petits » problèmes majeurs auxquels il faut trouver et apporter des réponses. Pas certain qu’une grande concertation citoyenne soit d’un grand secours pour trouver les solutions. Et le gouvernement propose de prendre 15 ans (à partir de 2025). En attendant 2040, FP et entreprises publiques conserveront des « régimes spéciaux… évolutifs ».

D’un autre côté, ce 16 septembre, les « indépendants » (avocats, médecins, dentistes, infirmières, kinésithérapeutes libéraux, notamment) ont manifesté massivement à grand bruit leurs inquiétudes et leur opposition à la réforme Macron. Ils refusent d’entrer dans le système annoncé, d’avoir à cotiser au taux de 28% alors qu’actuellement ils cotisent à 14%, que leurs régimes autonomes sont bien gérés, bénéficiaires et ont constitué des réserves financières (2 Mds € chez les avocats et 7 Mds € chez les médecins), menacées de « hold-up ». La « réforme » met en danger la survie professionnelle d’une partie d’entre eux. Le gouvernement devra forcément « composer » avec eux… s’ils acceptent de « négocier », car ils n’ont rien à gagner avec la réforme projetée (tout comme les salariés du privé, d’ailleurs). Delevoye a déjà tenté de les rassurer. Selon les dires de son entourage à l’AFP, « le doublement des cotisations n’a jamais été une option », l’augmentation des cotisations doit être « partiellement » et « significativement compensée » par une baisse de la CSG (11) … et il ne serait pas question de les priver de « leurs » réserves financières. Ainsi, un (ou plusieurs ?) nouveau régime spécial serait créé pour les indépendants. En même temps, la CSG connaîtrait une nouvelle clientèle d’assujettis avec un (ou des) taux particulier, d’un côté, et participerait ainsi directement au financement du système de retraite, de l’autre. A quand la fin des « bricolages » ?


 

Sources et références

 

(1) Réforme des retraites : et maintenant que va-t-il se passer ? notretemps.com/retraite/actualites-retraite/calendrier… le 12/09/2019

(2) Communiqué IPS Retraites : La mise en œuvre du Rapport Delevoye ferait sortir la France des standards mondiaux le 18/07/2019

(3) Evaluation du Rapport Delevoye par l’Institut de la Protection Sociale 17/09/2019

(4) Dysfonctionnements informatiques entre le régime social des indépendants et l’Urssaf suite à la mise en place de l’interlocuteur social unique senat.fr/questions/base/2010/qSEQ100312613.html mars 2010

(5) Réforme des retraites : non, il n’y a pas de consensus contrepoints.org/2019/08/28/352362-reforme…

(6) Retraites : pourquoi un seul plafond de la sécurité sociale contrepoints.org :2019/09/05/352880-retraites…

(7) Réforme des retraites, version Macron : ce qui se prépare lesechos.fr/economie-France/social/reforme… le 04/09/2019

(8) Réforme des retraites : les grandes lignes du rapport « Delevoye » décryptées par la CFDT - 19 juillet 2019 – CFDT cfdt-mae.fr/actualités/reforme… le 08/08/2019

(9) Restitution du groupe de travail relatif à la réforme des retraites Commission des Affaires sociales Assemblée nationale juillet 2019

(10) Droits familiaux et dispositifs de solidarité du système de retraite DREES Solidarité Santé N° 72 / Janvier 2016

(11) Retraites : avocats, médecins et pilotes défilent en masse à Paris pour conserver leur régime finance.orange.fr/actualite-eco/article/retraites… le 16/09/2019

 

© 05.10.2019