Deux défis majeurs pour le nouveau président américain

Le défi chinois pour Joe Biden et les Etats-Unis

Partie 2

Par Paul KLOBOUKOFF,

En résumé

Donald Trump n’a pas engagé en 2018 une « guerre commerciale » avec la Chine seulement pour limiter les importations chinoises et réduire le déficit des échanges avec le géant asiatique. Les progrès technologiques sont à la base du développement des économies et de l’évolution des rapports de puissance. Trump n’acceptait pas la captation déloyale des technologies, notamment par les contraintes imposées aux exportateurs et aux entreprises américaines (et des autres pays) investissant en Chine, ainsi que par l’espionnage industriel. Son épreuve de force avec Pékin visait à faire changer d’attitude aux dirigeants chinois. Après deux années d’affrontements, un accord commercial « historique » (ignoré de nos « grands » médias) a été signé entre le Etats-Unis et la Chine en janvier 2020 et confirmé par les deux parties en août dernier. Ses termes prévoient que les transferts de technologies seront désormais volontaires, « reflétant un accord mutuel », et la Chine importera 200 milliards d’euros (Mds €) supplémentaires de produits américains dans les deux années suivantes. Avec les conditions qui sont associées à la levée des tarifs punitifs, ces dispositions montrent que les griefs de Trump avaient été entendus.

Comme le FMI, Trump a pu constater le déclin économique relatif du « monde occidental » avec la montée des pays dits émergents, et en premier lieu de la Chine, qui poursuit sa longue marche avec l’ambition non dissimulée de parvenir à la suprématie mondiale. Au fil des ans, le montant de son PIB se rapproche de celui des Etats-Unis (EU) et, mesuré à parité de pouvoir d’achat, il l’a même dépassé en 2017. Ralentir cette progression reposant largement sur les échanges extérieurs, dont la Chine est tributaire, a été l’un des objectifs de Trump. Celui-ci a été atteint temporairement en 2019, après une année de guerre commerciale et avant la propagation du coronavirus, non sans d’importants dégâts collatéraux aux Etats-Unis et chez leurs alliés.

Avec « America First », Donald Trump a affirmé la primauté des intérêts nationaux dans les relations des EU avec l’étranger. Son rejet viscéral du multilatéralisme, déjà en déclin, et la défiance vis-à-vis de certains alliés ont conduit au protectionnisme et à un certain isolationnisme. Nous l’avons vu avec les distances qu’il a prises vis-à-vis de l’Europe, de ses restrictions financières à l’égard de l’OTAN, qu’il aurait souhaité que les EU quittent, ainsi que de son hostilité envers l’OMC, qui a réprouvé les majorations tarifaires punitives, « illicites » décidées contre la Chine.

En sortant du traité de Partenariat Transpacifique (TPP), qui comptait 12 pays, dont le Japon, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Mexique, le Canada et le Pérou, et qui totalisait 40% du PIB mondial et 30% du commerce international, les EU ont tourné le dos à un marché considérable, quitté de précieux alliés et laissé le champ libre à la Chine. Réanimé en 2007, le Groupe Quadrilatéral de Coordination de la Défense (Quad), forum stratégique associant l’Inde, le Japon, l’Australie et les Etats-Unis, reste cependant actif face à l’hégémonie de la Chine et aux problèmes de sécurité posés à ses voisins dans l’espace Indo-Pacifique. Mais son influence en matière commerciale est limitée.

Dans la rivalité au sommet, le contraste est saisissant entre le repli-sur soi protectionniste des EU décidé par le président Trump et l’expansionnisme multilatéraliste débridé de la Chine.

Depuis 2013, avec son projet pharaonique des « Nouvelles Routes de la Soie », en particulier, la Chine déploie une vaste toile d’araignée de relations commerciales, économiques et financières ponctuées par des accords bi et multilatéraux. Cette toile s’étend à l’Asie centrale vers l’Europe, à l’Asie-Pacifique, à l’Amérique latine, à l’Afrique…

En novembre 2020, la Chine a annoncé la création, avec 15 pays d’Asie-Pacifique, dont les 10 pays de l’ASEAN et 3 alliés des EU (le Japon, la Corée du Sud et l’Australie) de la plus grande zone de libre-échange de la planète. Tandis que les EU avaient tenté de vassaliser les Amériques et l’Europe, la Chine est en train d’asservir l’Asie, de coloniser l’Afrique et d’avancer en direction de l’Europe et de l’Amérique latine. Non sans inquiéter ses « partenaires », avec lesquels les rapports sont déséquilibrés, ainsi que sa grande voisine, l’Inde.

La Chine n’a pas été épargnée par la pandémie de l’endettement, dont le total mondial est monté à 258 trillions (milliers de milliards) de dollars au 1er trimestre 2020, soit 3,3 fois le PIB mondial. Pour sa part, la dette totale de la Chine a atteint 318% du montant de son PIB, s’approchant des 342% des EU et des 385% de la zone euro (ZE). Les Autorités essaient de reprendre son contrôle et de la réduire. La moitié de cette dette (159 Mds $) est au débit des entreprises privées et d’Etat qui ont une forte propension à s’endetter, pour investir à l’étranger, notamment. Autre problème en cours de traitement, dans leurs rangs se trouvent des entreprises zombies, en difficultés prolongées, maintenues en vie afin de préserver d’indispensables emplois localement et de contribuer à la croissance du PIB.

Tirant des leçons de la guerre commerciale avec les Etats-Unis et des sanctions subies, le président Xi Jinping a infléchi sa stratégie. Le but principal du 14ème plan quinquennal qui sera adopté au début de 2021 est de faire de la Chine la plus grande puissance industrielle et économique du monde et de la rendre moins dépendante des systèmes mondiaux. Plus de technologies innovantes dans les industries vitales et croissance reposant davantage sur la demande intérieure, sur l’investissement et non sur la consommation, sont deux axes majeurs.

Pour se donner les moyens de faire de la Chine une puissance dominante, Xi Jinping a purgé le parti et accru le pouvoir du chef de l’Etat. Il a fait inscrire son objectif et sa stratégie dans le Préambule de la Constitution.

Dans la compétition internationale, la discipline qu’un régime autoritaire ou dictatorial peut imposer à ses agents économiques et financiers est un « avantage comparatif » de poids que refusent de s’offrir les démocraties.

Mais, les réserves mondiales de change sont pour 62% en dollars, de très loin supérieures à celles en monnaie chinoise, le renminbi. Cette position dominante est un contrepoids sans doute encore durable à l’hégémonie chinoise et un atout majeur des Etats-Unis dans « l’épreuve de force » engagée par Donald Trump en 2018.

Joe Biden et Kamala Harris connaissent la nouvelle donne et les intentions des gouvernants chinois. C’est à leur tour de redéfinir et de mettre en œuvre une nouvelle stratégie internationale. Sera-t-elle plus conciliante avec la Chine, plus amicale envers les alliés des Etats-Unis, mondialiste et multilatéraliste comme beaucoup l’espèrent ? Un « agenda transatlantique tourné vers l’avenir » s’ouvrira-t-il ? Nous le saurons peut-être dans quelques semaines.

De la guerre commerciale à un accord commercial « historique »

L’ampleur du déficit commercial des EU avec la Chine peut aider à comprendre l’attitude protectionniste de Donald

Trump et plus agressive envers son grand concurrent déloyal que son prédécesseur Barack Obama, qui s’était épuisé

Tableau 1 : Un très lourd déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine

 

 

 

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Solde des échanges des Etats-Unis

 

 

 

 

 

 

En Mds de dollars °

- 407,4

- 394,9

- 365,3

- 449,7

- 480,2

- 441,7

En pourcentage du PIB

2,2%

2,1%

1,9%

2,2%

2,2%

2,1%

 

 

 

 

 

 

 

Balance commerciale avec la Chine

 

 

 

 

 

 

En Mds de dollars °°

- 367

- 347

- 375

- 420

- 346

 

Sources : ° FMI, octobre 2020 ; °° U.S. Census Bureau

 

 

en vains recours auprès de l’OMC. Au-delà du déséquilibre commercial et des prix trop bas des produits chinois, Trump a reproché à Pékin ses pratiques abusives, ses subventions démesurées aux entreprises chinoises, son pillage technologique par le rachat d’entreprises américaines et les transferts de technologies imposés lors de rachats ou d’implantations d’entreprises en Chine.

Après les menaces martelées par Donald Trump pendant la campagne électorale, la guerre commerciale contre la Chine n’a cependant commencé qu’en janvier 2018 avec l’instauration de droits de douanes de 20% sur les machines à laver et de 30% sur les panneaux solaires chinois, importés en quantités aux EU. En retour, Pékin a ouvert une enquête sur le sorgho américain exporté en Chine pour 1 milliard de dollars, accusé d’être subventionné. Le conflit s’est envenimé. En mars 2018, Trump a imposé des droits de douane de 10% sur les importations d’acier et de 25% sur celles d’aluminium. Puis, en avril, de nouvelles taxes ont frappé 1 300 produits chinois. Riposte immédiate, 250 produits américains ont été taxés par Pékin (1). Après une accalmie, les hostilités ont repris en mai 2019, Trump accusant d’espionnage le groupe géant des télécoms Huawei qui vendait des équipements de réseaux aux EU et voulait « se rendre indispensable pour les réseaux 5G du monde entier » (2). Commercer avec Huawei a été défendu aux entreprises américaines et son application TikTok a été menacée d’interdiction aux EU. Les mois suivants ont vu le conflit se durcir. En janvier 2020, enfin, un accord commercial est venu interrompre l’escalade.

 

 

Un accord commercial historique entre la Chine et les Etats-Unis

 

Le 15 janvier 2020, Donald Trump s’est félicité de cette « étape historique » franchie « vers un accord commercial juste et réciproque entre les Etats-Unis et la Chine ». De son côté, le président Xi Jinping a déclaré que cet accord sera profitable « à la Chine, aux Etats-Unis, au monde entier » (3).

En fait, le texte signé portait sur la 1ère phase de l’accord entre les deux belligérants, les négociations devant se poursuivre pour la seconde phase sur des sujets plus sensibles incluant la cyber sécurité.

Avec cet accord, Donald Trump a marqué des points précieux pour les EU et obtenu de la Chine la reconnaissance des griefs et revendications ayant motivé son offensive. Afin de réduire le déficit commercial des EU, la Chine s’est engagée à acheter pour 200 Mds de dollars supplémentaires de produits américains, agricoles, manufacturés, énergétiques et services, au cours des deux années suivantes. Il a également été stipulé que « La Chine reconnait l’importance d’établir et de mettre en œuvre un système juridique complet de protection (…) de la propriété intellectuelle ». De plus, tout transfert ou licence de technologie doit être volontaire et « reflétant un accord mutuel »… et non imposé comme il a pu l’être jusque là à des entreprises américaines. En outre, l’accord prévoit et traite aussi de l’ouverture du marché chinois aux services financiers.

L’épreuve de force avec la Chine s’était avérée payante. Trump a accepté de surseoir à toute nouvelle hausse des droits de douane sur des produits chinois, mais a décidé de ne pas lever avant que l’accord de la phase 2 soit signé les droits de douane punitifs qui frappaient alors plus de 370 Mds de dollars de produits chinois. «  Je vais les garder sinon nous n’aurons aucune carte en main pour négocier », avait-il expliqué (3).

Les médias américains ont fait leur possible pour éclipser cet évènement. Les médias français aussi.

 

Aussitôt après la signature de l’accord, la pandémie du coronavirus a provoqué la crise économique mondiale que nous connaissons. Les relations entre la Chine et les EU se sont dégradées et les motifs d‘affrontements ont ressurgi. Pourtant, comme Washington, Pékin n’avait pas oublié l’accord et ses engagements… bien que, fin juin, un peu moins de la moitié des achats attendus à ce stade avaient été réalisés par la Chine. La faute à la pandémie ?

Le 25 août, des communiqués confirmaient les intentions initiales. Du côté américain, « Les deux parties constatent des progrès et sont déterminées à prendre les mesures nécessaires pour assurer la réussite de l’accord ». Du côté chinois, « Les deux parties sont tombées d’accord pour créer les conditions et l’atmosphère permettant de continuer à faire progresser la mise en œuvre de la première phase de l’accord économique et commercial sino-américain » (4).

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Toutefois, les relations demeuraient tendues dans le domaine des technologies, notamment, Washington cherchant à forcer la vente de l’application TikTok à une entreprise américaine ainsi qu’à convaincre ses alliés d’écarter Huawei des réseaux 5G… et Pékin essayant de les en dissuader

Des effets pervers et d’autres positifs ont pu être attribués à la guerre menée par Trump. Selon Oxford Economics, les entreprises et les consommateurs américains ont payé le prix fort de l’augmentation des tarifs douaniers, et l’économie a perdu - 0,5% de croissance en deux ans. Les producteurs canadiens, mexicains et européens ont aussi profité de l’absence de concurrence chinoise pour augmenter leurs prix (1).

Pour d’autres « analystes », Trump n’a pas réussi à ralentir la dérive du déficit des échanges extérieurs des EU. Cependant, rapporté au PIB, ce déficit ne s’est pas aggravé (cf. tableau 1). Et la guerre commencée en 2018 a conduit à réduire de - 74 Mds $ le déficit commercial des EU avec la Chine en 2019 selon le Census Bureau américain.

En fait, il est difficile de ne pas reconnaître à Donald Trump d’avoir « mis en lumière des échecs de la mondialisation », d’avoir réveillé l’Europe, d’avoir fait prendre conscience de l’asymétrie dans les relations économiques avec la Chine, protectionniste et déloyale, ainsi que des enjeux derrière les échanges commerciaux, les investissements à l’étranger (et de l’étranger), les partenariats et autres accords. Il a souligné le caractère stratégique des progrès technologiques et des transferts de technologies.

D’après les données du FMI d’octobre 2020, le PIB de la Chine a cru de + 6,1% en 2019, contre + 6,8% à + 6,9% les trois années précédentes. Ce ralentissement a été porté au crédit de la politique de Trump par ses partisans. Dans le même temps, subissant le coup de frein aux échanges internationaux, notamment, le PIB mondial a n’a cru que de + 2,8% en 2019. Les Etats-Unis n’ont pas été épargnés, et la croissance de la Chine a encore été de près de + 4% plus forte que la leur. Le coronavirus a fait reculer les activités et les PIB partout. La Chine s’en remet et reprend de l’allant nettement plus vite que presque tous les pays. D’après les prévisions du FMI, son PIB progresserait même de + 1,9% en 2020, alors que celui des EU baisserait de - 4,3%, et celui de la Zone euro, de - 8,3%.

La longue marche de la Chine vers la suprématie mondiale

« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera »

Qui se souvient de cet ouvrage monumental et prémonitoire du connaisseur avisé de la Chine qu’était Alain Peyrefitte paru en 1973 ? Après s’être rendu en Chine en 1971, pendant la « révolution culturelle », pour y réaliser une étude approfondie du pays, il avait remis à l’Assemblée nationale un rapport d’enquête sur l’état de la Chine. A côté du témoignage sans complaisance sur les institutions et l’exercice dictatorial du pouvoir sous Mao, sa thèse principale était que : compte tenu de sa taille et de la population chinoise, elle finira inexorablement par s’imposer au reste du monde dès qu’elle maîtrisera une technologie suffisante. Pour lui, « La Chine d’aujourd’hui ne prend son sens que si on la met en perspective avec la Chine d’hier ».

Observateur attentif de l’évolution en Chine où il est allé une quinzaine de fois (d’après Wikipédia), il a dit d’elle en 1990 que c’était une société qui se projette déjà au 21ème siècle comme la première puissance mondiale. En 1996, il a publié un nouvel ouvrage, « La Chine s’est éveillée » (5). Et depuis, les raisons de trembler n’ont pas diminué.

Un regard en arrière pour voir où l’on va

Il est parfois bon de regarder en arrière pour voir où l’on va. C’est pourquoi j’ai réuni dans le tableau 2 ci-dessous des données sur la croissance depuis l’an 2000 et des prévisions à l’horizon 2024 publiées par le FMI en octobre 2020. Les chiffres sont présentés ici pour les années auxquelles les quatre derniers présidents américains ont été élus et entre lesquelles ils ont « gouverné » les EU. Georges W. Bush a été élu en novembre 2000 et réélu en 2004. En 2008, c’était au tour de Barack Obama, jusqu’aux élections de 2016, puis de Donald Trump, battu ensuite par Joe Biden en novembre 2020. Il se trouve aussi que les années 2000, 2008 et 2020 sont des années « charnières » marquées par des évènements majeurs, de portée mondiale. En 2000, la bulle Internet a atteint son apogée puis a éclaté. En 2007-2008, la crise financière des « subprimes » a bouleversé pour des années la planète et fait reculer les PIB de la plupart des pays. En 2020, le coronavirus a provoqué la crise « la plus grave depuis la guerre de 1939-1945 ».

Sous Georges W. Bush, le dollar a plongé, la place des EU dans le monde s’est rétrécie

Pendant la bulle Internet, les EU ont enregistré une très forte croissance, le PIB gagnant + 23,5% en cinq ans de 1996 à 2000. A partir de là, la croissance a faibli tandis que l’inflation était difficile à maîtriser, l’indice des prix à la consommation augmentant de + 25% de 2000 à 2008. La valeur du dollar en euros a chuté de 1,09 en moyenne en 2000 à 0,68 en 2008. Par rapport à la monnaie chinoise, le dollar a perdu - 16% pendant cette période. Pour ces raisons principalement, c’est pendant la présidence de Georges W. Bush, que la part des EU dans le PIB mondial s’est le plus sévèrement rétrécie, tombant de 30% en 2000 à 23% en 2008 (cf. tableau 2). La revalorisation de l’euro par rapport au dollar a été pour beaucoup dans l’augmentation de 19% à 22% de la part de la zone euro dans le PIB mondial… temporairement, puisque cette part était descendue sous les 16% en 2016. Quant à la Chine, de 2000 à 2008, elle a poursuivi sa marche, son PIB atteignant 7% du PIB mondial et plus de 30% de celui des EU en 2008.

Tableau 2. Evolutions des rapports des puissances économiques sous les présidents américains

 

 

Même après la crise financière géante de 2008, les rapports de puissances économiques n’ont pas été affectés par des variations des parités monétaires d’ampleur. Les parts des PIB des EU et de la ZE dans le PIB mondial se sont à peu près « stabilisées », respectivement près de 25% et de 15% en 2016 et en 2020. Le poids du « monde occidental » reste donc important. La Chine a poursuivi sa remontée, jusqu’à près de 18% du PIB mondial en 2020.

La première puissance mondiale : les Etats-Unis ou la Chine ?

En dollars courants, le PIB de la Chine était un peu inférieur à celui de la France en 2000. 20 ans plus tard, il lui est presque 6 fois supérieur. Le PIB de la zone euro (ZE) était 5 fois supérieur à celui de la Chine en 2000. Un grand « rattrapage » a eu lieu après la crise de 2008, et la Chine est passée devant la ZE en 2017. En 2008 le PIB des Etats-Unis était encore 3 fois plus élevé que celui de la Chine. Aujourd’hui, le PIB de la Chine « vaut » 71 % de celui des EU. Et, sur la lancée, il pourrait le dépasser d’ici la fin d’un éventuel premier mandat de l’associée de Joe Biden, Kamala Harris. Jusqu’à cette échéance, les EU pourront rester « la première puissance économique mondiale »… en dollars.

En parité de pouvoir d’achat, la Chine est devenue « la première puissance économique mondiale » à partir de 2017. Le FMI pronostiquait en octobre que son PIB dépasserait d’un tiers celui des EU en 2024.

Avec « America First », Donald Trump a tenté de restaurer le protectionnisme contre le multilatéralisme, et essayé de détourner le cours de l’histoire ou de le ralentir en s’opposant à la Chine. Deux paris perdus d’avance ?

La chine à la conquête des grands espaces commerciaux… et du monde

Les « Nouvelles Routes de la Soie » : vers une reconfiguration de la mondialisation

La Chine adore les Accords internationaux géants et cherche à réorganiser les relations commerciales et économiques autour d’elle. Elle l’a montré en 2013 avec son projet des « Nouvelles Routes de la Soie » à l’étendue sans limites. Selon les uns, l’initiative impliquerait 60 ou 70 pays (6). Pour The Conversation, « Début février 2020, 143 pays, soit plus des deux tiers des pays dans le monde, avaient signé des accords bilatéraux avec la Chine dans le cadre de cette initiative » (7). Gigantesque, le projet vise à relier la Chine à toutes les économies terrestres par des routes commerciales « aménagées ». Il a été initié par Xi Jinping alors que la Chine connaissait une baisse de la croissance et cherchait à écouler ses surproductions. Il voulait sécuriser les exportations et les approvisionnements (en hydrocarbures en particulier) en majeure partie assurés par voies maritimes et soumises à des risques de blocages (dans le détroit de Malacca, entre la Malaisie et l’Indonésie, notamment) et d’attaques de pirates.

En anglais, le nom qui lui a été donné est « Belt Road Initiaive » (BRI), car à chaque route est associée une ceinture géographique censée en tirer un profit économique. En référence à l’ancienne route de la soie, il s’agit de construire un réseau d’infrastructures, surtout de transport (ports, aéroports, chemins de fer, pipe-lines…), le long de six corridors terrestres et d’un réseau portuaire entre la Chine et les pays d’Asie Centrale, d’Europe et d’Afrique. L’initiative s’est étendue, s’ouvrant sur l’Amérique latine, les Caraïbes et le Pacifique sud. Elle a diversifié les investissements réalisés à bien d’autres secteurs (énergie, enseignement, culture, santé… et finance).

La BRI est une œuvre de longue haleine, dont le terme a été fixé en 2049, et des financements colossaux devraient lui être consacrés. The Conversation a estimé entre 450 et 480 Mds $ les investissements des principaux acteurs financiers chinois dans cette initiative depuis son lancement. La BRI repose en grande partie sur le financement des investissements dans les pays par des fonds chinois, principalement bancaires. Des pays sur les Routes sont lourdement endettés envers la Chine, et sous sa dépendance. S’ils ne peuvent rembourser, ils sont menacés de devoir céder l’infrastructure concernée au prêteur chinois. C’est ce qui est arrivé au Sri Lanka, qui a du céder en 2017 pour 99 ans le port d’Hambantola. Pour ne pas courir ce risque, le gouvernement malaisien a annulé en août 2019 trois investissements chinois totalisant 22 Mds $ (6).

C’est d’Astana au Kazakhstan que Xi Jinping a annoncé le lancement de la BRI. Tout un symbole ! Le Kazakhstan fait partie de la Communauté des Etas Indépendants (CEI) constituée par la Russie en 1991, tout comme l’Ouzbékistan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Ces pays de l’Asie centrale, très enclavés et éloignés des parcours de la mondialisation, étaient des cibles toutes désignées pour Pékin, et c’est sans doute sur ces territoires que la BRI a le plus avancé. Déployer des échanges commerciaux « privilégiés » avec la Chine, bénéficier de sa part d’aides pour améliorer leurs infrastructures et jouer un rôle central dans les liaisons entre le géant asiatique et l’Occident ne pouvait se refuser. Ils ont joué le jeu. Poutine n’a sans doute pas bondi de joie. Mais, à part le Kazakhstan, ces pays étaient déjà très endettés envers la Chine. Ils tiennent à leur indépendance… et ils craignent la Chine. Ils peuvent se poser la question (6): « Les Nouvelles Routes de la Soie : un cadeau empoisonné pour l’Asie Centrale ? »

L’initiative est toujours et plus que jamais d’actualité, bien au-delà de l’Asie Centrale.

Retrait américain du TPP : trouble chez ses alliés et cartes rebattues

Il avait fallu 8 années de négociations sous l’égide des EU pour qu’Obama signe en 2015 le traité de Partenariat Transpacifique (TPP). 12 pays totalisant 40% du PIB mondial et 30% du commerce international s’étaient associés : les Etats-Unis, l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Le TPP levait les barrières douanières et non tarifaires entre les pays signataires, unifiait les droits des travailleurs, imposait des normes communes, en matière environnementale, notamment. Lors de l’élection de Trump, ce traité n’était pas encore entré en vigueur, le Congrès américain ne l’ayant pas ratifié.

Pendant sa campagne, Trump avait dénoncé un accord « terrible », qui « viole » les intérêts des travailleurs américains. Echaudés par la perte de quelques 700 000 emplois attribuée à la signature en 1993 par Bill Clinton de l’ALENA avec le Canada et le Mexique, des hauts dignitaires démocrates, tels Bernie Sanders et Hillary Clinton, y étaient aussi hostiles (8).

Aussitôt en fonctions, en janvier 2017, le président Trump a décidé le retrait des EU de l’accord, provoquant la déconvenue et semant le trouble chez ses alliés, particulièrement au Japon et en Australie.

Laissés en plan par les EU, les onze autres partenaires du TPP ont décidé de poursuivre leur chemin ensemble sur la même voie. Reprenant l’essentiel des termes du traité précédent, ils les ont même enrichis en matière d’accès des PME aux marchés, notamment. Les onze, qui représentent ensemble 14% du PIB mondial et 16% du commerce international, ont signé le 8 mars 2018 à Santiago du Chili l’Accord Complet et Progressiste pour le Partenariat Transpacifique  (CPTPP). A ce jour, l’accord est entré en vigueur pour 7 pays : l’Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Vietnam (9).

L’Australie et les partenaires asiatiques du CPTPP ont aussi prêté une oreille plus attentive aux sollicitations de la Chine qui fait feu de tout bois pour élargir le cercle des pays avec lesquels elle peut être « partenaire » et sur lesquels elle peut étendre sa domination.

Avec le RCEP, la Chine au cœur d’un accord commercial géant

Après 7 ans de négociations, l’Accord de Partenariat Economique Régional Global (RCEP) a été signé le 15 novembre à Hanoï. Il crée une zone de libre-échange entre 15 pays rassemblant 30% de la population de la planète et 30% du PIB mondial : la Chine, les 10 pays de l’ASEAN (Indonésie, Malaisie, Singapour, Philippines, Thaïlande, Brunei, Birmanie, Vietnam, Laos et Cambodge), la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’Inde s’est retirée de l’accord à la fin de l’année 2019. Cet accord, limité aux échanges de produits, prévoit de réduire de 90% les tarifs douaniers appliqués à la plupart des produits échangés entre les partenaires, leur permettant d’augmenter leurs échanges et « d’accroître leur PIB de + 0,2% » selon des professeurs de l’Université Johns Hopkins (10).

Il est anticipé que Pékin poussera à la mise en place dans les deux à cinq ans à venir de normes communes, sanctuarisant ainsi davantage ses intérêts, accroissant sa domination économique dans son environnement proche et assurant à la Chine une emprise renforcée sur un marché dynamique de plus de 2 milliards de consommateurs.

Alors que les mesures « protectionnistes » de Pékin décriées par Donald Trump font fuir de Chine des entreprises japonaises, australiennes et occidentales, avec ses faibles tarifs douaniers, le RCEP est aussi appelé à exercer un rôle attractif et inciter les entreprises étrangères à s’implanter davantage dans son espace pour y rester compétitives.

Pour la Chine, l’enjeu est aussi politique et stratégique. Par l’association du Japon, de la Corée du Sud et de l’Australie, traditionnels alliés diplomatiques et militaires des EU, le RCEP lui donne une position de poids dans la confrontation avec les initiatives américaines dans l’Indo-Pacifique.

Le « QUAD », vigilance et protection dans l’Indo-Pacifique

Or, précisément, l’espace Indo-Pacifique est le terrain d’élection d’une stratégie promue par le Groupe Quadrilatéral de Coordination de la Défense (Quad). Remis en service en 2007, puis réactivé face à l’hégémonie chinoise et en raison des problèmes de sécurité posés à ses voisins, c’est un forum stratégique informel associant l’Inde, le Japon, l’Australie et les Etats-Unis. Les sujets qu’il aborde sont très divers, économiques, technologiques, géopolitiques, militaires et sanitaires. En novembre 2019, ses membres se sont réunis pour mieux se coordonner en matière de contre-terrorisme. En décembre, la concertation portait sur la cyber-sécurité, et en septembre 2020, le sujet était la 5G. En toile de fond, il a les relations conflictuelles de l’Inde, du Japon et de l’Australie avec la Chine. Les trois ont des échanges commerciaux importants avec elle, ce qui les en rend partiellement dépendants. Ainsi, le tiers des exportations australiennes va en Chine. Cela n’a pas empêché les autorités d’engager des investigations contre l’espionnage chinois, de bloquer l’implantation de Huawei en Australie, de suspendre des accords d’investissements ou de mettre en question la responsabilité de la Chine dans la crise du coronavirus. Non sans subir des mesures de rétorsion. Du côté Indien, la région du Cachemire est le théâtre d’affrontements. L’armée chinoise a développé son emprise dans l’Océan Indien et en Mer de Chine méridionale, empiétant sur des territoires japonais. La Chine inquiète donc de plus en plus ses voisins (11).

Périodiquement, la flotte américaine manifeste sa présence en Mer de Chine, comme elle l’a encore fait cet été.

La vigilance du QUAD est tout à fait justifiée. Mais pour plus d’efficacité, une formule d’accord contractuel serait sans doute bienvenue… avec un élargissement du QUAD à la Corée du Sud ainsi qu’aux pays de l’ASEAN. Des pays que la Chine a attirés dans le RCEP, mais qui ne désirent pas forcément être asservis, vassalisés

Tournant dans la stratégie chinoise et dessein ambitieux affiché

La guerre commerciale avec les Etats-Unis et les sanctions infligées ces dernières années ont poussé le Président Xi Jinping à infléchir la stratégie économique et à accroître les forces militaires dans l’éventualité d’un durcissement de la confrontation. L’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF) a attiré l’attention sur ce tournant au début décembre (12) et relayé un article de « Geopolitical Intelligence Services » (GIS) dont le titre peut être traduit par « Pékin se prépare à une tension accrue avec l’Occident » (13). Avec les Routes de la soie et le RCEP, notamment, la Chine essaie de mieux garantir ses approvisionnements vitaux, de développer ses exportations, d’asseoir son influence politique et financière en Asie, son modèle de croissance étant largement basé sur ses échanges extérieurs. Apparemment trop pour les hautes Autorités chinoises.

Le but principal déclaré de son 14ème plan quinquennal, qui devrait être adopté au début de 2021, est de faire de la Chine la plus grande puissance industrielle et économique du monde et, en même temps, de devenir moins dépendante des systèmes mondiaux. A ces fins, ses dirigeants entendent consacrer plus d’efforts au développement des technologies innovantes et rendre la Chine plus autonome dans des industries vitales telles la production alimentaire, les semi-conducteurs et l’énergie. Ils veulent aussi que la croissance repose davantage sur la demande intérieure, sur l’investissement dans la recherche-développement et non sur la consommation comme dans les pays occidentaux, les ménages devant conserver une épargne consistante.

Cette « stratégie » n’est pas entièrement nouvelle. Les données d’octobre 2020 du FMI indiquent, en effet, que l’investissement, qui représentait 47% du PIB en 2010 est encore supérieur à 43% ces trois dernières années. « Rentable » ou non (voir ci-après), le poids de l’investissement a été une des clés de la croissance chinoise, surtout depuis que l’excédent de la balance commerciale a fléchi. Quant à la consommation intérieure (ménages et autres agents), elle était de 49% du PIB en 2010. Les revenus augmentant avec la croissance et la bride étant moins serrée, la consommation est montée à la hauteur de 55% à 56% du PIB au cours des 4 dernières années.

Pour se donner les moyens de réaliser l’objectif ambitieux de faire de l’Empire du Milieu une puissance dominante, au moins comparable aux Etats-Unis, le président Xi Jinping a décidé de renforcer son propre pouvoir « Il a purgé le parti et accru le pouvoir du chef de l’Etat ». Il n’est plus question désormais de limiter son mandat à dix ans. Les forces aériennes, navales et balistiques ont bénéficié d’investissements massifs et les infrastructures « stratégiques » font l’objet d’extensions. « Le préambule de la Constitution de la République Populaire de Chine reflète maintenant la stratégie du président Xi et se réfère à la réaffirmation de la puissance économique et politique de la Chine » (13).

Il est clair que la main de fer du pouvoir chinois sur « ses » agents économiques est un atout (qui n’est pas nouveau) dans les compétitions internationales… dont les Etats-Unis, comme les autres démocraties, n’ont pas cherché à se doter. Et les intérêts particuliers ainsi que la mondialisation avec les motivations des multinationales sans véritables patries ne sont pas nécessairement en harmonie avec les intentions des Etats. Joe Biden et Kamala Harris le savent. Ils sont aussi prévenus de l’état d’esprit de leur compétiteur et/ou ennemi déclaré. Nous ne tarderons sans doute pas à connaître les orientations, le tournant éventuel, de leur nouvelle stratégie internationale… qui nous concernent également.

La pandémie mondiale de l’endettement n’a pas épargné la Chine

Une crise mondiale de la dette en perspective ?

La publication du 16 juillet 2020 du « Global Debt Monitor » (14) par l’Institut International de la Finance (IIF) comprend un tableau des dettes brutes totales de pays et de groupes de pays fortement endettés rapportées à leurs PIB avec leurs répartitions entre les agents économiques : ménages, entreprises non financières, gouvernements (ou administrations), qui ensemble constituent le secteur non financier, et le secteur financier. J’en ai extrait les infos relatives au 1er trimestre 2020 concernant le Japon, perpétuel champion du monde, la zone euro, les Etats-Unis, la Chine, ainsi que l’ensemble des pays (Monde).

La menace d’une crise mondiale « du siècle » de la dette, tant redoutée (pas par tous les gouvernants, hélas !) est loin d’être imaginaire. Reflétant ceux des plus grandes puissances, l’endettement total est colossal, atteignant 258 trillions (milliers de milliards) de dollars au 1er trimestre 2020, soit 3,3 fois le montant du PIB mondial. Celui de l’ensemble du Secteur non financier, référence pour la Banque des Règlements Internationaux était voisin de 180 % de ce PIB en fin 2010 (15). Il approche 250% du PIB mondial au 1er trimestre 2020.

Ces chiffres révèlent une forte baisse du « rendement » de l’endettement en termes de contribution à la croissance ou, dit autrement, un excès grandissant de dépenses non rentables et/ou improductives financées avec le concours de la dette. Cet excès est favorisé par la pression insistante sur les taux d’intérêt qui rendent la dette presque « gratuite » pour les emprunteurs réputés « solvables ». Ceci vaut aussi bien pour les grandes puissances ci-dessus, que pour la plupart des pays, à commencer par la France.

L’addiction à l’endettement, un problème de taille aussi pour la Chine

En matière d’endettement, la Chine joue dans la cour des grands. Elle est devenue addicte pour financer ses plans de relance lors de la grande crise financière de 2008 et plus encore à partir de 2012 (16). Depuis, en 8 ans, sa dette brute totale est passée d’environ 200% du PIB à plus de 300%. En 2019, déjà, elle dépassait les 40 000 Mds de dollars et 15% de la dette de la planète (17). En partie hors du contrôle du système bancaire et des Autorités, la dette est jugée excessive par le président Xi Jinping et le Parti Communiste qui tentent de la juguler et de l’encadrer.

Le ratio de la dette publique (55,3%) figurant dans le tableau 3 est relativement modeste. Mais il s’agit de la dette du gouvernement central et d’une partie seulement de celle des gouvernements régionaux et des collectivités locales. Le reste de cette dernière est « imbriqué » et comptabilisé avec la dette des entreprises non financières.

La dette des entreprises est un gros tracas pour le pouvoir. Elle était montée à 170% du PIB en 2015-2016 et, malgré les efforts du gouvernement, elle est encore de 159% du PIB au 1er trimestre 2020. Le fardeau en est pour partie attribué à des faiblesses persistantes dans l’important secteur des entreprises d’Etat, qui, d’après le FMI (16), cumulait plus de la moitié (72% du PIB) de la dette totale des entreprises en 2017. Une proportion non négligeable des entreprises connaissent des difficultés prolongées et sont considérées comme des « entreprises zombies »… parce qu’elles enregistrent des pertes 3 ans de suite, utilisent des techniques obsolètes, ne respectent pas les normes environnementales ou technologiques et ont besoin des aides publiques. Cependant, sous le regard bienveillant du pouvoir central, ces zombies sont maintenues en vie par les collectivités locales parce qu’elles apportent leur contribution, jugée indispensable, à la croissance, à l’emploi et aux revenus qu’ils procurent. Elles jouent aussi parfois un rôle social au niveau local, avec des écoles, des hôpitaux…

« La Chine est en train de gagner la bataille contre les entreprises zombies » a affiché Le Quotidien du Peuple en ligne en octobre 2019 (18). Elle aurait éliminé 95% des 2 000 « entreprises zombies » de son système d’entreprises publiques grâce à son plan triennal lancé en 2016, en procédant à des fermetures pour faillites, des fusions et des réorganisations. Le programme va s’accélérer pour réduire les surcapacités de production désuètes et se séparer de certaines entreprises publiques. Le Secrétaire Général de la SASAC (Commission qui supervise et administre les biens de l’Etat) a notamment indiqué que « 11 028 entreprises publiques avaient établi une présence dans 185 pays et régions du monde avec 7 600 milliards de yuans [environ 1 070 Mds de dollars] d’actifs à la fin de 2018 ». L’endettement des entreprises d’Etat leur sert ainsi également à investir massivement à l’étranger.

Les entreprises zombies ne sont pas l’apanage de la Chine. En septembre 2018, la Banque des Règlements Internationaux s’inquiétait de leur prolifération (19) depuis la crise de 2008 et indiquait qu’en 2016, selon les données de Worldscope, leur proportion parmi les entreprises était de 6% dans les 14 principaux pays développés. Parmi les explications de cette pléthore, figuraient les flots d’argent gratuit qui permettaient de les maintenir en vie.

Les entreprises privées, majoritairement des PME, constituent le secteur moteur de l’économie chinoise. Plus performantes, y compris dans des domaines des hautes technologies, elles sont également très endettées, en particulier dans le secteur de l’immobilier. Les restrictions au crédit (bancaire, notamment) les ont poussées à recourir davantage aux financements extérieurs. Ainsi, selon la Banque Mondiale (20) la dette extérieure de la Chine, qui n’était que de 455 Mds $ en 2009, est vite montée à 1 334 Mds $ en 2015 et à 2 114 Mds $ en 2019.

Le dollar, monnaie de réserve par excellence pour longtemps encore

Cette dette extérieure ne représentait en 2019 que 1,5% du PIB de la Chine. C’est très peu. Pour le Directeur du Cercle de l’épargne (21), « la devise chinoise pâtit de la faiblesse de son marché financier, de l’absence de transparence de sa banque centrale ainsi que du caractère peu démocratique de son régime politique ». C’est pourquoi, malgré la dimension commerciale de la Chine et la création de la Banque Asiatique d’Investissement, «  concurrente » potentielle du FMI, la volonté de Pékin de faire jouer à la monnaie chinoise, le renminbi, un rôle international de premier plan ne peut aboutir avant longtemps à faire de l’ombre au dollar. 62% des réserves de change sont en dollars, 20% le sont en euros, les autres monnaies (yen, livre, renminbi…) se partagent les 18% restants. La position dominante du dollar permet aux Etats-Unis de ne pas équilibrer leur balance des échanges et d’investir plus que leur seule épargne. Moyennant quoi, leur dette extérieure était de 58% du PIB en 2019. Cette position dominante est un contrepoids à l’hégémonie chinoise et un atout majeur des Etats-Unis dans « l’épreuve de force » engagée par Donald Trump avec la Chine en 2018. Ainsi, pour les EU, le surendettement, le vice, est vertu. Et vice-versa pour la Chine, financièrement peu dépendante de l’étranger. Pas très rassurant, tout cela !

Paul KLOBOUKOFF Académie du Gaullisme Le 23 décembre 2020

Sources et références

(1) Donald Trump a-t-il eu raison de lancer une guerre commerciale contre la Chine ? lecho.be/dossier/electionsusa/donald le 28/10/2020

(2) Chine/Etats-Unis : pourquoi Donald Trump a perdu - Aujourd’hui l’économie rfi.fr/fr/podcasts/20201103-chineC3%A…

(3) Les Etats-Unis et la Chine signent un accord commercial « historique » lesoleil.com/actualite/monde/les-etats-unis le 16/01/2020

(4) Malgré les tensions, la Chine et les Etats-Unis visent toujours un accord commercial bfmtv.com/economie/economie-social/malgre-les… le 25 08 2020

+ Malgré les tensions, la Chine et les Etats-Unis maintiennent leur accord commercial letelegramme.fr/economie/malgre-les-tensions… le 25/08/2020

(5) Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera wikipedia.org/wiki/Quand-la-Chine…

(6) Les Nouvelles Routes de la Soie : un cadeau empoisonné pour l’Asie Centrale ? misterprepa.net/les-nouvelles… le 02/06/2020

(7) de « Nouvelles routes de la soie » durables, un défi impossible ? theconversation.com/de-nouvelles… le 09/02/2020

(8) Le partenariat transpacifique expliqué en trois minutes letemps.ch/monde/partenariat-trans… le 22/11/2016

(9) Comprehensive and Progressive Agreement for Transpacific Partnership (CPTPP) dfat.gov.au/trade/agreements/in-force/cptpp le 25/11/2020

(10) La Chine au cœur de la plus grande zone de libre échange de la planète contrepoints.org/2020/11/21/384865-la-chine…

(11) Quad : un nouvel axe libéral pour contrer la Chine dans le Pacifique irefeurope.org/Publications/Articles/article/Quad… le 03/12/2020

(12) La Chine se prépare à une tempête fr.irefeurope.org/Publications/Geopolitical-Intelligence… le 05/12/2020

(13) Beijing is gearing up for heightened tension with the West gisreportsonline.com/china-prepares-for-a-storm le 03/12/2020

(14) Institute of International Finance Global Debt Monitor Sharp spike in debt ratios 16/07/2020

(15) Banque des Règlements Internationaux Annual Economic Report June 2019 bis.org/pub/arpdf/ar2019e.pdf

(16) Dette des entreprises en Chine : se dirige-t-on vers une crise ? Alice Jutin Duceux cadtm.org/Dette-des-entreprises… le 08/04/2019

(17) Chine : la dette dépasse 300% du PIB lesechos.fr/monde/chine/chine-la-dette… le 18/07/2019

(18) La Chine est en train de gagner la bataille contre les « entreprises zombies » french.peopledaily.com.cn/Economie/n3/20191020/c313… le 20/10/2019

(19) La BRI met en garde contre la prolifération des sociétés zombies lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-bri…. le 24/09/2018

(20) International Debt Statistics openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/34588…pdf

(21) La dette européenne renforce l’euro - LesFrançais.press lesfrancais.press/la dette-européenne… le 01/09/2020

 

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