Note de lecture de l’ouvrage

« Entretien avec Michel Anfrol Avec de Gaulle, du RPF à l’ORTF »

Pr Marc Fosseux,

Pour ceux qui ont connu Michel Anfrol, le livre d’Hélène et Julien Brando procure une émotion vraie. À chaque page, on a l’impression d’entendre sa voix si caractéristique nous faire un récit précis, documenté, n’omettant aucun détail même à des décennies de distance. Bref une performance rare de grand journaliste que Michel Anfrol fut toute sa vie. On retrouve la même verve, le même caractère entier, la foule impressionnante de détails sur des faits, des personnes, des lieux que parfois il n’avait vus qu’une seule fois des années auparavant mais dont il gardait un souvenir étonnamment sûr.

Enrichi par une très belle préface d’Angelo Rinaldi, académicien, et une non moins émouvante postface de Jean Tibéri, ami de l’époque étudiante, ce livre d’entretiens fourmille d’anecdotes comme seul lui savait les raconter. Sur la première fois où il voit le général de Gaulle, juste face à lui au pied des Champs-Élysées le 26 août 1944, alors qu’il accompagnait ses parents pour voir le défilé de la Libération tant attendu. Sur la grande manifestation gaulliste de la place de l’Etoile le 9 mai 1954, au lendemain de Dien Bien Phû. Sur le congrès des jeunesses politiques européennes auquel il participa le mois précédent avec une délégation de jeunes du Rassemblement du peuple français, grâce à l’intervention de Jacques Chaban-Delmas. Sur ses démêlés ensuite avec le même Chaban devenu Premier ministre quinze ans plus tard alors que le mot d’ordre était de « libéraliser » la télévision et d’en faire partir les journalistes jugés dépassés, car trop gaullistes.

On aborde là une grande blessure pour Michel Anfrol. Lui, devenu un grand journaliste professionnel, apprécié des téléspectateurs, commentateur des grands événements – le départ du général de Gaulle le soir du 27 avril 1969 ou le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune le 21 juillet de la même année – dut s’effacer des premiers rangs car on ne lui pardonnait pas son engagement. On ne lui pardonnait pas d’avoir lu la voix étranglée, dans la nuit du 28 avril 1969, le communiqué de l’AFP annonçant le départ définitif du général de Gaulle. On ne lui pardonnait pas d’avoir fait front en Mai 68 et d’avoir refusé une grève qu’il aurait trouvé justifiée s’il s’était agi de dénoncer la mauvaise gestion de la télévision publique mais qu’il a considérée comme illégitime car motivée uniquement par des considérations politiques. La conversation – car c’est bien d’une conversation qu’il s’agit – fait alors découvrir la réalité trop humaine du monde journalistique et télévisuel : ses ambitions, ses jalousies, ses petits calculs, son hypocrisie, ses duplicités, ses erreurs de jugement, ses manques de lucidité et d’impartialité, ses personnages nobles et ceux qui le sont moins. Un caractère entier et parfois rugueux comme celui de Michel Anfrol ne s’est pas fait que des amis, on le conçoit, et certains des personnages cités, devenus ensuite des journalistes très connus, ne sortent pas tous grandis de son jugement sans concession. À d’autres, en revanche, il voue une admiration réelle, qu’il s’agisse de journalistes, de responsables politiques, de diplomates, d’anciens de la France Libre (notamment les Cadets), de héros de la Résistance (voir son évocation de Fred Scamaroni), d’aventuriers (comme Bob Denard) ou de ceux qu’il a pu rencontrer ailleurs qu’en France à l’occasion de ses nombreux voyages.

À son époque, il est vrai, le champ des possibles paraissait ne pas connaître les mêmes limites qu’aujourd’hui. On découvre alors l’incroyable richesse de sa vie et que peu de ceux qui le croisaient rue de Solférino pouvaient soupçonner. Ses années d’étudiant dans l’Espagne franquiste (d’où le nom d’Anfrol qu’il se choisit alors) puis en Italie, ses fréquents séjours aux États-Unis comme boursier puis comme correspondant, ses reportages en Afrique au cœur de la rébellion katangaise, les voyages présidentiels du général de Gaulle qu’il couvrit au Mexique (il ne fut malheureusement pas sur place les jours où de Gaulle s’y trouva) ou en Allemagne, sa « deuxième vie » en Argentine à partir des années 1980. Grâce à cette expérience rare, Michel Anfrol acquit une connaissance de l’intérieur de certains grands pays dont la télévision ne sut pas toujours tirer parti du reste. On sourit en « l’écoutant » nous confier à quel point ses patrons s’obstinèrent dans l’erreur en refusant de croire à ses prédictions de l’élection de Jimmy Carter en 1976 puis de Ronald Reagan en 1980. On est stupéfait d’apprendre la réaction unanime du peuple argentin (malgré la dictature de la junte) face à la riposte britannique aux Malouines, l’héroïsme des jeunes soldats argentins, et le risque dont personnellement je n’avais jamais entendu parler d’une attaque nucléaire britannique sur la ville de Cordoba.

Le passage du livre sur la période de Michel à la tête des Amis de l’Institut puis Fondation Charles de Gaulle n’est pas le moins intéressant. Désigné par Pierre Messmer, à qui il vouait une admiration sans borne, Michel Anfrol était le plus qualifié pour exercer cette responsabilité à la suite de Gérard de la Villesbrune et de Bernard Tricot. Il a démultiplié l’action des Amis en organisant de multiples conférences, dîners, rencontres dans des lycées dans toute la France. Michel était au centre d’un réseau d’amitiés et de fidélités gaullistes qui n’était exclusif de personne, que l’on fût un ancien ministre ou un salarié dévoué de la Fondation. Il n’élude pas certains désaccords ou certaines déceptions dans ses relations avec les autorités de la Fondation, et je suis bien placé pour savoir de quoi il parle. Ses « sorties » pas toujours agréables à entendre étaient souvent justifiées. Il faut être particulièrement attentif aux conseils qu’il formule sur l’avenir de la Fondation, en particulier la nécessité de la préserver de toute routine administrative et d’y entretenir l’esprit du militantisme gaulliste. Ayant la lourde responsabilité d’assumer la présidence des Amis après lui, je mesure jour après jour le charisme, l’énergie, le sens de l’engagement grâce auxquels Michel Anfrol a fait rayonner les Amis. Son exemple m’oblige, et je tâcherai de poursuivre son œuvre du mieux que je pourrai.

La vie de Michel Anfrol fut incontestablement une vie de passion. Curieusement, il évoque peu sa passion première, sa femme Madeleine et sa fille Anne. Sa pudeur l’honore. Il est plus prolixe sur l’autre passion de sa vie : de Gaulle. De son héros vivant, il n’en connaissait pas seulement toutes les étapes de sa vie, son entourage, ses anciens collaborateurs. Il l’a connu directement, et dans une période finalement assez méconnue encore de nos jours, à savoir la traversée du désert. Jeune responsable des étudiants gaullistes à partir de 1954, alors que ces derniers n’étaient plus qu’une poignée après la mise en sommeil du RPF, Michel Anfrol a eu le privilège de rencontrer le général dans son bureau rue de Solférino en petit comité, et déjà de s’en faire remarquer. Grâce à Roger Teissier, il réussit à s’asseoir tout près du général le 19 mai 1958 pour écouter la conférence de presse historique du palais d’Orsay. Il n’hésita pas à l’interroger « à bâtons rompus » au cours du fameux voyage allemand de juillet 1962, et de recueillir l’étonnante confidence du général sur ses ancêtres Kolb du pays de Bade. Enfin, après le départ du général du pouvoir, Michel Anfrol, nous apprend qu’il reçut une magnifique photo dédicacée, le premier tome des Mémoires d’Espoir dédicacées, et l’espoir d’être reçu par le grand homme dans sa retraite à Colombey. On mesure son émotion.

En terminant la rédaction de cette note de lecture, qui je l’espère vous donnera l’envie de lire le livre d’Hélène et Julien Brando, je me rappelle avec émotion le dernier entretien que j’ai eu avec Michel. C’était le 28 avril 2019, quelques semaines avant sa disparition. La veille, j’avais été interrogé par Marc Menant sur la chaîne Cnews à l’occasion du 50e anniversaire du référendum de 1969. Il m’avait vu. J’attendais avec un peu d’angoisse le jugement du grand professionnel de la télévision. Il m’a complimenté, avec un grand sourire, en prononçant des paroles très gentilles à mon égard. Puis il est parti sur un exposé ininterrompu sur l’histoire de la chaîne en question, de ses journalistes vedettes, livrant comme à son habitude un nombre incroyable de détails, montrant à quel point la télévision était encore dans sa vie. C’était Michel.

Marc Fosseux,
*Président des Amis de la Fondation Charles de Gaulle

 

© 02.01.2021