« Les grands serviteurs de l'Etat »


Par Christine ALFARGE

« Vieille France, accablée d’histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin mais redressée de siècle en siècle par le génie du renouveau. » (Charles de Gaulle)

Peu d’hommes ont offert à la France une volonté et une clairvoyance en pensant ou en agissant pour la grandeur du pays. Ne dit-on pas qu’il faut vivre avec son temps ? Mais ce temps présent n’est riche que de la transmission des valeurs ou de l’inspiration d’un modèle qui fit la grandeur de la France.

A son époque, Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances, ministre de Louis XIV, illustre parfaitement ce souci permanent de hisser la France à un rang de grande puissance avec pour fidèle devise : « Pour le roi souvent, pour la patrie toujours ». Après trois siècles d’histoire du rayonnement de la France du roi Louis XIV, puis de Napoléon 1er, le Général de Gaulle incarnera cet esprit de grandeur au service de notre pays en parlant « Au nom de la France ».

On ne peut servir l’Etat qu’à partir des réalités.

De Colbert à De Gaulle, il s’agit de bien servir l’Etat dont l’intérêt général en sera le grand principe. Leur caractéristique commune est d’arriver au pouvoir dans une économie désastreuse, leur force sera de faire converger les domaines contribuant au développement du pays mais naturellement un pays ne peut se développer sans avoir des finances à l’équilibre, la souveraineté nationale en dépend.

Une certaine idée de la France.

Même si le sens de l’Etat est bien souvent inné, il faut toujours des circonstances exceptionnelles où des hommes, avec une influence déterminante, se révèleront. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à se mettre en danger pour respecter l’idée qu’il se fait de son pays ? Est-ce l’origine du milieu auquel il appartient qui conditionne ses actes ? Colbert est déjà rompu à l’exercice du pouvoir lorsqu’il bénéficie pour le plus grand bien de l’Etat de la disgrâce du surintendant aux finances Nicolas Fouquet. Sa philosophie économique repose à la fois sur l’équilibre budgétaire et le mercantilisme, il contribuera ainsi à endiguer le creusement du déficit battant tous les records sous Mazarin laissant à sa mort 27 millions de livres de dettes à l’Etat alors qu’il n’y en aura plus que 8 millions à la mort de Colbert.

Pour ce dernier, le commerce était aussi un gage de richesse nationale à condition bien sûr que ce soit des marchands français, il disait : « Les marchands étrangers sont comme des pompes qui tirent hors du royaume la pure substance de nos peuples (…) ; ce sont des sangsues qui s’attachent à ce grand corps de la France, tirent son sang et s’en gorgent. »

Pour Charles de Gaulle, militaire, d’une éducation stricte, rien ne le prédestinait à gouverner en pensant aux plus défavorisés dont les femmes auxquelles il octroiera le droit de vote en 1944 et la classe ouvrière.

Tout en pensant à la bataille de la France, il avait en tête la reconstruction du pays adressant notamment un message au Congrès technique de la France au combat le 19 mars 1944 : « Il s’agit que l’Etat lui-même prenne en main l’ensemble du problème, qu’il conçoive et qu’il dirige effectivement l’activité économique du pays et de l’Empire. Lui seul peut, désormais, le faire d’une manière suffisamment concentrée et, par suite, économique. Lui seul aussi est en mesure d’adapter le progrès social au progrès des richesses générales. »

En 1958, la situation financière de la France est extrêmement préoccupante, il n’y a plus de réserves en devises, la dette extérieure est phénoménale, le déficit du commerce extérieur abyssal. Le seul choix qui s’impose au Général de Gaulle est la remise en équilibre des finances et de l’économie, rappelant auprès des Français la nécessité de l’effort qui portera notamment sur la stabilité des prix, l’équilibre du budget et le soutien aux investissements. Il obtiendra leur confiance, gage de proximité à travers tous les déplacements qu’il effectuera dans les territoires pour expliquer sa politique indispensable à la réussite du redressement économique du pays.

Dans ses Mémoires d’espoir, Tome1, Le Renouveau (1958-1962), le Général de Gaulle écrira :« La politique et l’économie sont liées l’une l’autre comme le sont l’action et la vie. Si l’œuvre nationale que j’entreprends exige l’adhésion des esprits, elle implique évidemment que le pays en ait les moyens. Ce qu’il gagne grâce à ses ressources et à son travail ; ce que sur ce revenu total, il prélève par ses budgets, soit pour financer le fonctionnement de l’Etat qui le conduit, l’administre, lui rend justice, le fait instruire, le défend, soit pour entretenir et développer par des investissements les instruments de son activité, soit pour assister ses enfants dans les épreuves que l’évolution fait subir à la condition humaine ; enfin ce qu’il vaut au sens physique du terme, et par conséquent, ce qu’il pèse par rapport aux autres, telles sont les bases sur lesquelles se fondent nécessairement la puissance, l’influence, la grandeur, aussi bien que ce degré relatif de bien-être et de sécurité que pour un peuple, ici-bas, on est convenu d’appeler le bonheur.

Cela fut vrai de tous temps. Ce l’est aujourd’hui plus que jamais, parce que tout individu est constamment en proie au désir de posséder les biens nouveaux créés par l’époque moderne, parce qu’il sait qu’à cet égard son sort dépend d’une manière directe de ce qui se passe globalement et de ce qui se décide au sommet ; parce que la rapidité et l’étendue de l’information font que chaque homme et chaque peuple peuvent à tout instant comparer ce qu’ils ont relativement à leurs semblables. Aussi est-ce là l’objet principal des préoccupations publiques. Il n’y a pas de gouvernement qui tienne en dehors des réalités. L’efficacité et l’ambition de la politique sont conjuguées avec la force et l’espérance de l’économie. »

Mettre tout en œuvre pour assurer l’indépendance nationale.

Soucieux d’un commerce extérieur florissant, à la balance excédentaire, garant de la richesse nationale et au service de l’indépendance économique de la France, Colbert disait :« Si nos fabriques imposent à force de soin la qualité supérieure de nos produits, les étrangers trouveront avantage à se fournir en France et leur argent affluera dans les caisses du royaume. » Somme toute, il est le premier à lutter contre les délocalisations incitant les entreprises à produire en France parce que selon lui « on importe trop parce que l’on fabrique mal. »

Nous nous sommes trop éloignés du colbertisme depuis le Général de Gaulle.

Le Général de Gaulle avait compris bien avant son retour au pouvoir en 1958 que l’ingérence de l’Etat était indispensable dans les affaires économiques du pays. Il disait « L’Etat lui-même a besoin d’une organisation nouvelle. Non seulement il faut des organes propres d’études et de direction capables d’éclairer et d’exercer ses pouvoirs, mais il lui faut aussi la consultation permanente des grandes catégories nationales intéressées : travailleurs, producteurs, et techniciens. »

A travers l’histoire, de la royauté à la république, la réussite et le rayonnement du pays dépendront de l’équilibre des finances, gage d’indépendance nationale, de développement économique et social, d’investissements publics en fonction de l’intérêt général.

« Dans le monde d’aujourd’hui, rien ne vaut que par comparaison. » disait le Général de Gaulle, toute sa politique sera basée sur la prospérité économique et financière de la France vis-à-vis de l’extérieur mais aussi comme Colbert à son époque, d’agir dans tous les domaines des arts et des sciences. »

 

© 05.10.2019